jeudi 29 juillet 2010

Un petit mot de notre directeur absent

La pluie battait la fenêtre, et le coup de tonnerre a envahi le bourdonnement des ordinateurs et le murmure des voix indistinctes dans le couloir. Le métro, marchera-t-il ce soir ? La moindre perturbation lui fait faire une dépression mécanique et faire accumuler les retards. Rentrerai-je même à la maison ? Mon Dieu, j'ai aussi provoqué mon propre retard. J'ai oublié d'aller au laboratoire au troisième étage, parce que depuis l'après-midi je contemplais dans une nuage comment ramasser par les méandres de ma pensée la pluie de mes sentiments.

A huit heures et le quart, je suis arrivé au transfert métro. Sur le plateforme, une foule s'est amoncelée. Sans faille, le métro a fait une dépression. Le prochain train arriverait dans un délai de 16 minutes. J'ai remarqué une petite place entre un homme et une femme sur un banc. Elle m'a vu et laissé m'être glissé entre eux. Visage après visage et corps après corps s'est promené devant moi. Je les ai tous contemplés. Un homme mince, jeune, et courbé aux oreilles bouchées des oreillettes de son portable parlait haut alors qu'il s'est promené devant nous. Hommes, femmes, enfants, jeans, pantalons, coutumes, cravates, chemises, fatigue, ennui, sourires, froncements, quelques rire, et puis le même homme aux oreilles bouchées parlait encore, mais cette fois-ci il marchait dans la direction contraire.

J'ai ouvert mon livre, The Two Noble Kinsmen de Shakespeare qui serait le dernier livre de ses pièces que je n'ai jamais lu. Est-ce que je vais vraiment commencer à écrire aussi en anglais sur Shakespeare ? Peut-être pourrais-je trouver un passage dans ce livre ? Mais non. Cette pièce est une collaboration entre lui et John Fletcher. Je ne sais comment, mais le texte semble moins vif et alerte. Le prologue est magnifique, mais la première scène manque d'épaisseur. Chaque phrase ne contient qu'une seule pensée. Shakespeare est magnifique, mais comment se limiter seulement à son adoration ?

J'ai jeté un œil sur ma voisine. C'était aimable de sa part de reconnaître mon désir pour une place. Elle lisait, savait que j'étais là, mais a continué de lire. L'homme aux oreilles bouchées est encore une fois passé devant nous en demandant d'un air indigne « J'aimerais bien savoir, le directeur, que fait-il exactement ? »

Ohhhhhh. Une question comme ça, qui fait hausser les sourcils et chatouiller la curiosité, c'est trop belle de laisser tomber dans l'oubli. J'ai regardé ma voisine. Elle le savait, mais elle résistait de son mieux. Parler à un inconnu, comme moi ? Non. Elle prétendait de se plonger dans sa lecture quand je lui ai aussi demandé « Oui ! Que fait-il exactement ce directeur ? »

« Bonne question ! » a-t-elle dit, soulagée de s'être échappé un peu d'énergie nerveuse et trop amusée de m'ignorer davantage.

Enfin, le train arrivé, nous nous sommes précipités à trouver une place, parce que le prochain arriverait dans 15 minutes. La première voiture, grâce à sa distance de l'entrée du plateforme et du ventre de la foule était à moitié pleine. J'ai trouvé une place au troisième rang des sièges. Une mère hispanique et ses deux gamins aux yeux bruns et visages heureux se sont installés dans le siège en face de la portière. Elle avait les oreilles bouchées de son lecteur de bruit digitalisé, les gamins ont ouvert des yeux ronds. Quand ils se sentaient un peu abandonnés, elle les a caressé d'une seule touche qui les a extasié. Le gamin dans le banc s'est tellement courbé et tordu qu'il a failli tomber par terre. L'autre dans la poussette a mis les mains dans l'air.

J'ai entrevu une femme et son enfant entrer dans le train et je me suis levé afin qu'ils pussent s'installer. J'étais en face du petit. Ses yeux grands comme sa bouche se sont fixés sur moi. Je faisais semblant de lire, mais il me regardait comme j'étais un directeur mystérieux. Je lui ai bougé le petit doigt. Il a ouvert des yeux plus ronds. Je lui ai fait coin-coin de ma main. Il s'est levé les mains au-dessus de sa tête. Je lui ai bougé le petit doigt, « est-ce que tu peux bouger le petit doigt, mon petit ? »

Il a poussé un petit cri de joie. J'ai regardé sa mère qui a souri mais n'a osé que de m'entrevoir quand je regardais son enfant.

Pendant quelques instants j'ai contemplé l'enfant. Il n'a jamais détourné le regard de mes yeux. Je voulais lui avertir. J'ai dû le quitter. Je lui ai dit, « Ciao, mon enfant. Ciao. » Il n'a pas compris. « Ciao. »

Quand je me suis dirigé ver la portière, il a poussé un cri. Sa mère lui a caressé la tête, et il m'a suivi de regard jusqu'à ce que je suis sorti. Je voulais lui dire que le directeur retournerait. Il te dirait bonjour, te bougerait le petit doigt. Une main te gouvernera vers le murmure de l'eau quand elle roule. Tu ne serais pas tout seul.

Et maintenant je suis tout seul devant l'écran de mon ordinateur. Je vous dois la fin d'Acte III, Scène 3, mais entretemps je pense entrevoir des mots dans les nuages des mes pensées... Merci mes amis. Merci Bellegine.

Avec le roi, dans sa solitude

Chouchou m'a regardé toute contente que Ronronfleur était dans ses bras. La télévision éteinte, elle m'a dit « Vas-y ! Parle-moi de Shakespeare ! »

Un intérêt soudain en face de la télévision ? Vivre sans le Dieu de spectacle gore, de bonheur affiché, et de malheur formaté qui nous dit : Soyez choqué, heureux, et ensuite triste. Et maintenant un petit mot de notre sponsor : soyez l'homme de vos rêves, femmes soyez plus féminine, soyez heureux, assuré, rusé, audacieux, jeune, séducteur, et impudent. Soyez ce que voulez. Soyez plus que vous êtes aujourd'hui et certainement pas ce qui vous êtes ou étiez. Dans mes mains était juste Shakespeare, snob, ringard, vieux, triste, complexe, c'était le moment de l'inspiration et du courage.

Nous étions dans la lumière sombre du salon, comme si nous étions sur scène pour nous dire nos soliloques. J'ai expliqué que dans le reste de cette scène (Acte III, scène 3) le roi avouerait son fratricide qui pue au Ciel et Hamlet annoncerait comment il, à son insu, était en train de plonger dans sa tragédie.

Maintenant que nous sommes ensemble où personne ne nous jugera, je veux avouer mes crimes aussi. Le dernier billet était mensonge pur. Je n'ai pas parler à Chouchou de "Montrer, ne pas dire". C'était dans l'acte de décrire notre conversation que j'ai inventé une autre. Voilà ! C'est un soulagement de vous confesser. Je vais mieux.

Je savais que vous le saviez. Vous vous attendiez que j'admettrais ma culpabilité. Vous vouliez une culpabilité nettement prononcée. Et dans la solitude je pouvais le dire. C'était pareil pour le roi. Avant cette scène, le spectateur anticipe une résolution. Qui est le fantôme ? Qui a tué le père de Hamlet ? Est-il fou ? Dans nos cerveaux binaires, il n'y a de place que pour un Oui ou un non. Tout le reste de nos cerveaux est voué à notre bonheur, notre identité, notre ambition, et notre distinction. Et Shakespeare nous comprend, nous taquine, et nous mène à cette scène, mais quand le roi, tout seul, prie, il brouille tout cela. Écoute :
Pray can I not,
Though inclination be as sharp as will.
My stronger guilt defeats my strong intent,
And, like a man to double business bound,
I stand in pause where I shall first begin,
And both neglect.
Je n'ose même pas une traduction. Il veut prier, mais il ne le peut pas. Il veut faire du bien, mais sa culpabilité est plus forte que son désir. Dès le début ce roi a affiché un bonheur effréné. Il a dit à Hamlet d'arrêter de pleurnicher la mort de son père. Sois gai, mon fils ! Et finalement, on le voit tiraillé entre le bien qu'il veut et le mal qu'il a fait, et par conséquent, il vacille.

C'est absolument inattendu. On s'attendait de voir un coupable, mais Shakespeare nous en montre un qui est déjà puni, privé de Dieu et de son âme.

Il faut faire pause un instant. Je sais que vous êtes pressé. Il y a tant de choses à faire. Peut-être vous voulez écrire vos propres billets dans lesquels vous nous montrez votre vie plein d'espoir et de bonheur, et de temps en temps il vous arrive un contretemps. Néanmoins, j'insiste. Dans ce soliloque, on entre dans le for intérieur du roi. Il ne nous parlent pas pour nous impressionner, ni comme moi, ni comme vous. Dans cette solitude il est enfin libre de dire ce qui pèse sur lui. Avant et après, quand il est entouré de sa femme et du mondain, il est obligé d'afficher ce que les autres exigent de lui. Or maintenant, ce n'est pas formaté. Ce n'est pas gai. Ce n'est même pas raisonnable. Il est simplement sublime.

Quand vous écrivez, qui êtes-vous ? Le roi avant et après Acte III, scène 3 ou une personne anonyme dans la solitude et en acte de prier ?

Attendez la suite, s'il vous plaît.

lundi 26 juillet 2010

Dîner au détour mondain

Devant le Dieu télévisé, nous sommes impuissants. Il faut constamment demander une permission d'un instant pour dire nos propres découvertes, pas celles formatées et montrées pour le public.

Chouchou a diminué le volume du dieu-télévision. « D'accord. Vas-y. Qu'est-ce que Shakespeare dit ? »

Ah, le grand moment enfin arrivé, surpris, j'ai feuilleté Acte III, Scène 3. « Attend, euh, mmm, at-tend. » J'ai fait un long bourdonnement en lisant comme un comédien qui cherche sa mémoire pour retrouver ses vers. Elle a froncé les sourcils et a regardé un instant la télévision.

« Il est difficile de choisir ! Attend. » et puis j'ai noté que la scène est nettement divisée en trois parties, le mondain, la chute de la majesté et la jeunesse. Je me suis dit en murmurant, « Oh, je n'ai pas vu cela avant. »

« Tu vas lire, quoi ? »

« Ah, d'accord. », et j'ai résumé où nous en étions. Le roi est furieux que Hamlet ait monté une scène où un comte tue son frère, le roi, en lui versant du poison dans l'oreille, puis il séduit la veuve de son frère et devient roi. Guildenstern et Rosencrantz, les seuls personnages qui ont un nom danois s'engagent à emmener immédiatement Hamlet en Angleterre. Chose curieuse, les deux sont souvent caractérisés comme automates, obéissants et inconscients. Or leurs noms, qui les distinguent des autres personnages, étaient très répandus à l'époque de Shakespeare. Dix pourcentage de l'aristocratie danoise s'appelaient ainsi. En distinguant les deux personnages dans la pièce, Shakespeare a marqué leur manque de distinction. Et on a beau pointer du doigt leur impassivité, ils défient ces étiquettes en pensant pour eux-même et le roi. Rosencrantz décrit la majesté du roi avec une image incroyablement belle--incroyable parce qu'elle sort d'une bouche d'un automate, incroyable parce qu'elle décrit dans une économie parfaite les enjeux de ce qui ensuivrait si le roi mourissait...


