mercredi 9 juin 2010

La silence d'une mère suisse

The weight of this sad time we must obey;
Speak what we feel, not what we ought to say.
The oldest hath borne most: we that are young
Shall never see so much, nor live so long.

-Roi Lear, Acte 5, Scène III

Ce dimanche, j'attendais en vain. Mes correspondants m'ont planqué là. Pas de conservation, pas d'échange moitié en anglais, moitié en français. Et je voulais parler sur des sujets qui m'intéressaient. Sancho, qu'est-ce qu'il penserait de Culture d'en haut, culture d'en bas ? Est-ce que l'on peut dire « je ne suis pas snob » et garder son sérieux après avoir écouté cette émission ? S et C, qu'est-ce qu'ils penseraient de D.I.Y. Culture ? Serait-il vrai que la culture d'aujourd'hui est plus démocratique qu'avant ? Est-ce qu'on vit dans une époque où tout le monde partage une culture commune ? Ou sommes-nous devenus snobs à notre insu et à notre guise ?

En bref, il y a plus de cent ans aux États-Unis tout le monde adorait Shakespeare, du bas jusqu'en haut. Hamlet, Othello, Romeo et Juliet, tout le monde adorait ces pièces. Les troupes de théâtre n'avaient aucune peur de monter en scène une pièce. Shakespeare était rentable et attirait beaucoup de monde, mais le dessous de cette popularité était que les metteurs en scène n'étaient pas forcément fidèle au texte. Par exemple, à la fin d'une production de Hamlet, Orphelia et lui s'est marié. En revanche, une telle fin aurait dégoûté un bec fin comme moi. Tout le monde doit mourir à la fin. Point barre.

Est-ce qu'on a le droit de réécrire les textes pour satisfaire un public inconstant ? Évidemment pas selon les intellectuels et les aristocrates. Il faut préserver la beauté des textes. Quand ils ont commencé à faire leur propre théâtre, ils ont déchiré le monde culturel en deux. Ils se sont emportés les textes de Shakespeare et ont abandonné les classes populaire à leurs divertissements qui se limitent à la télévision réalité, aux soaps, et aux vidéo drôles de la vie quotidienne.

Quoi faire ? Il faut faire avec. On peut encore essayer d'en parler. Et c'est exactement ce que je voulais faire ce week-end, mais entre l'aller-retour en Pennsylvanie et le manque de temps chez mes correspondants Skype, nous étions pas au rendez-vous.

Heureusement, mon amie Suisse m'a appelé dimanche soir. Elle ne veut parler que sur la vie quotidienne. Elle adore le théâtre, le cinéma, les bouquins. Moi, je n'avais qu'une idée dans ma tête : ce qui s'est passé ce week-end. Après les salutations, comme je suis immédiatement tombé dans le cours de mon trouble. Je cherchais une explication pour la silence de mon oncle et ma grand-mère. Après mon histoire, elle est devenue sérieuse. « Mais j'ai le même problème que votre grand-mère. Est-ce qu'on peut dire la vérité à son enfant ? Elle fait de grandes erreurs dans sa vie. Est-ce que je peux dire la vérité ? »

Qui a une réponse à cette question ? Shakespeare. Roi Lear. Le vieux pauvre roi, qui s'emportait facilement toute sa vie, a décidé de se racheter. Il voulait être bon, un ange, donc il a décidé de partager son royaume entre ses trois filles. Or cette paix et égalité n'étaient qu'une farce. L'écart entre l'illusion et la réalité lui a déchiré. Les deux filles aînés entraient dans son jeu, mais la benjamine lui a dit la vérité. Pour sa peine, Lear l'a bannie. Si elle retournait en Angleterre, elle subirait la peine de mort. Dire la vérité directement, impossible. Surtout pas à un roi qui se déchire mentalement.

Dans un autre trame de la pièce, le bâtard de Gloucester trahit son fils Edgar pour accaparer des bonnes grâces de son père qui est aveugle à la nature perfide de son bâtard et à la haine qu'il a pour le monde légitime. Au fil du drame, Gloucester perd ses yeux « Out, vile jelly ! » Quelle scène monstrueuse. Edgar, qui est banni comme Cordelia, reste dans le pays, mais il se déguise en fou. Edgar rencontre plus tard son père quand il est aveugle, mais il ne lui révèle pas son identité. Pourquoi ? Juste car Shakespeare voulait nous torturait avec cette vérité cachée ?

Dieu merci qu'un autre amateur de théâtre a demandé cette question après la représentation de Roi Lear que j'ai vu il y a un an. L'acteur qui a joué le rôle d'Edgar a dit que le fils de Gloucester a été banni. Il avait peur. Il n'était pas certain que son père lui pardonnerait pour une trahison qu'il n'a pas fait. Tout était mensonge. Comment dire la vérité ? Selon Shakespeare, selon mon oncle et ma grand-mère, selon Edgar on n'a qu'une seule chance de le dire. Le mensonge est comme un monstre terrifiant et la vérité est comme une seule balle dans un arme. Si on tire et manque le cible. Il faut vivre avec le bannissement ou se débrouiller parmi tous les mensonges. C'est ce qu'ont fait les deux sœurs aînées et la plupart du monde.

Est-ce qu'on peut dire la vérité et s'attendre d'un bon changement ? Non. Il faut ou dire et se dire des mensonges ou guetter sa chance et entretemps garder le silence.

Les puritains disaient Mais que votre parole soit: Oui, oui; non, non; car ce qui est de plus vient du mal.. Shakespeare se moquait d'eux. Il pensait qu'ils n'étaient que des hypocrites.

