mercredi 25 août 2010

La panthère rose dans notre jardin

Hier, j'ai recommencé encore une fois à me mettre en forme. A 14h, je cours sur un tapis roulant pendant 30 minutes. Il y a 30 ans, je courais le 400 mètres, et après je me effondrais au sol, heureux de respirer profondément et exalté d'avoir volé un instant. Aujourd'hui, ô cruelle blague de vieillesse, je prie que cette machine sacrée ne me jette pas par terre en suçant l'air comme un naufragé. Après l'exercice, je la remercie, parce que sans l'exercice physique, je me sens assiégé. J'ai mal aux articulations. Je suis abruti, moins alerte, plus insomniaque et quelquefois j'ai la tête qui tourne. Grosso modo, je pense que le train-train de bureau, stress et ennui me ronge moralement et physiquement. Les seuls secours sont le café et l'exercice, mais le café, j'en abuse, et il commence à me faire plus mal que bien. Juste pour survivre, il faut en boire moins et me torturer plus.

L'exercice pendant la journée a deux avantages. Alors que je me torture au travail, une pause tapis-torture me rend plus efficace, et elle me permet le luxe de regarder des émissions de télévision très bêtes. Ma préférence est les bandes-dessinées des années soixante. Hier, on a diffusé une émission de la bande-dessinée The Pink Panther. C'est toujours un plaisir d'entendre le célèbre thème inoubliable de Henry Mancini. En revanche, j'ai été frappé de surprise par le talent artistique, quasiment absent de notre époque, de la bande-dessinée. Le décor, minimaliste et surréaliste, n'était qu'un tas de gribouillage en couleurs vives et foncées. Et les histoires, courtes et toutes pareilles, ont des nuances sophistiquées, littéraires et absurdes. Le pickpocket, qui est une araignée aussi, échappe au commissaire Clouseau en marchant sur un mur. Quand le commissaire essaie au nom de la loi de l'attraper en le suivant, c'est la loi de gravité qui attrape le commissaire. Il tombe au sol et une brique tombe sur sa tête plus tard. Dans une autre histoire, le commissaire entre dans une maison qui est hantée, mais le monstre qui hante le lieu, c'est vraiment son adjoint, Deux-deux. Il a bu une potion qu'il a trouvé dans la maison pour calmer son estomac, mais celle-là le transforme en M. Hyde chaque fois qu'il hoquette. Le commissaire lui demande de monter la garde dans une pièce, ils se séparent, Deux-deux hoquette, se transforme en monstre gigantesque, et quand le commissaire retourne, Deux-deux l'attrape dans ses mains vertes et monstrueuses, le plie dans une balle et le jette contre un mur. Plus tard une brique ou quelque chose tombe sur lui aussi. Dans le même programme, la panthère rose entre dans un parc d'attractions où les dés sont pipés. Il voit un garçon lance une balle qui atteint une cible et ensuite l'homme perché sur une planche tombe dans l'eau. Notre chat rose l'essaie, il atteint la cible aussi, mais au lieu de faire tomber l'homme, une trappe ouvre sous ses pieds et il tombe dans un bassin infesté de crocodiles. Plus tard une brique tombe sur sa tête.

Dans chaque histoire, un personnage de caractère stable s'attend que les lois qui s'appliquent aux autres, s'appliquent également à lui, et nous rions quand il apprend à ses dépens que tout est faux. Les apparences sont trompeuses, les dés sont pipés, les protagonistes, toujours trop crédules, rencontrent les Dr. Jeckyl qui se transforment immédiatement en M. Hype, battent les protagonistes naïfs, et se re-transforment en Dr. Jeckyl avant d'être découverts.

En quelque sorte, chaque rencontre avec Zanie, la voisine avec qui nous partageons un jardin, se répète ce scenario rose. Si elle était un personnage dans ce programme -- faites l'entrée du thème de M. Mancini -- on verrait que la famille Rose avait des chatons et elle avait des chats. Quand l'un part en vacances, le voisin qui reste veille sur tous les animaux, et quand le vacancier retourne, il fait un cadeau à l'autre. La famille Rose achète en France quelque chose de joli; Zanie leur donne quelque chose de l'aéroport. Petit à petit, la voix de verre brisé de Zanie fait mimer la panthère rose une crispation qu'il voudrait réprimer, alors que sa femme rose plonge de plus en plus profondément dans la terreur du désastre imminent qui briserait les relations amicales.

Au premier rencontre, madame rose relaie une requête de Zanie à M. Rose d'aider le fils de Zanie à porter un objet lourd à quelque part. Volontiers, il se lève et découvre que Zanie a trouvé une bouche d'incendie. Il porte seul cet objet en fer épais à l'endroit désiré, pendant que son fils, qu'elle appelle numéro 3, et qui est plus comme un bœuf qu'une panthère rose maigre, le regarde avec hauteur comme sa mère. En luttant avec ce menhir moderne, il foule les fleurs que madame Rose vient de planter, et après un long effort, couvert de sueur, il laisse tomber l'objet qui lui fait mal. Quand il retourne à la maison, madame Rose lui dit que l'endroit désiré était sur le côté Rose. Il hausse les épaules.

