dimanche 23 décembre 2012

Le progrès public pudique

Samedi matin, c'est le temps de parler avec mon ami M. Vittel.

« Bonjour Go. J'ai choisi l'article No Lifeguard on Duty (Le surveillant de baignade n'est pas de service). C'est très drôle. » Et ensuite il a lu la première phrase, « "Les bagarres récentes, les agressions contre les surveillants de baignade et une défécation dans et autour de la piscine du parc McCarren à Brooklyn New York nous rappellent que loin d'être une oasis sereine, une piscine publique est une boîte de Pétri qui déborde d'une barbarie légère." »

« Oui » a-t-il dit, « les êtres humains sont sauvages. »

Selon l'écrivain et M. Vittel, notre côté sauvage sort quand nous sommes vulnérable, presque nu et plongé dans un élément naturel.

J'ai fait un appel en faveur de notre humanité, « Mais, l'image d'une boîte de Pétri est un peu sévère. L'écrivain Leanne Shapton nous assimile à des microbes, hein. Soit. Continue. Mais attend ! Et les nudistes, » ai-je demandé, « ils seraient donc les plus sauvages ? »

A ma grande surprise, ils sont les plus civilisés parce qu'ils sont au naturel et civilisés à la fois. Malheureusement ils doivent se tenir à l'écart des yeux sauvages, comme les nôtres. Nous ne sommes ni assez sophistiqués ni adultes d'harmoniser les deux extrêmes. Le seul bémol chez les nudistes ? C'est que leur liberté est privée. En public les sauvages se revêtissent civilisés et se découvrent barbares, faute de bonnes moeurs.

Et c'était toujours comme ça. A l'époque romaine dans les bains de Bath, Angleterre, les baigneurs ont prié aux dieux de punir la personne qui a volé leurs affaires alors qu'ils baignaient. Un malheureux a gravé cette phrase dans une plaque des malédictions, "A Minerve la déesse de Sulis j'ai donné le voleur qui a volé ma houppelande, soit esclave soit libre, homme ou femme. Il ne rachètera pas ce don sauf avec de son propre sang."

« Oh là là ! » s'est écrié M. Vittel. « Quel barbarie ! »

« Ah ! » ai-je ri, « On savait maudire jadis. Oui, le vol est abominable. Par contre, ce qui se passe à Brooklyn, c'est tout d'autre chose. Bagarres, agressions, défécation dans une espace publique ! A Baltimore il y a parfois des meurtres. Dans mon voisinage il y a une piscine publique, mais je n'y vais plus. Après avoir vu plusieurs casiers cassés, je crains qu'au retour de la piscine je ne trouve le mien fracassé et pillé. Imagine-toi, presque nu, sans clefs, sans portefeuille devant un casier tout vide. Tu vas à la piscine ? »

Depuis longtemps M. Vittel n'y va plus. Il a peur des microbes.

L'écrivain a ensuite blâmé la tension sexuelle pour les inconvénients au bord d'une piscine. N'empêche que quand elle avait 13 ans, une fille, pas un garçon surexcité, a volé son sweat-shirt rose favori pendant une rencontre de natation. La chair exposée excitera le sexe de l'autre sexe. Oui, c'est vrai, c'est un fait, donc il faut séparer les hommes et les femmes. En Suède, le pays où tout se passe très bien et beaucoup mieux quand tout ne s'arrange pas parfaitement pour l'écrivain, les femmes pataugent gentiment dans leur dambadet et les hommes nagent très bruyamment dans leur herrbadet. Une solution idéale donc. N'empêche que la plupart des Suédois se soulagent dans les toilettes unisexes.

A ce point nous étions d'accord tout de suite. « Il est ridicule de penser ainsi. Comment un retour à la ségrégation des sexes améliorerait-il la situation ? D'ailleurs l'écrivain pense que la ségrégation à la suédoise est une invention moderne tandis que la ségrégation de n'importe quel pays est aussi vieille que les pierres. C'est en mélangeant les sexes à l'école et au travail que l'on a réduit les préjugés sexistes. Et maintenant cette femme veut se tenir à l'écart pour promouvoir quoi ? Son propre sexisme ? Son propre colon nudiste ?

