dimanche 9 décembre 2012

L'inattendu


J'interromps le récit de la conversation avec M. Nauphouture pour vous narrer en total la conversation de ce soir. On dit que la surprise nous guide et nous contrôle. Elle alimente notre désir. Je peux bien imaginer que vous allez tous lire ce billet tout en en désirant plus !

Je rêve, forcément. Le monde est bien trop prévisible. Le désir, c'est soumis à la conformité. Je vous écris quand même dans la vaine espérance de faire régner juste pour un peu de temps l'inattendu.

Vendredi soir, je parle à Mlle Vendredi-Soir. Cela fait plus de neuf mois que je parle avec elle. Petit à petit et à travers les rendez-vous hebdomadaires, nos caractères se dessinaient. Moi, nostalgique, mélancolique, mais, j'espère, drôle, et si je peux dire, d'une manière désarmante. J'essaie de la surprendre pour qu'elle rie et s'amuse bien. Elle, gaie, joyeuse et pleine d'un rire contagieux.

Au début, son sujet préféré était la guerre des sexes. Les femmes sont toujours les victimes des hommes méchants. Elles doivent se battre, se montrer fortes et indépendantes. Par contre, malgré cette attitude méfiante, elle s'appliquait avec ardeur à mon programme de lecture. Et elle rit. C'était tout à fait inattendu de rencontrer quelqu'un qui rit avec autant de joie. Tous les autres correspondants ont juste un très petit rire. Cela dure deux ou trois secondes. Nous rions et rions et rions. D'ailleurs, personne n'a pas autant d'envie de parler avec moi. Avec les autres, on commence à l'heure convenue et on parle une heure. Impossible de parler plus. Avec elle, nous avons commencé avec une durée d'une heure mais après quelques rendez-vous c'est attendu de parler deux heures ou jusqu'à ce que nous ne soyons trop fatigués de parler.

« Quoi de neuf ? », c'est la question pour commencer. Elle allait bien, mais très fatiguée. Elle a bossé toute la semaine pour avoir plus de jours de congé pour Noël. Moi j'avais une grande histoire. « Bon ! » elle a dit, « Ce sera bien. Je suis prête. »

En fait, je l'amuse par les histoires de ma vie. Quand je lui annonce que j'en ai une, elle s'attend à s'amuser.

Je suis allé à un colloque sur le rassemblement des statistiques gouvernementales. Je ne m'attendais pas à grand chose. Ma seule inquiétude était que je ne comprendrais rien. Malheureusement, c'était le contraire. J'ai trop compris.

Les premiers quatre conférenciers parlaient de leurs efforts d'exécuter une décision de l'administration d'Obama. Dès 2013 ou 2014, tout renseignement serait réuni et disponible. Le gouvernement mettrait sur pied encore une couche de bureaucratie qui classifierait chaque miette d'information. Les renseignements, comme le recensement, les sondages, les enquêtes, tout ce qui est confidentiel mais nécessaire à une gouvernance représentative du peuple, serait désormais sous un contrôle centralisé. Parfait. Un chercheur qui fait des prévisions sur le coût d'un programme social pourrait réunir tout l'information disponible pour en parfaire une prévision. On peut enfin répondre à une question fondamentale, « Qui a besoin de quoi ? » et le gouvernement peut réagir d'une manière efficace. Que vive l'administration Obama !

Ce serait le paradis enfin offert au peuple. J'en étais convaincu jusqu'au dernier intervenant. Mais lui, il a annoncé que le ciel tombait.

Le gouvernement veut centraliser toute information pour espionner sur tout le monde. S'il détecte un problème avec quelqu'un qui a fait faillite par exemple, il serait plus facile de lui expulser du pays grâce à ce nouveau système. Pire encore, quand les gens voient un avertissement sur leurs questionnaires qui dit que leurs réponses aux questions seraient examinées par le département de défense, pourront-ils se fier à quelconque promesse de confidentialité ? Et répondrait-il même aux questions ? Faut-il toujours suivre cette logique de méfiance et de peur ?
A mon avis, c'était un changement profond de régime. L'administration pense qu'il y a un ennemi n'importe où, et lui, qui se vante d'être ouvert à chaque minorité et à chaque religion, nous traite de criminel potentiel tout un chacun. Bouleversé et choqué, je me suis dit, « Le ciel est tombé. Ce n'est plus les États-Unis. C'est un bizarre empire de peur. »

« Mais si on est correcte, » elle a protesté, « il n'y a rien à craindre. »