Et comment est-ce qu'on a pensé bon de monter cette pièce de théâtre aux temps de la culture heureusement partagée du bas en haut ? À la fin, Edgar se marie avec Cordelia. Le royaume vit en paix. Chaque illusion est remplacée par une autre. Or dans le texte, Cordelia trouve la mort et Albany dit qu'il faut dire ce qu'on ressent, pas ce que l'on doit dire. Autrement dit, il n'y a pas de vérité. Il n'y a que l'expérience humaine tantôt monstrueuse, tantôt harmonieuse.

Il faut en parler, après, et malgré le snobisme.

Cela conclut, j'espère, ces billets sur ma famille pour l'instant. J'ai encore un billet en tête, et puis je serai...

mardi 8 juin 2010

Entre LOL et OMG

Vous savez que nous traversons une époque mécanique, pleine d'angoisse. L'exigence de top performance est constamment à notre gorge. Il nous étouffe. C'est insupportable. Mais heureusement il y a toujours le progrès.

Cette époque est particulièrement injuste aux femmes. Les hommes sont les bénéficiaires de beaucoup de progrès scientifique. Par exemple, la plupart de recherche médicale vise à éliminer des problèmes typiquement soufferts uniquement par les hommes. L'hypertension, les crises cardiaques, les cancers de prostate et de côlon sont presque exclusivement des maladies masculines, et les gouvernements investissent beaucoup d'argent à améliorer la longévité de nos hommes chéris.

C'est injuste, n'est-ce pas ? Mais cela ne peut durer ainsi. Les compagnies pharmaceutiques veulent aider les femmes, mais s'ils sont dirigés par les hommes. Il faut les aider à vieillir avec grâce et en pleine santé. On dit que les pharmacologie inventent des problèmes pour vendre ses médicaments. C'est faux. Ces problèmes existent, mais elles se trouvent trop dans l'embarras d'en parler. Ce que je constate chez mes blogueurs femmes est qu'ils ont trop de soucis. Cela limitent leur jouissance. J'imagine qu'elles veulent plus écrire, mais elles souffrent de deux problèmes qui les limitent.

D'abord je constate que les femmes qui ont des enfants dévouent beaucoup de temps auprès d'eux et cela les épuise. Elles veulent écrire, mais quand le moment arrive, elle éprouvent un drôle d'impuissance. Elles regardent l'écran, mais rien ne leur arrive. C'est comme leur plume est molle dans leur main, aucun encre y reste. La satisfaction, c'est comme un souvenir lointain. Il n'y a rien à faire sauf éteindre la lumière et attendre la prochaine occasion pour satisfaire ce besoin d'écriture.

Je pense qu'elles souffrent d'un syndrome défini et guérissable, si l'on pouvait trouver un nom apte. Je pense qu'elles souffrent du écriture-dysfonctionnement, ou ED. C'est terrible, mais il n'y a aucune raison de souffrir. Un jour la pharmacologie va trouver une solution.

Moi, j'ai le problème inverse. J'ai trop d'énergie. Je m'emballe. Mon DIEU ! Je m'emballe et c'est comme un démon qui me possède. Je m'obsède, m'obsède, m'obsède. J'ai tout un tas de pensées dans ma tête. Je songe, je rêve, j'invente toute une histoire et puis toute l'encre de ma plume explose sur le papier. Je regarde dans l'air d'un œil vide. J'ai honte de ma manque de maitrise. Je dis au papier que je suis désolé. Mon partenaire, mon écriture, je t'ai déniée toute la joie de nos rapports mutuels.

Je pense que je dois souffrir d'un problème terrible. Il s’appellerait précoce écriture ou PE. J'imagine que beaucoup d'homme en souffrent.

Mais hélas ! Puisque je me sentais très fier de mon idée, j'ai demandé à Chouchou si elle souffrait de ces problèmes. Je viens de savoir... mais c'est terrible... c'est qu'il y a d'autres problèmes, hem, plus délicats que ceux que je viens d'inventer mais avec les mêmes sigles.

Je me rougis de honte. Horrible. Et maintenant je découvre encore un autre problème. C'est celui qui se trouve dans l'embarras de penser qu'il y a deux problèmes d'écriture qui s'appelle ED et PE. Je l'appelle le syndrome "entre LOL et OMG".

Je vous souhaite toutes et tous, bonne écriture !

P.S. Si ce billet est trop bête, ne m'en voulez pas ! Si vous voulez lire plus de ce genre, il y a ce billet sur un conseil sage sur les mots de passe.

Evaluations

Je viens d'être évalué
Pour un travail déjà fait
Parfait

Imperfection dans la perfection
Car c'est fatal pour le moral ?

Et pour récompense d'un an à mi-mourir
Où j'ai laissé mon esprit s'endormir
Un instant de petite rébellion
pour vous dire ma vie humdrum

N'inquiétez-vous pas. Leur évaluation de mon travail était parfaite. Mon évaluation de mon travail, c'est d'autre chose.



Chaque jour je vis cette chanson.

Le conseil de ma mère adoptive

Après avoir quitté mon oncle, je suis allé déjeuner. Pizza, bien sûr. C'est le rite de route d'un bon pèlerin. L'homme derrière le comptoir a l'air d'être le propriétaire tout craché mais plus jeune. C'est son fils. Je commende deux tranches de pizza à emporter, et quelques minutes plus tard je suis en route. Avant de retourner chez moi, je me dirige vers la maison de ma mère adoptive, Frau K.

Selon Margaret Mead, toute femme a besoin de trois maris : l'un pour les ébats de jeunesse, un autre pour la sécurité économique, et encore un autre pour tenir compagnie. Si c'est comme ça, tout enfant aura besoin de trois mères : l'une pour vous enfanter, une autre pour vous nourrir, et encore une autre pour vous vouloir. Frau K est pour moi la troisième.