Plus tard, la famille Rose, en retournant des vacances, découvre que Zanie a mis un banc sur leur côté du jardin. En se plaignant à son mari, elle demande « Pourquoi ne peut-elle pas mettre son banc à son côté du jardin ? » Lui hausse les épaules. L'an suivant, la famille Rose retourne et découvre encore un banc sur leur propriété. Cette fois-ci madame Rose va lui demander pourquoi elle a mis ce banc comme ça ? Zanie lui explique que c'était à cause de l'homme qui l'aide maintenant, parce que M. Rose est toujours trop occupé de lui prêter la main. L'homme a dit qu'il faut mettre des dalles au-dessous du banc, mais si c'est comme ça, elle peut lui demander d'enlever les dalles. Madame Rose rentre hors de soi. Lui, il hausse les épaules.

En été, la famille Rose fait du jardinage. Ils ont un joli figuier. Ils pointent du doigt où se trouvent les figues naissantes. Zanie voit le couple et leur dit s'ils étaient sympas, elle leur donnerait des fruits de son figuier. M. Rose ouvre les yeux ronds. Madame, impassible, rentre à la maison, et jure et jure et jure. Chaque jour, les Rose couvent le figuier du regard. Un week-end, ils partent pour le Vermont, quand ils retournent, ils découvrent que tous les fruits mûrs ont été cueillis. Zanie leur en donne quatre. Les Rose ne savent combien elle a pris.

Il y a quelques jours, Zanie a appelé la maison Rose, une chauve-souris était dans sa maison. M. Rose l'a attrapée et l'a relâchée. Le jour suivant, Zanie leur a fait cadeau. Dans le sac se trouvaient deux boîtes de friandises de la marque Starbucks et une note sur laquelle elle a écrit, « Aucune bonne action reste impunie. » Quand madame Rose, a examiné les boîtes, après les avoir longtemps ignorées, elle découvre que la date de péremption est le 29 novembre 2009.

Je me demande pourquoi on ne fait plus de bande-dessinées comme la panthère rose ? Serait-il qu'elle est trop surréaliste ? ou juste sur-réaliste ?

Attendez ! Il faut que je vous quitte. J'ai la prémonition qu'une brique va tomber sur ma tête.

dimanche 22 août 2010

La liberté retrouvée

Vendredi soir vers 9 heures le téléphone a sonné. Numéro 3, le troisième fils de Zanie, notre voisine, nous appelait. Ils étaient aux abois. Il y avait une chauve-souris dans leur maison.

Chouchou s'est dirigée vers la porte. J'ai cherché des matériaux pour dé-chauve-souriser, des gants, un sac, et nous sommes allés chez Zanie.

Elle parlait en haletant de panique. Le flot saccadé de mots n'avait aucune information utile sauf qu'elle a pris panique et qu'elle volait partout. « Dans la salle à manger ! » Inspiration, expiration. « Dans le salon ! » Expiration, Inspiration. Réprimant l'envie de rire, j'ai demandé à son fils « Où est-il ? » Il m'a emmené en haut. Au seuil de la porte il a pointé du doigt à un morceau indistinct et immobile sur le rebord d'une fenêtre. J'ai cherché de quoi pour m'approcher d'elle. Le lit et le radiateur étaient trop loin pour l'attraper. J'ai demandé une chaise, mais numéro 3 ne m'a offert qu'une chaise de bureau, équipée de quatre roues. Je lui ai dit que c'était trop instable pour chasser une chauve-souris, mais il ne m'entendait pas.

Je me suis perché sur le radiateur. Il a cherché Chouchou.

La pauvre chauve-souris semblait presque morte. J'ai lentement agité ma main devant elle. Est-elle malade ? Est-ce la rage ? Cette petite bête, maintenant pas plus grande qu'une souris, semblait si anodine, frêle et inanimée. Comment est-ce que tu as pu semer tant de panique dans cette maison ? Chouchou est entrée dans la pièce. « Peut-être est-elle morte ou malade, » Je lui ai dit. « Ne la touche pas si elle est atteinte de la rage, » elle m'a répondu. « Je suis ganté, merci. »

J'ai ouvert et ai fermé le sac en le contemplant. Il m'était certain qu'une bête habile et sauvage pourrait y échapper. En regardant la chauve-souris immobile j'ai demande, « Est-ce que tu peux me chercher un petit sac de voyage ou un sac de médecin. » Elle a demandé à Numéro 3 pour un sac. Il est retourné avec un sac plastique peu solide.

Encore perché sur le radiateur, j'ai imaginé un plan de secours. Je l'attraperais, mais pas de la main. Si la pauvre se démenait dans mes mains ? Il faut l'attraper de quelque chose de doux, de si doux qu'il serait invisible et imperceptible, et ensuite flottant sur ce coussin aussi léger comme un nuage invisible, je la transférerais dans le sac. J'ai scruté dans la pièce un nuage. Je me suis contenté d'une chemise dossier jaune. En la vidant de son contenu, j'ai renversé un cadre métallique qui reposait sur le seuil de l'armoire. Il est tombé au sol et a fait un bruit lourd. Inquiet, Numéro 3 a demandé « Qu'est-ce qui se passe ? » Chouchou est entrée dans la pièce quand j'étais en train de glisser le dossier sous l'animal. « Ne la touche pas ! » elle m'a averti. La bête, qui ne voulait ni me toucher ni être touchée, s'est ranimée et a fait plusieurs tours de la pièce au-dessus de nos têtes.

