lundi 31 mai 2010

Le regard

Donc c'était trop tard. La maladie a eu raison sur elle. Je l'ai regardée, puis j'ai tourné les yeux à la fenêtre. J'ai regardé Chouchou. Malgré mes craints, je me suis approché du lit, et j'ai mis ma main sur le lit. « Grand-mère ? »

Elle fixe son regard sur moi. La ligne entre ses lèvres est droite, mais au bout gauche de sa bouche la ligne se courbe en bas. Nous nous regardons sans mot dire. Longtemps. Son visage est tout gris. Je cherche la ressemblance entre nos visages. Son nez est celui de mon père. Ses yeux qui clignotent souvent sont bruns comme les miens. Son regard direct, un peu vide, mais actif et sans craint est d'un monde révolu. Qu'est-ce qu'elle veut dire dans son regard ?

Après quelques tentatives de conversation, j'y renonce.

A cinq heures l'infirmière et l'aide-soignante entrent dans la chambre. Je gêne le passage. Je ne sais où aller, mais je ne veux pas quitter la chambre. Enfin je me mets dans le coin avec Chouchou et laisse travailler les deux femmes.

L'infirmière vérifie la liste de médicaments, puis elle lui donne une piqure d'insuline. Elles la manient comme un objet inerte. Elles la fait changer de position. L'infirmière examine ses jambes qui sont couvertes de bleus et de croûtes, met du baume sur les blessures, et puis la recouvre et quitte la chambre.

L'aide-soignante commence à lui aider à manger son dîner. « Bonjour Marie, es-tu prête à manger ? Ce soir nous avons du pizza et du maïs. » Intriguée, Chouchou demande si c'est vraiment du pizza. L'aide-soignante dit qu'il est une purée en forme d'une pizza.

Grand-mère comprend tout. L'aide-soignante commence avec des cuillerées de gâteau de tapioca. Elle ouvre la bouche chaque fois que l'aide-soignante met la cuillère près de sa bouche.

Je suis tellement surpris qu'un « Oh ! » m'échappe. Je commence enfin à sourire.

« Elle aime son gâteau de tapioca. Il va mieux de commencer avec du dessert. Tu aimes ton gâteau de tapioca, n'est-ce pas ? Tu es prête pour la pizza. »

Chouchou se détend et dit, « Nous sommes de Washington, DC. Il est le grand-fils. »

« Vous êtes donc venus de DC aujourd'hui. Elle va mieux aujourd'hui. Hier, elle était très fatiguée. »

« Elle réagit bien au traitement. L'infection, je veux dire, elle va se rétablir ? » j'ai demandé.

« Oh, je ne sais pas. Il faut demander à l'infirmière. Je ne suis que l'aide-soignante. » elle m'a répondu et puis s'est retourné vers la patiente. « Prête pour la pizza ? »

Chouchou, toujours prête à parler de la nourriture notamment quand elle a faim dit, « Cette ville a de très bonnes pizzerias. Chaque fois que nous allons ici, nous mangeons de la pizza. Il est impossible de trouver de la vraie pizza à Washington. »

« Ah ! La pizza que j'adore est le "Pan-pizza" de Pizza Hut. J'aime bien Dominos et CC's pizza. CC's a un buffet dîner à volonté pour seulement 6 dollars. Où est-ce que vous allez ? » elle nous a dit.

« D'habitude, nous allons à la grand-place. Il y a une pizzeria. Je pense qu'elle s'appelle "Alex's pizza". » j'ai dit d'un air incertain.

« Non. Je ne la connais pas. »

« Je pense qu'Alex est un cousin des propriétaires de la pizzeria Scotto's qui se trouve au centre commercial. J'y allais quand j'étais jeune. Ils parlaient italien, jetaient la pâte dans l'air. Leur pizza était parfaite. »

« Je ne connais pas Scotto's. Peut-être vous voulez dire "Jerry and Sal's" ? Je n'y suis allée jamais. » elle m'a dit.

J'ai haussé les épaules. Ils ont dû changer de nom de leur établissement.

Quand grand-mère a terminé son dîner, elle est partie.

Le relève-buste du lit la maintenait débout, mais elle commençait à glisser. J'ai cherché l'infirmière pour demander de l'aide, et vite elle a changé la position du relève-buste. Grand-mère se reposait confortablement.

« Vous allez bien grand-mère ? » Elle m'a regardé. J'ai mis mon bras autour de Chouchou. « Vous voyez, nous sommes encore ensemble. Tout va bien. C'est tout. Nous sommes ensemble et la vie continue. Je travaille et je rentre à la maison. C'est la vie. »

Elle m'a regardé longtemps. Je n'avais plus rien à dire.

« Parle-lui ! » Chouchou m'a dit.

« Non, ça va. Tout va bien. » Nous nous regardions. Je me suis demandé comment elle pouvait continuer comme ça, muette et invalide. Elle commençait à tousser.

« Vous voulez boire quelque chose ? » j'ai mis la paille d'une boisson près de sa bouche. Elle l'a tout bue. Après elle a roté.

« Vous allez donc bien. Vous allez très bien, non ? Vous savez, vous êtes une vraie dure à cuire grand-mère. » Et la ligne de sa bouche qui était toujours courbée en bas s'esquissait un sourire.

Elle a fixé les yeux sur Chouchou.

« Bonjour. Nous allons très bien. Nous sommes heureux. » le regard de grand-mère restait fixé sur elle. « Go, elle me regarde. »

« Si elle te regarde, c'est qu'elle veut te regarder. »

Environs 6 heures elle commençait à s'endormir. Nous avons quitté la chambre. Je me suis pensé que ça y était. Nous lui avons rendu visite sans voir ma famille. Je me sentais soulagé mais je voulais au moins voir mon oncle. Et en attendant l'ascenseur je l'ai vu marcher dans le couloir. Je l'ai appelé. J'ai lu dans ses yeux sa surprise de me voir, puis il nous a fait un geste de le suivre.

Nous sommes rentrés dans la chambre.

dimanche 30 mai 2010

Une âme muette

« Je ne m'en revient pas ! », Chouchou m'a dit de l'autre pièce. « Qu'est-ce qu'il y a ? » « Écoute cette émission ! » Et en effet, on a perfectionné les logiciels qui corrigent la fréquence des notes en temps réel pendant les concerts. Tous les grands chanteurs, Cher, Céline Dion, Reba MacIntyre, les utilisent. Selon les génies qui les ont inventés, ces logiciels ne sont rien d'autre qu'un maquillage, et tout le monde utilise le maquillage. « Je savais que les albums n'étaient pas honnêtes, mais les concerts non plus ? Pourquoi est-ce que je suis devenue musicienne ? C'est la fin de la musique. »

J'ai ouvert grand les yeux, je regarde dans le vide, et puis après m'être ressaisi, je lui dit, « Mais, écoute. Je dois aller voir grand-mère. »

« Tu veux que je t'accompagne ? »

Je voulais y aller seul. Grand-mère est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Je ne savais même pas, si elle irait me reconnaître. Père n'a dit qu'elle est sourde. Elle ne parle plus.

« Si tu voudras. Ce pourrait être difficile. La maladie pourrait avoir raison sur elle. »

« Son âme y sera. »

Bien que je n'en croie rien, ce n'était pas le moment pour un débat sur le surnaturel. Je lui ai souri malgré mes doutes.

Tout le monde était en route vendredi après-midi. Je n'ai travaillé que quatre heures, parce que la culpabilité me rongeait. Cela faisait plus d'un an que je l'ai vue. Bien qu'elle allait mal à l'époque, elle parlait encore. Elle faisait semblant d'être dans le coup à sa manière, tenace, taiseuse, et heureuse. Père et frère aîné parlaient comme elle ne comprenait rien, comme elle oubliait de tout.

« Mère, tu veux plus de thé ? Tu as froid ? Tu regardes Cherubine. Tu te souviens d'elle. Elle est la femme de Ren. » Père regarde Chouchou et dit « Je ne sais pas si elle se souvient de toi. Elle a ses bons jours et ses mauvais. » Frère mange bruyamment sa tarte en montrant ses dents et le contenu de la fourchette dans sa bouche. Il dit, « Oui, on ne sait rien d'elle. » Il me regarde d'un oeil espiègle pour rire un peu, puis il aspire son thé, « Ahh... »

Nous étions en période de Noël, et naturellement je me suis pensé, « Jésus Christ. Pense Go ! »

« Go, elle me regarde. » Chouchou m'a dit.

« Oui, peut-être elle te reconnaît. Peut-être elle pense "pourquoi est-ce qu'il y a cette personne japonaise chez moi ?" » a dit frère aîné.

J'ai vite jeté un œil autour la pièce. C'était exactement la même pièce depuis ma naissance. Le sol était couvert des tapis faits du crochet par ses propres mains devenus maintenant malheureusement des crochets qu'elle cache derrière la couverture faite aussi à main. Sur la table haute près du divan était la bible. La table basse ronde en bois était couverte de cartes de Noël. Je les ai examiné.

« Qui est Betty ? »

Père m'a regardé interloqué, puis il a demandé « Maman, qui est Betty ? »

Il a dû répéter sa question, mais enfin elle l'a comprise, « Oh, elle est la nièce de ma cousine. Je la vois chaque mois quand elle revient pour voir sa mère. La pauvre, je pense qu'elle doit ... » et elle s'est tue, puis elle a dit, « elle est la nièce de ma cousine. » et a recommencé à regarder Chouchou.

J'ai lu les autres cartes et j'ai eu une idée.

« Quel est le message donné par la naissance du Christ ? »

« Acheter plus de marchandise selon tous les dix commandements du capitalisme. » dit mon frère communiste.

« Faire la loi aux bons chrétiens. » dit père.

« Non, selon toutes ces cartes de Noël le message serait que les hommes vivent en paix. Écoutez : Gloire à Dieu, dans les lieux très hauts; paix sur la terre, bonne volonté envers les hommes. » J'ai réussi à secouer tout le monde de leur stupeur pour l'instant. « Et est-ce que vous savez où se trouve l'histoire de Noël selon tous ces cartes ? C'est selon quel Évangile ? »

« C'est Jean. » dit père.

« Frère ? Chouchou ? » Grand-mère sourit. « C'est l'Évangile selon Luc. Et si on faisait quelque chose à l'esprit de Noël ? Si on lisait de la Bible ? Frère, tu veux lire l'Évangile selon Luc ? »

Après qu'il l'a lu. Mon père et mon frère se sont calmés. Nous avons passé une heure ensemble, puis j'ai dit au revoir à tout le monde. En disant au revoir, Grand-mère m'a dit que j'étais toujours son grand-fils favori. Depuis qu'elle est devenue malade, elle a toujours dit cela.

Et maintenant, tiendrait-elle toujours bon ?

Nous sommes arrivés à l’hôpital à 4 heures et demie de l'après-midi. J'ai demandé pour la chambre de grand-mère, 435. Il ne fallait que monter quatre étages. L’ascenseur montait et puis nous sommes arrivés au quatrième étage. Tout était très calme.

Je me suis approché de la porte. J'ai cherché d'un air inquiet par la porte entre-ouverte. Je ne voulais que voir ma grand-mère, mais il me semblait triste que personne n'était pas là.

Je l'ai vu sur le lit. Elle regardais la télévision et rien d'autre. Je me suis mis derrière la télévision, mais elle ne me faisait aucune attention.

S'il vous plaît, attendre la suite.

vendredi 28 mai 2010

Théorie et réalité

Hier, c'était de la théorie. Depuis, j'ai heurté contre les réalités. Serait-il vraiment possible de se débloquer des démons ?

« Grand-mère est dans l’hôpital. Elle est déshydratée. Elle est presque sourd. Elle ne parle pas. »

J'ai reçu ce même message deux fois. La première dans un courriel où mon frère était le destinataire et j'étais le destinataire d'une copie de courtoisie de ce courriel. Plus tard, père pensait bien m'envoyer mon propre courriel.

Le soir j'ai dit à Chouchou que j'ai reçu le courriel. Elle était heureuse avant les nouvelles, puis elle s'est tu. « Tu vas parler à ton père ? Tu sais qu'il va détruire ton esprit. La dernière fois, tu as été ébranlé pendant toutes nos vacances. Il les a ruinées et je t'ai dit de ne pas parler à ton père avant les vacances. »

« J'ai eu alors besoin de comprendre, et j'ai besoin de comprendre maintenant. Je pense que je vais bien. Je vais rendre visite à grand-mère. C'est mon rôle. Je l'assume, malgré que père joue à ce jeu d'attente à la mort. Son rôle est père, mais il se contente de passer son temps avec sa femme et avec ses petits-enfants. Il fait ce qu'il veut. »

« Oui, parce qu'il a raison. Il a toujours raison. » Elle s'est renfrongnée. « Si tu lui parles, tu vas être ébranlé, tu vas parler tout le temps de ta famille bizarre, et cela m'affecte aussi. Tes problèmes deviennent les miens. Je ne veux pas les entendre. D'ailleurs nos vacances seront ruinées. »

Elle avait raison, mais je pensais autrement.