Elle est dans son jardin quand j'entre dans l'allée. Elle me regarde en plissant les yeux. Elle ne me reconnaît pas. Je conduis les deux mains dans l'air gesticulant en sa direction comme pour dire, « C'est moi, c'est moi. Je vous rends visite. » Quand je suis directement devant la maison, elle me reconnaît.

« Quelle surprise ! Comment vas-tu ? » elle me dit. Elle explique ce qu'elle faisait dans le jardin. Son fils benjamin a réparé la lampe hier soir avant l'orage, et elle nettoie où il a mis les câbles. « Tu vois ? Alles en ordnung ! Entre ! »

Avant que je ne puisse expliquer pourquoi je suis venu, elle me dit « J'étais en train de penser à toi. Je me reprochais un peu du fait que je ne t'écris pas. Ach, les courriels. Je me demandais "Où est Go ? Pourquoi ne me rend-il pas visite ?" »

Une mère est toujours une mère. Elle veut ses enfants autour d'elle.

Il est vrai que je ne lui rends pas visite aussi souvent qu'il le faut. Un voyage en Pennsylvanie, c'est épuisant. On est en route plus qu'on est avec la famille. Les riverains sont habitués d'être très proches l'un de l'autre. Elle voit ses deux fils tout le temps. Mon ami K, qui vit dans le Ohio, lui rend visite aussi, mais beaucoup moins souvent que les deux autres. Il se sent un peu oublié. Il me dit, « J'ai besoin de ma mère aussi, mais elle se préoccupe d'eux tout le temps, mais pas de moi. » « Est-ce que tu le lui dit cela ? » je lui demande. « Non. Je dis toujours que tout va bien. » Le cours de la vie est parfois comme un grand fleuve. On tient aux branches qui sont proches et on regrette les autres qui sont plus loin.

Depuis que Herr K est mort, elle tient à ses enfants et à moi aussi, tandis que mes parents sont toujours en quête de se rétablir. Quand j'avais 18 ans et étais en plein rupture familiale, j'ai tenu bon à eux. Je pensais, comme ils m'ont promis, que tout irait très bien après le divorce. Il ne fallait qu'attendre jusqu'à ce qu'ils ne laissassent les choses se calmer, mais ils ont conclu à mon insu un pacte entre eux et contre moi. Ils se sont promis de divorcer et d'agréer que je grandirais tout seul. Ils me l'ont dit beaucoup plus tard, pour me protéger, bien sûr. Quand ma mère me l'a dit, c'était comme une chose banale, comme on annonce l'annulation d'un abonnement à un mari qui s'attendait de lire son journal.

Après le divorce, j'ai passé deux années complètement déboussolé. Au début de la troisième année j'ai rencontré mon ami K et il m'a introduit à sa famille. Je me souviens de ce temps. Je souriais nerveusement. Frau K me parlait très, très, très chaleureusement. Elle adorait me dire « Go ! Tu vas bien ? Je vais te schmucsher. » Le schmucsh ! Cela me terrifiait. Frau K est une femme très robuste. Elle a des poignets et bras très forts et grands, comme un arbre. L'idée terrifiante que je serais schmucshé me pénétrerait et je devenais très nerveux. Après tout, je ne suis qu'un sac d'os. Le frère aîné K adoré me taquinait à ces moments, « Go ! Cours ! Cours vite ! », et puis il éclatait de rire. Tout le monde riait. Tout le temps.

Et maintenant je suis revenu. Nous nous asseyons à la table. Je lui dis que j'ai essayé de lui rendre visite il y a une semaine, mais elle n'était pas là. Ce n'était pas une réponse adéquate à sa demande, mais j'ai bien compris le message : viens plus souvent.

Nous parlons de ma famille. Je lui décris le sacrifice de mon oncle et de ma grand-mère, ma méconnaissance de leur sacrifice, et mon remords. Ma mère adoptive ne me laisse pas parler trop, particulièrement quand je dis quelque chose à rebords de son opinion. Elle m'interrompt et martèle chaque mot avec son accent allemand, « Go, je te dis, si tu veux une relation avec ta grand-mère, tu dois l'appeler. Tu n'as pas besoin de demander à tes parents pour une relation. Si tu veux lui parler, parle-lui ! »

J'ai essayé de dire que je ne voyais pas les choses ainsi. Je pensais qu'il y avait une barrière entre elle et moi, et en effet, il y en a eu. La barrière était que mon oncle et ma grand-mère ne pouvaient plus me parler avec un brin de rancune contre mon père. Coincé entre le fait qu'ils n'aimaient ni le premier ni le second mariage de mon père et le fait que mon père ne pouvait rien comprendre, ils se sont tus. J'ai interprété leur silence comme un rejet, et j'ai vagabondé. Je ne le lui ai pas dit, mais il me semble que je ne l'aurais pas connue, si j'avais eu un rapport avec mon oncle et ma grand-mère.

N'importe. Quand Frau K veut parler, elle parle. « Yaber ! » Il est impossible de décrire la joie de ce mot. Yaber ou autrement dit moins vite, Ya aber. Nous autres américains disons la même chose en anglais Yeabut. Est-il comme les Belges qui disent Non peut-être ? Est-ce que les francophones disent dans un seul mot Ouimais ?

Je continue.

« Go, si tu veux lui parler, parle-lui ! C'est simple. »

Ensuite, j'ai essayé de lui expliquer comment je voyais le monde. Nous avons tous besoin de modèles, de mères, d'un repère, d'une transmission honnête entre les générations. Sans cela, on se perd.