J'étais fatigué. Mon récit n'était qu'une moitié de ce que j'ai écrit ici et je ne savais comment en réparer. « Toute cette information serait inutile. Loin de nous protéger, elle serait utilisée seulement pour nous embêter, voire nous priver de liberté, comme le FBI a récemment détruit les carrières de deux généraux du Pentagon. Tu connais l'histoire ? »

C'était une affaire trop banale pour une comédie d'intrigues — une liaison entre un général et sa biographe, un crêpage de chignon, une mondaine qui flirtait et manipulait un agent de renseignements qui lui envoyait des photos de lui-même torse nue. Tout cela serait absolument ridicule sauf que le FBI a lu les courriels des généraux qui se comportaient comme des vilains gamins obsédés par les jolies femmes. Oui, ils avaient tort, mais l'espionnage fait par les petits gens, c'est inquiétant quand même. Et qu'est-ce que les huiles et les mondaines font là-bas en Floride ? Le gouvernement doit-il mettre son nez partout pour découvrir que la plupart des Américains sont méchants, malhonnêtes, machiavéliques et surtout bêtes ? Et si le gouvernement huilait et graissait cette grosse machine de guerre seulement pour espionner un voisin imbécile ?

J'étais dans le brouillard. Le ciel est tombé encore une fois. Le gouvernement a été accaparé par les paranoïaques et je ne savais comment l'expliquer. Pire, peut-être je suis la seule personne qui pensais ainsi. Après tout, Obama est un saint. Je pense qu'il séduit et flatte trop bien le peuple, beaucoup mieux que les mondaines de Tampa, et il dissimule son amour pour l'argent, le pouvoir et son attitude très machiavélique. De plus ce n'est pas lui que je crains le plus. C'est le président après lui et la tentation absurde d'utiliser cette machine de guerre.

Je ne voulais pas persuader que le ciel tombe si cela nous mène à quereller. D'ailleurs, j'évite à tout prix les sujets basés exclusivement sur la peur, l'opinion, la guerre, la rancune, la révision du passé et du présent pour rabibocher la crédibilité de nos attitudes puériles, bien-pensants et conformistes. Je me limite à parler exclusivement sur les sujets trouvés dans les journaux. Cela nous aide à retrouver notre humanité, et, si je vous me permettrais, d'une manière imprévisible.
Confus et incertain, je voulais passer à notre premier article, donc j'ai dit, « I heart unpredictable love » (J'aime de tout mon coeur l'amour imprévisible).

Elle pensait que je commentais l'affaire, peut-être que je blâmais la mondaine et le général pour leur aventure, donc elle a dit, « Mais s'ils voulaient avoir une aventure, il n'y a pas de problème. »

Je suis toujours choqué par cette attitude qu'elle épouse. Si deux personnes veulent un amour d'une nuit, pourquoi pas ? Je voulais répondre que je regrettais le temps où on cherchait l'amour au lieu du sexe, mais je savais qu'elle serait plutôt inflexible sur ce point. J'ai donc répété « Hein. J'aime de tout mon coeur l'amour imprévisible. »

« Mais ils étaient mariés, » a-t-elle dit, « donc ce n'étaient pas correcte. »

« Quoi ?! L'amour imprévisible n'est pas possible pour les couples mariés ? »

Après que nous nous en sommes démêlé tout, nous avons parlé de l'article. Un psychiatre assimilait l'amour à une dépendance aux jeux de hasard parce que le dopamine dans notre cerveau nous fait intéresser plus au plaisir imprévisible et parfois malsain qu'un plaisir standardisé et sauf. Mais grâce à notre sagesse et meilleures prévisions nous pouvons éviter les pièges de l'amour. Nous pouvons maîtriser, bien huiler, graisser notre cerveau par des renseignements sur les conséquences de l'amour. C'est à nous de décider avec qui on aime, et comment, pourquoi et sous quelles conditions qu'on aime. Pour la troisième fois cette soir, je voulais dire non. Il faut laisser ouvert notre coeur. L'amour n'est pas prévisible. C'est son mystère. Si on essaye de contrôler tout, on finira par détruire tout. Le ciel tombera. Ce sera un catastrophe. Non, non, non !

Mais tout d'un coup, elle a décroché. Sa soeur est arrivé chez elle son visage baigné de larmes et son coeur brisé. L'amour imprévisible a imprévisiblement terminé notre conversation et je ne sais quand nous nous parlerons encore.

Ben, que dois-je faire ? J'attends, quoi, en espérant que le ciel ne tombe pas encore une fois.

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