« J'irai bien. Je peux m'en occuper. » J'ai fait une pause. « Eh, bien, c'est ce que j'ai dit la dernière fois. »

« Exactement. »

« Tu penses trop à nos vacances. Tu es ma femme. Je suis ton mari. Tes problèmes sont les miens. Les miens sont les tiens. C'est comme ça. Tiens bon. »

« Je suis bonne. Je suis toujours bonne. »

« Sois meilleure. Il le faut. »

Elle s'est tue. « D'accord. »

La dernière fois, mon père était convaincu qu'il pouvait me faire me sentir coupable. Il fallait que j'assumais mon rôle défini à la manière qui lui convenait. Je pensais qu'on allait passer un après-midi ensemble, mais après deux heures où mon père était plutôt distrait, il a commencé.

Nous sommes bloqués sur un seul point. Quels sont nos rôles ? Quel est le rôle d'un père qui a volontairement demandé une annulation du mariage qui a produit ses enfants ? Quel est le rôle d'un fils, qui n'était qu'une accident selon sa mère, à sa famille reconstituée ? Mon père, est-il père ? Suis-je fils ? Quelle est la vérité ?

Cette dernière question me tourmente. Lui, il semble qu'il se rachète vite, trop vite. Quand j'étais jeune, la question était « Quelle est la justice ? » Sa réponse était que la vie est injuste, puis il a ajouté que j'étais trop sensible.

Pas de justice, donc ? Trop sensible ? Toute ma jeunesse je voulais résoudre ces énigmes. Je me suis décidé d'insister à la justice, mais quelquefois je ne pouvais plus garder ma nature sensible. Où il y a de la dureté, je deviens dur. Où il y a de l'esprit ouvert, j'essaie d'être ouvert au bien et au mal, mais malheureusement, il est impossible de nager entre ces deux eaux longtemps. On craquera. Assumer les défauts de quelqu'un d'autre ? C'est le rôle des parents envers leurs enfants, quelquefois c'est le rôle d'un ami ou d'un amant. Mais il y a une limite. Cela ne peut durer tout le temps.

La justice demande de la vérité. Cervantès dit qu'il n'y en a pas. La casque d'or de Mambrino est aussi un bassin d'un barbier. Le Roi Lear ne pouvait voir la vérité. Il voulait partager son royaume à ses enfants selon la profondeur de leur amour. Les deux qui ont menti le plus en ont reçu une moitié. Cordelia, qui a dit la vérité à son père, a été bannie et déshéritée. Hamlet, dont son père a été tué par son oncle qui s'est marié avec sa mère deux mois plus tard, a eu ses ennuis aussi.

Ma vie n'est pas un drame shakespearien, mais la dernière fois j'ai demandé à père : la vérité, c'est quoi ? Parfaitement conforme à sa logique et à sa nature d'être toujours sur la défensive, il a dit : Vérité est émotion.

Je lui ai répondu, « Mère tient à cette logique-là. Tu penses que mère a raison ? Après toutes ces années ? Elle voulait sa propre vérité selon son émotion. Elle voulait exclure tout et vivre toute seule sans personne. Le pire de ses manies était quand elle a construit une vie fantasmée à laquelle la réalité n'avait aucune chance de paraître supportable. Vous deux, vous avez construit votre propre paradis basé sur votre propre vérité et votre propre émotion. Et regardes où on est arrivé. J'ai mon mariage. Nous nous disons la vérité. J'insiste sur la vérité et au bout du compte, cela marche. Ce n'est pas facile, mais cela marche et il marche mieux qu'une illusion. Votre exemple m'a enseigné cela. »

Il s'est fâché, « Ne me parles pas de ta mère. Je ne sais pas la vérité, mais je sais que la tienne est trop inexacte et trop sévère. »

Je n'en pouvais plus. Après une longue pause, je lui ai dit, « Vous avez d'énormes difficultés à dire la vérité. »

Cette chose dont il prétend d'ignorer lui fâche toujours.

Depuis, on ne se parle plus. Hier était le premier jour de trêve.

Et maintenant, grand-mère est dans l’hôpital. Elle va mourir. Quel est mon rôle ? Je suis petit-fils qui ne pouvais plus de son père. Conforme à une logique plus profonde que la mienne, je lui rendrai visite. Conforme à ma logique, je parlerai à père quand il voit que l'oncle d'Hamlet n'est pas le père d'Hamlet qu'il n'est même pas roi. Ou au moins qu'il peut voir que la casque d'or de Mambrino peut être un bassin d'un barbier. Mais, si c'est moi, tout seul, qui dois faire le trajet continu entre les deux versions. Toute ma vie ?

Donne, maldonne. Entente, mésentente. Entendu, malentendu. Qu'est-ce que je voulais dire ? Être meilleur ?

jeudi 27 mai 2010

Les démons débloqués

Depuis le billet Ma vie oriental je suis descendu dans les ténèbres. Une combinaison de pressions sur moi et plus tard je n'écris plus que de mes pensées. J'arrête la narration de ma vie et je cherche une explication. Je pensais être sorti de ma nouvelle routine, mais non. Quand j'erre, c'est grave.

Les pressions qui pesaient sur moi étaient le programme l'effet Madame Butterfly, ce maudit livre The House of Mirth, l'attitude correctionnalist de Chouchou, son absence (elle avait une très mauvaise humeur force à trop de travail chez elle). Au dessous de tout cela était la vision épouvantable d'un monde où l'exclusion sociale régnait plus fort que jamais. Plus profond que cela était le fait que je ne parle plus à mes parents et je ne vois pas d'issue. Le développement émotionnel de ma mère est figé à l'âge de neuf ans où elle a dû quitter la ville de New York. Mon père s'est marié avec une autre femme, et il m'a oublié. Plus précisément, on dit qu'il faut voir ses parents comme des êtres imparfaits quand on devient adulte, mais je n'arrive pas à même les comprendre comme tels. Et eux, ils sont devenus des esclaves à leur petitesse. A mon avis, ils étaient plus sains quand ils étaient ensemble et malheureux. Le narcissisme et le manque de maturité de l'un contrefaisaient la folie et le manque de maturité de l'autre. Maintenant qu'ils ont trouvé leurs partenaires, ils vivent dans un étrange mélange de regret optimiste d'où s'entre-voit un mal-être malhonnête et heureux. Comment leur parler sans nager entre deux eaux et se sentir entre deux feux.

Il y a une énorme orchestration dans ma vie qui me dérobe la compréhension. Cette orchestration m'impose une lutte. D'abord, je dissèque, puis je remonte, et je ne puis autrement.

Je vous dis que cette orchestration est en marche partout. Je la vois dans les journaux, dans les livres, chez mes collègues au travail, à la Toile, chez les membres des associations et des groupes de lecteur, chez les hommes politiques et malheureusement même chez les uns qu'on pense bons (avez-vous vu le désastre au Golfe ? N'a-t-il pas dit, M. Obama, il y a quelques mois, que le forage était un pont à la prochaine source d'énergie ?).

Cette orchestration va nous écraser. Et il me fait toujours penser à une exclusion sociale en permanence où on est obligé d'être entre deux feux et de nager entre deux eaux.

Pour ceux qui n'ont pas de mes ennuis, je vous souhaite une bonne continuation. Je veux ce que vous avez. Pour ceux qui en ont, je vous dis que nous pouvons reprendre nos esprit. Ce n'est pas si mauvais d'avoir des démons. En fait, je me demande si ce monde n'aurait pas besoin de nous, parce que nous savons où il y a une maldonne, il y avait une fois une donne. Où il y a une mésentente, une entente. Une incompréhension, une compréhension. Un malheur, un bonheur. Un désespoir, un espoir. Or dans cette orchestration nouvelle, où il y avait une construction, on nous force une déconstruction. Derrida nous ordonne qu'il n'y a pas de pardon pour l'impardonnable. Où il y avait un brassage des peuples et une multiplicités d'identités, il n'y a que des images stéréotypées et séparées.

Je dis, débloquez vos démons. Laissez-les noyer les cochons. On arrivera. Il ne nous faut que des mots justes et des idées bien écrites.

mercredi 26 mai 2010

Écrire, lire et parler de nos jours

Oh là là. J'écris mal. J'ai relu le billet d'hier. Je ne sais pas s'il existe un brin de cohérence dans tout le récit. Je sais pourquoi j'écris mal. Je suis trop paresseux pour organiser la structure du texte. Je n'ai pas assez de patience pour chercher les bons mots. Je jette toutes mes pensées pêle-mêle dans mes billets. Il faut réviser le texte. Je me promets de le faire, mais quand je le relis que je suis toujours tenté de me dire que le texte est claire. Et quand je montre mon billet, est-ce que les gens vont croire mon histoire ? Est-ce qu'ils vont croire qu'elle représente un brin de souffrance qui est universelle ?

J'écris si mal que l'on a envie de me dire que même si le présent semblait difficile, ce serait mieux de ne pas me désespérer. Soit. Ce qui me rend fou est que j'ai maintes pensées dans ma tête. Je les déballe en désordre, et puis j'essaie de les mettre en ordre ici. Chaque phrase est une expérience où je me demande comment est-ce que je peux chercher l'universel dans ma nature particulière avant que la prochaine pensée ne s'éteigne ?

Pour savoir écrire, dévoiler les secrets de l'écriture. Lire.

Je lis The House of Mirth par Edith Wharton de nos jours. Au début, le livre m'a rendu perplexe. Les mots sautaient des pages. Les phrases, parfaitement écrites, étaient trop bourrées de détailles. J'ai dû relire chaque phrase. J'ai beau relire les phrases, j'ai dû relire les paragraphes. Après 120 pages, j'ai dû poser une question à mon groupe de lecteur. Comment lire ce livre ? Selon une lectrice, elle lit le livre comme elle est la protagoniste, Lily Bart. Selon Zard, un homme qui s'est avec grâce épanché sur L'arrache-cœur, le livre doit être lu et compris selon la perspective de Lily, parce qu'Edith Wharton a dû se marier jeune. Il n'a pas effleuré les autres détailles de sa vie. Elle a eu des aventures amoureuses, écrit des romans, et divorcé son mari. Elle pensait que son mariage était la plus grande erreur de sa vie. Elle a fait une crise de dépression nerveuse. D'ailleurs elle s'est lié d'amitié avec Henry James, a écrit 85 nouvelles, s'est déménagé en Europe, a été reconnu pour son goût raffiné en architecture intérieure. N'empêche. Elle a dû se marier à l'âge de 23, donc la protagoniste qui ne s'est pas encore mariée à l'âge de 29 et qui est décrite comme une fleur, est forcément, inexorablement, inévitablement le personnage auquel le lecteur doit se fier, parce qu'elle est l'incarnation de l'écrivain.

Si on pensait qu'Edith Wharton n'a pas greffé ses expériences sur Lily, que l'écrivain visait plus haut ?

Ma voisine au bureau est une jeune femme. Très aimable, très intelligente. Elle assiste aux réunions du groupe de lecteur à notre compagnie qui vient de lire Half the Sky, La moitié du ciel, par Nicolas Kristof, le célèbre journaliste du New York Times. Dans la réunion, elle était la seule personne de mettre en cause la thèse du livre. Et son amie l'a accusé de complaisance envers les cultures qui oppriment et assujettissent les femmes. Elle est entrée dans mon bureau pour s'en plaindre. Elle m'a demandé « Est-ce que nous avons le droit d'envahir chaque pays dont la culture ne nous plaît pas ? » Dans une réunion de lecteurs et lectrices dont la majorité sont doctorats, personne n'a daigné à mettre en cause cet appel aux armes. Selon Kristof, chaque âme doit se lever et lutter au nom de la souffrance des femmes, malgré les problèmes énormes des gestes humanitaires, et malgré que son appel aux armes a l'air d'une espèce de croisade.

Une autre lectrice perplexe, mon âme sœur.

« Je pensais que dans un bureau où toutes et tous étaient très doués et intelligents, on aurait l'esprit ouvert. On se poserait des questions. » elle s'est plainte. Face à un tas de récits biographiques d'horreurs et d'injustice et une logique manichéenne implacable, personne ne peut se payer le luxe de mettre en cause un appel aux armes sans avoir l'air complaisant.

Je ne savais quoi dire. Elle s'est tellement émue, que je ne pouvais lui offrir le moindre soulagement. J'ai failli lui dire qu'il n'y avait pas de quoi de se désespérer. Mais je me suis arrêté net.

Écrire, lire et parler de nos jours, ce n'est pas facile, n'est-ce pas ?

mardi 25 mai 2010

Chassé du jardin

Mais quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez point et vous n'y toucherez point, de peur que vous ne mouriez. Alors le serpent dit à la femme: Vous ne mourrez point; mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront, et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal.

Genèse 3.3-3.5

Hier j'aurais dû parler à M. Leau-d'eden, mais à huit heures, je ne l'ai pas vu sur Skype. Je pensais qu'il était en retard, comme d'habitude. Je voulais écrire. J'ai fermé l'écran Skype et continué. J'imaginais qu'il me ferait savoir qu'il était prêt dès qu'il serait arrivé en ligne. Entretemps, j'ai écrit mon billet d'hier.

Il ne s'appelle pas M. Leau-d'eden. J'ai choisi ce nom pour lui pour cacher son identité et parce qu'il avait l'air d'être sorti de ce jardin mythique. Il était confiant, aimable, et poli. Il m'a contacté par le site d'échange. Il a écrit « Je serais content de parler avec vous en français et en anglais par Skype. » (En version originale I would be happy to talk with you in French and in English with Skype.) Il a aussi dit qu'il ne travaillait pas donc il aurait beaucoup de temps pour me parler.