« Ferme la porte ! » j'ai demandé. Chouchou l'a vite fermée en partant.

Maintenant, j'étais seul avec l'animal qui cherchait désespérément une issue. J'ai patienté. Elle devait être épuisée, et conforme à mon hypothèse elle s'est installée près de l'entrée au comble. J'ai vu une boîte en carton près de l'escalier. Je l'ai vidée et me suis approché d'elle. « Ne va pas en haut. Reste ici avec moi. Je t'aiderai à échapper cette prison. Sois tranquille, tranquille. » Et ensuite, elle s'est réveillée encore une fois et traçait des cercles autour des lames tournantes rapidement du ventilateur de plafond.

Il est impossible de suivre la trace du vol d'une chauve-souris. A chaque coup d'aile, ce foudre de Hadès accélèrent en se tordant et changeant de direction. Cette électricité noire zigzaguait en tournant autour de la pièce. Quelquefois, quand je ai senti le picotement de la peur électrique me perçait, j'ai mis le petit parafoudre, qui a été récemment un nuage invisible et avant ça une chemise dossier jaune, devant mon visage. Peu à peu, elle, coincée entre les murs, le plafond, un petit parafoudre et les lames, traçait un cercle presque rond. Ébloui et immobile, j'ai regardée ce foudre imprévisible et insaisissable. Elle a brièvement transformé cette maison par sa présence, mais petit à petit, le foudre a été dompté par la maison. Après quelques minutes, sa lutte furieuse pour trouver une issue s'est soldée par un abandon. Épuisée, elle s'est accrochée la tête en bas dans le rideau.

J'ai pris la boîte et commencé à m'approcher d'elle. J'ai mis le pied gauche sur le radiateur et puis en grognant je me suis hissé jusqu'à elle. Chouchou, qui écoutait attentivement à la porte, est entrée dans la pièce, « Tout va bien ? Qu'est-ce que tu fais ? » « Chut ! Je suis en train d'attraper la chauve-souris » J'ai mis la bouche de la boîte à la gauche d'elle, puis à la droite. Je ne pouvais me décider, mais elle semblait dans l'état que je l'ai trouvée, mi-morte. J'ai mis la bouche autour d'elle, et elle est tombée dans la boîte. J'ai eu quelques instants d'indécision sur la méthode de fermer la boîte. Enfin, j'ai laissé la boîte ouverte un instant et heureusement j'ai pu remettre le couvercle sur la boîte.

Vite, vite, vite je suis descendu avec la proie emboîtée et sidéré. Chouchou m'a suivi, « Ne laisse pas ouvrir la boîte ! » Un peu exaspéré, un soupir m'a échappé. Elle et moi étions au seuil de la porte. J'ai regardé la poignée de la porte en me demandant comment ouvrir la porte sans les mains. Elle a dit, « Il faut la garder au cas où -- ! » L'animal a battu ses ailes. « Non, écarte-toi ou ouvre-moi ! » j'ai demandé en essayant d'ouvrir avec ma coude. Elle nous a lâchés.

Dans le silence de la nuit, j'ai cherché un endroit pour la relâcher. J'ai mis la boîte sur la terre et ai enlevé le couvercle. Elle a hésité aussi longtemps pour me faire me demander pourquoi elle ne voulait pas profiter de sa liberté retrouvée. Je me suis approché de la boîte pour voir ce qui se passait. Tout d'un coup elle s'est envolée. Elle a fait un tour de la taille de sa ancienne prison en passant quelques centimètres devant mon visage. Elle a fait encore un tour, et puis en zigzaguant elle a voltigé dans la nuit. Elle a aussi pris toute son énergie avec elle.

J'ai ramassé la boîte et ai marché lentement à la porte.

dimanche 15 août 2010

Comment vider la pluie qui déborde ?

Fatigué et las comme des épaves flottants, encombré et lourd comme un navire qui prend de l'eau, j'ai travaillé ce vendredi. Je n'ai guère écrit une seule phrase. Mon esprit, il faut avouer, s'absente trop souvent. Il serait atteint d'ennuilitis.

Le matin je me lève tôt. Je fais du café, j'allume l'ordinateur. D'abord, courriels, correspondances, actualités, ensuite j'annonce au monde virtuel que je suis disponible. Je regarde ma boîte aux lettres. Trop de temps s'écoule depuis ma dernière lettre à mes amis à Wooster, MA, Philadelphie, Los Angeles, Cleveland et Peoria et entre-temps je fais un tour de manège perpétuel errant entre la maison, le bureau, le métro.