(La majesté du roi) It is a massy wheel,
Fix'd on the summit of the highest mount,
To whose huge spokes ten thousand lesser things
Are mortis'd and adjoin'd; which when it falls,
Each small annexment, petty consequence,
Attends the boist'rous ruin. Never alone
Did the king sigh, but with a general groan.


Dans ce passage, Rosencrantz annonce la mort du roi comme un catastrophe qui commence avec lui et ensuite détruit le peuple.

(Pour ceux qui ne comprennent pas l'anglais : Le roi est une roue massive au faîte du mont le plus haut aux rayons dix milles choses moins importantes sont mortaisées; ce qui quand elle tombe, chaque petite dépendance attend la ruine violente.)

« Qui écrit comme ça ? Imagine-toi une scène pareille montée à la télévision ? Bien sûr, ce Dieu la monterait selon le célèbre principe d'or "Montrer, ne pas dire". Le roi, au faîte d'une montagne, laisse tomber une pièce d'or tirée de sa poche. Lentement la pièce cogne une pierre, qui heurte une autre, et puis une autre. A chaque coup, la pièce d'or, rencontre et ramasse plus en plus de pierres, de cailloux, jusqu'à ce que tout ne se dégage et suive la pièce d'or en avalanche... Oh c'est trop ridicule, ce principe d'or. »

Chouchou regardait la télévision.

« Tu m'écoutes ? Comment peux-tu regarder ça ? Regard tout ce gore et sang ! Berk ! Qu'est-ce que c'est ? CSI ? Law and Order ? House ? Castle ? Lie to Me ? »

« Quoi ? » dit-elle comme elle était très distraite, mais en réalité, c'est ce que nous faisons quand on ne fait plus attention à l'autre. « Qu'est-ce que tu disais ? Si tu ne peux pas montrer, il faut dire, quoi ? Comment on peut montrer sans rien dire ? »

« Alors, d'après les experts d'écriture, au lieu de dire, il faut montrer. Par exemple, au lieu d'écrire "Le chat était à l'ombre d'un arbre. Sa mère lui manquait" on doit écrire "Le chat mouillé s'est cramponné aux racines du vieux bouleau comme si elles étaient le sein de sa mère." Tu vois ? Le premier dit, et le second montre, mais le second exagère. Ce n'est qu'un chat. Est-ce que sa mère peut lui même manquer ? Pourquoi dire tout cela sur un chat bête tout mouillé aux racines du vieux bouleau. S'il était sage, il serait à quelque endroit sec. »

Elle, interloquée, m'a demandé, « Pourquoi tu n'aimes pas les chats ? Sa mère lui manque. Pauvre chaton à l'ombre d'un bouleau. Tout mouillé de plus ! »

Je n'étais pas sûr si elle s'est moquée de moi. Pour la rassurer, j'ai dit. « J'adore les chats ! Tiens. Ronronfleur ! Ronronron ! Viens minet. Miaou. Ronronfleur ! »

Le chat, pelotonné dans la couverture du lit comme elle était le sein de sa mère, a poussé un petit miaou et est venu me voir. Il m'a reniflé les doigts, puis s'en est allé.

« Tu vois. J'adore encore les chats, et ils m'adorent. »

Chouchou a regardé toute la scène sans mot dire, puis elle a dit, « Ronronfleur ne me dit jamais bonjour. Ce n'est pas juste ! »

« Mais, attend. Il t'aime. Ronronfleur ? » Il s'est installé sur une chaise, s'est remué les oreilles comme une antenne, m'a regardé entre ses pattes et puis a fermé les yeux. Tout cela a provoqué Chouchou, « Tu vois. Il n'aime que toi. »

« Il t'aime bien, mais il pressent ta mauvaise humeur ! » Elle m'a regardé en fronçant les sourcils. J'ai continué, « Ce qui ne me va pas, c'est cette exagération. Si sa mère lui manque, sa mère lui manque. Quelquefois, eh, au moins chez Shakespeare, à mon humble avis, il parle en images, et il n’exagère jamais. Rosencrantz dit au roi ce qu'il est. »

« Et alors ? »

« Et, bonne question. » Et je n'ai dit rien un instant pendant que Chouchou regardait la télévision.

« Mais, c'est qu'il ne nous montre pas ! Pourquoi est-ce que le sujet du roi comprend mieux le rôle du roi que le roi lui-même ? Shakespeare ne nous montre rien, parce que dans la vie on ne "montre" pas. On cache ! Il n'y a rien à voir. Nous n'avons que les mots. Shakespeare nous demande d'aller regarder et écouter, ce qui est très différent que de ne rien demander des lecteurs. Voilà. Et après avoir écouté les mots, on peut se demander maintes questions. Tu te souviens la ligne célèbre de Polonius ? »

Elle, regardant la télévision, a dit, « Quoi ? » comme avant.

« Tu sais, tout le monde connait cette locution, "To thine own self be true (à soi-même, sois vrai). »

« Oui, il faut toujours être vrai. »

« Mais, voilà ! C'est Polonius qui le dit. Le sale mouchard, lèche-botte, traître, c'est lui qui l'a dit à son fils, et dans la scène suivante il a instruit un mouchard d'inventer un tas de mensonges sur son fils pour voir si ses amis confirmeraient les fausses rumeurs. À soi-même, sois vrai ! Mon œil ! Et voilà la ruse de Shakespeare, il nous demande d'écouter les nuances, les subtilités du texte. Et il y a tellement de choses à écouter. C'est un pactole. C'est magnifique, quoi. »

Elle regardais tout droit devant elle. Elle ne regardais même pas le Dieu télévisé.

« Qu'est-ce que tu penses ? »

« Ton chat n'écoute que toi. »

« Oh là là, le chat. Mais écoute. » j'ai dit d'une voix étranglée de découragement. « Eh, je pense que c'est bidon de "Montrer, ne pas dire." Il faut dire ! et il faut écouter. Une bonne écriture vous séduit d'entrer dans les têtes des personnages, d'accepter ce qu'ils disent et puis se demander "mais pourquoi est-ce qu'ils ont dit cela ? Pourquoi sommes-nous arrivés à ce point-là ?" Et dire qu'après que Rosencrantz a fait son éloge au roi, Polonius lui a dit qu'il allait espionner ce qui arriverait entre Hamlet et la reine dans sa chambre, parce que "la nature leur fait partial" Il accuse la reine devant le roi qu'elle peut le trahir. Et le roi, cette roue massive, ce centre de l'univers, cette vérité universelle lui dit "bon, parfait, bonne idée." Ça, c'est l'écriture. Le conseil devrait être "soyez honnête, reflétez précisément la réalité dans le moins de mots, comme ça, vous offrirez à vos lecteurs l'écriture la plus généreuse. Au lieu de dire "Montrer, ne pas dire", il serait mieux de dire "soyez généreux comme Shakespeare". Shakespeare est célèbre jusqu'à aujourd'hui parce qu'il a été généreux aux lecteurs qui aiment écouter généreusement. La bonne écriture exige une écriture généreuse et une lecture généreuse ! Je dis "soyez généneux". Sois généreuse Chouchou. »

Elle m'a regardé la tête baissée à mi-sourire, puis nous avons regardé Ronronron. Il m'a regardé, puis il a poussé un petit miaou. Il s'est levé et a sauté sur le canapé avec Chouchou. Il s'est installé à côté d'elle et s'est pelotonné comme il était dans le lit que sa mère a fait il y a longtemps pour ses chatons.

« Mais attention au chat. Ne l'étouffe pas ! »

Comblée de joie, chouchou a enveloppé le chat dans ses bras, « Le mien ! N'es-tu pas jaloux ? »

« Laisse-le en paix ! », j'ai poussé un soupir d'inquiétude pour le chat. Il me regardait comme j’étais le dernier espoir avant d'être mis un refuge pour les chats vagabonds. Je me suis pensé "Tiens bon Ronronron !" « Chouchou ! Laisse lui respirer ! »

« D'accord, » Elle a soupiré. « C'est tout ? »

« Non, en fait, j'ai fait un grand détour. Sois généreuse et écoute-moi ! »

vendredi 23 juillet 2010

Une prélude à Acte III, Scène 3

En faisant chemin au bureau dans le métro, perdu parmi tous les navetteurs, et plongé dans ma lecture, j'ai trouvé le coupable. Tout ce temps devant nos yeux, dans Acte III, Scène 3 de Hamlet, Claudius avoue son fratricide ! Hamlet la source de son indécision, et Rosencrantz et Guildenstern, leur obéissance aveugle au roi, peu importe sa corruption. Et dire que Coucou a toujours insisté sur l'innocence de Claudius. Pierre Bayard a prétendu, dans son Enquête sur Hamlet, que Hamlet s'est impliqué, parce que l'adolescent de 16 ans n'a pas tué son oncle quand l'occasion s'est présenté. Et moi, depuis trois ans, lorsque Coucou a annoncé que les dires d'un fantôme ne pouvaient prouver rien, j'étais ébranlé. Tout le monde déconstruit et reconstruit la réalité sans le moindre gêne, et, moi, le livre aux mains, bouche bée, leurs mots me déconstruisant et me reconstruisant, je balbutiais « mais, attend ! il est... n'est-il pas ? il est ? il est coupable ? non ? »

Depuis trois ans, j'étais figé dans cette incertitude obscure, mais mercredi matin, une clarté m'a percé. J'étais enfin en paix.

Quand je suis entré dans le bureau, j'ai demandé à ma voisine si elle s'est souvenue si Claudius était coupable.

« Lui, je pensais qu'il voulait tuer Hamlet. »

« Non, est-ce que tu te souviens d'avoir vu, à part de l'évidence du fantôme, si le roi a avoué d'avoir tué le père de Hamlet ? »

« Mais, je pensais qu'il voulait tuer Hamlet. »

« Non, ce que je veux dire est... eh, qui a tué le père de Hamlet ? »

« Tu veux dire le fantôme ? Il était déjà mort. Je ne comprends pas. »

Et il me semblait que la reconstruction de la pièce prenait des heures. Je lui ai enfin dit que dans acte III, scène 3, Claudius fait des aveux complets. Elle, un peu craintive sous l'ardeur de mon interrogation, a dit qu'elle ne s'en est souvenu rien de particulier, mais elle aimait la pièce, quand elle l'a vue.

Neuf heures plus tard, en rentrant à la maison, j'ai lu acte III, scène IV. La célèbre scène entre Hamlet et sa mère. Il l'accuse, et elle l'accuse d'avoir perdu la raison. Il la pousse. Il lui hurle ses crimes. Et elle s'affole et supplie. Il lui exige de se regarder dans le miroir et de mettre une fin à sa nouvelle vie avec le frère de son ancien mari. Il enrage et lui demande d'écouter la dernière voix de la raison. Il y a un petit imprévu, c'est-à-dire un rat assassiné par l'épée de Hamlet derrière un rideau dans la chambre, et elle l'assassine de bon après. Elle le condamne comme un fou en proie de délires.

Père mort, oncle vilain, mère aveugle, copine assujettie, amis faux, sycophantes, ennemi furieux, vérité introuvable, raison perdue, Dieu porté disparu, pauvre Hamlet ! Pauvre humanité aussi, n'est-ce pas ? N'empêche. Je voulais encore parler d'acte 3, scène III. Je suis rentré à la maison. Chouchou regardait la télévision. Je lui ai servi les restes du dîner de la veille. Je me suis installé dans le fauteuil à bascule, l'assiette sur mes genoux, un verre de vin à la main et Hamlet dans l'autre.