J'ai vite découvert que j'avais affaire à un mondain. Oui, il était sans emploi, mais il n'avait pas de temps pendant le week-end, quand je suis facilement disponible. Il n'avait pas de temps le soir non plus. Bien qu'il n'y eusse de décalage horaire, il était impossible de trouver une heure convenable, sauf lundi matin à huit heures. J'ai accepté le rendez-vous. J'arriverais au bureau en retard.

A deux reprises, au début de nos rendez-vous, Sancho m'a vu sur Skype et il m'a envoyé des messages. « Qu'est-ce que tu fais ? Hé, Go, coucou ! » Cela m'a mis dans l'embarras. A l'époque, j'utilisais un vieux ordinateur boiteux qui était très mal en point. Si j'ouvrais un autre écran ou écrivais un message et parlait au même temps, beaucoup de parasites envahiraient le coup de fil Skype. D'ailleurs, il était impossible de parler à M. Leau-d'eden et écrire des messages, mais je parlais en français avec lui. Sancho m'interpellait. Impossible n'est pas français. J'ai donc parlé avec M. Leau-d'eden. Beaucoup de parasites ont envahi la transmission. Sancho se demandait pourquoi je lui répondais lentement, et petit à petit il a compris que j'étais avec quelqu'un d'autre, et il m'a ensuite taquiné « Lâcheur ! »

Oh là là. M. Leau-d'eden, les parasites, l'ordinateur boiteux, Sancho, les messages. Quel désordre ! Et maintenant lâcheur !

Les échanges linguistiques, c'est une aventure. Bien sûr, on est là pour parler dans une langue étrangère et pour l'entre-aide. On donne et prend. C'est aussi le plaisir de se dévoiler lentement. C'est un défi de trouver un bon sujet de conversation. C'est un rencontre avec une autre culture. Et c'est un laboratoire où on essaie de s'exprimer bien. C'est le fruit dans le jardin d'eden.

Il y a des gens qui ne considèrent pas leurs propos discutables. Je les perds comme un distrait perd ses clefs. Dans les conversations avec mes fidèles, on essaie de trouver la meilleure expression de nos idées. On commence avec un "je pense que...", l'autre dit "Non, je pense que..." et enfin peut-être on dirait "mais voilà, est-ce qu'il y a un élément en commun qui réunit les deux..." On termine la conversation plutôt satisfait.

Avec M. Leau-d'eden, c'était différent. Je savais qu'un jour il me quitterait, mais entretemps je voulais voir dans son monde mondain. J'étais comme un ssserpent qui glissssait et posait des quessstions. Qu'est-ce qu'il y a derrière le rideau ? Comment se fait-il qu'il a l'air beau (je n'ai jamais vu son visage), qu'il habite sans emploi à une très grande ville, qu'il a beaucoup d'amis, qu'il a vécu à Paris, qu'il s'est marié jeune, qu'il demande, voire exige, un emploi intéressant, tandis que ma vie était tout le contraire. Je me suis marié vieux. Les femmes ne me faisaient aucune attention. Je n'ai pas d'amis à Washington. Je n'ai jamais vécu à Paris, bien que nous deux soient venus de la campagne. Je ne me vois pas du tout capable de choisir un emploi intéressant. Et si j'étais à sa place, je serais hors de moi d'angoisse. Sans emploi et marié ? Et pas de souci ?

Vous savez, Chouchou s'inquiète que j'écris trop. Elle me dit le matin. Auras-tu un emploi dans l'avenir ? Je lui dis qu'ils me virent ! Mais c'est du bravache.

Il me semble qu'il voulait uniquement me parler pour répéter les formules utilisées dans un entretien. Une semaine je lui ai donné un entretien simulé. Sancho nous a interrompu, et après il n'était pas tout à fait disponible. On s'est donné rendez-vous les lundis matins.

Vous autres mondains, je vous dis que je ne suis pas bête. Oui, vous pouvez débarrasser de moi facilement. Tout ce qu'il faudrait est de me le dire directement. Mais jusqu'à cet adieu, je présume une fidélité. C'est pourquoi quand Sancho m'a affublé du lâcheur, j'ai hésité et cherché une réponse pour lui rassurer que j'étais pas lâcheur. cela m'a mis dans l'embarras.

Il n'y a pas de clefs pour entrer dans ce monde. J'ai perdu les miens. J'ai donc essayé ce qui était sous la main. Quand il est arrivé en retard pour le prochain rendez-vous, je lui ai taquiné « Ah, M. Leau-d'eden vous voilà ! Peut-être vous êtes lâcheur ! »

Ce mot ne l'a ni étonné ni mis dans l'embarras. Dans un éclair, il m'a répondu « Qu'est-ce que vous entendez par ça ? » J'ai été pris au dépourvu. J'ai vite expliqué toute l'histoire sur la question de fidélité. Il a dit « Mais la fidélité implique une relation basée sur un entente mutuel. Je pense qu'on n'a pas franchi cette étape dans notre relation. » Ma blague est tombée à plat. « Écoutes, je plaisantais. » je lui ai dit. Sans ciller, il m'a dit qu'il a juste continué la plaisanterie.

Je n'ai jamais éprouvé d'un tel sang-froid sur les questions de la fidélité. Il disait qu'il plaisantais, mais comment a-t-il pu trouver sous la main tous ces clefs qui ouvrent, ferment et laissent entrevoir les portes à la fidélité ?

Hier soir, je lisais The House of Mirth par Edith Wharton. Au dernier passage que j'ai lu hier soir, Selden vient de quitter une soirée où les nouvelles de Lily de qui il est tombé amoureux lui ont ébranlé. Il marchait dans les rues de la ville de New York pour lui éclairer les idées. Dans la rue il a vu un autre hôte qui était à la soirée. Edith Wharton a écrit pourvu que le dernier s'en tenait à des généralités, Selden maîtriserait ses nerfs.

J'ai tout de suite pensé à M. Leau-d'eden. Et dire que je pensais qu'il s'agissait de savoir se tenir à table.

A 9 heures, j'ai vu sur Skype qu'il était là. Je lui ai écrit que je ne l'avais pas vu. Il m'a répondu « Salut Go ». Perplexe, je lui ai répété que je ne l'avais pas vu, et j'étais désolé. Pour montrer que c'était bien, je lui ai demandé s'il voulait parler la semaine prochaine. Il a dit qu'il était là à huit heures, et non, il ne serait pas disponible. « Quand vous seriez disponible donc ? », je lui ai demandé. Il a répondu qu'il m'avait vu, mais il ne m'a pas écrit.

Je n'avais pas les clefs de lui souhaiter... Mais quels sont les mots ? Souhaiter qu'il va bien, qu'il prospère, qu'il réussit ou juste qu'il soit heureux. Nos conversations m'ont plu. Bien que nous n'avons pas franchi cette étape mythique dans notre relation, je serai toujours fidèle à lui. Au revoir M. Leau-d'eden. Je vous souhaite tout le bonheur que notre monde offre.

lundi 24 mai 2010

La correction constante dans la maison de joie

Le cœur des sages est dans la maison de deuil; mais le cœur des insensés est dans la maison de joie. Ecclésiaste 7:4 Ostervald (1744)

En ce moment Je lis The House of Mirth par Edith Wharton pour mon groupe de lecteur. J'ai du mal à le lire. Les mots sautent des pages. Les descriptions sont sans intérêt. Elles ne sont ni médiocres ni mal écrites. Elles sont d'un autre monde où l'argent est roi, les femmes se manipulent les uns et les autres, les jeunes femmes sont un objet de convoitise, les épouses dépensent tout l'argent de leurs hommes dont elles se plaignent s'ils ne en gagnent assez pour maintenir leur respectabilité dans cette hiérarchie sociale.

Moi, je n'ai jamais eu un sou quand j'étais jeune par rapport mes semblables. Il est impossible d'imaginer pourquoi il faut s'intéresser à ces gens. Malgré ma résistance, j'entre-vois le dessein de ce livre. Il vous irrite. Il vous provoque. Et à mon avis, c'est la génie d'Edith Wharton. Elle nous tient un miroir où tout est beau et tout est moche.

À certains, ce miroir plaît. Récemment, grâce à un programme sur l'effet "Madame Butterfly" (oui, encore une fois !) j'ai découvert la source de ce plaisir pervers. Dans l’émission Mme Fukui a souligné très clairement que les occidentaux qui aimaient les orientales avaient des désirs louches, tandis que les orientales, qui ne désiraient plus les orientaux, étaient correctes. Plus tard dans l’émission un psychanalyste lui a dit que son attitude était pervers aussi. Et elle l'a compris aussi superficiellement que elle était capable, parce que si elle a bien compris le conseil du psychanalyste, je pense qu'elle aurait dû réorganiser la structure de son programme.

Naturellement, puisque ma femme, Chouchou, est japonaise, je voulais en parler avec elle. Je m'étais souvenu d'une fois où elle a dit qu'il était bizarre que beaucoup de mes amis se soient mariés avec des femmes asiatiques. Cela m'a gêné. Je me suis pensé « et alors, et qu'est-ce que tu penses de notre mariage ? » Mais, je l'ai laissé tomber. Elle n'aime pas mes amis. L'un m'a abandonné, l'autre est un grand névrosé. Il ne plaît pas aux gens correctes, mais il me plaît. Quelquefois, son végétarisme militant est trop obsessionnel. Ses mauvaises blagues gênent aux femmes. Son goût puéril est parfois un embarras pour ceux qui l'aiment. Par exemple, il est un type qui répéterait les avertissements des médicaments pour le traitement de l'impuissance sexuelle. « Après quatre heures, si vous avez une... » Ah, attendez. C'est moi qui, après quelques verres de vin, dirais des choses pareilles en tête-à-tête avec lui, mais lui voyant que cela a provoqué de l'hilarité, l'essaierait aux moments inappropriés. Il a une tendance de répéter les mêmes lignes de Star Trek, même après la transmission de la dernière épisode il y a quarante ans. Et il une habitude de se mettre presque sur moi quand il me parle. Tout cela tapent sur mes nerfs, mais il me fait l'aimer aussi.

Malgré tout ces mauvaises habitudes, il est honnête. Il m'offre une amitié profonde. Il n'est pas normal, mais il n'est pas louche. Quelquefois les deux sont assimilés et c'est injuste.

Chouchou a répété son opinion, qui était juste comme celle de Mme Fukui. C'était une absence d'une définition claire, une tache sur la réputation. Je lui ai demandé pourquoi il se faisait que les hommes sont louches, mais les femmes sont correctes. Selon elle, les hommes ont besoin d'une correction constante. Ce commentaire qui frôle la menace, s'est prononcé d'un air frivole.

Au moment que j'écris ces mots, Chouchou s'énerve contre le mot anglais Chinglish que j'ai écrit dans un cahier hier, parce que Sancho et moi avons parlé sur l'anglais que les Singapouriens mettent sur leurs pancartes. Ce mot frôle trop les injures qui ont l'air anodin, mais sont blessants. Elles n'ont qu'un seul but--exclure et préserver une hiérarchie sociale.

Et finalement, quel est le plaisir pervers de The House of Mirth ? C'est de s'imaginer dans la hiérarchie sociale, de choisir sa politique, et de s'insurger contre ses ennemis. Dans chapitre 11, Edith Wharton montre comment l'engrenage de la machine sociale marche. Lily, désargentée, fréquente un homme marié pour des conseils financiers. Il lui offre de mettre un peu de son argent dans la bourse. Selon sa méthode, il n'y aurait pas de risque. Il lui demande seulement juste quelques petits soins de Lily envers lui-même et son ami juif crapuleux qui a beaucoup de bons tuyaux. Entretemps, Lily a fait l'erreur d'exclure sa cousine d'une fête parce qu'elle n'était pas aussi élégante qu'elle, et la cousine, elle avait une dent contre Lily. Chez la cousine, c'est un œil pour œil, dent pour dent. Elle a rendu visite à leur tante, et pendant la conversation, Grace a laissé entendre que les femmes parlaient de Lily. Edith Wharton a souligné que Grace visait à s'insérer dans les bonnes grâces de sa tante par la destruction de la réputation de Lily. On a vu l'engrenage de la machine sociale broyait le caractère d'une mondaine. C'est une lutte à mort. C'est un combat moderne de gladiateurs.

Cette espèce de divertissement est présent dans beaucoup de séries télévisées--Desperate Housewives, Gossip Girls, les télénovélas. Je suis trop paresseux de les nommer toutes.

L'ironie est que de nous deux, Chouchou est beaucoup plus enracinée dans la vie washingtonienne. Elle se décrit comme une belle du Sud, (a Southern belle). Elle appartient à un quintette. Elle a un bon rapport avec sa patronne qui l'invite aux fêtes familiales. Elle veut même rester ici à Washington, DC. A part de ces racines, elle ne s'intéresse pas à d'autre chose. Moi, j'ai parcouru l'Alliance française, les groupes de lecteur, les groupes de conversation française, les associations, et même les groupes de ping-pong. A chaque reprise, il était un désastre. Quelquefois, j'amène Chouchou contre son gré à ces réunions. Elle me dit deux choses contradictoires. C'est une perte de temps et il lui a fallu beaucoup de temps pour trouver son petit monde musical. Elle a eu une traversée du désert. Et malheureusement son seule compagnon était cette correction constante.