Je décroche « R ? Tu es là ? Tu veux parler ? Dans une heure. Ça marche. À midi, je jouerai au tennis. A tout à l'heure. » « M ? Vous êtes là ? Oui ? Dans cinq minutes, parfait. » Aujourd'hui, M est dans la pluie à Lausanne. La semaine prochaine, elle partira pour l'Espagne. Pour les châteaux ? Non ! Son amie et elle ont un appartement à la plage. Oh, les châteaux ! Les châteaux en Espagne. Non, ce n'est qu'un appartement Go. Ah, tu sais Go que les châteaux en Espagne, ils sont aussi fiables que les châteaux en sable, n'est-ce pas ? Les appartements, c'est mieux, mais je ne sais combien de bouquins je peux ouvrir.

Elle va lire, manger des salades, parler, errer. Elle se laissera juste flotter sur les vagues de la mer et du temps dans l'appartement au bord de la mer.

« Go ? Tu es prêt ? » « Attends R, je parle à M. Dans 5 minutes ? »

Et nous parlons encore dix, quinze minutes, mais maintenant M, c'est au revoir. Dans deux semaines. Bonnes vacances. A bientôt.

« R ? Prêt ? Il pleut en Angleterre aussi ? Tout le monde semble trempé de l'eau aujourd'hui. »

R et moi, nous avons un programme de lecture pour alimenter notre conversation. « Tu penses qu'on peut être heureux en changeant ses habitudes de consommation ? Est-ce que tu penses que tu peux se limiter à l'essentiel ? » Bien que nous deux soyons d'accord que c'est une bonne idée, il retournera cette semaine aux banlieues de Paris, un peu triste de quitter Manchester, ses théâtres, son histoire, les rues de Liverpool où on voit partout la trace de quatre coccinelles qui chantaient "All You Need is Love".

« Tiens, Est-ce que tu penses que cette description de la côte fleurie est juste ? Est-ce vrai que Presque toute ruelle à Honfleur semble cheminer vers un abri romantique ou refuge tranquille ? » Bien sûr que oui. On y oublie la prétention et l'ostentation, mais attention, Go, on a essayé d'oublier les complications du monde civilisé en 1968. Tous les Parisiens, qui ont troqué Paris contre la campagne, ont vite découvert que les troupeaux de chèvres et vaches ne les intéressaient pas autant que la ville. Tout le monde erre, Go, mais il faut rentrer chez soi. Oui, je le sais.

Tu veux parler en français maintenant ? Est-ce que tu as lu sur « Ces adolescents qui se font injecter du Botox ? » C'est affreux. Et ce phénomène ne se borne pas uniquement aux États-Unis. Cette jeune fille de 18 ans était philippine. Botox, laser Thermage, tout es accessible aux jeunes depuis la jeune âge de 12 ans. Comme ça, notre société finira par penser que Michael Jackson s'est procuré une suite d'interventions chirurgicales mineure, non ?

Et je dois dire que j'ai honte. Récemment j'ai demandé à une femme « Qu'est-ce que c'est que cet essentialisme de femmes ? » Et voilà, le blogue vie de meuf montre très bien que les femmes ont des expériences différentes que celles des hommes. Bien que je tienne encore à l'idée que l'essence de la vie humaine est pareille pour les hommes et les femmes, quand un groupe opprime un autre, la tentation d'ériger des murs et s'isoler devient prégnante. Cela se voit dans l'assimilation entre les locutions vie de meuf et vie de merde et se voit dans le verlan, un langage qui exclut, qui veut ériger des barrières à la compréhension mutuelle.

R, ne serait-il pas plus facile de trouver un Honfleur, un Vermont, un château en Espagne et ensuite juste vivre ? Ben, tu rentres à Paris donc.

Oui, je t'appelle dimanche prochain.

Merci pour la conversation, R. Ciao.

Sancho ? Où es-tu, mon ami ? Encore tu es ailleurs en vacances.

Alors, le tennis. Y a-t-il quelqu'un ? Non, la pluie couvre les champs de tennis. Ma raquette restera dans son coin, alors que je contemple par la fenêtre le vert foncé des jardins et des arbres. Je regarde la pluie bat le trottoir en formant des ruisseaux.

Je pense bien de me débarrasser des choses qui s'accumulaient dans la maison. Je regarde tentative après tentative de m'éduquer -- listes de vocabulaire, copies de grammaire faites à main, feuilles de musique, bricolage, jardinage, livres de cuisine, couture, réparation de meubles, Shakespeare, italien, espagnol oublié, des vies de culture -- et je jette tout ce qui me semble loin comme un château en Espagne.

Chouchou rentre. Elle me regarde interloquée. « Qu'est-ce que tu fais ? Tu pars ? » « Oui ! » je plaisante, « Je vais en Espagne. » Plus tard, je lui dis que j'ai le cafard. Peut-être est-il temps de changer de métier, devenir infirmier, vivre dans le Vermont, trouver l'essentiel en travaillant juste assez d'heures pour vivre ? D'une manière ou d'une autre, je pense qu'il faut recommencer, au moins il faut prétendre que demain c'est mon premier jour. Je sais qu'il est impossible. Depuis longtemps, la pluie s'est accumulée dans mon verre. Il déborde.