« Non. Go. Écoute. » elle dit en prononçant net chaque mot. Je m'impatiente, mais elle veut parler. « J'ai perdu mon père à deux ans. J'ai perdu ma mère à 15 ans. J'étais orpheline, mais j'avais de la chance d'être élevée par ma grand-mère. Et pendant tout ce temps, je n'ai qu'une unique source pour me guider--mon cœur. Si tu suivis ce qui est écrit dans ton cœur, tu en sortiras. »

Un conseil imbattable. Je n'ose même pas un seul ouimais. Je dis, « Oui. C'est vrai. Je ne nie pas ça. Ce que je comprends est que le cœur est un calice. S'il est en pleine santé, il faut se rendre à ses conseils. S'il est empoisonné, il est dangereux... »

« Non. non. non. Go. Écoute. »

« Non. Frau K. Écoutez-moi un instant. » Et à ce point, nous nous parlons au même temps. Elle dit qu'il faut suivre son cœur. Je dis que le cœur a besoin d'un bon médecin. J'ai mis ma main sur son poignet robuste.

« Attendez un instant. C'est que vous êtes mère. Vos enfants vous adorez. Vous êtes chef de famille. Tout le monde vous respecte. Je vous respecte. Quand vous parlez, je dois écouter. C'est comme ça. »

« Yaber, je ne leur impose rien. J'ai de la chance qu'ils me respectent et aiment. » elle me dit presque dans l'embarras d'avoir trop réussi.

« C'est que votre famille est un modèle. Tout le monde peut se sentir libre ici. Tout le monde peut suivre les conseils de son cœur. »

Quelqu'un sonne. C'est Frau Koch. « Ach, si j'ai su que tu avais de la visite, je ne serais pas venue. Ah, c'est Go. Tu es encore très beau ! et très jeune ! » Ces dames allemandes, elles sont espiègles.

Frau Koch s'est assise. Je suis resté quelques instants pour ne pas donner l'impression que Frau Koch me chassait de ma visite, mais je m'imaginais que les deux Frauen voulaient parler en allemand et se faire des plaisanteries.

Quand je me suis levé pour prendre mon congé d'elles, Frau K m'a suivi à la porte. « Va me rendre visite Go. Chouchou et toi pouvez passer un week-end ici. Ce serait génial. Il y a la piscine. N'est-ce pas ? Transmets à Chouchou mes amitiés. Au revoir Go. »

Merci Frau K. Et vous avez raison, vous savez. Suivez les conseils de votre cœur. C'est le conseil le plus sage.

lundi 7 juin 2010

Le remords d'un puritain

Mais que votre parole soit: Oui, oui; non, non; car ce qui est de plus vient du mal. -Matthieu 5:37

Remord : Sentiment douloureux, angoisse accompagnée de honte, que cause la conscience d'avoir mal agi. -Le Petit Robert

Père m'a appelé. Grand-mère est sortie de l’hôpital. On dit que cela ne peut durer longtemps.

Samedi matin, je suis allé en Pennsylvanie.

En route, l'été se voit pleinement. Au dessous du canapé des arbres, je roule lentement. Je vois une marmotte d'Amérique plonge dans un champs cultivé, mais malheureusement je vois aussi des carcasses des animaux morts, ratons laveurs, opossums, écureuils. Les bois du Maryland et de la Pennsylvanie ont trop de faune. Ils débordent des bois et la faune mécanique des êtres civilisés les écrasent. C'est un massacre des innocents.

Le lendemain la Pennsylvanie a subi un orage puissant. Grêle, vent, pluie sont tombés sur les routes, sur les maisons, et sur les fenêtres. Une incendie a brûlé quelques maisons dans la nuit à cause d'un croisement de câbles ou une explosion d'un engin électrique. Entrant dans la ville, je n'en avais aucune idée. Je n'ai vu que la route était fermée. Il a fallu faire un détour. J'étais perdu pour un instant, mais je suis enfin arrivé à la maison de ma grand-mère et oncle.

Je suis entré dans la maison. Mon oncle m'a dit de m’asseoir. Il me parlait. Je ne disais guère rien. Un poids lourd pesait sur moi qui m'étranglait la voix. J'ai regardé grand-mère. Elle n'avait pas l'air de me reconnaître. J'avais l'air abruti pendant quelques minutes. Quand elle s'est endormie, le poids s'est levé. Oncle a dit qu'elle ne m'a pas reconnu.

Avant de parler de mon oncle et de grand-mère, il faut dire que je ne les connais guère. Ils sont des taiseux. Ils parlent à père, mais pas à moi. Je pensais jusqu'alors qu'ils ne le pouvaient pas à cause du fossé des générations ou à cause du fait qu'à leurs yeux je n'étais qu'un enfant. Maintenant que j'étais majeur, je pensais, ils ne savaient comment me parler. Ce jour-là, j'ai su que la conclusion était vrai, mais ce que j'imaginais était faux.

« Vous allez bien oncle ? »

« Oui. » Il l'a regardée un instant, puis il a dit. « Elle ne va pas bien. Les médecins ont dit que cela ne peut pas durer, mais le prêtre a dit qu'il a vu des patients vivre pour un an dans un état pareil. » Il a fait une pause, puis il a ajouté, « Personne ne s'en fiche. »

« De grand-mère ? » ai-je demandé étonné.

« Non. »

J'étais stupéfait pour un instant. Après peu j'ai compris qu'il répondait à ma première question. J'avais honte de ne pas avoir compris.

« Tu vas aller voir ton frère ? Ils vont fêter l'anniversaire d'Allette (ma nièce) ? Ils vont aussi fêter la fin de la première année du lycée. Elle est presqu'aussi grande que toi. »

Je me suis souvenu du fait que chez mon frère conservateur les fêtes transforment souvent en beuverie. « Est-ce qu'ils vont boire ? » Mon oncle a dit, « Il vaut mieux pas ! » Je lui ai dit qu'ils aiment boire.