« Écoute ! Je veux te parler. Éteins la télévision ! »

Elle a maugréé en éteignant le poste. « Alors, qu'est-ce que tu veux en parler ? Tu sais, aujourd'hui au bureau, Barbelle (sa patronne) a tellement tergiversé. Elle dit toujours de n'importe quoi, juste pour faire plaire à la personne qui peut lui faire avancer. Oh, elle m'énerve ! Je dis, elle est... »

« Mais attend, attend. Du calme. Inspire de la paix, souffle un sourire ! Est-ce bien ? C'est mieux ? »

« Tu voulais parler. J'ai parlé. Qu'est-ce que tu veux en parler ? »

« De Shakespeare. Écoute. J'ai trouvé les passages... Eh. D'abord, est-ce que tu te souviens si Claudius a avoué son crime ? Tu sais ce que Coucou dit. Que Claudius n'est pas coupable. Quand même pour répondre à tous les autruches, il faut mettre la tête dans la sable avec eux et puis trouver dans la pièce où l'on puet réconnaitre la culpabilité de Claudius. Mais où ? »

« Il est coupable. Il l'a avoué. »

Un peu perplexe, je lui ai demandé, « Mais tu te souviens d'avoir entendu dire une confession ? Est-ce que tu te souviens ce qui s'est passé quand il a avoué ? Es-tu sûre ? »

« Je ne sais pas. Il l'a avoué. Tout le monde sait qu'il était coupable. »

« Serait-il que je l'aie totalement oublié ? », je me suis dit. Peut-être le doute de Coucou, versé dans mon oreille comme le poison versé dans l'oreille du père de Hamlet, m'a fourrvoyé. « Néanmoins, c'était dans la scène où l'oncle était à genoux et Hamlet était derrière lui. Tu t'es souvenue de cette scène ? »

Elle n'a rien dit.

« Mais, cela ne veut rien dire. L'important n'est pas la confession. En fait, l'obsession de trouver le coupable mène à un dialogue de sourds, une interprétation chère à Coucou et Pierre Bayard, mais accessoire chez Shakespeare. La culpabilité, c'est un piège dangereux qui empêche la compréhension. Cette scène porte sur l'absence du Dieu chrétien et sur ses valeurs oubliées. »

Après une pause pour savoir si elle me suivait, le grand athée de la maison lui a humblement demandé, « Je vais lire des passages de la scène. Ça va ? »

Je l'ai regardée, est-ce qu'il sera une suite ?

jeudi 22 juillet 2010

Exercice d'écriture : 15 minutes avec Rendu Braque

Combien de mots puis-je écrire dans 15 minutes ? On verra.

Cette semaine j'ai commencé des billets que je n'ai pas pu terminer. Chaque fois je commence, je me perds dans l’enchevêtrement de mes pensées. Si je me perdais ainsi, pourriez-vous imaginer le choc des lecteurs qui essaient de me lire ? Quand même, serait-il vraiment impensable de me dire d'être un peu perdu dans tout cet amas de mots ? J'imagine que l'on veut être avec une grande conviction d'accord ou pas d'accord. Serait-il d'autant plus impensable de dire que l'on s'ennuie en lisant mes paroles ?

Hier soir, j'ai vu le film la journée de la jupe. Contre mon gré, j'étais tout à fait d'accord avec le film propagandiste. C'était de la propagande pure et dure. Le film se voulait la dernière voix de la raison dans un monde sans boussole, et je l'ai écoutée. Je l'ai absorbée. Je me suis énervé. J'ai rêvé. Et dès le début, je savais que le film voulait me tirer par les oreilles en hurlant les principes oubliés de la république française. Serait-il tellement impensable d'être tellement ambivalent ?

Ça y était. 15 minutes. A bientôt, à peu près.

lundi 19 juillet 2010

Un tremblement de terre ? Ici ?


--We are oft to blame in this
('Tis too much proved), that with devotion's visage
And pious action we do sugar o'er
The devil himself.

Shakespeare, Hamlet, III.1

Vendredi matin, la radio nous a réveillé. Je l'ai écouté d'un air absent, et puis je me suis levé et ai commencé la routine : café, petit déjeuner, ordinateur, courriel et actualités. J'ai pensé à travailler moins de huit heures parce que j'ai déjà travaillé presque 40 heures pendant la semaine. Chose curieuse, en réfléchissant à partir la boîte tôt, j'ai fait déplacer les plaques de mon emploi du temps. D'habitude, après les actualités vient l'écriture, mais ce jour-là, j'ai commencé mon travail à la maison. Environs huit heures et demie j'ai commencé la routine de départ en y ajoutant la recherche d'un cadeau pour Coucou. C'était son dernier jour à la compagnie.

Je suis allé en haut. Chouchou était encore dans la chambre écoutant la radio.

« Est-ce que tu l'as senti ? » elle m'a demandé. Interloqué, j'ai haussé les sourcils et en marmonnant « Ben, senti quoi ? » J'ai humé, « Les chats ? qu'est-ce qu'ils ont fait ? » Elle regardait distraitement le sol. « Non, écoute la radio. On vient d'annoncer que Washington a subi un tremblement de terre. » J'ai haussé les épaules, je n'ai senti rien. « Tu as vu mon Hamlet ? » Elle n'en savait rien. Je l'ai enfin trouvé sur le sol sous la table de nuit. « Ah te voilà. Pourquoi es-tu ici ? »

Je l'ai mis dans mon besace, et je me suis mis en route.

Deux heures au travail m'ont suffi pour effectuer la tâche que j'ai commencé le matin. Juste avant midi, j'ai imprimé l'article Comme athée je choisis Jésus d'André Comte-Sponville que j'ai trouvé dans la rubrique On Faith du Washington Post. J'ai utilisé le papier de l'article pour emballer Hamlet.

Mes choix n'étaient pas innocents. Coucou m'a fait cadeau du livre Gödel, Escher, Bach : an Eternal Golden Braid il y a une semaine qui n'était pas innocent non plus. Il voulait mettre dans mes mains un livre qui décrivait un monde qui pourrait être sauvé par la science. Je voulais lui répliquer avec autant de l'audace. J'ai choisi Hamlet, parce qu'il tenait obstinément que Shakespeare ne valait pas la peine. Évidemment, Hamlet était fou; son oncle innocent; et toute la pièce était trop moralisatrice et puritaine. Si on déconstruisait la pièce comme ça, il irait de soi qui l'estime des chefs-d’œuvres n'était que le produit d'une culture vieille, répressive et discriminatoire.

J'ai passé un an le persuader qu'il fallait réexaminer la pièce. Elle mélangeait tous les ingrédients d'un drame : la famille, l'état, le roi, l'absence de Dieu (I.1, 180-187), la mort d'un père, le conformisme, la vérité, la maturation, et la crise de conscience. La pièce est nettement ambiguë et ambivalente, parce que la justice et la vie sont parfaitement ambiguës et ambivalentes, tandis que nos actes et gestes semblent parfaitement claires et réfléchis. Le roi et son lèche-botte, Polonius, espionnent Hamlet pour dénicher si sa folie cachait un jugement, alors que Hamlet espionne les réactions du roi et de sa mère à une pièce de théâtre dans laquelle le frère d'un roi tue son frère comme le fantôme a décrit à Hamlet. Si le roi réagissait mal, le piège tendu révélerait que leur prétendue innocence dissimulait une culpabilité du meurtre. Ce chef-d’œuvre, si équilibré, si subtil, jamais exagéré, et exquisément dramatique, est parfait parce qu'il montre exactement notre reflet, toujours à l'écoute d'un malheur incertain, et au même temps si certains d'être capables de maîtriser n'importe quel imprévu.

Coucou a fait l'oreille sourde à mon admiration. Où est la preuve que l'oncle a commis un fratricide ? Faut-il croire aux dires d'un fantôme ? Cela a l'air ridicule. Hamlet parlait trop. Il était un obsédé fou. Il s'est trompé. Être ou ne pas être ? C'est être. Point barre. L'oncle était innocent. Et puisque que tout le monde trouve la mort à la fin, il va de soi que le moralisme oppressif de l'époque, une sorte de mélange de puritanisme et de colonialisme virale et tyrannique imposait sur Shakespeare une chute très moralisatrice et violente.

Après avoir entendu dire son opinion sur la pièce, j'étais bouche bée, et puis je lui ai félicité sur l'originalité et la conviction de son analyse. Dans notre siècle postmoderne où tout est relatif, tout le monde a raison par rapport à son habilité de masquer sa folie et afficher son bonheur. Néanmoins son opinion était remarquablement semblable à celle du livre Comment parler des livres que l'on n'a pas lus ? de Pierre Bayard. En bref, la pièce ne contient pas de thème universellement compréhensible, parce qu'il n'existe pas de thème universellement compréhensible. Par exemple, M. Bayard l'a prouvé sans aucun doute en espionnant la réaction des membres d'un tribu africain à un résumé de la pièce. Selon eux, Hamlet n'a pas de sens. Tout ancien est bon, les fantômes n'existent pas, et Hamlet doit suivre les conseils de son oncle. C'est toute la moralité dont on a besoin.

Si un débat passionné sur l'existence d'une prétendue universalité ou d'un fantôme n'intéressait pas à Coucou, j'ai osé de rectifier une chose sur la religion de Shakespeare. Il n'était ni Puritain ni Anglican. Il était catholique à l'époque où l'Angleterre était Anglicane. Une bagatelle. Les Catholiques, les Puritains, ils sont tous dans le même sac moralisateur.

Son attitude suffisante m’énervait d'autant plus que ne rien trouvant à lui dire pour lui faire ouvrir les oreilles, j'ai découvert mon profond manque de culture. A part de citer quelques phrases de la pièce, je n'avais qu'une idée vague de son excellence. Il m'a tourmenté de ne pas pouvoir m'exprimer sur une littérature qui m'a profondément touchée.

Pourquoi tant de confusion sur Hamlet ?

C'est le fantôme sans doute. Qui est-il ? Est-ce qu'il est vraiment le père de Hamlet ? Même dans la pièce Shakespeare nous dit que les personnages qui l'ont vu croyaient qu'il pouvait être une illusion, voire un démon de l'enfer qui marchait outre tombe, ce qui signifiait que Christ a abandonné la terre. Les danois se trouvaient seuls sans autre secours. Le roi, Polonius et le reste de la cour se réfugiaient derrière le pouvoir. Hamlet est ses amis étaient abandonnés dans l'air frigide et pourrie de la cour d'Elsinore.

Les chrétiens admiratifs de Shakespeare pensent que le fantôme est le Dieu fâcheux du vieux testament. Pierre Bayard pense que le fantôme qui n'est vu que par Hamlet et ses amis représente le sujet d'un dialogue des sourds. Si vous croyez en lui, et je ne le crois pas, il est impossible de nous faire entendre. Soit. C'est bien d'en écrire une thèse. Coucou et le tribu africain pensent qu'il n'existe pas et peut-être on s'en fait trop de la pièce.

Chose curieuse, les chrétiens interprètent selon leur foi. Le tribu et le nouveau tribu de Coucou selon leur foi. Pierre Bayard, psychanalyste, est-ce qu'il l’interprète selon la sienne ou la science de son métier ?