Alors, je crois qu'enfin ma fièvre a baissé. J'ai déjà dit toutes mes observations à Chouchou. Elle m'a compris. C'était la première fois que j'ai pu dire du mal sur Desperate Housewives. La correction constante, serait-elle en passe d'être rendue caduque ?

dimanche 23 mai 2010

Le bouche à oreille bouché

Ne pouvant plus patienter, Chouchou m'a demandé, « Si on allait dans cette queue ? Il n'y a personne. Allez ! Utilises ton imagination ! »

Elle avait raison. Notre queue réservée aux personnes munies d'un billet était longue, tandis que l'autre queue était vide. Les autres, en l'écoutant, ont abandonné la queue tête baissée. La guichetière de l'autre côté a eu un moment de surprise et a vite compris l'intention des mutinés.

« Non. Il faut suivre les règles. » je lui ai dit. « D'ailleurs, l'imagination est dangereuse quand on prend le réel pour l'irréel et l'irréel pour le réel. Nous avons du temps. Nous pouvons rester dans notre queue. En revanche, l'imagination nous serait très utile quand il faut apprendre quelque chose. Par exemple, au début, nous sommes ignorant d'un fait ou d'une perspective. Nous butons contre cette nouveauté, et si nous avons l'esprit ouvert et l'imagination active, on pouvons absorber cette nouveauté et ensuite l'écrire dans notre esprit. Or de nos jours nos esprits sont bouchés. On ne peut plus s'entendre. Tu te souviens du piéton absorbé par son téléphone, ipod, objet fétiche quand je voulais tourner à gauche. Il traversait la rue comme il était dans une bulle. Oui, il avait la priorité. Exactement, j'ai eu tort de vouloir passer devant lui, mais comme cycliste, je sais que le signal le plus primordial n'est pas le feu rouge. C'est le regard entre le cycliste et les autres. On voit et lit l'intention de l'autre dans les yeux. On se ralentit, on laisse passer l'autre, ou on accélère, tout selon le regard. Or cette espèce d'homme post-humain était dans sa bulle comme un aristocrate aurait forcé les autres de dégager la piste. Son imagination était bouchée par son objet fétiche. J'ai vu la même chose dans un article du New York Times. Les instituteurs chinois sont aux États-Unis pour enseigner le chinois aux étudiants américains au nom d'échange culturel. Selon l'article, l'instituteur dit que les étudiants américains ont peu de respect pour les instituteurs et qu'en Chine si on enseigne et les étudiants n'en comprennent rien, c'est leur problème. Aux États-Unis si les étudiants n'en comprennent rien, on est obligé de l'enseigner encore une fois. En fait, dans les premières lignes de l'article une institutrice était en train d'expliquer un quiz, mais l'étudiante l'a interrompue. Elle était trop distraite. Son imagination était bouchée. Apprendre, c'est ouvrir les yeux, ouvrir les oreilles, écouter, et comprendre. » J'ai pris une pause et l'ai regardé. « Tu comprends ce que je veux dire ? »

« Quoi ? » elle m'a répondu. Un regard dans les yeux et j'ai vite compris qu'elle plaisantait un peu. Elle était une élève paresseuse dans tous ses cours sauf la musique. Par conséquent, elle n'aime pas mes cours sur l'apprentissage.

Nous prenons nos billets et trouvons nos places. Ce soir nous assistons à un concert. Au programme est les deux concertos de piano de Chopin. C'est triste, mais les seules gens qui assistent aux spectacles de musique classique sont des vieux, des familles qui veulent que leurs enfants jouent de la musique classique et un brassage de personnes des origines variées. J'ai noté des personnes russes, polonais, asiatiques, et juives.

Chopin est de loin mon compositeur favori. Chouchou nous a acheté des billets, parce que un jour je me suis énervé que l'Alliance française ait fait un programme de sa musique avec des artistes qui ont radicalement changé le contexte, la structure et les notes de sa musique. Je lui ai demandé par courriel comment on pouvait massacrer la musique de Chopin comme ça. Dans la publicité de l'événement, on a dit que c'était magnifiquement nouveau. Non, c'était un crime. Pourquoi ne peuvent-il pas composer leur propre musique ? Faut-il copier l'inspiration d'un maître et revendre l'imitation comme innovation ? C'était un outrage.

Elle a vite cherché un concert qui me plairait. Et voilà les billets.

Je ne suis pas musicien. Je jouais de la guitare classique, mais il me faudrait au moins un an d'entrainement sérieux (quatre à six heures par jour) pour développer un sens musical. Ce n'est pas juste pour mettre les doigts sur les cordes et les touches. Il faut choisir le ton, le piano, le forte, le legato, le rubato, et le staccato, le crescendo, le diminuendo, et le decrescendo. Il faut apprendre, absorber, et parler tout ce vocabulaire italien, pour le seul but de transmettre en son une émotion à autrui.

En fait, j'ai passé toute ma vie en écouter de la musique contemporaine banale. C'est bien, c'est amusant, mais l'esprit humain n'y est pas totalement impliqué. C'est un spectacle de sensations, ce qui n'est pas exactement la musique en M majuscule. C'est une petite musique.

Pendant le concert, je me suis imaginé la réaction du public si le pianiste jouait à la même manière de Jerry Lee Lewis ou Little Richards. A ce point, je n'écoutais plus la musique. J'étais dans l'imagination. J'ai pris l'irréel pour le réel. A plusieurs reprises je me suis secoué pour me dégager de mes idées farfelues. J'essayais d'entendre uniquement le son du piano, qui avait un ton grêle, mais au moins c'était le son d'un instrument joué par un être humain dans une salle de concert. Ce serait impossible de noter tout les intentions de son interprétation, mais il me semblait qu'il a choisi exprès les notes qu'il voulait souligner pour le public. Au milieu de toutes les phrases tempétueuses, il a fait résonner des phrases afin qu'une émotion particulière serait comprise.

Après le concert j'ai demandé à Chouchou son avis du concert et en particulier si le pianiste n'avait pas guidé le public à écouter Chopin selon son interprétation. Elle n'a pas compris, donc j'ai ajouté que j'avais du mal à écouter la musique. Maintes pensées ont traversé mon esprit. J'ai dû me forcer à vider mon esprit et à laisser verser la musique dans mes oreilles. Heureusement, le pianiste a souligné les phrases qu'il voulait transmettre. Il aidait le public à comprendre Chopin selon son distillation de l'essence de la musique. De plus, quand j'écoute de la musique enregistrée dans les médias--c'est-à-dire les CDs, les ipods, les téléphones portables, les objets fétiches--je n'entends pas une interprétation aussi prononcée comme celle de ce soir.

Elle a dit qu'on ne peut rien entendre dans les CDs. Son avis m'a surpris, parce que quand elle écoute la musique, elle l'écoute au volume très fort. Je pensais qu'elle entendait ces phrases. Mais maintenant, même une musicienne n'y entend pas grand-chose.

Les CDs sont donc un fac-similé de la musique, une copie de l'activité humaine. La copie, devenue objet fétiche, est sa version post-humaine vidée de son contexte originel. On y met une jolie photo, une identité de l'artiste, une étiquette, un marque et on la vend, mais tout cela détourne l'attention, empêche la transmission de l'émotion, et facilite la formation d'une bulle autour de chaque individu épris d'objets fétiches. Cela nous rend sourds, impassibles et bouchés, tandis que l'industrie culturelle de nos jours nous répète en boucle que ces objets fétiches vont nous libérer. Ils n'ont supprimé que le contexte et facilité un échange très superficiel.

Plus tard, un drôle de question lui est arrivé, « Tu n'écoutes pas la musique ? » Une musicienne n'écoute que la musique. Elle ne laisse pas entrer les distractions dans son esprit.

Je lui ai souri et répondu, « Quoi ? »

samedi 22 mai 2010

L'ambivalence infinie


Par temps calme, nager au large est une affaire aussi simple pour un nageur entraîné que de voyager dans une voiture suspendue pour un terrien. Mais l'affreux sentiment d'abandon est intolérable. L'intensité avec laquelle l'être se ramasse en lui-même au sein d'une aussi cruelle immensité, Seigneur, qui peut la dire ?

Moby Dick, Melville


Je n'ai pas retenu grand chose de Moby Dick excepté le chapitre 93, le naufragé. Le cuisinier du Pequod, abandonné en pleine mer, est devenu fou. Hors de la sécurité de la navire, voyant l'infini cruel au même temps que le monde civilisé l'abandonne, l'âme noble et simple serait anéanti.

En quelque sorte, cette semaine, j'ai été entraîné dans l'infini et dans l'abandon. Et pendant l'écriture de ce billet j'ai été corrigé à deux reprises. Le monde n'est pas aussi mauvais que je l'imagine. Il est mauvais, injuste, cruel, mais il y a des bons, des justes et des aimables. Je broie souvent du noir, mais je dois me souvenir du fait qu'il existe des personnes qui tiennent encore aux valeurs des lumières, qui essaient d'échapper aux contraintes de la société du spectacle. Au nom de ces personnes qui ont le courage de croire dans l'imagination, je vous demande de monter à bord avec moi. Je vous mène en bateau. Dans notre voyage, tout est faux, tout est vrai. Dans notre époque post-moderne, les prophètes de cette idéologie qui ont l'air d'être en trance diraient que je m'approche de l'indéfini. Non, je noie dans l'ambivalence vagabonde.

Depuis le début de mon projet d'écriture, j'ai des espoirs de parfaire mon français, parce que dans la prochaine évolution de ma vie, je serais professeur de français. A vrai dire, c'est déjà trop tard. Je vais finir ma carrière dans un endroit qui est pour moi une perte de temps, tandis que mes collègues qui travaillent 60 à 70 heures par semaine pleureront à la fin de leur carrière. Chaque jour, je vais au bureau, je fais mon travail, et je rentre. Les autres ne font pas d'autre chose, mais il semble qu'ils s'apprécient et qu'ils trouvent ce que Flaubert dirait du vrai, tandis que je ne trouve que du faux.

Cela dit, mon blogue est, en quelque sorte, une évasion. Une définition de moi-même. Tantôt j'écris des billets drôles, tantôt de très graves, et je veux que le fruit de chaque hémisphère de mon cerveau plaise également aux lecteurs. Je suis bouffon. Je suis dramatique. Or je suis braque. Je suis férocement indépendant, mais je me gâte facilement. Je tiens à l'idée d'un centre, d'un équilibre, des valeurs de l'équité, de la laïcité, de la justice et de la solidarité, tandis que on me prend pour un déséquilibré. (Le mot utilisé le plus souvent en anglais est freak ou snob.) Je tiens à la littérature classique. A mon avis, si on ne lisait que Shakespeare et Cervantès, cela suffirait. En fait, cela nous améliorerait. Oh, je suppose qu'il faut inclure des écrivains francophones. Mais qui ? Je plaisante mes lecteurs francophones, mais en fait, je ne saurais choisir. Qui ? Il y a un contraire de mon classicisme ? Dans ma jeunesse, je ne parlais que de la musique punk et new wave, mais maintenant on considère ces bandes classique. Pas de remède à cette maladie classique.

Revenons au sujet. Mon blogue est l'expression la plus sincère de mon âme. Et la plus raffinée dont je suis capable. Je fais des échanges linguistiques par Skype sur lequel j'ai écrit plusieurs fois, mais pas assez souvent que je veux. J'ai à plusieurs reprises essayé d'établir une correspondance par courriel, mais peu à peu, les correspondants se lassaient du projet et puis se sont arrêté net sans explication. N'est-elle pas morte, la correspondance ? Elle a certainement évolué.

En tout cas, mon blogue est le premier pas vers un avenir imaginé. Comme Don Quichotte, je pars en blogue d'imagination et en quête d'aventures. J'espère arriver à quelque part, mais comme Don Quichotte quand l'imagination heurte à la réalité, le résultat est parfois douloureux et décevant.

Je sais que Cervantès dirait que ... Non, en fait, Cervantès est loin au dessus de ma tête. Est-ce qu'il voulait justifier sa vie d'errance dans laquelle il a été vendu et a passé cinq ans comme esclave ? Ou voulait-il simplement en écrire pour en rire un peu ? Ne se voulait-il pas drôle d'écrire un personnage qui se vantait tout le temps de la puissance de son bras, tandis que son créateur avait un bras estropié ? Je ne sais répondre à ces questions, mais le livre m'a donné envie de voyager. Et j'ai bien entamé mon voyage virtuel il y deux mois.

J'ai laissé maints commentaires dans les blogues pour me lier avec le monde virtuel. Et cela implique beaucoup de travail de tri parmi tous les billets. J'ai lu blogue après blogue qui ne contenaient pas un atome de conscience plus large que leur petit monde. Des bataillons de femmes font voir leurs scraps (albums de coupures), leurs photos de familles et de bébés. Parmi cette légion, il advient un peu de grâce dans leurs impressions, mais comment se fait-il que l'espèce humaine se borne à transmettre toutes les sensations d'une vie dans une collection de photos, de bandes dessinées, de clips, de scraps, d'histoires de vie de merde, de fétiches, d'images de vedettes, d'opinions opiniâtres, de propagande... j'ai oublié le reste. J'ai donc fait une expérience. J'ai fait un tour du blogosphère en faisant un clic sur le lien « Next Blog ». Essayez-le une fois. Je continue... de sketches, de poèmes souvent décousus, d'étalage des produits commerciaux, de vêtements chouettes, de choses trouvées, d'aventures alpinistes, cyclistes, extrêmes, de régimes pour la santé ou pour l'entrainement, de rock'n'roll, de la musique hip hop, de voyage, d'aventures des femmes de ménage, d'aventures amoureuses, d'aventures scandaleuses, d'aventures XXX, de films qu'on a vus, de jeux vidéo, et de très petits textes.