Mon frère Flintstone est un ivre belliqueux qui déchaîne sa méchanceté quand il boit. Puisque Guimauve et lui ont les grand-enfants de la famille, on ne peut dire rien là-dessus. En fait, quand je dis à mon père que Flintstone est méchant, il nie tout. C'est toujours le contraire de ce que je dis. Il y a toujours un doute. En fait, selon mon père, Flintstone est très bon. Néanmoins, toute cette bonté n'est jamais au rendez-vous pour moi. La dernière fois que je suis allé chez lui, il m'a accueilli à la porte avec un collier de chien dans la main. « On va te faire porter ce collier Go. Cela sera rigolo. » L'ambiance de cette réunion familiale n'était pas gaie.

Je n'ai pas lâché prise. J'ai varié le thème en poursuivant le même chemin, « Quand est-ce que vous avez commencé à boire ? »

« J'avais douze ans. »

« Douze ans ! »

« J'avais un pote Freddie. Nous buvions chez son père. Nous avons un seau lié à un corde dans lequel on a mis des bouteilles de bière. » il m'a dit le sourire aux lèvres.

« Et père ? », je lui ai demandé. « Oh, le père n'était jamais là. » il a répondu. « Non, je veux dire... », j'ai commencé à dire. « Mon père ? S'il avait su, il m'aurait donné un coup de pied dans le cul. » Je lui ai souri. Une autre nouvelle inattendue, mais je voulais savoir ce que faisait mon père. Mon oncle a fait une mine et grommelé, « Lui, il est un fichu idiot. »

Voilà une phrase qui m'a fait lâcher prise. Il m'a regardé. Il a guetté ma réaction. Je l'ai regardé un instant, et puis j'ai regardé le sol. Ma curiosité ayant raison sur ma pudeur, je me suis décidé de lui demander une question qui n'était jamais posée. Chez mon père et la seconde, il était claire que père et oncle ne s'entendaient bien, parce que mon oncle était un grincheux qui n'a jamais quitté sa mère. Il était un jaloux qui disait que grand-mère préférait toujours mon père. Cela me semblait toujours une explication raisonnable, mais comme je ne m'entendais plus avec personne et il me semble que père préfère Flintsone à ces autres fils, je pensais bien lui demander la question afin qu'il pût répondre pour lui-même.

« Pourquoi est-ce que vous ne vous entendez pas avec mon père ? »

Au début, il a protesté qu'il s'entendait très bien avec lui. Ils sont frères, mais... « tu veux savoir pourquoi je l'appelle un fichu idiot ? »

Il n'avait pas de motif évident pour le dire, et il s'est tu, mais le poids sur moi m'écrasait. Pour respirer mieux, j'ai dû lui dire, « Vous savez, je ne m'entends pas très bien avec lui. Depuis le divorce et le remariage, j'ai du mal à comprendre comment m'y prendre. La seconde est vraiment insupportable. Lui, quand je lui parle, il est toujours sur la lune. Je lui parle et il nie ce que je dis. Je lui demande « Père selon vous, qu'est-ce que c'est la vérité ? » Et il me répond qu'il n'en sait rien, mais il sait que la vérité selon moi est trop inexacte et trop sévère. »

« Go, écoute. Guimauve et la seconde parlent trop. Quand elles parlent, il m'entre par une oreille et me sort par l'autre. »

« Mais, j'ai un grand problème. Quand elle parlent, il m'entre par une oreille, et ensuite il y reste. Elles sont omniprésentes dans la famille. Elles ont accaparé de tout. Et quand on leur dit la moindre des choses, elles ... »

« ... explosent. Oui. C'est comme ça. Il n'y a plus rien à faire. Et c'était la même chose chez toi quand tu étais enfant. Est-ce que tu sais comment ton père et ta mère ont fait souffrir à ta grand-mère ? Chaque jour elle a eu du chagrin à point d'être malade à cause de tes parents. Et on ne pouvait rien dire. »

A ce point il a ouvert grand les yeux. C'est un trait particulier de la famille. Cela veut dire que la suite sortirait du fond de l'âme. Même mon père le fait, mais au bout de tous ses mensonges, de tous ses équivoques, de tous ses faux-semblants, je ne me fiais plus à ces yeux-là. Je ne me permettais plus d'ouvrir grand les yeux. Si je ne croyais plus rien, qui me croirait ? Quand je dis ma vérité, je la dis au sol, parce que je suis convaincu que c'est déjà trop tard. Et maintenant mon oncle ouvre grand les yeux pour couler la vérité directement dans mon âme. « Je ne sais pas quoi serait-il arrivé à vous trois garçons, si elle ne se préoccupait de vous trois tout le temps. Elle était toujours là. Ta mère et ton père, c'était une cirque, un drame tout le temps. Derrière chaque fichu idiot, homme ou femme, il y a un parent ou frère qui se tait. Nous ne pouvons rien dire. Nous étions là pour vous, les enfants. »

Et dire pour toutes ses peines, mon oncle est traité d'un vieux grincheux.