Peut-être le fantôme est un tremblement de terre, perçu uniquement par les âmes sensibles. C'est un rencontre avec l'au-delà de notre compréhension. Il n'est pas le vieux Dieu. Il ne peut pas être expliqué par nos vieilles métaphores. Il est simplement la connaissance inconnue, un tremblement de terre provoqué par l'imperceptible mouvement des plaques de vice et corruption sous nos pieds qui rencontrent également le mouvement d'autres plaques. Il est venu, pas pour nous avertir d'une faute qui peut être vite corrigée, mais pour nous entraîner dans un cycle de violence dévastatrice. Toute moralité, toute normalité, toute semblance d'ordre lui est futile.

La magie de cette pièce est que Shakespeare a su nous parler d'une connaissance inconnue que nous rejetons d'instinct.

J'ai pensé que ce serait mieux de laisser parler Shakespeare directement de son tremblement de terre à Coucou. Sentirait-il la brutalité belle de Hamlet après l'avoir lu ?

J'ai enveloppé mon admiration dans une autre obstination. Coucou est un matérialiste invétéré. Les fantômes, le surnaturel, Dieu, la métaphysique, les âmes n'existent pas selon lui. Nous ne sommes qu'une machine complexe et un jour nous allons fabriquer les êtres humains par le clonage. Nous allons nous débarrasser de nos religions, de notre métaphysique, de notre âme. Tous vont adorer la science et le progrès. Pauvre et vieux type que je suis, qui me cramponne à mon âme invisible, à la métaphysique et à l'imagination comme une inspiration divine, j'ai obstiné à trouver une alternative à toutes ces vieilles métaphores. Selon André Comte-Sponville, bien qu'il soit un philosophe athée, ce serait mieux pour nous de se fier à une connaissance inconnue.

A douze et le quart, je suis entré dans la pièce où se sont réunis tous ses amis. Je lui ai donné mon paquet. « Ah, Hamlet. » Il a souri un instant, et puis il a dit « Merci. » J'ai dû lui dire de ne pas jeter le papier. Il l'a regardé pendant que les autres sont arrivés. Il n'a rien dit.

Au début de la fête, ce n'était que lui, moi et ma voisine et son amie dans la pièce. J'ai pensé que nous pouvions parler amicalement pendant une heure, certainement sur Shakespeare et André Comte-Sponville, mais la pièce s'est vite remplie de tous ses amis, la plupart d'entre eux étaient jeunes femmes. Tout le monde se parlait bruyamment. J'en étais très surpris. Évidemment, il s'est lié d'amitié avec beaucoup de monde. Moi, je ne peux pas imaginer même d'avoir une fête pour célébrer mon dernier jour à la compagnie.

Coucou, moi, et les deux personnes à côté de lui parlions ensemble. Plus ils ont parlé des banalités, plus je me suis détaché de leur conversation. Quand il ne leur est resté plus rien à dire, Coucou a regardé Hamlet et dit, « Tu sais Ren, je persiste encore à croire que Hamlet est un fou et Claudius est innocent. »

C'était comme un couteau dans mon esprit. « Attend. Est-ce que je peux voir le livre ? » Je l'ai feuilleté. Je cherchais le passage juste après que Polonius explique comment le vice est souvent, trop souvent édulcoré par les gestes pieux et les mots confits en une vertu qu'on a brutalement manipulée. Tout le monde s'est tu.

« Eh, Go ? Est-ce que tu vas lire des passages de Shakespeare ? »

Je regrette que je n'ai pas cité le texte. Ce serait magnifique de voir les visages confus et un peu irrités après la lecture du passage To be or not to be. D'instinct, je savais que les mots de Shakespeare iraient dans une oreille et sortiraient de l'autre. Avec un hochement de la tête, j'ai dit que non.

« Ah, c'est bon. Je suis allée à un mariage où les jeunes mariés pensaient bon de réciter quelques phrases de Shakespeare. Tout le monde était très confus. On disait "Euh ? Qu'est-ce que c'est ?" »

Tout le monde était ébahi et muet.

On dit qu'avant un tremblement de terre, que les animaux savent que la violence va arriver. Ils se taisent et patientent. Les deux forces, si violemment opposées de l'une et de l'autre, rencontrent, et pendant un instant, leur mouvement cesse.

Enfin, une courageuse a dit, « Pourquoi tout le monde se tait ? »

Satisfaites que je n'allais pas lire du Shakespeare, les bouches se sont remis en marche. Un joyeux bruit a éclaté dans la pièce. Enfin, j'ai trouvé le passage. « C'est ici que Claudius avoue sa culpabilité ambiguë. Personne n'est innocent. » Il n'a pas regardé le livre.

« Go, prend un biscuit "chocolate chip". » J'en ai mangé. Mon Dieu, c'était presque cru. J'ai goûté le sucre et le beurre de la pâte. J'ai terminé mon café. Je me suis pensé sortir. Il faut manger quelque chose. « Go, prend une petite génoise individuelle ! » Oh, Mon Dieu, cela va m'achever, du chocolat, du sucre, et du glaçage, mais poubelle que je suis, je l'ai mangée. Comment je l'ai regretté. L'afflux massif de sucre dans mes veines m'a fait étourdi. Je me suis senti au bord de m'évanouir. J'ai regardé d'un air absent tout le monde parler. J'avais besoin de changer d'air. J'ai regardé l'horloge, 25 minutes encore pour fêter le dernier jour de Coucou. Je me suis frotté le visage. J'ai essayé de respirer calmement et lentement. Si je m’évanouissais ici et maintenant ? En tout cas, je me suis pensé, ne panique pas !

Personne ne m'a fait attention. Je me suis tu.

Heureusement après 5 minutes, les jeunes femmes se sont levées. La fête a tôt terminé. Dieu merci.

En chancelant, je me suis mis debout. J'ai dit au revoir à Coucou, et j'ai cherché un verre d'eau.

Un peu calmé, mais très mal à l'aise, je suis entré dans mon bureau. Ma voisine a passé la tête dans le chambranle, « Il y avait une silence très gênée, n'est-ce pas ? »

Heureux de respirer mieux et un peu distrait, je l'ai regardée un instant. « Une silence ? Gênée ? Je pensais que tout allait bien. Serait-il vrai que les apparences sont souvent trompeuses ? »

mercredi 14 juillet 2010

La vie à l'époque des pumas

Mon ennui est devenu accablant. Je demeure paralysé devant l'écran de mon ordinateur pendant des heures. Je dois travailler au travail. Je dois faire la cuisine, lire et écrire à la maison. Je dois m'intéresser à la vie, mais rien ne m'intéresse. La rénovation de la cuisine ? Non. Mon Dieu, je suis plutôt satisfait avec celle que nous avons. Oui. Pour revendre la maison, il faut rénover chaque pièce. Enfant d'une famille en faillite et divorcée que je suis, je n'en vois pas l'utilité. Je suis de la même avis de notre femme de ménage qui nettoie la maison tous les 15 jours. La cuisine nous plaît comme elle est. Or selon le diktat du marché mobilier, des voisins, de la mode, de l'opinion des gens qui prétendent d'avoir les moyens pour s'en vanter, il faut rénover, et on ne peut pas être satisfait avec notre cuisine.

Nous avons reçu les avis de cinq boîtes de rénovation. J'ai demandé l'avis de mes amis. Quand je parlais à mon père, je lui ai demandé ce qu'il fallait faire. Tout le monde en unisson a dit, qu'il faut dépenser de l'argent. Certains ont dit qu'il serait facile. Autres ont dit qu'il serait un cauchemar. Dès le début, c'est un cauchemar. Les boîtes de rénovation nous voient comme un pigeon. Leur but est de vous voler toute votre argent pour le moindre travail. Nous avons fini par choisir une boîte qui semblait intéressé plus par le projet que par les intérêts commerciaux.

Chouchou est aux anges. Enfin une cuisine rénovée. Je me vois tiré dans une suite interminable de décisions sur les couleurs, les matériaux, les prix, les contrats. Il prends tellement du temps, que je finis par me sentir un peu asservi. Comment dire ? Je me sens que la plupart de mon temps que je donne aux autres n'est jamais rendu d'une manière satisfaisante. Au boulot mon temps est rendu en argent, à la maison en choses. Et il faut le dire, je m'ennuie tellement que je me sens au bout du rouleau.

Ma vie est une perte illimitée du temps.

En revanche, le dîner que je prépare m'est important. Sans aucune amertume, je fais la cuisine, je fais les courses. Sans aucun doute, Chouchou et moi avons un mariage basé plutôt sur les activités dans la cuisine et la chambre. A part de cela, j'ai mes correspondances, j'essaie d'écrire, j'assiste aux réunions des associations. Elle a sa musique et sa télévision. Quelquefois j'assiste à ses concerts, et chaque an je l'emmène en France.

Et voilà, pour moi la vie est la cuisine, la France, les livres et les correspondances. Pour Chouchou, la vie est la propreté, la maison, la télévision et la musique. Nos vies se mêlent, mais pas souvent. Par exemple, il y a deux jours, elle mettait une pièce en répétition. J'écrivais ou lisais, et au milieu de sa répétition elle m'a demandé, « Comment est-ce que tu supportes le bruit que je fais ? Cela m’énerverait. » J'ai dit que ce n'était rien. En fait, je suis très content qu'il y ait de la musique dans la maison.

Ce qui m’énerve est la maudite télévision. Mon Dieu je la déteste, mais je n'en dis plus rien. J'ai essayé, mais la télévision est son Dieu fâcheuse. Il est impossible de se vouloir plus important que cet objet fétiche. Desparate Households, Gray's Anatomy, The Good Wife, NCIS, NCIS : Las Vegas, America's Got Talent, CSI : Miami, CSI : NY, Brothers and Sisters, Chuck. Jésus, la liste est illimitée. Je ne comprends pas du tout combien de temps on peut regarder la télévision. Moi, j'essaie de lui parler de ce que je fais, mais les sujets des livres ne l'intéressent pas.

Hier soir, je lui ai dit, « Tu sais, je ne suis pas allé à la réunion du groupe de lecteur ? J'en ai marre. Les gens de ces groupes, oh, je ne peux pas leur parler. » Elle a dit, « Pauvre Go. » J'étais dans une stupeur, un peu déprimé. Je me suis pensé qu'il fallait parler, sinon je sombrerais plus longtemps et plus profondément dans ma lassitude. « Nous lisions Le Phèdre de Platon. Tu sais ? Je t'en ai déjà parlé. Tu ne t'en souviens pas ? Alors, Platon nous demande s'il est plus sage pour un homme d'aimer celui qui est amoureux ou celui qui ne l'est pas. Selon les discours de Lysias, l'homme amoureux serait trop jaloux. Il voudrait réduire à l'esclavage son bien-aimé. Il essayerait de l'isoler de ses amis et de sa famille. Il lui emprisonnerait dans son amour, tandis que celui qui n'est pas amoureux laisserait faire ce qui l'homme chéri veut faire en toute liberté. Tu vois, à l'antiquité grecque il n'y avait pas de grande différence entre l'amour et l'amitié. Tout le livre nous a l'air un peu bizarre, mais si on imagine qu'il s'agit de l'amitié ou de l'amour entre un homme et une femme, il y a encore une résonance à notre époque. Les féministes, ne disent-ils pas que les hommes réduisent à l'esclavage les femmes au nom de l'amour ? Tu te souviens ce que je t'ai dit de la dernière réunion. J'ai suggéré au groupe que les personnages dans le livre House of Mirth ne pouvaient aimer. Ils s'intéressaient trop à l'argent. Chaque lien social, chaque minute passée avec quelqu'un d'autre a été passé au crible pour voir si on pouvait en tirer une avantage économique. La protagoniste, Lily, n'a pu se marier parce qu'elle était incapable de tomber amoureuse. Et quand j'ai dit cela, toutes les femmes du groupe ricanaient en entendant mon commentaire. "Tomber amoureuse !" s'est avec mépris échappé une des femmes. »

Chouchou ne savais quoi dire. J'ai donc dit, « Alors, qu'est-ce que tu penses ? Faut-il choisir l'homme qui t'aime mais qui veut te dominer, parce qu'il est jaloux, comme toi, ou faut-il choisir l'homme qui n'est pas amoureux ? »

« Qu'est-ce que Platon dit ? » elle m'a demandé.