Il y en a d'autres sur les faits divers de sa propre vie. Ils sont plutôt rares. Je suppose que mon écriture fait partie de ce genre, mais il y a un aspect de vide. Tantôt les billets sont courts, comme un enfant qui crie vertement sa douleur et ensuite se tait, tantôt, ce qui arrive beaucoup plus rare, ils sont longs, mais pas forcément avec un but en tête, comme on se parle à soi-même et de soi-même, comme je le fais. Il faut les pardonner.

C'est les blogues où il arrive une transmission honnête de l'âme que je sème mon grain de sel. Et je m'attends que ce grain germe. Quand les commentaires arrivent, il faut avouer que cela me gâte. Cela me plonge dans l'infini. Dans la guerre perpétuelle entre l'amour qui me fait flotter et la haine qui me fait couler n'importe quel commentaire me fait flotter. Un vagabonde noie tout le temps. Un commentaire lui est une bouée.

Alors, je m'emballe... mais pourquoi pas... et je m'écarte un instant pour une histoire. Il y a un an, quand j'allais au bureau en vélo, j'ai été surpris par une grosse averse d'été. J'ai trouvé un abri au abribus auprès d'un homme noir et pauvre. Ses yeux pleins de tristesse, il a entamé une conversation avec moi. Comme un éclair, j'ai su qu'il voulait me parler. Il s'est plaint de tout, de sa vie de pauvre, de son manque de visibilité dans la société, et surtout de son manque de liens sociaux. Il était tout seul. Sa sœur ne lui parlait plus parce qu'il n'avait pas de boulot. Il était tout seul, mais -- et il a répété cette phrase plusieurs fois -- je suis bon, je suis bon monsieur, je ne suis pas un clochard, je suis un être humain. La pauvreté, la misère, l'isolation étaient dans ses yeux. Je lui ai dit qu'il avait raison et que sa sœur avait tort. Il s'est plaint de sa sœur. Je l'ai écouté, mais quand la pluie s'est arrêtée, j'ai dû le quitter. Il m'a regardé droit dans les yeux, et il m'a dit sans mot dire que je l'ai aussi abandonné.

Revenons à nos moutons.

Quelques blogues sur les faits divers qui parlent des aventures ont un aspect un peu louche, presque pornographiques. Grosso modo, on se fait voir sans laisser paraître son âme. C'est un message absolument, parfaitement maîtrisé, voire une mise en scène de sa vie qui cache quelque chose. Je suis stupéfait par l'énorme popularité de ces blogues. Dans ces sites j'ai mis mon grain de sel, mais le constat est une réplique muette « M. Ren du Braque, vous êtes fou. Laissez-nous tranquilles. Merci. »

On le dit tout le temps dans les pages de Le Monde que les blogues ne sont qu'une forme généralisée du narcissisme. On fait voir ce qu'on veut faire voir.

Cela me rappelle d'une jolie phrase d'une femme qui m'a écrit il y a deux mois. A l'époque, j'ai essayé d'organiser une lecture d'une pièce de Shakespeare, mais tout allait mal à cause d'un vieux grincheux qui pensait bon intervenir et changer tout le programme. Voyant que l'initiative était en passe d'échouer, elle m'a écrit pour me dire qu'elle s'en remettait à mes habilités de mettre à pied le projet. Je lui ai répondu d'être un peu découragé et frustré, parce qu'il y avait trop de personnes qui détournaient le but du projet au nom d'une plus grande liberté. Je lui ai proposé d'écrire qu'elle voulait lire la pièce juste comme j'ai proposé. Elle m'a remercié pour mes efforts dans sa réponse, et au lieu de me dire oui ou non quant à ma question elle m'a dit qu'elle voulait uniquement faire ce qu'elle voulait faire avec des personnes qui voulaient faire exactement ce qu'elle voulait faire.

Je ne lui ai pas répondu.

Je sais que je dois être sage. Je ne dois pas poursuivre trop de projets, mais j'ai un rêve d'une vie sociale et j'admets qu'une vie sociale à ce point est un mythe. Je me souviens de quelques moments épars où il me semblait que tout allait magnifiquement bien. J'étais entouré de ma famille ou de mes amis et vite, l'été s'est terminé, la soirée a fini, tout le monde est rentré chez soi et ce moment serait vite oublié ou inondé parmi tous les besoins, les soucis, et la vie quotidienne.

Et si ce n'était pas les besoins ou les soucis qui causaient le manque généralisé des liens sociaux ? Si c'était que les gens ont su que la seule façon de trouver un équilibre dans notre existence absurde serait de proclamer à tout le monde : Je ne veux faire que ce que je veux faire avec les personnes qui veulent faire ce que je veux faire. Et qu'est-ce que c'est précisément que ces personnes veulent faire ? Je n'en sais rien.

La grande plupart de temps, je garde du calme, je rassemble de toute la patience dont je possède et cela marche. Or cette semaine, j'ai noyé. J'ai écrit beaucoup depuis deux mois et demi. J’espérais, bêtement, que je pouvais écrire quelque chose d'intéressant qui m'intéressait et qui intéressait aux autres. Je tiens bon à mon projet. C'est une expérience tout à fait nouvelle et qui, de loin, aurait déjà dû être prise. Mais, heureusement et malheureusement, c'est-à-dire d'une ambivalence absolue, ce que j'écris n'est pas semblable à l'écriture des autres. Rudement et poliment, les autres s'arrêtent à s'intéresser à ce que j'écris, et cela me rend un peu braque.

Je sais qu'il est insensé de m'y prendre ainsi, mais ce n'est pas le rejet qui me rebute. C'est la mer sauvage qui est notre esprit collectif. Le cuisinier, Pépin, qui s'est trouvé, brutalement, au milieu de la mer, isolé, abandonné, terrifié, a su la nature cruelle de l'univers. Il n'acceptais pas, ne comprenait pas l'obsession meurtrière d'Achab, son capitaine. Il n'était pas marin. Il n'était que cuisinier dans un bateau voué à l'auto-destruction, et tout d'un coup il a buté contre le vide de l'univers.

Et je sais que la plupart de l'humanité n'y réfléchissent pas à deux fois grâce à leur profond manque d'imagination, mais j'ai une imagination. Beaucoup trop d'imagination. Et dans mon projet d'écriture je plonge dans les profondeurs de l'ambivalence, et je retourne à la surface à bout de souffle pour un petit trésor minuscule pour faire voir, si cela vaut la peine.

...depuis ce moment-là, il déambula sur le pont comme un idiot...La mer moqueuse lui avait laissé son corps borné et noyé l'infini de son âme. Elle ne l'avait pas noyée tout à fait cependant, elle l'avait plutôt entraînée vive dans les profondeurs prodigieuses où les formes étranges du monde primordial encore intact glissaient ici et là devant son regard passif. La Sagesse, sir`ne avaricieuse, lui révélait ses trésors amassés et parmi les vérités éternelles, joyeuses, cruelles, jeunes à jamais, Pip voyait dans les innombrables insectes coralliens, l'omniprésence de Dieu qui, hors du firmament des eaux, tire les orbes immenses des atolls. Il voyait le pied de Dieu posé sur la pédale du métier à tisser et, parce qu'il le disait, ses compagnons l'appelaient fou. Fou aux yeux du monde, sage aux yeux de Dieu... et c'est en s'élognant de la raison humaine que l'homme arrive enfin à l'esprit du ciel, pour qui la raison n'est que folie et frénésie. Devant le bonheur comme devant le malheur il n'éprouve plus que l'indifférence absolue qui est celle même de Dieu.

vendredi 21 mai 2010

L'imagination perdue


Le cosmos est une pensée qui ne se pense pas, suspendue à une pensée qui se pense.

Les préjugés occupent une partie de l'esprit et en infectent tout le reste.

Malebranche
Je n'ai su choisir une seule citation de Malebranche, parce que j'ai passé toute ma vie en ignorance totale de sa philosophie. J'ai passé toute ma vie en ignorance totale de l'effet "Madame Butterfly", et tout d'un coup grâce aux Nouveaux chemins de la connaissance et 360 documentaries, j'ai rencontré tous les deux pendant une semaine.

La dernière fois, j'ai parlé de l'effet "Madame Butterfly". Bref, certains hommes occidentaux ont une folie pour les femmes orientales, et certaines femmes orientales n'aiment plus les orientaux.

Chouchou, ma femme, est japonaise. Mon ami juif, ses parents venus aux États-Unis pendant la deuxième guerre mondiale, s'est marié avec une coréenne, qui a quitté la Corée pendant la guerre civile coréenne. Mon ancien ami des parents catalan et cubaine, qui a dû quitter l'Espagne à cause de Franco et fuir Cuba à cause de Castro -- il m'a planté sans mot dire après une discussion qui a fini mal sur Elian Gonzalez; je n'ai jamais vu une personne si émue par la haine d'un état où il n'a jamais mis le pied -- s'est marié avec une philippine. Elle est venue aux États-Unis pour travailler. L'un de mes meilleurs amis (j'en ai deux) s'est marié avec une Vietnamienne. Il a fui le Vietnam pendant la chute de Saigon.

Désolé mon ami, mais selon la logique extrapolée de Masako Fukui, tu souffres doublement de l'effet "Madame Butterfly", parce que tu apprécies les occidentales et tu t'es marié avec une vietnamienne.

Chouchou pense comme Mme Fukui. Il y a quelque chose de bizarre que tous mes amis se sont mariés avec des femmes asiatiques. Selon elle et Mme Fukui et la plupart de l'humanité, les orientaux et les occidentaux doivent se marier avec les orientales et les occidentales. En outre, il faut parler juste à ses semblables. On peut le voir même dans la Toile qui prétend d'être un lieu d'échange, de mélange, d'ouverture d'esprit. Bidon. Les femmes parlent dans des cercles étroits et resserrés selon leur manière. Les Québécois se parlent dans les messageries. On vous dit bonjour, peut-être, mais à fur et au mesure, on voit qu'il y a des affinités très rigides qui excluent une mixité. C'est-à-dire une mixité qui m'inclurait.

Je m'écarte de mon sujet.

Je pense comme Malebranche. L'amour, l'amitié, l'apprentissage, la vie, et leurs contraires--la haine, l'indifférence, l'ignorance, et la mort, naissent de l'imagination. De plus, on s'imagine un avenir. La réalité vous corrige parfois brutalement. Et on se remet à rêver, à remplir le vide présent avec les mémoires du passé, avec les espoirs de l'avenir, et avec un amour mutuel et impossible d'un époux qui, si vous avez de la chance, ne vous pense pas un peu bizarre à cause de votre folie dont toutes et tous souffrent. Parfois, la rage, la haine, les bonnes causes, et la folie ont raison de nous. Je soupçonne que faute de remède de notre mauvais emploi de l'imagination, on a inventé la chère politesse et le respect noble comme un cache-imagination élégant.

Et maintenant j'arrive à la fin de l'émission où Mme Fukui nous a conseillé d'apprécier l'autre comme il l'est. Exactement. Malebranche a dit la même chose il y a 350 ans, sauf qu'il aimait l'imagination. Aujourd'hui, je crains qu'on ne veuille nous corriger de nos défauts par la suppression totale de l'imagination. Est-ce que vous appréciez les femmes orientales ? Mais ne vous imaginez pas une vie ensemble basé sur les stéréotypes fantasmés ! Voilà votre texte. Lisez ces lignes ! Après le signal ! Et ... je ne sais les mots en français...

Tous mes amis, tous, sont des immigrés. Moi-même, immigré, mais jamais, jamais installé. Pas vraiment. Nous avons tous une histoire d'errance. Elle est souvent oubliée, mais elle est là. Elle nous guette. Et nous avons du mal à nous adapter à ce monde qui nous a vomis d'un pays à l'autre. En chemin, nous avons regardé de jolies femmes de tout poil, souvent à poil. Et nous nous sommes mis à nous imaginer un rencontre, un amour, une vie.

Malheureusement, les divertissements d'aujourd'hui adorent nous taquiner avec un jeu de culpabilité et peut-être un peu de jalousie.

Si vous n'aimez pas ce billet, blâmez mon imagination, pas moi, s'il vous plaît. Mais en tout cas j'imagine qu'il est vraiment trop tard. Qui lit ces balivernes ? Il est mieux de rester chez soi, parmi ses semblables, parmi les pensées, les mots et les amis convenables. Ne souffrez plus de votre mauvaise imagination !

J'ai pas mal d'amitiés basées sur l'échange linguistique et dont je suie énormément fier. Grosso modo, ils sont probablement un peu isolés, un peu loin du norme à cause de la géographie, de l'âge, de l'esprit actif, et de la curiosité. En tout cas, ils ont une imagination, et ils l'utilisent.