Tu sais, Chouchou, qu'une fois ma patronne et moi étions dans le métro. Je lui ai essayé de parler de nos vies hors du bureau. Je lui ai arraché qu'elle assiste aux réunions d'un groupe de lectrices que se réunissait depuis 15 ans. Quelquefois elles lisent de la littérature classique, mais la plupart du temps, c'est un bouquin quelconque. Par exemple, le groupe était en train de lire L'élégance du hérisson, qui n'était qu'une réécriture d'Anna Karenina. Je me suis lancé dans une tirade. « Oh, la littérature d'aujourd'hui ! Tout est si ironique, si inévitable qu'il faut demander pourquoi nous lisons ces livres si nous sommes tous condamnés dès le début à un stéréotype ? Mon ami à Philadelphie dit quelque chose de pareil il y a vingt ans. Est-ce que ça fait déjà vingts ans ? Néanmoins, il a dit que quand nous sommes jeunes, nous avons tous une spontanéité et une essence. C'est un mystère, mais en vieillissant nous devenons un stéréotype de nous-mêmes, ce qui est bien différent que la vision de ce stupide livre. J'ai bien les mêmes ennuis dans mes groupes de lecteur. Il est impossible d'échapper cette ironie étouffante. Quelquefois, je ne sais s'il vaut la peine de parler aux autres, mais malgré les regards vides de la plupart des membres, j'y vais parce qu'un ou deux membres m'ont dit qu'ils appréciaient bien mes commentaires sur L'arrache-cœur. En fait, à chaque question, l'une des membres demandait "Attendez ! Go, qu'est-ce que tu penses ?" J'ai été flatté. »

« Ma patronne m'a regardé comme les autres membres me regardent, "Toi ? Les autres pensent que tu fais de bons commentaires ?" »

« Je n'ai dit rien. J'ai vite compris que dans la hiérarchie rigide de notre compagnie les patrons et les patronnes sont toujours plus intelligents que leurs adjoints. Il se voit que mon essence est bien inférieure que la sienne. »

« Tu sais Chouchou, j'en ai marre. Bien qu'elle soit aimable et sensible, ce commentaire échappé de ses lèvres me fait déborder de malaise. » Nous nous sommes un instant regardés. J'ai pensé que c'est maintenant moi qui ne supporte plus mon travail. Il y a un an, c'était Chouchou. Sa patronne lui rendait folle. J'ai soupiré et lui ai souri. « Je vais préparer le dîner. »

Maintenant, il est 23h19. Demain je flotterai au métro, me laissant entrainer dans le courant et je rentrai plus tard, comme d'habitude.

vendredi 13 août 2010

Les escargots de mes jardins voisins

Les premières phrases d'un billet sont les plus timides. Elles se cachent, comme les escargots, dans une coquille. Lentement, la maison sur le dos, elles traversent le vide blanc de mon cahier. Quel étrange paradoxe, sécurité inerte et indistincte, soudainement belles et fragiles lorsqu'elles se mettent en quête, toujours chez soi, mais jamais au même endroit, ces premières phrases timides.

Elles errent d’œil en œil, d'oreille en oreille. Lorsqu'elles rencontrent sur leur chemin les objets indistincts, elles s'arrêtent et se recroquevillent. Petit à petit, elles remuent une antenne, scrute l'horizon, et dans l'obscurité de l'indifférence elles cheminent à nouveau en cherchant l'aventure. Lorsqu'elles rencontrent un autre escargot, les deux se lèvent les antennes en haut, s'approchent, s'effleurent l'un l'autre, et vite, par pudeur, se détournent les yeux, mais lentement elles retournent. Enfin, pendant un instant, elles se sentent se voltiger le poids écrasant le leur maison.

Je vous attends, mes premières phrases. Je patiente, bah ! je m'impatiente aussi. Où vous trouvez-vous maintenant que je suis prêt ? Vous étiez partout, alors que j'ai dû travailler hier. Vous n'êtes pas timides lorsque je me parle comme un fou.

En attendant votre trace grise de crayon, je pars pour les jardins de mes anciens voisins. Que font-ils ? Je ne les vois plus. Il semble que l'on m'a fait déménager, parce qu'un clic sur « Next Blog » me fait cheminer ailleurs. Est-ce qu'Emilie écrit encore sur sa peinture de la semaine ? Oui, c'est Carvaggio qui est sur son chevalet, mais qu'est-ce qu'il y a ? Elle fait du karaté ? hiii-ya ! La petite fille de Roumanie, tes parents doivent penser qu'il est temps pour savoir se défendre. Augustine fait-elle voir des scènes de sa vie de famille qui sont si intimes et précieuses que je, par pudeur, détourne mes yeux ? Le café clochette fait-il encore cuisiner de belles histoires et des recettes alléchantes ? Ce café, peuplé de chats, dans le centre-ville de Rennes, j'aimerais vous rendre visite un jour, mais aujourd'hui vous me semblez trop loin.

Je n'ai jamais mis la trace de mes yeux dans leurs sites. Je me pensais trop encombré de pensées lourdes et trop lent en face de leur légèreté et allégresse.