« Il dit qu'il faut choisir l'homme qui est amoureux, parce que l'amour est une folie divine. L'art, la musique, l'inspiration des oracles, et l'amour sont réalisés grâce à la folie divine qui transgresse l'ordre humain, tandis que la télévision, la bruit de la ville, la lassitude et l'indifférence, c'est l'existence sans la grâce divine. Alors, choisir l'homme amoureux ou l'homme qui n'est pas amoureux ? »

« C'est mieux d'aimer tout le monde. »

« Ah, tu es tout d'un coup devenue très chrétienne. Tu aimes aussi les catholiques ? Même le pape ? »

« Non, je n'aime pas la religion, mais j'aime les catholiques. J'essaie d'aimer tout le monde. »

« Mais, écoute, eh, tu ne t'intéresses pas du tout à ce sujet, n'est-ce pas ? Je dois laisser tomber, non ? D'accord. »

Après un instant, elle a dit qu'il fallait choisir un comptoir et des carreaux pour la cuisine ce week-end. J'ai hoché la tête, et puis j'ai sombré dans la dépression.

« C'est à toi de nettoyer la cuisine. Merci. »

J'ai dit d'accord et ensuite j'ai débarrassé et mis la vaisselle dans l'évier. Je n'avais pas envie de rien. Elle s'est installé dans le canapé pour regarder la télévision. Je me suis installé devant l'ordinateur. Puisque mon ennui m'accable ces jours, je surfe de plus en plus sur la Toile. Je parcours les blogues, et je sais que c'est une perte de temps. Je le fais quand même. Je suis tombé par hasard sur un billet intéressant qui s'appelait « Femmes et pumas ». Dans le billet, une femme découvre que ses amies sortent avec des hommes qui ont l'âge de leurs enfants. La découverte lui fait sentir « dépassée, vieille et ringarde, plus du tout dans l'air du temps », et elle se demande exactement la même question que Platon nous a posé il y a 2 400 ans. Faut-il choisir celui qui est amoureux ou celui qui est un jouet sexuel ?

L'égalité des sexes a raison sur nous. Puisque on voit les hommes mûrs avec les filles chez Molière (L'école des femmes, peut-être ?) il s'ensuit que les femmes mûres doivent tomber dans les bras des jeunes hommes.

Je ne sais pourquoi, mais j'ai laissé un commentaire. C'est une perte totale de temps. Serait-il que je sois la seule âme où les dieux peuvent mettre leur folie ?

samedi 10 juillet 2010

Une interface cérébrale pour les vieux

A l'époque où ma grand-mère était dans l'hôpital, Coucou, un médecin en cours de fabrication, m'est venu dans mon bureau. Après le regard fixe, une pause où tout s'arrête, et son bonjour plat et mécanique, puis, comme sa routine impose, encore une pause, je deviens tellement inconfortable, que je deviens son polichinelle et commence la conversation. Malgré mon irritation contre ses manières, je lui ai offert les détailles de ma vie intime. Je lui ai expliqué où j'étais vendredi, la souffrance de ma grand-mère, et ma tristesse de la voir à la fin de sa vie.

Étant donné que les détailles intimes ne lui plaisaient pas, je lui ai dit avoir trouvé un philosophe intéressant d'autant plus qu'il a beaucoup inspiré Foucault -- l'homme que Coucou n'a cesse de citer vaguement comme il est le messie. En outre, le philosophe, qui s'appelle Canguilhem, était médecin. Au début Coucou pensait que son marionnette essayait de se dérober à son contrôle, parce que souvent je suis un mécréant à l'égard de Foucault. J'ose de dire qu'il n'est pas le Seconde venue du Messie. En revanche, de peu de ce que j'ai entendu dire de Canguilhem, il semblait fort intéressant.

Il a dit que les normes et les pathologies de la santé sont relatifs de l'un à l'autre. Par exemple, on estime les maladies ou pathologies de provoquer les mauvais états de santé, et cela veut dire que la mort est une pathologie, un état anormal relatif à une bonne santé. Mais depuis la création de la vie sur terre, il n'y a rien de plus normal que la mort. Bien qu'on ne veuille pas l'admettre, l'état morbide et pathologique est toujours une certaine façon de vivre et c'est tout à fait normal.

Foucault a fait un copier-coller sur ses idées et les a réinterprétées par rapport à la santé mentale, la répression, l'homosexualité, et puis il a annoncé la mort de l'humain au but d'ouvrir la voie à une nouvelle politique de vérité. Je ne suis pas expert philosophique, mais ce que je peux constater est les disciples de Foucault semblent toujours dans un état d'euphorie céleste quand ils parlent de leur gourou. C'est toujours par rapport aux « normes » arbitraires que les moins intelligents estiment Shakespeare, la loi, l'éducation, les principes des républiques Américaine et Française, la vertu, la moralité et la civilité, mais si on déconstruisait les normes (et quand on dit "déconstruisait", ils mettent de l'emphase sur chaque syllabe, DÉ - CON - STRUI - SAIT, comme un illusionniste faisant de la prestidigitation) on peut voir évidemment que tout disciple de Foucault a raison.

Pour persuader Coucou que le livre peut l'intéresser, je lui ai dit que Foucault a écrit l'introduction de Le normal et la pathologique de Canguilhem, dans laquelle Foucault a reconnu l'influence qu'il lui devait. Puis je lui ai dit que comme médecin, j'imagine qu'il serait important d'explorer intellectuellement la rapport entre la vie et la mort. Est-ce vrai que la mort est pathologique ? Ou ne devrions-nous pas l'accepter ?

Puisque ma grand-mère était toujours présent dans mon esprit, j'ai dit que l'on pourrait dire que son état était déplorable. Certainement, je ne voudrais pas vivre si j'étais presque sourd, démi-aveugle, et atteint d'Alzheimer, mais en y réfléchissant, il faut me demander si je pense cela à cause de la norme que je me suis défini. Quand j'ai regardé lutter grand-mère de tirer profit de chaque moment de sa vie, elle m'a basculé et surpris. Elle avait le courage de redéfinir la vie pour elle-même. Elle était moribonde, muette, mais la force de la vie était encore avec elle. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait. Elle me regardais et à la fin elle m'a souri. Je pensais qu'elle était belle et magnifique.

« Mais tu es sûr qu'elle t'a bien reconnu ? Peut-être ce n'était que du mimétisme ? » Je lui ai dit qu'on ne pouvait être sûr dans une telle situation, mais je me suis aperçu des petits changements dans son visage. Peut-être ai-je tout inventé pour me rassurer ? Je n'en saurai jamais rien. Quelquefois il faut espérer à l'invérifiable expérience humaine.

« Non, le seul moyen d'aider ta grand-mère serait de l'attacher à une interface cérébrale dans laquelle on peut dresser une carte entre les réactions cérébrales et les pensées. Comme ça on peut déterminer si elle est vraiment en vie. »

Je l'ai regardé bouche bée, puis j'ai dit, « Et si les machines ne disaient rien, mais elle agirait comme je viens de te décrire ? Comme médecin, tu me conseillerais de la laisser mourir ? Par ailleurs, et si les machines lui faisaient mal ? »

Il est devenu un peu gêné. « Je ne sais pas, mais dans un cas pareil, on peut attacher les patients aux interfaces. On peut tout savoir. »

« Mais peut-être on ne saurait jamais ? peut-être la vie est comme ça. Incertaine, indéfinissable, impossible d'en formuler des normes. Et toi, quand je m'en mets aux normes, tu me pensais borné et ringard. Maintenant c'est toi qui nous imposes ton norme de tout savoir. Je suis désolé. Nous autres êtres imparfaits essaient quand même de comprendre cette vie sans les interfaces cérébrales. Peut-être nous sommes tous fous, et peut-être la beauté de la vie humaine est qu'elle est folle et incontrôlable ? »

A ce point, il est devenu de plus en plus gêné et nerveux, « Non, on va inventer une interface. On va aider les vieux comme ça. » Et puis, il m'a quitté.

Quant aux interfaces, je les accepterai sous seulement une condition. On les met d'abord sur lui et après on me dit ce qui se passe dans son cerveau. Je veux savoir s'il serait sous l'emprise d'une puissante illusion. J'espère que les résultats seraient incertains.

jeudi 8 juillet 2010

Le cadeau, une idée primitive et assujettissante ?

Après, je ne sais plus combien, est-ce vraiment trois ans ?, Coucou va quitter la compagnie. En signe de son estime, il m'a donné un cadeau aujourd'hui. Tout d'abord quand j'y pense, il s'est tout à fait contredit par ce geste. Une fois, alors que nous parlions de Noël et de ses traditions, il a annoncé, comme à son habitude, que le rituel de offrir un cadeau à quelqu'un est ridicule. A l'époque j'ai essayé de lui dire qu'en effet le geste d'offrir un cadeau est très intéressant. C'est l'une des inventions humaines la plus sublime. Marcel Mauss en a écrit dans son texte le plus célèbre Essai sur le don. Selon Coucou, le don est une obligation, et je lui ai avec enthousiasme répondu que oui. C'est une obligation qui fait des liens sociaux et humains entre les gens. Dans les sociétés primitives, le don établit l'appartenance et le vivre ensemble. Selon Mauss, un don est une prestation totale qui incarne tout aspect d'une société. Un seul paquet innocent représente toute la moralité d'une société. En revanche, notre monde capitaliste exclut et marginalise : Ce n'est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger, que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu'ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme. Autrement dit, le prosélytisme de nos jours est que c'est chacun pour soi.

Mon enthousiasme ne lui a pas plu. Les obligations sont un assujettissement. Point final. Un don doit être offert sans arrière-pensée et seulement dans un sens unique et de temps en temps on se paye la générosité qui n'est jamais mutuelle. Par exemple, il a décrit qu'une fois il a donné au frère de sa copine un livre d'Ayn Rand, parce qu'il pensait qu'il l'aimerait, parce qu'Ayn Rand et le frère étaient très libéral. Le seul problématique était qu'Ayn Rand et Coucou étaient très athées, tandis que le frère était très catholique. Coucou n'en a rien dit, parce qu'il voulait seulement donner le livre comme un cadeau. Malheureusement, sa copine lui a dit que le cadeau innocent obligerait à son frère de lui offrir un cadeau de la même valeur, de la même qualité. Selon elle, les cadeaux ne sont jamais innocents. Coucou s'est fâché contre cette entrave. Il ne voulait que dissimuler un peu de prosélytisme auprès de son frère sans arrière-pensée et lui montrer que ses idéaux capitalistes n'étaient pas compatibles avec son catholicisme. Il n'espérait pas un cadeau en échange. Il n'avait pas d'arrière-pensée exactement comme Ayn Rand n'avait pas d'arrière-pensée, et selon elle et lui, c'était la vérité évidente.