J'ai une seule amie française que j'ai rencontrée à une réunion de l'une de ces maudites associations qui se targuent de la sociabilité mais ne sont qu'un lieu bizarre pour les personnes en quête d'un rencontre amoureux. Dès le début, et malgré toutes les différences--et il y en a !, nous nous entendons très bien. Elle est juive.

Je ne vante pas de ces différences, mais au bout du compte, je me pose la même question de Mme Fukui. Pourquoi est-ce que je ne trouve jamais d'amis parmi toute cette maudite normalité ? Soit il ne me reste plus d'imagination, soit il n'en reste plus à la grande majorité de l'humanité.

Est-ce que vous pouvez imaginez une autre conclusion ?

mercredi 19 mai 2010

L'effet Madame Butterfly

Hier j'ai écouté cette cette émission sur l'effet "Madame Butterfly" ou ce qui se passe entre les hommes occidentaux et les femmes orientales. Au cours de l'émission Masako Fukui a fait état qu'en Australie il y a des hommes qui éprouvait une attraction irrésistible pour les femmes asiatiques. Selon elle, c'est un comportement bizarre basé sur les stéréotypes, les mythes voire des fantaisies pures.

A la fin de l'émission, elle a dit ce que j'ai dit dans mon billet précédent. Vivre en couple sans illusions, c'est voir l'autre comme il l'est. C'est la seule solution pour tuer l'effet "Madame Butterfly". Mais selon toutes et tous qui vivent en couple, ne serait-ce pas une fantaisie pure également ?

N'empêche.

Mme Fukui savait très bien que l'intérêt dans son sujet était dans les fantaisies qu'on projette sur l'autre. L'affectivité, la sensualité, les relations tous sont affectées par cette attraction et cette illusion. Dans l'émission, la spécialiste des études culturelles asiatiques a dit que ces fantaisies se sont construites à l'époque colonialiste. L'ouest est plus fort que l'occident. L'homme occidental est mieux éduqué, cultivé, tandis que la femme orientale est obéissante, douce, soumise, exotique et douée sexuellement. Je n'ai pas bien compris quel serait l'attrait des hommes occidentaux pour les femmes asiatiques. Sommes-nous juste différents ? En tout cas, un constat s'impose. Elle éprouve une attraction pour les hommes occidentaux. Certains occidentaux, moi y compris, sont séduits par les femmes asiatiques. Également, les hommes orientales n'attirent plus Mme Fukui. Les femmes occidentales n'attirent plus certains hommes occidentaux. Moi, j'aime les femmes, mais dès que je vois une jolie asiatique, j'éprouve du plaisir, tandis que quand je regarde une femme occidentale, je tue le moindre plaisir dans l’œuf. C'est bien rare que je me laisse contempler une femme occidentale.

Donc, c'est bien vrai. Je souffre de l'effet Madame Butterfly.

A part le passé colonialiste, la domination, la soumission, les fantaisies irréalisables, si vous pouvez vous imaginer que ma relation avec Chouchou n'est pas un drôle de jeu entre une geisha et un homme aux yeux écarquillés où chaque nuit nous éteignons la lumière, et... mais c'est à vous d'imaginer le reste. Si vous me permettez, il reste une question qui hante tout couple mixte. Est-ce qu'ils s'aiment grâce à un rapport amoureux, honnête et affectif, ou est-ce qu'il est une espèce de jeu entre une coquette asiatique et un homme occidental louche.

Malheureusement, l'émission laissait entendre trop que l'on ne pouvait pas éviter le passé, qu'il y aurait une trace de l’effet Madame Butterfly dans toutes les relations. Dans une banalité totale, on a finit l’émission avec un conseil bien sage. Toutes les relations commencent par une fantaisie, et après il faut voir et accepter l'autre. Il faut aimer l'autre comme il l'est.

Très bien, mais il me reste quelque chose d'irrésolu. Pourquoi est-ce que je me suis marié avec Chouchou ? Pourquoi Masako Fukui a une folie pour les hommes occidentaux ? Faut-il qu'il y ait quelque chose de louche ?

Elle dit est qu'elle n'aime plus les hommes asiatiques. Après quelques relations ratées avec eux, elle a fini par ne plus assimiler leurs traits à une possibilité d'amour. Selon les hommes australiens, ils éprouvaient une antipathie pareille envers les femmes occidentaux. Selon les sources de Mme Fukui, il s'agit plus de leur masculinité blessée que la féminité exotique orientale, plus de la méchanceté et la grossièreté des femmes occidentales que l'élégance exquise des femmes orientales. Mme Fukui a été très claire sur ce point. Il faut toujours corriger le tir chez les occidentaux.

En tout cas, l'ouest cherche l'est, l'est cherche l'ouest. Un homme cherche une femme, une femme cherche un homme. Et qu'est-ce que vous vous imaginez maintenant ?

Mais c'était l'imagination qui faisait défaut dans cette émission. Qu'est-ce que c'est la séduction ? Faut-il toujours avoir des arrières-pensées ?

Je vous en dirai plus. Chouchou s'est couchée tôt et a éteint la lumière. Attendez la suite !

mardi 18 mai 2010

Ma vie orientale

Sancho m'a donné ce clin d'oeil. Chouchou, ma femme, est japonaise. Dans l'émission, Masako Fukui se demande pourquoi l'homme occidental s'intéresse aux femmes asiatiques. Maintenant Chouchou me parle de l'iPad, parce qu'elle en veut un. L'iPad est formidable. L'iPad est incroyable. L'iPad est merveilleux. Je lui dis non, non, non, hors de question. Le chat me donne des coups de patte. Il veut son petit déjeuner. Ça fait 8 heures depuis qu'il a mangé, puis l'une de ses griffes perce la peau de mon ventre. Je lui donne un coup du revers de la main. Chouchou me dit de lui donner un peu d'amour, parce que je lui conseille tout le temps d'avoir plus de patience avec le chat.

Selon les stéréotypes, l'Asie est énigmatique, mystérieuse, inférieure, belle, et exotique. L'occident s'imagine comme le libérateur des femmes asiatiques dans une société patriarcale, la réalité est parfois une histoire d'abus entre un homme blanc et une asiatique. Selon une marieuse, les femmes asiatiques sont encore femmes, mais elle dit aussi que tout le monde ne dit pas la vérité.

Il y a un piège fantasmatique. L'on s'imagine l'autre comme un objet qui réaliserait ses rêves. Par conséquent, on ne vit plus dans la réalité, autrement dit le mythe asiatique et exotique.

J'écoute l'émission, le chat me griffe, Chouchou me parle encore de l'iPad. C'est ça, mon mythe asiatique ?

dimanche 16 mai 2010

Je ne suis pas le monde

Quand j'ai pensé écrire sur ma conversation hebdomadaire d'une heure avec M. Leau-d'eden, j'imaginais d'écrire un billet très court, mais après avoir ressassé la conversation, il me semble que je pourrais écrire un billet interminable. Nous n'avons parlé que de nos activités de la semaine passée. J'ai assisté à une réunion et lui a eu un interview avec une entreprise. De nos deux oignons, nous avons mélangé nos expériences et avons fini par faire une soupe de nos expériences.

Ayant envie de ne plus lui embêter, je l'ai invité à lire et co-rédiger un document Google qui contenait des liens aux articles que je partageais avec mes autres correspondants. Je pensais bon ébaucher auparavant notre discussion par choisir des sujets qui nous intéresseraient, parce que la lecture mutuelle est une façon merveilleuse d'égaler la connaissance d'un sujet. Après quoi, on a un but. On évite des questions maladroites et décalées. On crée un lien entre deux êtres séparés de maintes kilomètres et de maintes différences culturelles et linguistiques.

Il a rejeté ma proposition par le biais qu'il n'avait pas de compte Google. Par conséquent, j'ai ouvert un compte MSN pour l'inviter à un document MSN, mais il a aussi rejeté cette démarche. Lundi matin, je me demandais s'il allait me parler, mais il était là. Sans mot dire, il s'est emparé de la nature de notre conversation. Nous éviterions de parler de tous les sujets qui pourraient embêter. Nous ne lirions aucun article pour égaler les connaissances. Nous parlerions de tout et de rien. Je resterais chez moi, lui chez lui. Peut-être cette absence pourrait-elle vider la conversation de toute substance ? Je vous jure mon cher lecteur que nous pouvons supprimer tout ce qui nous gêne, mais la nature humaine immuable qui n'est ni optimiste ni pessimiste nous révélera ses secrets, même dans les conversations les plus mondaines.

Heureusement, pour moi, je lui ai déclaré que pendant la dernière réunion de mon groupe de lecteur sur Alice au pays des merveilles il n'y avait aucune polémique. On a apprécié le livre. J'ai constaté que le groupe en venait à m'apprécier comme un membre qui contribuait à la conversation, tandis que la dernière fois on me pensait raisonneur. Il n'en a rien dit là-dessus sauf une précision sur la définition du verbe apprécier. Au début j'ai dit que le groupe m'apréciait de plus en plus, mais il a dit que le verbe français était plus précis que son homologue anglais. On apprécie une distance. C'est-à-dire on juge une distance, une grandeur, la vitesse. On apprécie ou discerne une nuance. On apprécie la musique, mais on n'apprécie pas quelqu'un de la même manière. J'ai bien apprécié cette précision. Il ne serait pas bien de dire que l'on m'appréciait plus qu'avant. Avant tout, ma nature était la même et immuable.

Puisqu'il ne connaissait ni le livre ni son auteur, Lewis Carroll, il ne me restait plus rien à dire. Je voulais parler du livre. Il était très intéressant. Par exemple, même si rien du livre n'était vrai, même si les mots de Lewis Carroll n'étaient pas dans le dictionnaire, tous les membres du groupe ont entrevu la nature insaisissable de l'humanité. Nous avons entrevu ce qui ne pouvait être apprécié. Par exemple, dans un chapitre la tortue fausse décrivait les différentes branches de l’arithmétique -- ambition, distraction, mochification, et dérision. Nos branches de l’arithmétique sont l'addition, la déduction, la multiplication, et la division. En détournant nos branches un petit peu, il est arrivé à trouver une autre réalité que nous ne voulons toujours voir, voire que nous ne nous permettons de voir.

Ma mémoire et ma confiance m'ont fait défaut au cours de la conversation. Je n'ai retenu que certaines femmes voulaient parler mal de l'auteur, parce que selon plusieurs sources Lewis Carroll était un pédophile. Il a photographié des jeunes filles nues. Elles n'ont pas expliqué pourquoi cela devrait nous intéresser, et puisque le monde circonspecte n'aime pas les polémiques, nous avons laissé tomber le sujet. Leurs propos m'ont pris au dépourvu. Je ne pouvais rien dire pour sauver l'homme, qui a inventé le mot mochification, de la mochification des femmes qui voulaient démontrer la signification de son néologisme. Elle se sont emparés de son image et l'ont déchirée.

Sachant bien que M. Leau-d'eden n'aimerait pas entendre dire toutes ces balivernes sur la définition du mot mochification, je lui ai demandé s'il était nécessaire de se souvenir du côté obscur d'un écrivain quand on lisait son livre ? Et puis on s'est posé une suite de questions. Faut-il mettre en prison Roman Polanski ? Faut-il se souvenir de Michael Jackson comme un pédophile ? Comment est-ce qu'on peut résoudre que dans chaque personne il y a un côté obscur et un côté visible ?

M. Leau-d'eden a dit qu'en France on pense qu'il est ridicule de poursuivre Roman Polanski après trente ans de son crime. Moi, je ne connais ni l'histoire ni ses films. Quant à Michael Jackson j'ai dû subir le supplice d'écouter ses chansons en boucle. A chaque fête, a toute soirée l'on a fait jouer ses chansons. Et comme touriste américain en Europe, j'ai encore une fois dû subir un drôle de taquinerie à cause de lui. En 1986, j'étais pour la première fois en Europe. Je voulais voir le monde dont j'étais très curieux, mais qui me restait hors de portée de mon petit coin de la Pennsylvanie rurale. J'étais avec trois touristes américains de route dans les rues de Barcelone. Un autre groupe de quatre touriste européens du même âge, de la même éducation, et de la même niveau de vie nous ont interpellé, « Hé ! Êtes-vous américain ? »

Il n'était pas souvent que j'ai rencontré des Européens pendant mes premiers vacances en Europe. Entouré d'eux, mais ne jamais ayant le contact, nous étions interloqués, presqu'heureux que nos semblables voulaient nous parler.

« Oui », nous leur avons répondu parfaitement naïfs et ignorants de l'effet de notre hégémonie culturelle. Après quoi, ils ont commencé à chanter « Vous êtes le monde. Vous êtes les enfants ! » Et ensuite ils se sont esclaffés.

Après que j'ai raconté mon histoire triste à M. Leau-d'eden, j'ai ajouté que j'avais honte à l'époque, mais lui, il ne pouvait pas comprendre pourquoi. Il pensait que la chanson était belle. Nous, selon lui, était le grand nous mondial qui avons de l'argent et qui voulons en donner aux plus démunis.

Comment les temps ont changé depuis 1984 ! Selon Wikipedia, la chanson serait reconnue comme étant l'inspiration d'un mouvement qui s'occuperait de problèmes sociaux. Dave Marsh, le biographe de Bruce Springsteen, a dit qu'elle serait responsable pour avoir ébranlé la façon dont l'on frabriquait la musique et la signifiance. A l'époque, je connaissais aussi la chanson Do They Know it's Christmas qui était sortie un an avant We are the World. J'ai mis tous les deux dans le même sac, de la foutaise larmoyante et sentimentale.