« Bien sûr, si on ne voit que la barbarie chez l'autre on finira par ériger des barrières, mais n'y a-t-il pas d'autres remèdes sauf l'exclusion et la privatisation ? Il est drôle que vêtus nous ayons fait tant de progrès tandis que le progrès recule en se dévêtant. Cette femme ne veut que limiter la tension sexuelle, la gêne et l'embarras. Elle va finir par nous étouffer dans un confort douillet. »

En écrivant ces lignes je regrette de ne pas avoir pensé aux femmes de Femmen. Leur nudité représente-t-elle un progrès ou juste une provocation ?

Revenons à notre histoire.

A Toronto l'été dernier, il y avait une vague d'intrusions dans les piscines publiques et privés. Les jeunes Canadiens escaladaient les clôtures pour y faire la fête. Ils buvaient, fumaient et plongeaient dans les piscines avant d'être chassés par la police. L'écrivain les a appelés intrus, malfrats, mauvais enfants. Et puis dans la prochaine paragraphe elle a écrit d'avoir fait pareil avec deux garçons dans sa jeunesse. Et voilà elle était jeune aussi, quasi nue, intruse, joyeuse et accompagnée de deux jeunes garçons. Elle se souvient de cette nuit comme la plus douce baignade de sa vie.

« Ah ! » M. Vittel a soupiré, « C'est génial. »

J'ai eu la même réaction. Les dernières lignes étaient comme un répit après une longue tirade. Si je n'étais pas tellement heureux de retrouver un peu d'humanité dans la chute du texte, j'aurais dit « Bobo typique ! Quand elle était jeune, elle était rebelle. Elle enfreignait les règlements, nageait presque nue et entourée de deux garçons, et maintenant qu'elle est "adulte" tous les hommes sont des animaux en rut et la société humaine est une boîte de Pétri débordante de sauvagerie. Bien sûr, je préfère sa nostalgie d'un temps plus innocent à la première partie de sa chronique où tout bonheur est privatisé, stérilisé et ségrégué et le mal partout. »

Nous sommes arrivé à la fin de l'article en anglais et au début de notre conversation en français.

« Puisque nous avons parlé des piscines américaines et canadiennes, si nous parlions des Eaux-Bonnes, l'ex-bien nommée ? » J'ai ensuite lu, « "Un village de bergers, une station thermale, des pistes de ski... La commune des Eaux-Bonnes (Pyrénées-Atlantiques) a déjà connu trois vies successives... (et) le bourg central, au fond de la vallée n'en finit pas de ruminer son sort perdu de villégiature à la mode."

« Tu connais Eaux-Bonnes ? Tu vas aux stations thermales ? »

Quand il était jeune ses parents lui amenaient au Sud pour faire du ski.

« Eaux-Bonnes, » j'ai continué, « la bien nommée, ressemble, de nos jours, à un décor de carton-pâte, une mise en scène montée pour les besoins d'un tournage. Des immeubles haussmanniens, balcons en fer forgé réglementaires au deuxième étage et mansardes émergeant d'une toiture en ardoise, posent, incongrus, au beau milieu de la montagne pyrénéenne... Les vertus des eaux du Valentin, un ruisseau qui se jette dans le gave d'Ossau, furent reconnues dès le XVIe siècle. Une vache blessée à la patte chemina dans le cours d'eau et en fut immédiatement guérie. »

En bref, Eaux-Bonnes appartient à une époque où régnait une autre civilisation basée sur la guerre, la majesté architecturale de Paris, et une animation excessive et débordante. La ville a été construite autour de ces eaux en raison des soins destinés aux soldats commotionnés. Ses squares coquets semblent directement importé des plus chics arrondissements de Paris et son Hôtel des Princes rappelle encore la splendeur passée. Ses hôtels chics accueillaient une clientèle huppée comme Sarah Bernhardt et Rosa Bonheur et ses taules ont été bondé d'une foule dont Eugène Delacroix se plaignait souvent.