Je regardais la brique enveloppée en papier cadeau et puis je me suis pensé « Merde, un cadeau. »

Il y a de bizarres ressemblances entre lui et moi. Je déteste les cadeaux aussi, mais en revanche, j'adore l'idée de recevoir un don, mais je n'apprécie jamais ce qu'on me donne. Je suis si vieux, que je ne peux m'imaginer de recevoir un don qui me plairait. Par ailleurs, ce que je veux est un don anti-don. C'est-à-dire je veux que l'on jette tout ce qui ne nous est pas nécessaire afin que nous pouvions vivre librement. On peut commencer par les postes de télévision.

Chouchou m'a récemment fait un cadeau d'un ipod. Au début, j'étais sceptique, parce que je vois tout le monde les oreilles bouchées par ces objets fétiches d'autant plus que Coucou proclame toujours qu'il s'est affranchi de la tyrannie audiovisuelle grâce à son ipod. Il peut vivre comme il veut. Regarder seulement les émissions de radio et télévision qu'il veut et quand il le veut. Petit à petit, j'ai trouvé un emploi pour cet engin diabolique. J'écoute des podcasts de France Culture, mais pas avec les oreilles bouchées. Je n'aime pas non plus de vivre dans une bulle. En revanche, ce don m'a fait entrer dans le 21eme siècle. Je suis la seule personne de mon bâtiment, et vraisemblablement de toute Washington, qui écoute sur un haut-parleur pour lecteur ipod derrière une porte fermée les émissions de France Culture. Je me sens comme le dernier roi barricadé dans son bunker mais complètement libre. A bas les luddites, vive la technologie !

J'ai baissé le volume du haut-parleur et entamé le paquet. C'était le livre Gödel, Escher, Bach : an Eternal Golden Braid. Je le regardais. Tout d'un coup je me suis rendu compte que malgré ma confusion il faut montrer mon appréciation pour le cadeau. Je l'ai feuilleté. Je suis tombé par hasard sur le titre du chapitre XII, Cerveaux et pensées, est-ce qu'on peut dresser une carte entre les cerveaux, l'un sur l'autre ?. « Voilà, c'est le livre le plus important pour toi. En fait, ce chapitre, j'imagine, porte sur l'idée qu'on peut programmer et fabriquer les pensées d'un être humain comme on écrit un programme, comme celui que j'écris maintenant. Un jour, nous construirons des clones de nous-mêmes. Nous deviendrons immortels, n'est-ce pas ? C'est la première question philosophique que tu m'en as demandé mon avis. »

J'ai essayé de me maîtriser. Je cachais de mon mieux toutes les expressions qui voulaient traverser mon visage, stupéfaction, incrédulité, indifférence, ce qui est tout le contraire de mon caractère méditerranéen. Je voulais hurler, « Quoi ? Ce livre est stupide ! Nous nous sommes battus dès le début sur ce qui est dans ce livre et j'ai toujours essayé de dire que c'était bidon ! M'offrir ce livre comme cadeau ? Tu es l'homme ou le plus têtu du monde ou le plus aveugle. Ce livre est comme ta bible. Pourquoi penses-tu que les êtres humains ne sont que des machines ? » Le livre était gigantesque. Mes rayons sont pleins. Où est-ce que je le mettrais ? Je l'ai feuilleté encore une fois. Je me suis dit que le don est toujours sacré. Il a un pouvoir et une moralité. Malgré mon désir de le jeter dans la poubelle, je lui ai souri et dit qu'il semblait intéressant.

Il m'a dit « Tu adoreras ce livre. Il contient des citations de Lewis Carroll. Tu aimes Lewis Carroll, n'est-ce pas ? Il s'agit des mathématiques. Tu es doué pour les maths, non ? » Je l'ai regardé, et puis en supprimant mon irritation envers l'assimilation faite entre mes choix littéraires, mes talents mathématiques et l'extinction de l'humain par l'informatique, je lui ai dit, « Oui, c'est très gentil de ta part. »

Chouchou et moi avons parlé de son départ. J'ai pensé à lui offrir des billets pour le théâtre, mais un étudiant à la faculté de médecine n'aurait pas le temps d'aller au théâtre. Puis j'ai pensé lui offrir ma copie de Hamlet, mais depuis la première fois que je lui ai témoigné ma grande admiration pour ce chef d’œuvre, il m'a toujours proclamé que la pièce était stupide. Pendant un an ou plus, j'ai essayé de le convaincre et puis de le persuader que la pièce était magnifique, mais selon lui Shakespeare est absolutiste et ringard. Un tel don serait une provocation de mauvais goût.

Peut-être je peux lui offrir Essai sur le don par Marcel Mauss ? Je peux m'en acheter une copie en français aussi.

P.S. Si vous pensez m'offrir un cadeau, j'estime, adore, aime les commentaires sur mes billets. C'est un don extraordinaire. Je ferai de mon mieux de vous en rendre un sur vos billets aussi. Merci.

mercredi 7 juillet 2010

Une réflexion sur notre reflet

Le goût est fait de mille dégoûts --Paul Valéry

If you don't know where you are going, any road will get you there --Lewis Carroll

Une heure de lecture est le souverain remède contre les dégoûts de la vie --Montesquieu

De nos jours, je ne sais quoi dire à Coucou. Si j'ai l'air d'être en pleine santé, mais en revanche je me sens dégoûté, las, fatigué, et triste d'être de retour, je dois avaler mon amertume devant lui et boire son verre plein de propos tolérants et un peu tyranniques. J'aurais préféré que l'on disait ce que l'on pouvait voir -- mon sang méditerranéen s'est affirmé en contact avec le soleil provençal. En revanche, il m'a donné son pronostic contre toute évidence. Et dire que j'ai écrit pour lui une lettre de recommandation adressée aux facultés de médecine. Ne devrait-il pas examiner avec soin ses patients avant de leur offrir son opinion ? N'est-il pas dangereux de proférer des conseils qui sont basés sur les apparences au lieu des causes plus profondes ? Quant à la couleur de la peau, c'est là où le bât blesse. Si on assimile à tort un teint à une condition saine, cela peut exploser le patient à un danger.

Il est jeune. Au début, j'ai essayé de me faire comprendre avec lui, mais au bout du compte, j'ai découvert que c'est toujours moi qui ai besoin d'instruction. Je lui parle pour savoir comment j'ai tort auprès de la nouvelle génération. Je ne sais jamais quand une nouvelle leçon va arriver, mais il arrive presque chaque fois qu'il entre dans mon bureau, bien que j'essaie souvent à éviter les brouilles qui lui mènent dans un état agité et raisonneur.

Comme je suis vieux et âgé culturellement, j'évite de lui convaincre que j'ai raison. Je lui propose ma vérité, et ensuite je reçois ma correction. C'est comme une leçon d'une nouvelle langue étrangère. C'est en effet anglais, mais une conversation avec lui est comme un voyage dans un pays inventé par Lewis Carroll, et elle me fascine.

Après lui avoir résumé tout notre voyage et avoir ignoré ses propos sur ma peau, je suis tombé muet. Je savais si je ne parlais pas, personne ne parlerait, donc j'ai creusé mon cerveau pour un sujet. Après quelques instants en nous regardant bêtement, je lui ai décrit ce qui est arrivé dans la navette de l'avion à l'aéroport. Nous nous sommes assis en face d'un couple qui nous ressemblait. Un américain et une japonaise parlaient japonais à leurs enfants qui leur répondaient en anglais. Chouchou m'a dit que le mari parlait japonais mieux qu'elle. Je leur regardais. Je me suis imaginé une vie comme la leur, avec des enfants et avec une maîtrise parfaite de la langue japonaise. Je me suis demandé si nous pourrions ré-enchanter notre monde en plongeant dans une autre culture, mais cette fois-ci une culture partagée et appréciée également. J'ai demandé à Chouchou, « Qu'est-ce que tu penses du japonais ? » Elle ne pensait qu'au repas de ce soir. Elle a donc répondu « Oui, nous pouvons commander du sushi. Cela fait longtemps que je ne mange plus du riz. Je veux du riz, Go ! Tu ne comprends pas. J'adore le riz. » J'ai souri. « Non, je ne voulais pas dire cela, » j'ai répondu. « Je voulais savoir si tu penses jamais à étudier le japonais. » Elle a dit que le japonais était très difficile, puis elle semblait réfléchir à quelque chose. Après quelques instants, elle a dit que ce serait plus simple de commander de la cuisine chinoise.

Malgré son obsession d'un repas avec du riz, et son refus de se lier à la culture japonaise, j'ai dit à Coucou que ma femme semblait apprécier qu'il y avait quelque chose de plus profond dans un voyage où on pouvait parler la langue. Je l'ai même épiée de temps en temps regarder le vocabulaire dans les livres de tourisme. Peut-être un jour elle aimerait faire quelques pas vers une nouvelle culture ? Peut-être elle tomberait amoureuse de la France juste un petit peu ?

Or Coucou ne peut pas accepter que j'imposerais mon amour fou à Chouchou. Ne pouvions-nous pas aller au Japon ? Non, je lui ai dit. C'est une longue histoire. Elle a hérité les ennuis de sa mère envers sa famille au Japon. Je ne peux pas imaginer qu'elle veuille y aller. Coucou a ensuite proposé que Chouchou aimerait aller en Chine. Non, je lui ai dit. Chouchou n'aime pas les Chinois. A ce point, il a froncé les sourcils. Au but d'éviter la leçon de moralité qui s'ensuivrait, j'ai dit que je lui conseille de ne pas généraliser sur les Chinois. Elle comprend, mais elle a ses raisons particulières, et je me suis arrêté là.

Coucou a dit avec un brin de dégoût « Soit ».

Dans la vraie vie, je me limite au minimum d'explications en face d'un jugement, mais dans la vie épistolaire je me permets plus de liberté. Les raisons de Chouchou sont basées sur son vécu aux États-Unis auprès des médecins chinois. A son avis, elle les trouve trop intéressés par l'argent. Bien sûr, elle fait un amalgame entre les médecins chinois et toute la population chinoise, mais il est impossible de faire oublier les expériences amères.

Au bout du compte, ce n'est pas une question de tolérance ou de compromis. C'est une question de goût. Chouchou est japonaise et pense que l'étude du japonais est trop rébarbatif. Bien qu'il soit asiatique, cela ne veut pas dire qu'elle trouve chaque pays asiatique intéressant. En fait, je pense qu'elle s'est rendu compte que si on ne parle ni lit la langue d'un autre pays, le but d'un voyage se réduit vite à faire du lèche-vitrines et à échanger en anglais avec les commerçants.

Moi, je n'ai aucune envie de voyager dans un pays où je ne parle pas la langue. Il y a vingt ans, j'ai fait un long voyage en Europe sans aucune facilité avec les langues de l'Europe. Il me semblait une expérience nécessaire, mais pas à refaire. A la fin du voyage, je me suis demandé pourquoi aller en Europe si je ne parle qu'aux autres Américains sur ce qui se passe aux États-Unis ?