Pourquoi encore une chanson ? N'ont-elles pas dit la même chose ? Mais non. We are the World s'est emparé de nos esprits et de notre identité et qui se souvient de l'autre chanson ou de son auteur, Bob Geldoff ? Le secret réside dans les paroles. Nous sommes le monde, selon M. Leau-d'eden, voulait dire que nous nous reconnaitrions dans toute l'humanité. Nous sauvrions nos propres vies. Or selon le spécialiste de la famine, Alex de Waal, le malheur éthiopien a été causé par une guerre civile et par l'incompétence du gouvernement éthiopien. La sécheresse a aggravé tous les malheurs qui sont exclusivement subis par les pauvres, mais causés par un manque colossal de préparation des dirigeants du pays. M. de Waal croit que l'effort humanitarien a prolongé la guerre, parce que l'aide a été détourné pour financer l'achat des armes au lieu de nourrir son peuple.

J'avais du mal à lui expliquer qu'à l'époque Nous sommes le monde voulait dire que les États-Unis étaient le monde, que nous nous sommes emparé de l'identité mondiale par la tyrannie de l'émotion larmoyante. Il n'en a rien compris. J'ai ajouté qu'on pouvait trouver cette aggressivité identitaire partout. Les conservateurs américains adorent dire qu'ils sont les vrais américains. Les gens comme moi qui parlent français, qui boivent de temps en temps un cappuccino, qui lisent les livres et les journaux sont des étrangers à peu près. Ils se sont emparés de l'identité nationale par la tyrannie d'une autre émotion. Peu importe, je ne suis ni le monde ni un américain authentique, et cela ne me dérange pas.

Puisqu'il voulait me montrer qu'il m'a compris, il m'a envoyé un lien à une parodie de cette chanson par les Guignols. En écrivant ces mots, j'ai découvert que M. Leau-d'eden a fait une volte-face mirobolante. A-t-il compris ma honte, mais voulait-il me taquiner davantage ? Ou a-t-il été tellement naïf qu'il croyait qu'on peut s'imaginer le monde, et après que j'ai expliqué mon expérience, il a vite changé d'avis ? Qui sait.

Je pense qu'il tient aux deux versions. La version originale était la meilleure façon de s'emparer de l'identité mondiale. La version Guignol en est la pire façon, mais, selon lui, le clip ne représentait pas la manière générale dont les français abusent les américains.

Oui, évidemment il y en a des autres qui sont infiniment plus subtiles.

Nous avons terminé notre conversation avec la narration de son premier interview dans lequel il a dû parler avec trois personnes du monde multiculturel du commerce--un Australien, une Américaine et un Anglais. Il était très fier qu'il a pu comprendre et se faire comprendre malgré ce mélange d'accents anglais. L'Australien était sympa, l'américaine avait un accent particulière, mais l'accent de l'Anglais, qui était le chef de l'équipe, lui a surpris. Il a bien compris ces mots, mais son attitude était très arrogante. Il est arrivé en retard. Il n'a dit pas bonjour. Il ne lui a même pas posé une question. Il s'est vite installé derrière son ordinateur portable, a dit qu'il n'avait pas beaucoup de temps, et puis ne pas le regardant, il a dit à M. Leau-d'eden d'écrire une rédaction dans 5 minutes pour le convaincre de l'embaucher. L'Anglais a quitté la pièce, et quand il est rentré après 3 minutes, il lui a demandé « Terminé ? »

Je ne savais quoi dire sauf que c'était bien d'avoir des entretiens. M. Leau-d'eden pensait qu'il serait content d'être embauché par cette compagnie.

Ah, l'optimisme. Il peut transformer la merde du monde accaparé par les arrogants en miel. Moi, je suis tellement fêlé et décalé des mœurs de nos jours que je refuse d'avaler mon malheur au miel merdique. Je préfère savourer le malheur nature.

mercredi 12 mai 2010

Des questions des Z'amours

Quelquefois il nous arrive des occasions où nous nous n'attendions jamais à découvrir les secrets de notre épouse. Quand cela arrive c'est toujours un choc.

« Je n'ai pas assez d'argent pour la facture. Est-ce que tu en as ? », j'ai demandé à Chouchou.

« Oui, j'en ai. » elle a répondu. Et vite un drôle de question m'a traversé l'esprit.

« Mais parbleu, c'est comment tu dépenses de ton argent pendant la semaine ? Nous commençons la semaine avec la même somme, mais il ne me reste jamais plus après quelques jours. J'achète des provisions. J'achète des déjeuners de temps en temps et je dépense de l'argent pour prendre le métro, mais tu vas au bureau à pied. Tu n'achètes pas des provisions. Tu manges de la salade ou des légumes au travail. Où va ton argent ? »

« Tu as toujours de l'argent pour toi, » elle a dit.

« Non, je ne me plains pas d'un manque quelconque d'argent. J'en ai la plupart du temps, parce que tu es proche de la banque. Je veux savoir ce que tu achètes pendant la semaine. Je sais ce que j'achète. Qu'est-ce que tu achètes ? »

« Je suis correcte, » elle a dit en s'en allant à l'autre pièce.

« Oui, bien sûr, tu es correcte. Mais après sept ans de mariage, tu sais, je n'ai aucune idée comment tu dépenses de ton argent. Si nous étions un couple du jeu Les Z'amours je n'en saurais rien. Nous serions les cancres du jeu. Non ? »

« Les Z'amours, c'est stupide, » elle a dit d'un air snob.

« Mais, bien. Allons dîner. Mais pas avec la télévision. Pas encore une émission de Les experts. Combien de fois est-ce que nous pouvons voir ces émissions ? C'est pénible ! Il faut qu'il écrive un scénario où l'épouse d'un homme naïf dépensait de son argent pendant la semaine et l'homme n'en savait rien. Cela serait intéressant. Est-ce que tu peux imaginer la suite d'un tel prétexte. Cela serait vraiment à voir, n'est-ce pas ? Mais, écoutes ! Non, il faut éteindre la télévision. Écoutons de la musique un peu. Je fais jouer du Mozart. Mozart Chouchou ! Mozart ! »

« Ah ! J'ai joué du Brahms (de la clarinette) ce week-end. J'ai déjà fait mes devoirs musicaux. Regardons la télévision ! J'ai eu une très longue journée. Très, très longue ! » elle a protesté.

« Brahms, Schahms ! C'est du Mozart ! Où en serais-tu sans Mozart ? C'est l'unique compositeur qui a pris des petits soins pour les clarinettistes. Brahms ? Qu'est qu'il a écrit ? Des vals ? Pah ! C'est du Mozart. » Mais ce n'est pas assez pour la vaincre.

« Chouchou, chouchou. Regards-moi. » Elle a levé la tête, et je lui ai fait des yeux très doux.

« C'est du Mozart, chouchou. Mozart. »

Elle m'a regardé puis recommencé à regarder la télévision. J'ai dû répéter ces yeux doux au moins cinq fois avant qu'elle en a coupé le son.

Nous regardions la télévision sans son. Une publicité du film La Frontière des Ténèbres était à la télévision.

« Quel est le contraire de la frontière des ténèbres ? » je lui ai demandé.

« Le bout de la lumière ! » elle a dit.

« Mais, non. Ce serait le centre de la lumière, comme la lumière d'un époux qui sait comment sa femme dépense de son argent. Et par exemple, pourquoi est-ce que tu penses qu'on a appelé ce film La Frontière des Ténèbres ? Ne voulait-il pas dire un commencement de la lumière ? Le commencement de la lumière, ça n'est pas si mal ? »

« Je mets de l'argent dans la cachette. Je fais de la lèche-vitrine de temps en temps, et je te donne de l'argent quand il ne t'en reste plus. N'est-ce pas ? »

« Ah ha, de la lèche-vitrine. Je comprends. »

Nous regardions encore la télévision sans son.

« Est-ce que tu aimes les barbiches ? »

« Les barbiches ? Sur qui ? Toi ? »

« Non, pas sur moi. Juste sur les hommes. »

Elle n'en a dit rien.

« Est-ce que tu préfères les blonds ou les bruns ? »

Elle a sourit et n'en a dit rien.

« Tu sais, je ne t'ai jamais demandé de questions pareilles. Et si nous étions des animaux de la forêt, quels animaux est-ce que tu penses que nous serions ? »

« Des ours ! Grr ! »

« Mais, non. Des ours. Je ne pense pas, » je lui ai dit. « Je nous imagine comme deux lièvres. Mais tu serais une lapine qui mangerais comme ça. » Et j'ai fait mine de manger très vite avec les incisives. « Moi, je rongerais lentement en demandant si on avait une salade. Tu me dirais que tu n'en savais rien où en était cette salade. Ensuite, je rongerais de nouveau en faisant ce son--Mmm, mmm, mmm--les joues gonflées de carottes et de céleri. Puis nous remuerons les longues oreilles et fronçons les bigots. N'est-ce pas, Chouchou ? »

A ce point elle riait comme une petite lapine qui aimait remuer ses longues oreilles avec son mari, le lièvre qui lui demandait des questions des Z'amours.

lundi 10 mai 2010

Trouvé et perdu

Hier soir, dans un sommeil mimétique de la mort j'ai eu un rêve. Une voix m'a déclaré que tout le monde a son propre dieu qui leur convient. Les égoïstes ont un dieu individualiste qui encourage l'égoïsme. Il est installé tout seul sur son piédestal sur lequel il a écrit « N'importe quoi. C'est ce que tu penses. » Les arrogants un dieu individualiste qui encourage l'arrogance. Il a un temple au centre de chaque ville où il regarde un instant en bas les petits gens, puis il pointe le nez en haut. Les hédonistes, s'ils ont le temps de se mettre la gueule hors du mangeoire, prient à leur dieu d'hédonisme, puis les goinfres se remettent à leur consommation. Moi, selon la voix désincarnée, je vois Dieu. Désincarné, partout et nulle part, âme et corps, bête et divin, le saint esprit m'a envahi un instant pour m'ouvrir les yeux. Je me suis levé dans un état légèrement euphorique. J'ai ensuite essayé de saisir l'essence de cet rêve. J'ai allumé la machine expresso et le bec à gaz alors que la lumière dans ma tête s'est éteinte.

J'ai bu mon café. J'ai parlé à M. Leau-d'eden. Et maintenant je dois aller au travail pendant que je cherche le Dieu désincarné parmi les incarnations de l'égoïsme, de l'arrogance et de l'hédonisme.

vendredi 7 mai 2010

Non ! Peut-être ? Oui

Je suis à la dérive, et ce billet l'est aussi. Ce sera le plus long billet de mon blogue. Il s'agit d'une rencontre avec l'autre qui m'a mené en tâtonnant à moi-même. Un long voyage circulaire d'identité que j'appelais « Non ! Peut-être. Oui ? » Montez à bord. Je vous mène en bateau.

Je viens de passer une semaine pleine de bagarres. Dimanche, c'était les malentendus transatlantiques avec les partisans fervents du parti du thé (tea-partiers). Lundi, guerre de métaphores et d'histoire et encore une guerre d'indépendance de la loi de fer de la voix passive. Mardi, guerre de la phrase la plus claire. Mercredi, guerre de dernière volonté. Jeudi, une trêve et résolution de la guerre de mercredi. Vendredi, combat de sang avec la rédactrice. Samedi, guerre perpétuelle entre ceux qui louent et ceux qui conspuent les écrivains du passé. Dimanche, une trêve bien trop brève, parce que lundi j'ai eu un débat frisant une répétition de mes conflits précédents.

Lundi, c'est le jour où je parle à M. Leau-d'eden. Cette fois-ci, je lui ai décrit les événements de samedi. Le lundi avant, nous avons parlé de la bagarre des malentendus transatlantiques. Cela fait deux semaines de suite que nous avons parlé des variations sur un sujet--comment tenir bon à ces idées alors que l'on est entouré des personnes hostiles et ancrées dans leurs habitudes. La première fois, nous avons passé une heure formidable. La deuxième fois, je pense l'avoir embêté.

Toutes ces guerres, hélas, j'en ai marre. Chacun mériterait un billet, mais un constat s'impose. Les guerres durent longtemps, l'écriture exige du temps, le travail, les tâches ménagères, les divertissements, le temps avec Chouchou, manger, dormir, écouter la radio, lire les journaux, lire des livres, le trajet entre ici et le travail, s'habiller, respirer, rêver ! me doucher, observer ce qui m'entoure, converser avec les autres, réfléchir sur les événements, les interpréter, les résumer, et puis en parler, quand aurais-je le temps pour me reposer ? Où est le principe qui peut me guider parmi tous les écueils ?

D'habitude, je me débrouille comme je peux. Je nage bon gré mal gré dans les eaux troublées de mon petit verre d'expériences. Lundi, je noyais.

Après nous être demandé « Quoi de neuf ? » j'ai commencé notre conversation avec mon aventure de samedi. Grosso modo, je lui ai demandé comment il se faisait entendre au milieu de personnes qui conspuaient aveuglement et constamment ce qu'il aimait.