J'ai regardé grand-mère un instant, mais maintenant avec une compréhension de sa sacrifice et de l'ignorance infinie que ma famille a pénétrée dans mon âme. Je pensais toujours que grand-mère aurait dû dire quelque chose à mon père, dire qu'il avait tort, qu'il était un fichu idiot. Je pensais qu'elle a choisi d'être complaisante. Après tout, c'est exactement ce que j'ai appris auprès de mes frères, mon père et ma mère. Tout le monde était un lâche. Tout le monde était complaisant. Lutter contre cette attitude m'a valu un lourde fardeau. Père m'a dit une fois qu'il aimait me voir humilié. Flintstone voulait me faire porter un collier, et frère aîné pensait que je devais subir des thérapies psychologiques, parce qu'il a dévoué toute sa vie à ce charlatanisme Reichien. Et certainement, quand il parle de Wilhelm Reich il ouvre grand les yeux et hors de l'abîme coule sa manie. Quand mon père parle de l'ambiguïté de la vérité, il ouvre grand les yeux et il dit tout ce qu'il peut dire pour brouiller les pistes, pour laisser entendre que c'est la faute de quelqu'un d'autre. Jamais lui.

J'étais au bord des larmes. Le remords me mordait à la gorge. J'ai dit à mon oncle en regardant le sol que je ne pouvais venir voir la famille. Je restais chez moi. J'aurais dû me renseigner, mais au lieu de cela j'ai vagabondé et j'ai cédé ma place aux autres qui m'ont arrachée.

Ce qui me brûle avec fureur est que ma grand-mère a demandé à tout le monde une fois, « Pourquoi est-ce que Go nous déteste ? » car je ne rendais plus visite à la famille. J'avoue quand j'ai eu ma traversée du désert je suis devenu nihiliste. Je pensais que les bêtes pouvaient s'entre-tuer et j'en rirais. Juste comme Ivan Karamazov. Et en effet, c'est ce qu'il est arrivé. Quelques mois après ma décapitation, Guimauve a décapité la seconde pendant une beuverie. Je me pensais tout rusé. Et quand grand-mère a demandé sa question--que mon frère aîné a plus tard instrumentalisée pour me culpabiliser--personne ne lui a dit la vérité. Personne ne lui a dit rien. Père, qu'est-ce qu'il lui a dit ? Rien. J'étais un méchant, un ignoble. Tout le monde autour d'elle jouaient le bon ange alors que j'étais le diable.

Ils m'ont trahi à une personne qui a sacrifié tout pour eux. Veuve à l'âge de 55 ans. Elle ne s'est jamais remariée. Jamais elle n'y a pensé. Et eux, qui ont leurs familles et leurs enfants, qui imposent leurs règles à tout le monde, ils sont toujours au bord d'une crise qui exclut absolument la vérité auprès des gens qui en ont besoin.

« Désolé mon oncle. Désolé pour ne pas être venu plus souvent. »

Il m'a regardé jusqu'à ce je pusse me lever les yeux.

Nous nous asseyions un peu sans parler, ensuite il a commencé à s'inquiéter de l'arrivée de l'infirmière. « Où diable est cette infirmière ? Elle a dit qu'elle allait arriver à 11 heures. »

En attendant, je lui ai demandé sur les vies de grand-mère et de grand-père. Elle était d'origine allemande, lui alsacienne. Mon aïeul alsacien s'est battu dans la guerre révolutionnaire et s'est marié avec une femme dont la famille trace leurs origines aux Pères pèlerins du Mayflower.

Je suis donc l'un des puritains qui, il y a longtemps, disaient Mais que votre parole soit: Oui, oui; non, non. Persécutés en Europe, ils sont venus ici, où ils sont encore persécutés.

A 1 heure et demie, j'ai pris congé de mon oncle. Il m'a regardé dans les yeux et puis a dit tendrement, « D'accord Go, prends garde à toi. »

Je lui ai serré le main. J'ai embrassé le front de grand-mère et m'en suis allé.

dimanche 6 juin 2010

Chien ou chat ?

J'ai commencé à répondre aux commentaires dans mon billet précédent, mais j'ai vite découvert que j'avais plus à dire.

Tara Parker-Pope dit que les animaux nous engagent dans un processus d'amour inconditionnel. Ils nous le donnent, et nous aussi, nous leur le rendons quand nous oublions qu'ils viennent de vomir sur les tapis ou pisser sur les meubles. Chaque jour on répète le processus et par miracle cela plaît à tout le monde.

Dans ce processus décrit par Mme Parker-Pope, il n'y a pas de rêve. C'est très au présent et très intime... on dirait en anglais "here and now".

Oh, je viens de lire qu'Elisabeth Badinter est récemment entrée dans ce débat. Elle a accusé les féministes vertes et naturalistes d'une conspiration qui visait à réinstaurer la domination masculine. Selon elle, ces féministes tenaient aux idéaux irréalistes. Mais bon, parfois je l'admire. Elle a du courage. Tout le monde doit trouver son chemin.

S'il y a une ironie dans la conclusion de mon billet précédent, c'est que dans une seule semaine on peut trouver cinq ou six articles sur le divorce et le mariage. Les articles de Deirdre Bair et Tara Parker-Pope étaient les plus lus des lecteurs de New York Times et ils étaient en effet complètement contradictoires. Mme Bair disait "Allez-y, le divorce est une nouvelle chance" tandis que Mme Parker-Pope nous a offert un conseil pour réconcilier.

L'avenir ? On verra. En attendant, j'ai deux constats.

D'abord, que les deux articles étaient les plus lus m'indique que les esprits des lecteurs ont bifurqués entre les deux modèles. Je n'ai pas inclus les articles qui ont pleuré du divorce des Gore, parce que cela ne m'intéresse pas. En revanche, les deux femmes représentent un dialogue de sourds que nous entretenons sur ce sujet. À mon avis, Tara Parker-Pope est beaucoup plus subtile et habile.