Et maintenant je rentre dans la coquille. Demain j'attends encore mes escargots.

mercredi 11 août 2010

Cynisme, naïveté, et déception

Tôt ou tard, j'allais vous dire ce que je pensais sur mon exercice d'écriture. Mes billets, à mon avis, forment une sorte de correspondance avec ceux qui veulent échanger avec moi lecture et commentaire. C'est un exercice très intéressant, parce que je ne connais rien de ce monde. J'ai suivi mon chemin, souvent comme un ermite. Et me voilà, un homme qui a la quarantaine, mais qui ne sait rien. Il y a quelques ans, j'ai commencé à explorer ma ville et j'ai vite découvert que mes principes, mes goûts, mon expérience n'ont pas de résonance dans le monde. Souvent, quand mes opinions se heurtent les opinions d'autres personnes, ils font un bruit lourd et tombent au sol. Boum.

L'un de mes meilleurs amis nous en avons parlé. Selon lui, nous sommes âgés culturellement. Ce qui est ironique est que tous mes amis et moi ne comprenons ni les opinions de notre génération ni celles de la génération qui nous suivent ou nous précédent. Nous sommes vieux sans avoir profité de la culture de notre génération.

Et je vois mes meilleurs amis essayer de s'adapter aux mœurs contemporaines. Il brise mon cœur d'entendre parler l'un de mes amis sur « l'intelligence émotionnelle ». C'est la nouvelle "philosophie" en vogue dans les grandes entreprises. Grosso modo, il faut parler le moins possible, manipuler, culpabiliser, soupçonner les employés le plus possible, et toujours garder le sang-froid. Je l'ai écouté, un peu écœuré. Je lui ai convenu que cela pourrait être utile, mais je lui ai vite demandé « tu crois que le sang-froid face à une manipulation ouverte pourrait être un modèle personnel ? S'il faut le faire dans une entreprise, peut-être, mais ici entre toi et moi ? » La silence s'est installée à la table où Chouchou, moi, lui et sa femme étaient assis. Il m'a regardé et vite compris que nous suivions autrefois d'autres règles de conduite qui se voulaient absolument anticonformistes. Ce n'était qu'un instant. Nous sommes amis. Je sais qu'il doit porter ces costumes et coutumes. Il est le même. Il sait que je suis le même. Son ami qui le vois au-dessous de ses costumes et coutumes qu'il doit porter.

C'est avec cette insistance, cette obstination, que je parle dans mes billets. Oui, je veux provoquer, je sais que mes mots causent une tension. Si quelqu'un dit « je suis un grand méchant. » Je dis NON. Je veux voir au-dessous de vos costumes et coutumes. Et lorsque le moment arrive où on peut ou garder sa carapace méchante ou laisser voir son intériorité, je suis toujours déçu si on préfère la carapace, et certainement mes opinions se heurteront les autres. Le choc fera un bruit lourd.

Comme blogueur errant à la Cervantès, je crois que le choc est nécessaire. Je l'ai trop longtemps évité. On n'apprendra rien si on se range dans une carapace méchante ou dans un beau costume. Il faut courir des risques, parce qu'il y a simplement trop d'invitations à vivre sous les carapaces étouffantes. D'ailleurs, il faut guetter son reflet dans les yeux de la société. Il faut s'exposer aux dangers de mésentente. Il faut vivre presque nu, comme les Cyniques grecs. Mais chose curieuse, le mot cynique, comme il a transformé de l'antiquité au présent. Je compte trois définitions.


  1. Antiq., philos. Qui appartient à l'école philosophique d'Antisthène et de Diogène qui prétendait revenir à la nature en méprisant les conventions sociales, l'opinion publique et la morale communément admise. (Le Robert)

    Selon Wikipédia, Les cyniques "proposent une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire."

  2. Cour. Qui exprime ouvertement et sans ménagement des sentiments, des opinions qui choquent le sentiment moral ou les idées reçues, souvent avec une intention de provocation. => brutal, impudent. (Le Robert)

    Selon Wikipédia, "on peut attacher à ce cynisme une sorte d'humour noir (parfois involontaire), pince-sans-rire, mordant et ironique, souvent employé pour manifester une certaine rébellion face à un monde incompréhensible de par la multiplicité des conventions factices, socialement admises, qui le régissent à la différence du sarcasme, qui ne recherche pour sa part qu'une démonstration de force."

  3. Et il existe encore le cynisme contemporain, par exemple celui de Sarkozy, qui adore son parler franc, derrière lequel il cache son mépris et son avarice. Il ment, il manipule, il méprise (cette fois-ci les Roms sont sa cible), il fait peur. Il a de l'intelligence émotionnelle, quoi.


Je vous avoue qu'il arrive souvent qu'on me prend pour un cynique. Et dans mon esprit les définitions les plus récentes sont les plus imposantes. Il me choque d'être appelé ainsi selon la définition contemporaine. Mais si on ignore le cynisme contemporain, j'accepte que dans mes billets il y a un cynisme auquel j'étais aveugle.