Le sens de cet article par rapport au premier nous a échappé voire nous a dépaysé comme l'invasion parisienne a dépaysé les villageois pyrénéens. M. Vittel avait dans sa gorge un brin de nostalgie mêlé d'une pincée de résignation. J'ai imaginé le goût de ce temps, les jeux et les spectacles organisés par les hôtels, les odeurs émanant des restaurants, les grands halls où tout le monde dînaient ensemble, familles, couples, enfants, amis de familles, de couples, rires, sourires, codes, règles, libertés. Et la foule, j'ai imaginé la joie d'être entouré des autres dans les rues et dans les spectacles. Je voulais demander, « Est-ce que nous vivons vraiment mieux aujourd'hui ? » mais j'ai vite passé à l'article L'éclairage artificiel de nuit favoriserait la dépression dont il résistait la conclusion, « le progrès nous rend nerveux et apathique. »

Le soir j'ai éteint tous les appareils clignotants dans la chambre.

Ce voyage aux stations thermales m'a montré qu'il existe un point mort entre notre époque et le passé. Ce n'est pas par la ségrégation, la nudité, la sauvagerie, les transgressions ni la sécurité qu'on en sortira, mais par l'engagement spontané avec autrui. Malgré toutes les fautes du passé, et vous savez très bien que nous nous extasions en les énumérant l'une après l'autre, serait-il possible que l'on pouvait plonger et se perdre dans l'entassement naturel et désordonné de la foule ? Si ce n'était pas le cas, est-ce que nous construisons un monde où ce serait possible ou souhaitable ? Au moins avons-nous encore le courage de côtoyer notre voisin au lieu de lécher de doigt tout le temps notre appareil informatique ? Dans le premier article un femme rêve d'une mixité des sexes, du désordre joyeux et du progrès spontané mais, en revanche, elle cherchait la ségrégation, l'ordre et un progrès par calcul. Dans le second on regardait en arrière en notant une splendeur passée.

Est-ce un espoir que le premier prône un retour au passé par le biais de prétendre que l'adoption d'une pratique aussi vieille que les herrbadets et dambadets serait un progrès ?

C'est-à-dire un progrès public pudique.

3 commentaires:

Colo a dit…

Bonsoir Ren, j'ai lu une fois, c'est pas assez, tellement de sujets intéressants! Je reviendrai donc...nue ou habillée, tu n'en sauras rien bien sûr!!
Rire, que ça fait du bien, loin des affreux villancicos!
À bientôt.

Colo a dit…

Il n'y pas longtemps ma fille est revenue de la piscine couvertes sans culotte ni pantalon; elle a eu de la chance, le voleur lui avait laissé le reste!
Bien sûr nous j'ai franchi des clôtures, me suis baignée chez des particuliers absents sans laisser de traces, hop, repartie... enfin toutes ces choses "normales" quand on est jeune.
Ce qu'il me semble c'est que cette époque choisit invariablement d'interdire, sévir, clôturer, séparer plutôt que d'éduquer. C'est plus rapide, demande moins d'efforts surtout!
C'est une démission qu'il m'est impossible d'approuver, cautionner.
ET j'en ai par dessus la tête d'entendre que les pays nordiques sont e-xem-plaires (mais c'est une autre histoire).

Je voulais ajouter un mot sur la semi-nudité des Femmen. Pour moi elle représente un cri, le dernier argument possible....comme pour dire: on a tout essayé. Un peu comme un soldat vaincu qui montre son torse nu en disant "tirez" tu me comprends?

Belle fin de semaine!

Ren a dit…

J'espère que ta fille a au moins trouvé une serviette de bain pour rentrer à la maison !

A propos des pays nordiques, je pense que l'écrivain parlait des endroits de luxe nordiques pour servir comme un exemple pour toute l'Amérique.

A propos des soldats vaincu, je viens d'écouter l'émission de La danse des mots appelée "Les mots de la fin". Dire « tirez » au peloton, c'est une manière de vivre jusqu'à la fin de sa vie. On donne l'ordre au lieu de se laisser être assassiné. Voilà un noble dernier mot...

Là-dessus, cela n'est pas le dernier mot. Tu m'inspires de retourner à ce sujet.