Second, je suis type chat. En fait, chez nous, Chouchou est plutôt étonnée comment je sais me faire adorer aux chats. Lot mot clé chez eux est l'intra-indépendance. Cette relation implique un mélange de leur nature sauvage et de l'ambiguïté de la nôtre. Un mélange de leur instantanéité et de nos conflits quotidiens. Ils sont au poil touffu. Nous sommes sans poils. Ils sont indépendants, mais ils se lient forts à nous. Je comprends cela et du coup c'est pourquoi j'ai le sobriquet dans ma maison "Docteur Amour de chat".

Bon... je suis absolument ridicule maintenant. Mais je reviens juste un instant sur le sujet. L'intra-indépendance nous encourage de se lier à notre passé, à notre côté sauvage, à notre présent et à notre côté policé. L'indépendance tue le mariage et promets le divorce. Le narcissisme et les rêves excluent le vivre-ensemble au présent et avec les autres.

Par conséquent, à mon avis, l'intra-indépendance me semble le plus grand défi de nos vies dans lequel l'avenir serait juste une décision entre chiens et chats.

Et Chouchou veut un chien. Berk !

vendredi 4 juin 2010

Une occasion mirobolante

Jeudi soir après s'être plainte du comportement de son chef, Chouchou m'a parlé d'un billet dans une colonne de conseil qui s'appelle Ask Amy. Une femme se plain de l'ingérence de la seconde femme de son père dans sa vie familiale. La femme veut un peu de distance entre elle et ses enfants.

Le conseil d'Amy est qu'il est très bien d'avoir 6 grand-parents.

Dans une autre lettre une belle-mère se plaint de ses beaux-enfants. Ils ne l'aiment pas. Selon elle, c'est injuste parce qu'elle a parfaitement pris ses responsabilités de mère dans la vie des enfants de son mari.

Le conseil d'Amy est que c'est la faute de son mari. Il lui fallait imposer la loi du respect sur ses enfants.

Récemment, les Gore ont divorcé après quarante ans de mariage. Dans une opinion du New York Times, Deirdre Bair nous explique que le divorce n'est ni un échec ni une honte, c'est une nouvelle chance. « Les gens changent et oublient de le dire à leur époux, » a expliqué une femme divorcée.

Souvent il arrive que les parents oublient de le dire aux enfants aussi. Pardon, j'ai mis mon propre avis dans ce résumé des articles. Les enfants des familles décomposées et recomposées ne tiennent souvent pas la parole. Ils sont les méchants.

Où en étais-je ? Ah, les gens changent et oublient de le dire. Parfait. Et au lieu de dire que chez ces couples il arrive une crise de communication où l'un et l'autre refusent de parler et de écouter, Mme Bair dit que l'homme ne voyait pas la femme, il ne la connaissait même pas. L'un qui ne voyait bien pensait que tout allait très bien.

Il y a une semaine sur La fabrique de l'histoire Emmanuel Laurentin nous a proposé le documentaire La comédie du Divorce. Il est difficile pour moi de saisir ce que j'ai appris de cette émission. Il faut copié un extrait de la description : L'opportunité de découvrir ce à quoi elles aspirent, mais aussi une blessure, un gouffre de questions, l'apprentissage de la solitude et le face-à-face avec les réalités matérielles.

C'est très bien. On évite les discussions pénibles. On cesse de se parler.

Quand les enfants pourront-il divorcer de leurs obligations familiales ? N'ont-il pas le droit à une indépendance que leurs parents ont obtenue ?

Ne vous inquiétez pas ! J'ai une réponse. La nouvelle génération a trouvé son chemin. Selon Judith Warner, il sont plus narcissiques que les générations précédentes, et bizarrement ils en sont plus heureux. Ils demandent le meilleur de tout, et même en pleine crise économique, même surendettés, ils s'imaginent un avenir radieux, juste comme leurs parents qui probablement viennent de divorcer.

Quoi faire pour les personnes qui n'en comprennent rien ? Selon Tara Parker-Pope, les uniques êtres qui tiennent aux idéaux de vivre ensemble sont les animaux domestiques. Vous voulez un tuyau ? Prenez chaque centime que vous avez et ouvrir un magasin d'animaux de compagnie. La demande sera mirobolante.

jeudi 3 juin 2010

On aura ça

Mon oncle est né en 1933 à mes grands-parents, un ouvrier dans une usine et une couturière. En 1950, il a été incorporé dans l'armée pour lutter dans la guerre cornéenne, et puis il est retourné à la maison où il a été élevé. Il n'a jamais marié. Il a travaillé dans une carrière de calcaire jusqu'à l'âge 65 ans. Il n'a jamais quitté ma grand-mère.

Mon père et lui font un drôle de couple. Ils se détestent, mais leur combat est paisible. L'oncle dit que grand-mère aimait mon père plus que lui. Ils sont frères. Ils adorent leur mère à leur guise.

Pendant toute ma vie j'ignore le caractère de mon oncle, parce qu'auprès de mon père il se tait, et de temps en temps il grommelle. Maintenant que nous sommes rentrés dans la chambre, il m'a parlé.

Il est vite allé au bord du lit et a mis sa main sur le visage de grand-mère. « Hé, maman, ça va ? Vous dormez ? » il lui a dit. Il a tourné vers moi, et il m'a embrassé. Je pense que c'était la première fois de ma vie. Puis il a dit « Ah ! elle dort. Et comment vas-tu Go ? Quand est-ce que tu es arrivé ? »

Je lui ai expliqué tout. Grand-mère a bien mangé. Nous avons passé une heure et demie avec elle. On disait qu'elle allait mieux maintenant.