Et effet, si on pense que j'étais cynique, j'ai bien réussi dans mon dernier billet. J'ai fouillé dans ma mémoire, y mêlant des mots et voilà un billet jubilatoire, un humour noir, pince-sans-rire, et un peu subversif. Je ne recherche pas la brutalité. Peut-être suis-je impudent... Je n'aime pas ça, mais d'accord... impudent.

S'il s'agit vraiment d'un cynisme contemporain, je n'aime pas ce jugement, mais je sais très bien que les mots qu'on choisit ont un effet.

A vrai dire, le dernier billet se voulait très braque, espiègle, rebelle et un peu indiscipliné...

Mais je vous demande à ceux qui ont lu mon dernier billet. La paragraphe sur les gens qui nous annoncent "Je suis très méchant" et une personne qui ignore cet avertissement, parce qu'elle veut croire que son "ami" est bon au-dessous de sa carapace... Est-ce cynique ? Et puis de revivre cette déception chaque fois que ses amis se sont bien révélés méchants, est-ce cynique de le dire ? Est-ce la déception cynique ? Est-ce la prononciation de la déception cynique ?

Je pense voir un moyen de répondre oui. C'est qu'il faut oublier sa déception, retenir un peu de sa naïveté, et insister de plus en plus de voir l'intériorité sans descendre dans la déception.

Qui peut faire ça ?

Est-ce cynique de dire qu'au lieu de suivre cet idéal tout à fait hors de portée mon âme, j'aime presque tout le monde ?

Oui ? D'accord. Mais suis-je un Sarkozyste cynique ?

mardi 10 août 2010

La sagesse de Space Ghost

Les mots, comme les pierres, font pencher la balance de la justice. Dans les bouches des méchants, ils peuvent blesser ou détruire, et également les bons peuvent s'en servir pour guérir ou construire. Souvent, ils se tassent comme un amas diffus; le pauvre interlocuteur ou lecteur qui veut démêler le matériau superflu des paroles précieuses se sent assujetti à un travail lourd. Quelquefois on découvre derrière les mots-murs, se cache une méchanceté cimentée d'une mauvaise foi. Nous bricolons parmi les mots-ruines, les mots-châteaux et les mots-cavernes en se construisant une vie, une identité ou juste un billet. Et on souhaite qu'après avoir mis dans la balance toutes les lourdes paroles méchantes, les mots nobles dans l'autre côté pèsent plus lourd.

Et me voilà, au bord de jeter une pierre, l'une après l'autre dans mes billets, mais avant que je ne vous parle de mes aventures dans le New Hampshire et le Vermont, je me sens obligé de vous prévenir que je serai rude, méchant, absurde et méprisant. Je risque du coup de faire pencher la balance en faveur de la méchanceté. Pire, je risque de cacher ma méchanceté derrière mon souci pour votre amour-propre.

En fait, s'il y a un type qui me dérange le plus, c'est celui qui annonce tout gaiement au monde qu'il est méchant. L'humour, la plaisanterie et la gaieté, étant irrésistibles, contredisent leur déclaration, et naturellement étant naïf au passé, je ne les croyais pas, mais lorsqu'il est arrivé le choix entre l'amour-propre et le sacrifice, j'ai découvert, souvent à mes dépens, qu'ils ont insisté avec un plaisir pervers d'être méchants. Tout surpris, je leur ai confirmé, « Mais voilà, vous êtes bien méchant. » Et tout sourire, ils m'ont avec hauteur dit « Oui, stupide, je t'en ai déjà averti. » Désormais quand ces types, que j'appelle « les points aigus », disent « je suis un grand méchant », je les crois. Je rirai à leurs plaisanteries, j'avouerai qu'ils sont drôles, mais je n'ignorerai jamais la pierre qu'ils tiennent dans leur bouche.

NON !

Et maintenant, je me mets dans le même sac. Et je vous demande, « est-ce qu'on a le droit d'être méchant ou impoli ? »

A mon avis, « je suis méchant » veut dire : « Je peux être méchant quand je le veux, mais vous êtes encore obligé de témoigner votre sympathie et tolérance. Quand je suis méchant, ne vous étonnez pas. Je vous ai déjà prévenu. Au cas où vous vous emporteriez contre ma méchanceté, vous auriez double tort. Tout d'abord, vous seriez méchant et vous vous prenez pour une âme sensible et aimable, et deuxièmement, vous vous mettriez en colère. Vous ne pouvez même pas vous contrôler, comme moi, un misérable méchant. Que vous êtes prétentieux ! »

Alors, je vous annonce que si vous vous mettiez en colère ou si je vous surprenais, vous auriez le droit de me le dire.

J'espère que c'est clair.

En attendant, j'aimerais proposer une autre formule aux méchants autoproclamés. Que vous suiviez l'exemple de Jonathan Richman dans sa chanson "I'm straight".