Et alors, j'étais en face de mon jeune américain qui a passé trois mois à Paris sans s'intéresser à la langue française ni à sa culture. Il insistait que j'aille en Asie. Je lui ai suggéré que si j'allais en Asie, j'irais en Vietnam. Mon choix ne lui a pas plu. Le Vietnam ? Oui, mon meilleur ami est vietnamien. Chouchou et moi déjeunons chaque week-end dans un restaurant vietnamien. S'il faut choisir, notre expérience nous dit qu'il faut aller au Vietnam.

Coucou, ne trouvant rien d'intéressant dans mon choix, s'en est allé.

Quant au Vietnam, je sais que nous n'y irons jamais. C'est trop loin. La langue est trop difficile. Nous n'avons ni le temps ni l'énergie d'explorer ce beau pays. Nous sommes comme mon ami vietnamien. Son père, âgé culturellement aussi, lui dit tout le temps de lire un certain épopée vietnamien, parce qu'il contient l'âme et le cœur du peuple du Vietnam. Mon pauvre ami, il est trop américain, vieux et las d'entreprendre ce projet de découverte. Il est venu aux États-Unis quand il avait 12 ou 13 ans. Il parle vietnamien comme un garçon. Il est entre deux mondes, adulte aux États-Unis et enfant au Vietnam. Moi, je veux aller à quelque pays où je peux lire un bon bouquin qui me dirait tout sur le cœur et l'âme de l'humanité, mais je ne connais que le monde américain et juste un peu du monde français.

Entretemps, il faut chercher un restaurant chinois. Chouchou veut du riz !

lundi 5 juillet 2010

Un voyage à fleur de peau

Pendant nos vacances le soleil provençal a plu ses rayons sur nous. Vite ma peau bronza tellement que le teint alla du mat au foncé. Au début de la transformation, Chouchou, qui bronze facilement aussi, me tenait la main pour les regarder ensemble. Elle me dit, « Tu vois ! On est de la même couleur. » Après la transformation, une fois elle compara le teint de nos bras et d'un ton surpris elle dit que j'étais bien basané, mais vite après, elle supprima sa surprise et me dit que nous étions de la même couleur.

En effet, le teint de ma peau devint presque celui que j'avais avant que je ne découvrisse les rapports des couleurs à la stratification sociale. Ce n'était pas à l'université dans la Pennsylvanie profonde. Là-bas, personne sauf les américains africains ne marquaient la couleur de ma peau, mais à vrai dire ils s'intéressaient plus à la couleur de leur peau qu'à la mienne. C'était à la plage du Maryland quand mes deux meilleurs amis et moi décidâmes de passer l'été à la plage. Nous trouvâmes un emploi dans le même restaurant touriste où se côtoyaient les étudiants universitaires de tout poil. Moi, à l'époque je ne savais quel parent se chargeait de moi, et je ne me décida d'aller avec eux qu'au dernier moment. Le restaurant les avait déjà embauché comme cuisiniers préparant des plats rapides. On m'embaucha sur le champ pour faire cuisiner des petits pains dans un four de convection très chaud qui souffla sur moi une haleine d'enfer et m'a brûla les mains chaque jour. Après avoir été brûlé plusieurs fois aux mains sur lesquelles j'avais toujours une nouvelle ampoule chaque jour, je répétais à mes amis chaque fois que je les vis dans le restaurant, « Je déteste mon boulot. » Quand je me rendis compte du fait que je ne maîtrisa jamais le four, je scanda un drôle de plainte, « Je déteste mon boulot. Regardez-moi les mains. Je déteste mon boulot. Regardez-moi les mains. »

Pour me remonter le moral, ils me donnaient en cachette un sandwich au crabe à carapace molle. Au prétexte de sortir les poubelles, j'allais dehors avec le sandwich dans ma poche et le mangea auprès des ordures qui puaient, mais au moins elles ne me brulèrent jamais les mains.

J'étais isolé de tous les autres dans le restaurant. Mon boulot comprenait les poubelles, les petits pains et plus tard j'allais entre le restaurant et l'entrepôt. En revanche mes amis parlaient et rêvaient de la vie aisée des serveurs. Ils travaillaient moins, gagnaient beaucoup plus que nous, et ils passèrent chaque été de leur vie à la plage, parce que leurs parents y avaient une maison. En revanche, nous étions pour la première fois là-bas. Nous nous entassâmes dans un appartement à cinq pièces -- deux chambres, un salon, une petite salle de bain et une cuisine. Trois personnes dormaient dans une chambre. Une dormait sur le canapé.

Mes amis essayèrent de s'intégrer à la vie sociale du restaurant, mais au bout du compte nous y renonçâmes. Une fois, l'un des serveurs a dit à mon ami qu'il pensaient que les étudiants qui travaillaient dans les cuisines n'étaient pas aussi intelligents que les serveurs. Une autre fois, une serveuse lui dit qu'elle était très étonnée de mon niveau d'anglais.

La seule personne qui semblait acceptée partout était un haltérophile qui connaissait l'un de mes amis. Je ne le compris jamais, mais il nous aimait bien. Une fois, il nous dit que son frère et lui s'amusaient à battre les dégonflés. Par exemple, un dégonflé et sa copine se bécotaient en attendant le feu rouge. Les frères haltérophiles l'attendaient derrière eux, mais quand le feu changea au vert, les amoureux, qui étaient fleur bleue, n'y firent aucune attention et continuèrent leur passion folle et amoureuse ce qui déchaîna la passion folle et violente des haltérophiles. Ils firent sortir le pauvre dégonflé et le battirent devant la jeune femme. Après son histoire, il était tout sourire. Nous ne pûmes oser un seul mot, mais après quelques instants, je lui demanda si c'était nécessaire. Il dit que le dégonflé le mérita. Dès cette histoire, je le détesta comme le four d'enfer, mais j'étais la seule personne qui le trouva dégoutant. Toutes les femmes, qui ne nous disaient jamais un seul mot, faisaient autour de lui maintes attentions. Une fois, nous étions à une soirée organisée par le restaurant, et je pense que j’essayai de parler à une serveuse. Après toutes les formules et les questions de complaisance, elle me dit qu'elle trouva l'haltérophile très intéressant. Évidemment ce n'était ni la couleur de sa peau ni l'acné juvénile qui l'intéressa. J'imagine que l'intérêt était juste au-dessous de sa peau. Peut-être c'était qu'il avait l'air robuste, bien que son acné trahissent une hygiène ou régime malsain ? J'achevai la bière dans mon verre en plastique, lui demanda si elle en voulait encore une, et mes amis et moi finîmes ensemble la soirée entre soûl, gris et noir comme d'habitude tout en discutant de tout de de rien, plaisantant et étant le boute-en-train de notre propre fête gigogne dans la fête nous qui entourée.

Heureusement deux groupes d'étrangers travaillaient aussi à notre restaurant -- un groupe de trois irlandais et un autre groupe de deux anglais et un irlandais du Nord. Mon meilleur ami de tout ce mélange de deux iles, Seanan, me chuchota qu'il était très surpris que les irlandais et les anglais pouvaient s'entendre si bien. Et c'était bien vrai. Bien que nous trois n'eûmes aucune idée du conflit, nous nous entendions très bien ensemble. L'un des anglais, Simon, nous dit que sans nous ils s’ennuyèrent à mourir, parce que tous les autres américains dans le restaurant étaient plats et vides. Nous étions les seuls qui étaient ouverts et intéressants.

Pour nous, ils étaient comme nos frères perdus parmi une mer des âmes uniformes et matérialistes. Pour survivre, je ne me suis pensé qu'il fallait un jour traverser l'océan et en attendant il serait mieux d'éviter les rayons de soleil. Par conséquent nous passâmes l'été avec eux et je n'alla qu'une fois à la plage.

Depuis cet été, je reste cloué à un ordinateur. La couleur marron de ma peau s'est fanée. Quelquefois une personne curieuse me demande si je suis persan. Quand cela arrive je me sens à l'âge où on pensait que j'étais différent. Or dans cette époque ma couleur et mon accent me trahissent. Aux yeux et oreilles des multiculturalistes, je ne me détache plus du lot.

Mais après les vacances, peut-être je retrouverais ma distinction. Je me suis demandé si auprès de mes collègues on marquerait le changement.

La secrétaire m'a accueilli en faisant les yeux ronds. « Te voilà. Où étais-tu ? » Elle hésita un instant et puis ajouta, « Je vois que tu étais ailleurs. » La deuxième étape était de passer devant ma voisine, « Comment se passait tes vacances, Go ? » Je lui ai dit que tout allait bien, mais à la fin le soleil brillait si fort que cela m'a fait mal. Je me suis tendu les bras pour lui montrer que je me suis couvert de rougeurs. En effet, depuis que je me suis arrêter de passer la plupart de mon temps dehors, je suis devenue allergique au soleil. Elle n'en a rien vu sauf ma couleur, « Oui, tu es si foncé. C'est que tu as bien du sang méditerranéen. » La troisième étape de mon voyage à fleur de peau était l'examen de Coucou, un jeune homme noir. Il m'a regardé. Je l'attendais de parler, « Et alors, pas content de me revoir ? » et puis il m'a dit, « Tu as l'air d'être en pleine santé. »

Formidable. Malgré toutes les rougeurs sur mes bras qui témoignaient un malaise, mon voyage à fleur de peau a débouché sur une santé robuste dans notre époque multiculturaliste.

Je n'ai pas fini. Attendez la suite.

samedi 3 juillet 2010

Le mastodonte vert

Il y a deux jours Chouchou m'a dit que les filles de sa quintette viendraient. Chouchou ne savait ni si elles joueraient de la musique ou bavarderaient incessamment ni si toute la quintette viendrait, mais elle savait qu'il n'y avait rien à manger dans la maison. Elle passerait par l'épicerie pour emporter quelque chose de leur buffet.

Quand je suis rentré à la maison, je n'ai pas entendu une seule note de musique. Je suis allé à la cuisine. Rien n'était dans le frigo ni sur le comptoir. J'avais faim et j'étais dans une cuisine presque vide. J'ai commencé par grignoter quelques olives, des biscuits salés avec du hoummos et quelques tranches de fromages. Encore insatisfait j'ai mangé des biscuits beurre, et bien que je le regrettasse plus tard, j'ai crevé un sachet des chips et me suis servi un verre de vin.

J'ai pensé écrire un peu, mais j'ai déjà terminé un billet. J'ai pensé lire, mais la télévision m'attirait. J'ai zappé plusieurs fois jusqu'à la découverte de la chaîne rétro. On montait une émission de la vieille série Hulk dans laquelle une jeune artiste hallucinait à cause de la tromperie de son oncle. Il remplaçait les tranquillisants de son ordonnance avec du LSD, parce qu'il voulait la mettre dans un état de délire afin de la forcer de vendre le musée inachevé de son frère, tandis qu'elle voulait le mettre debout. Bruce Banner, le timide savant qui cachait le secret terrifiant qu'il devenait un mastodonte vert quand il se mettait en colère, a été embauché par la jeune artiste pour achever son projet artistique. Or la chicanerie de l'oncle lui a déjà transformé en Hulk. Est-ce qu'il allait sauver la jeune artiste ? ou est-ce que la colère et les fourberies auront raison sur lui et elle ?