Quand j'ai vu comment l'aide-soignante et l'infirmière ont dû lever le corps pour lui donner à manger et puis ils ont dû l'aider à faire sa toilette dans le lit, j'ai pensé à mon oncle. « Et comment allez-vous ? Vous tenez bon ? Cela doit être dur de s'occuper d'elle ? Vous avez de l'aide ? Peut-être une infirmière ? »

« Je suis seul, tout seul. C'est tout ce que je fais maintenant. Tu vois ? Depuis trois ans, je passe tout le temps à la maison. Lever son corps, ce n'est que poids mort. Trois ans, tout seul. » a-t-il dit la tristesse dans les yeux.

Il m'a parlé d'elle. Nuit et jour il faut travailler, toujours vigilant. Chaque blessure qu'elle a subi lui a fait du mal. Il y a deux semaines elle s'est arrêtée de parler. Il y a une semaine elle a commencé d'aller pire.

Ensuite, il m'a regardé et souri. D'un ton badin et espiègle, il m'a dit, « Je ne te vois plus depuis longtemps ! Qu'est-ce que tu fais à Washington ? Qu'est-ce que tu fais avec toute ton argent ? »

J'ai balbutié des excuses qui n'expliquent rien de mon comportement. Je déteste de dépenser de l'argent.

« Hé hé tu as encore les cheveux longs. Toooiii ! » il m'a dit.

J'ai haussé les épaules en souriant.

« Quel type de voiture est-ce que tu conduis maintenant ? Tu as une voiture ? Tu fais encore du vélo ? Hé hé hé. » Je lui ai parlé des voitures, du métro, de la stress d'aller au bureau en vélo. Ensuite il m'a demandé des questions sur mes relations familiales. J'ai dû lui dire que je m'entends mal avec ma famille. Il m'a dit, « On aura ça. »

Cette locution (You'll have this) est particulière de la région. Il veut dire que la vie n'est pas comme on l'aurait voulue. C'est presque comme la locution française « C'est la vie » mais elle est plus espiègle, plus méchante.

Nous causions comme ça quand mon père et la seconde épouse sont entrées. Ils étaient très surpris de nous voir. Ils m'ont embrassé. J'étais raid et droit. Oncle est allé dans le coin. Elle est allée à grand-mère et lui a longtemps parlé. Tout le monde la regardait, parce qu'elle parle plus fort que nous autres.

« Rus, il faut acheter un lit d'hôpital. Qu'est-ce que tu vas faire avec l'autre lit ? Nous pouvons t'aider. Regarde comment ça marche. Cela marcherait mieux que l'autre. Alsace, nous pouvons lui donner un coup de main, n'est-ce pas ? Oui, nous pouvons vous aider quelques jours par semaine. »

Après chaque question, le regard au sol, oncle grommelait au lieu de dire « Tu parles. »

Père a pris le relève. Il a répété tous les propos déjà dits, puis ils se parlaient entre eux.

A 7 heures l'infirmière de la prochaine équipe est entrée dans la chambre. Elle nous a assené d'une explication longue ce qu'elle avait intention de faire cette nuit pour la patiente, les médicaments, la raison que les médecins utilisent l'insuline, comment elle ne voulait pas accepter d'utiliser de l'insuline, de la condition de la patiente. Elle m'a regardé d'un air vaguement hostile et aimable à la fois. Je ne pouvais distinguer où l'hostilité commençait et l’amabilité terminait. Je l'ai écouté au cas où ce qu'elle disait m'aiderait de comprendre la situation, mais je me sentais agressé. De temps en temps j'ai regardé Chouchou. Elle me faisait signe de sa surprise après qu'elle est sortie.

La seconde a demandé à oncle s'il jardinait encore. Il a dit qu'il a perdu tous ses légumes à cause de la pluie--betteraves, navets, haricots verts, tomates, bettes. Il les a semé dans son potager, et maintenant c'était peine perdue.

« Tu as un jardin Go ? » oncle m'a demandé.

« Oui, mais, nous n'achetons que quelques plants. Vous les semez du grain. Vous allez recommencer ? »

« Non, pourquoi le faire ? »

Après la conversation du jardinage, ma belle-sœur, Guimauve, est entrée dans la chambre. Tout le monde le regardait, parce qu'elle ne parle pas. Elle s'empare de la conversation. Elle connaît tout le monde, même l'infirmière. C'est son bonne amie. Mon oncle, moi et Chouchou nous sommes tus. Les autres parlaient et après cinq minutes oncle m'a serré la main et nous a dit un au revoir sec. Les autres ne lui faisaient aucune attention et continuaient à parler.

Je les observais. Je ne me souviens de rien de leur conversation. J'étais loin de tout. Après une demie heure, j'ai dit à tout le monde que c'était tard. Je voulais retourner à Washington.

En attendant l'ascenseur, Chouchou m'a demandé, « est-ce que tu as vu Guimauve ? »

« Pas ici, attend l'ascenseur. »

Elle me regarde un méchant sourire aux yeux. L'ascenseur arrive et puis elle dit « Elle est devenue obèse ! Oh là là ! Incroyable. Elle n'est pas grosse, elle est obèse. »

« Chouchou. S'il te plaît. Je ne veux pas me rire d'eux. Tu les crois ? Est-ce vrai ? Nous manquons à eux ? à la seconde ? à Guimauve ? »

« Ton père avait les larmes aux yeux, mais qui sait ce qui se passe dans leurs têtes. Ces femmes-là sont toujours prêtes à péter les plombs. Guimauve sera toujours hypocrite. »

Je contemplais la scène. Elle était en effet la proposition de mon père : oublie tout et recommence tout. On va se maquiller, se masquer, et utiliser des logiciels pour corriger les fausses notes. Comme ça on peut être ensemble.

« Est-ce que tu peux accepter ta famille après avoir vu comment ils s'entendent ? Tu veux vivre comme ton oncle parmi eux ? »

« Eh, ben. Sais pas... On aura ça. »