Il a dit qu'il fallait être conciliant et poli. Parfois il faut dire qu'on est d'accord quand on ne l'est pas. Il a même ajouté qu'il fallait de temps en temps être hypocrite pour être soi-même. Il l'a dit sans gêne et sans hypocrisie. A mon avis sa nature est joyeuse, ouverte et honnête. Par conséquent, je ne pouvais ignorer son propos, bien que son propos sincère fût un conseil de mentir. Peut-être, c'est là où j'erre le plus souvent. Un type plus pratique, un Sancho par exemple, aurait souri et puis enchaîné au hasard un tas de proverbes. Moi, Ren du Braque, blogueur errant, lecteur de trop de livres philosophiques, n'en pouvais plus, et il m'a échappé, « Tu ne peux pas y croire ? »

Et ensuite il m'en a donné un exemple. Pendant le week-end, il dînait avec ses amis et quelques amis de ses amis. Au cours du dîner, une femme qu'il venait de rencontrer a dit son opinion sur les marchés américains qui allait à rebours de la sienne à lui. Il aurait pu dire ses quatre vérités dont seraient nés mille désaccords, mail il n'a rien dit. Pour une paix fragile, il a trahi ses principes. Il a été hypocrite pour devenir soi-même, un homme en paix, aimable, intelligent et policé.

Je regrettais profondément mon opposition à son conseil parce qu'au dessous de son propos il y avait une vérité. Il a décrit une situation dans laquelle j'aurais réagis de la même manière, peut-être, il y a deux semaines, bien que dans le fond de mon âme j'aurais été tenté de laisser déclarer mon opposition.

Chez mes amis je laisse échapper mes tourments. Souvent ils me disent que je suis mal éduqué et peu civilisé. Mon ami Sancho m'a une fois dit que j'étais un type à fleur de peau. Certainement, je ne pouvais laisser tomber cette opinion hâtive. Je m'imagine plus charmant et perspicace. S'il faut admettre que je réagis instinctivement sans réfléchir, je dirais que mon instinct est de contredire les idées reçues. Auquel il a dit « Oui, tu es un type à fleur de peau. »

Parfois dans les échanges où le vocabulaire n'est pas à la hauteur d'une défense jusqu'au bout des ongles, il faut abandonner quand la bataille a peu d'importance. Soit, je suis à fleur de peau, mais cela ne voulait pas dire que je n'ai pas honte de dire des bêtises et d'être injuste. Dès que j'ai opposé son programme de s'entendre bien avec les autres, je cherchais à résoudre l'énigme de son propos. Au cours de notre discussion ma réaction évoluait d'un non catégorique à un peut-être ambigu, et puis à une oui docile et incertain.

« Non ! » parce que je ne pouvais résoudre la dissonance cognitive de son propos. En fait, je n'en pouvais toute la semaine et cela continuait à cet instant aussi. Il me semblait qu'il était une sorte d'un Dr. Jeckyl et M. Hyde. Mais quelle moitié de cette âme fêlée était le charmant Dr. Jeckyl et le monstre M. Hyde ? Je pense que c'est seulement Dr. Jeckyl qui parle tout le temps avec ses amis, et c'est M. Hyde qui dérape quand Ren Du Braque le critique. Après mon rejet le ton de sa voix est devenu plus insistant. Son programme est devenu prescriptible et moral. Il était flexible pour accommoder les autres points de vue et inflexible sur mes questions.

Il a expliqué qu'il n'aimait pas les débats qui dégénéraient en match stérile où chaque participant marquait les points pour le plaisir pervers de gagner. Il insistait sur l'importance d'être conciliant et sur l'écoute de l'autre. Il a dit qu'il fallait donner l'impression qu'on comprenait, bien que l'on n'y soit pas d'accord, parce que l'autre avait le droit de parler et d'être écouté.

Il était difficile de démêler où il avait raison et où il avait tort. Il est vrai que les matchs stériles sont nuls. Être conciliant et à l'écoute de l'autre, tout le monde doit en faire un effort. Essayer de comprendre, c'est difficile, mais bien utile. Or donner l'impression de comprendre, c'est d'extrêmement bonnes moeurs. C'est une sacrifice et un effacement de soi extraordinaire. « Au lieu de donner l'impression totale, est-ce qu'on pourrait dire où on ne partage pas exactement la même intensité de sentiment ? », je lui ai demandé. Il a dit qu'il fallait attendre le moment où on pouvait poser des questions plus délicates. Selon lui, il faut laisser écouler du temps pour établir la confiance.

Et dire qu'il voulait changer le monde ?

J'essayais de le comprendre, mais cela voulait dire que toutes les luttes de la semaine précédente était en vain. Était-il possible que M. Hyde ait mis des idées dans ma tête, tandis que Dr. Jeckyl aurait dû me servir de guide la semaine dernière ?

Néanmoins, toutes mes batailles de la semaine dernière me semblaient importantes. On voulait réécrire mon texte parce pour me forcer à accepter une supériorité peu méritée, et cette condition aurait duré éternellement. Chouchou voulait réécrire le contrat de notre mariage. La rédactrice voulait effacer toute trace de sa faute par me faire avaler sa rage. Les jeunes femmes et jeunes gens qui aiment marquer les points entre les écrivains vivants et morts voulaient réécrire les textes de Shakespeare à une plume misogyne. Coucou voulait effacer toute l'histoire des Etats-Unis qui ne correspondait pas à ses idées fixes nihilistes et post-modernes. Et il y a une semaine, les "tea-partiers" et les saladiers voulaient justifier la porte des armes automatiques comme une liberté fondamentale qui était menacée par notre gouvernement totalitaire. A chaque reprise il me semblaient qu'un monstre terrible menaçait de m'égorger par les mains de personnes auxquelles il me fallait faire confiance. Ce monstre était la vision totalitaire de l'histoire ou d'une supériorité imaginée. Chaque jour je l'ai vu, et chaque jour je l'ai combattu. C'est-à-dire que j'ai dit « Non, non, non, non, non, et non ! »

« Non ! Prouvez que votre texte est mieux écrit ! »

« Non ! Il faut écrire notre contrat de mariage à deux mains ! »

« Non ! Vous mentez ! »

« Non ! Vous n'avez pas compris le texte et vous avez manqué de voir le lien entre le passage qui vous déplaît et le thème de la pièce ! »

« Non ! Tu ne veux voir que les périodes les plus obscures pour déboulonner tous les principes de la démocratie ! »

« Non ! La porte des armes automatiques en public est une menace implicite ! »

Six guerres subies, cinq victoires à la Pyrrhus et une résolution (avec Chouchou) à l'aimable.

Lundi matin, je voulais parler de mes ennuis, mais j'ai entamé encore une fois un débat. Je ne voulais parler que sur les questions qui me tourmentaient. Je voulais savoir s'il était aussi difficile pour lui de parler aux autres, s'il a trouvé une différence entre les moeurs françaises et américaines, et comment il a pu avoir l'air insouciant, confiant et ambitieux dans un monde plein de désaccords.

Mon soupçon était que la vie en France était plus hospitalier. Une bonne formation éducation française produirait des citoyens stables et posés. Une base solide de la philosophie et de l'histoire serait comme les racines d'un arbre. On comprendrait le passé, le présent et l'avenir et du coup on prendrait du temps et établirait un équilibre entre les loisirs et le travail, le privé et le public, le passé et l'avenir et l'espoir et la réalité. On éviterait les batailles futiles et lutterait becs et ongles pour les droits de l'homme.

Son propos voulait dire que j'avais tort. Selon lui, il fallait éviter les querelles sur la religion, les relations homme-femme, la discrimination, ou la littérature datée avant le vingt-et-unième siècle, parce qu'un interlocuteur pourrait déraper et l'harmonie sociale volerait en éclats.

Je me suis dit « De quoi parler donc ? Si l'éducation ne valait rien, quel principe nous guiderions ? La haine, les bonnes moeurs, la religion, l'identité culturelle, la dissonance cognitive ? »

Je lui ai dit que l'honnêteté pouvait aussi mener à une harmonie qui serait profonde et stable. Si mes interlocuteurs me connaissaient, ils arriveraient plus proche à mon essence qui doit encourager la confiance des autres.

Est-ce que vous êtes encore dans mon bateau ? Est-ce que vous pensez qu'il prend l'eau ? N'empêche.

S'ils arrivaient à comprendre l'essence de mon âme, ils sauraient que j'estime les valeurs universelles et profondes comme la paix, l'amitié, l'humanité, bien qu'à la surface je me fâche comme un diable contre un tout et un rien.

Il y avait un moment de silence, puis il m'a dit que si je persistais à discuter avec les autres il fallait commencer chaque propos avec une qualification subjective pour avertir aux interlocuteurs que mes propos n'étaient qu'une opinion personnelle. Par conséquent, je pourrais être contredit.

Il est curieux qu'il ait dit cela, parce que j'ai entendu dire la même idée dans la même conversation avec Sancho quand il m'a affublé de fleur de peau. Grosso modo, pour contredire l'opinion d'autrui, il faut toujours commencer l'opposition avec la phrase « je pense que... » Ce réflexe semble très particulier à mes interlocuteurs français et aux personnes qui parlent dans les émissions de France Culture. Puisque je vois partout chez mes interlocuteurs, je pense que la bible républicaine française contiendrait le commandement fondamental suivant « Dieu pense qu'il serait mieux d'introduire une opinion subjective avec la phrase "je pense que..." Sinon dieu pense que toutes et tous citoyens vous prendriez pour un type à fleur de peau. »

Ah, cela expliquerait l'avis de Sancho.

En tout cas, il est agaçant d'être contredit. Cette semaine je me sentais exposé à un ennemi invisible. J'ai essayé de me défendre par un débat équilibré et posé, mais un débat n'est pas une conversation. La convivialité et l'agression ne se mélange pas. La politesse et la courtoisie doivent de temps en temps doivent essuyer les coups de la mauvaise foi et des injures avec grâce. Et je me sentais perdu. A mon avis, il semblait que l'agression marque de plus en plus de points. Elle transforme chaque conversation en débat stérile. Et plus souvent qu'avant elle nous rend muets et passifs.

Tiraillé entre l'idéal et la banalité de la politesse, je me suis dit que peut-être il y avait plus de sagesse que je ne le pensais avant. Nous nous sommes mis d'accord sur la sagesse de choisir ses batailles. On ne peut pas lutter à chaque instant. D'ailleurs, ses propos devaient lui convenir. Samedi soir, il était assis autour d'une table de huit convives. Moi, je ne m'en souviens plus. Chouchou était à la ville de New York. Sans elle, je ne me souviens de rien. Je pense que j'ai mangé une salade au dîner. Puis j'ai écrit et j'ai lu dans ma solitude. Lui a une mémoire vive du soir. Moi, rien.

Comment se fait-il qu'il passe son temps à s'amuser bien et moi, je ne fais rien. Je m'attendais qu'il me dirait ou qu'il ne connaissait ni l'attitude des "tea-partiers" ni l'hostilité des grincheux ou qu'il a bien vu ce comportement, mais cela arrivait moins souvent en France. Ou peut-être il pensait qu'il fallait être généreux avec les gens parce que le coeur humain, même s'il est souvent enseveli dans une passion aveuglement, est toujours prêt à s'ouvrir aux sentiments profonds et universels comme la paix, l'amitié, l'amour et la justice.

Mais, non. Il connaissait très bien les gens impolis, les coeurs aveugles, voire la méchanceté déchaînée. Il a aussi senti la frustration auprès des gens agressifs qui ne laissent aucune partie de leur coeur ouvert à la conciliation. Il me semblait aussi qu'il était un peu frustré par mon opposition, comme s'il voulait que cette tendance d'être à fleur de peau cesserait.

Puis je me souvenais de ce qu'il avait dit la semaine dernière. On pourrait parler de ces sujets, mais pendant un repas jamais. S'il le faut, il est mieux de parler après qu'on a bien mangé. Avant le dîner les gens ont faim. Ils sont mécontents et irritables. Après le dîner la vie semble plus agréable. Ils prendraient du temps pour être conciliants et ils utiliseraient certainement le commandement français républicain.

Quand je mets ensemble toutes ces pièces du procès, je vois qu'une seule explication pour cette foi insensée en la courtoisie et la convivialité face à tant d'hostilité ambiante.

Il est français. Et il tient à la particularité culturelle suivante. Si on vivait selon un principe qui facilite et améliore la digestion, on arriverait tôt ou tard à savourer le plaisir d'être assis autour d'une table en toute convivialité où on évite poliment les sujets fâcheux, on boit du bon vin et on deviendrait soi-même. On reconnaît le cycle de la vie et l'importance du corps et de l'humanité. On apprécie le présent et oublie le passé. On voit que le soleil, la pluie et le sol alimentent les légumes et les bêtes dont les êtres humains sont dépendants. On voit l'alternance de vie et de mort, de mâle et de femelle, de jeunesse et de vieillesse. Autour de la table nous avons tous le même besoin de se nourrir. C'est-à-dire le corps et l'âme. Dans la compréhension facile autour d'une table on arrive à une compréhension plus profonde.

Alors, tout cela, je veux dire, c'est ce que je pense. Je ne demande que de temps en temps qu'on m'invite à manger et me souhaite bon appétit.

Messieurs et mesdames c'est la fin de notre voyage. Je vous souhaite de très bon repas.