Voir cette série des années soixante-dix, c'est étudier la culture d'antan où l'action se déroule lentement, le scénario établit du suspens, et le réalisme, voire l'hyper-réalisme de nos jours est absolument ignoré. Le metteur en scène s'en remet aux talents des comédiens qui font croire au public que ce qui est à l’écran est réel, parce que leurs réactions impliquent qu'un homme maquillé tout en vert est un mastodonte terrifiant et pas une tromperie. Bill Bixby interprétait le rôle de Bruce Banner d'une manière très stylisée. Il a son côté doux et sympathisant. Il est très attentif à l'écoute de ceux qu'il rencontre. Il découvre leurs problèmes qui, peu à peu, lui met dans son deuxième état, l'alarme et l'angoisse. Il essaie de raisonner la personne qui est en proie d'un terrible engrenage d'une tricherie, mais elle ne peut en croire. Il met avec délicatesse les malfaiteurs en présence de leurs fourberies, mais il ne rencontre que leur déni et plus tard ils essaient de lui fait mal, mais cela lui met dans une colère verte. Il les avertit qu'il n'est pas sage de le fâcher, puis il tremble, il s'effraie de ce qu'il va arriver, et puis le metteur en scène dit stop, et on remplace M. Bixby avec l'acteur qui joue le rôle de Hulk qui hurle, broie en miettes toute chose devant lui et échappe en faisant une nouvelle sortie par un mur.

Par miracle, le monstre aide les autres de se débarrasser de leurs démons cachés et de dévoiler les mensonges des malfaiteurs. Quand je regarde cette série, je me demande ce qui me arriverait si je pouvais me muer en vert au travail ou à la maison. « Quoi ? Vous pensez que mon travail est nul ? GRRRR ! » Puis j'imagine que je m'installerais tout vert devant mon ordinateur en rugissant et tapant des chiffres et les formules les plus élégants et formidables, après quoi je courirais par le mur en sortant de mon bureau. Encore une excellente journée au travail.

Je me suis allongé sur le canapé. A chaque chip mis dans la bouche, j'allais pire à l'estomac. J'essayais de me raisonner, mais je suis en proie d'un vide dévorant. Je me suis servi encore un verre. Des miettes de chips sur le canapé, le verre de vin sur la table, j'ai geint, puis j'ai regardé la télé.

Bruce Banner était en train de dire à la jeune femme qu'elle prenait à son insu du LSD au lieu des tranquillisants, mais elle était en plein délire et l'a jeté au sol. La musique dramatique commençait. Qu'est-ce qu'il va arriver ?

A ce point Chouchou, la flûtiste et la bassoniste sont revenues du restaurant et entrées dans la pièce. J'ai cherché du regard Chouchou, mais elle s'affairait à accueillir ses amies qui se sont introduites dans notre maison comme elle n'était que leur pièce de répétition réservée uniquement pour les musiciens. Confus et surpris, nous nous soustrayions au regard en nous disant bonsoir. La bassoniste et moi regardions la télévision. Elle m'a demandé si c'était Hulk. La flûtiste m'a dit qu'elle a entendu dire que les vacances sont bien passées, puis Chouchou est revenue dans la pièce et m'a chuchoté à l'oreille d'aller en haut. J'ai répondu que c'était Hulk et que les vacances se sont très bien passées, puis j'ai feint d'être en colère, parce que je ne saurais le sort du Hulk, « Peut-être il deviendra encore tout vert ! » J'ai essuyé les miettes de ma chemise, et en chemin en haut, la flûtiste m'a regardé dans les yeux et m'a demandé sa question habituelle et irritante, « Alors, peut-être la prochaine fois, tu iras en Italie, Allemagne ou Espagne au lieu d'aller constamment en France ? La France, c'est ennuyante, n'est-ce pas ? » Je lui ai répondu, « Oui, la prochaine fois nous irons en Espagne, mais à l'extrême est de l'Espagne où ils ont un drôle d'accent. Quand ils disent "Buenos dias", ils disent "Bonjour". »

Elle était perplexe un instant, puis elle comprenait que j'ai dérobé à son ordre. « Peut-être tu iras la prochaine fois en Suisse. Ils parlent français à Genève. » Je me suis regardé la peau, un peu inquiet de mon état. Pourrais-je continuer à être raisonnable ? Ma peau était encore marron, sans trace de vert. Je lui ai souri, « Oui, la Suisse me paraît intéressant. Ils ont un accent sympa qui me plaît. » L'intruse pensait que je lui dérobais encore, « Comment ? Est-ce qu'ils parlent avec un accent allemand ? » « Non, non, » je lui ai répondu. « Ils parlent lentement et calmement. Leur accent est très facile à comprendre. »

Je suis allé en haut ce qui a déchaîné les langues de la flûtiste et la bassoniste. Elles se sont parlé une dizaine de minutes et puis sont parties. Chouchou est immédiatement allée me voir. Elle voulait s’asseoir sur moi. J'ai hurlé « Non ! J'ai mal à l'estomac ! Ne t'assois pas sur moi ! »

Elle s'en est allée en maugréant que j'étais grognon.

Oui, grognon, je l'avoue, mais au moins je ne suis pas un mastodonte vert.

jeudi 1 juillet 2010

De retour

Pendant deux semaines et demie, nous avons été en France. Nous avons vécu autrement. Pas de courriel, pas de travail, pas de nouvelles des États-Unis, pas de télévision américaine (par contre je me suis permis un peu de télévision française). Je suis tenté de dire pas de soucis, mais être vacancier, c'est aussi des soucis pour être à l'heure pour les trains, les vols, le déjeuner (après 14h on jeûne en France !), des soucis pour trouver un bon endroit à visiter, un restaurant pas trop cher mais pas gargotier non plus, un gîte confortable, un hôtel convenable.

Enfin, les vacances ne sont pas pour les timorés.

Au départ, j'étais peu enthousiaste d'abandonner la maison. Les chats, le travail, la routine me retenaient. Il fallait achever mon projet. Les chats, comment les abandonner ? La routine, même si je la déteste au moins je sais où trouver mon prochain repas, mon café, les toilettes, et vous savez, trouver des toilettes propres avec du papier toilette, ce n'est pas toujours facile. En revanche, c'est un drôle de routine qui m'a forcé d'abandonner tout. J'ai acheté les billets de vol et de train. J'ai effectué des réservations pour un hôtel et une gîte. C'était hors de question de remettre à demain nos vacances. L'horloge faisait son tic-tac. Jeudi après-midi il a fallu quitter le pays sur un vol qui nous amènerait à Paris. A 12h30, j'ai fait tout possible pour accomplir mon projet (je n'ai pu terminer). J'ai regardé l'horloge. C'était l'heure de plier bagages et de me plier à la discipline vacancière. Nous avons quitté la maison pleins d'inquiétude. J'ai même demandé s'il ne serait pas plus sage de prendre plus de vacances mais limiter la durée à un maximum d'une semaine.

A ma grande surprise, Chouchou voulait bien commencer les vacances. D'habitude, c'est moi qui veux partir et de ne jamais retourner, mais elle avait fini tout son travail. Sa patronne prenait ses vacances au même temps que nous. Elle ne s'inquiétait de rien. Moi, j'étais las. Je me demandais pourquoi aller quand il faudrait retourner dans deux semaines, et je doutais si la France m'enchanterait encore. Ai-je perdu mon amour fou pour la France ?

A Paris, à notre première pause à la place de Saint Michel, nous avons vu un ivrogne pendant que nous déjeunions. Le soleil brillait, le ciel était bleu, les gens beaux et élégants, et ce stupide ivrogne donnait des coups de pied à sa bouteille de vin, aux cannettes et aux boîtes de pizza. Il a achevé sa bouteille. Le maître d'hôtel l'a chassé du restaurant au trottoir, mais comme un insecte qui dérange quand on s'arrête de faire attention, il est revenu et s'est assis juste en face de nous assez longtemps pour me forcer de le regarder encore. Il s'est levé, a saisi la selle du vélo d'un jeune homme qui marchait à côté de son amie. Le jeune homme lui a souri, en a ri et puis il est parti, sans le moindre souci. En fait, son bonheur semblait invincible. L'ivrogne lui a plu.

J'ai suivi de regard l'insecte ivre traverser la rue pour pester d'autres parisiens, et ensuite nous avons commencé nos vacances.

Nous sommes allés aux marchés, à maintes petites villes, à la Camargue, aux plus beaux villages de la France (les Baux en Provence, Moustiers St. Marie, Roussilon, Sauve, Uzès), à quelques villes (Nîmes, Avignon, Montpellier, Arles, Beaucaire et Aix-en-Provence). A chaque déplacement, un nouveau dépaysement, tantôt avec un troupeau de touristes, tantôt sans touriste ni riverain. Tantôt dans un endroit parfaitement protégé comme les arènes d'Arles, tantôt absolument vétuste comme trop de monuments médiévaux qui ne résistent plus aux ravages du temps : tags, mauvaises herbes qui poussent dans les fêlures des murs et parterres et tâches de suie sur les murs.

Dans le prospectus d'Avignon, on a écrit que la rue des teinturiers était la rue la plus pittoresque de la ville, mais la réalité était qu'il faisait une fois que la rue était belle, mais aujourd'hui il n'y a que la pauvreté. L'horloge a fait son tic-tac. La rue n'a pas pu y résister. La chapelle du XIIe siècle où les teinturiers anciens priaient était fermée, taguée, délabrée. Après avoir parcouru la rue, nous sommes allés dans un jardin pour nous reposer. Un français parmi une enfant et trois françaises voilées a saisi l'enfant aux bras de la mère. L'enfant a éclaté en larmes. L'homme, au prétexte d'amuser l'enfant, a donné des coups de pied aux pigeons et puis il a ri en disant que c'était drôle de tuer les pigeons. L'enfant a continué à pleurer jusqu'à ce qu'elle ne soit rentrée dans les bras de sa mère.

Nous ne pouvions pas regarder ce spectacle. Nous avons rebroussé chemin, revu la place de l'horloge au centre de la vieille ville. L'horloge faisait tic-tac. La place, bondée de touristes, et son horloge étaient dans un état impeccable. Il était six heures et malgré que notre train partait à 19h, nous sommes allés à la gare pour quitter la ville sur le prochain train.

Si je disais que toutes nos vacances étaient tristes, je serais menteur. Le simple fait d'être sans souci et de pouvoir ignorer notre routine nous a bercé. Après une semaine, cette apesanteur nous a débarrassé de nos chagrins et nous a fait oublié de notre vie aux États-Unis. Nous nous sommes habitués à notre nouveau train de vie où nous allions à un nouvel endroit chaque jour et essayions de nous harmoniser avec nos nouveaux voisins. Au début de notre aventure, je ne me pensais pas pouvoir relever ce défi. Chaque matin, j'ai dû me forcer à me lever et choisir un itinéraire, mais peu à peu le défi se muait en plaisir. Qu'il fait beau, qu'il pleut, que le Mistral nous fouette, peu importe. Nous sommes allés partout. Notre unique souci était de trouver notre café environs 10 heures, un restaurant après midi et encore un restaurant le soir. Nous nous sommes si habitués à notre train de vie, que nous avons fini par croire que cela pouvions continuer indéfiniment. C'était un énorme choc quand le dernier jour de nos vacances est finalement arrivé.

Tic-tac faisait l'horloge. C'était l'heure de plier bagages et nous plier à la discipline routinière. Et maintenant il est 9h16. L'horloge fait son tic-tac. Il faut abandonner ce billet sur les vacances et hélas aller au travail.