La chanson est magnifique, mais le clip est bête. Ne le regardez pas, juste écoutez. Il s'emporte juste un petit peu contre "Hippy Johnny". Il demande « Pourquoi toujours défoncé ? Comme Hippy Johnny ? Je suis "straight" » En anglais "straight" a beaucoup de connotations. La clarté d'expression, ce n'est pas toujours facile, mais je pense qu'il voulait dire droit, en ordre, clair, honnête, loyal, et certainement pas défoncé. Par ailleurs, il dit, « Je l'aime bien aussi, Hippy Johnny, mais s'il est si formidable, pourquoi ne peut-il pas prendre ce monde, et le prend "straight" ? Je suis "straight" ! »

M. Richman, il ne se cache pas, et il ne vise pas à attaquer "Hippy Johnny". Il ne veut qu'il dessoûle de temps en temps. Malheureusement, "Hippy Johnny" est toujours défoncé et il est devenu ridicule.

Encore un exemple avant que je ne vous quitte. Space Ghost est superhéros et imitateur d'Elvis qui chante "J'aime presque tout le monde." Il chante qu'il aime les poissons et les rouges-gorges qui font cui-cui. Il vous aime. Il s'aime. Il aime presque tout pourvu qu'il soit libre. Il aime presque tout le monde. Et au milieu de la chanson, Brak vous dit que l'amour est la plus belle chose du monde. L'amour et les mots d'amour nous unissent. Et tout cela vous fait presque pleurer, n'est-ce pas ?



Vous autres points aigus, arrêtez-vous votre méchanceté ! Ne se défoncez pas sur vos injures mal dissimulées ! Soyez "straight" ! Et dites que vous aimiez presque tout le monde !

dimanche 8 août 2010

Tirade automatique

Vendredi, j'ai reçu un simple courriel de réponse automatique de Trempet, un chercheur dans ma compagnie. Normalement, ce truc m'épargnerait d'angoisser à défaut d'une réponse prompte. Il me rassurerait qu'il n'ignorait pas ma missive, que tout allait bien. Et s'il arrivait un imprévu, tout se résoudrait très vite, comme un horloge à remontage automatique et à système auto-correcteur. Or je ne m'attendais pas du tout de recevoir ce courriel, parce qu'il y avait une minute c'était moi qui répondais à son courriel. Après m'avoir poliment remercié de lui prêter une main, il m'a demandé la prévision de temps pour achever les travaux dont il avait besoin. Je pensais qu'il était dans le bâtiment, mais la réponse automatique a indiqué qu'il serait injoignable et à Paris jusqu'à la fin de la semaine suivante.

Les vacances de Trempet, cela ne me regarde pas. Son zèle, non plus. La prévision des heures, c'est pénible, mais nécessaire dans notre compagnie. Chaque heure est un coût et un prix, dont la différence devient le profit de notre entreprise. Chaque heure proposée est un service des compétences que le client évalue parmi une gamme de propositions. Il achète et nous paye si nos compétences lui conviennent. Nos chercheurs les mieux payées écrivent les propositions de la même manière. D'habitude, ils préfèrent embaucher une armée de jeunes diplômés pour manier les données, en faire des tableaux, et peut-être écrire les programmes qui mesurent l'effet d'une intervention qui se veut plus efficace.

La première fois que j'ai été embauché pour l'un de ses projets, c'était contre son gré. Il voulait une armée, mais elle n'était pas disponible, tandis que je l'étais. Ma patronne a dû lui vendre mes services. Il a fini par m'essayer une fois. Tout est très bien allé. Cette fois-ci, l'un des soldats aguerri de son armée lui a demandé de m'embaucher. Sinon il a averti que Trempet allait tuer le simple soldat infortuné affecté à une corvée abrutissante.

Ce n'est même pas cette corvée qui me gêne. J'ai mes trucs. Je ne prévois qu'une journée de travail. Je garantis qu'il recevra ses données dans un état parfait. En effet, je suis content de me vendre comme ça. Il a besoin d'un service que personne dans la compagnie ne peut accomplir.

En effet, tout va bien au présent, mais son courriel automatique m'a fait demander si tout irait bien plus tard. Le questionnement constant de la valeur d'une chose, de moi-même, selon la loi inexorable de l'argent me tracasse. Vivre selon un constant comparaison entre l'armée et l'expérience, c'est vivre la menace d'une délocalisation quotidiennement. C'est mettre votre esprit dans la devanture d'un magasin et regarder demander le chaland « Cet esprit, qu'est-ce qu'il vaut ? Oh, je n'en ai pas besoin, une armée de simples soldats infortunés ou une poignée d'automates me suffira. »

Et pire, c'est notre boulot de mesurer la valeur des esprits.

Par exemple, la dernière fois que j'ai travaillé pour Trempet, nous avons reçu un tas de données des collèges de ... Il voulait mesurer la valeur ajoutée de chaque professeur aux notes des examens standardisés des collégiens. J'ai dû mettre en ordre toutes les données et ensuite en faire un traitement évaluer combien nous seraient utiles. A mon avis, les données étaient, comme chaque sondage, pleines d’irrégularités. Celle qui me semblait la plus grave était que dans une année scolaire plusieurs élèves semblaient changer de sexe, d'âge, de classe, d'ethnie, ou de programme social.

Comment est-ce qu'ils ont évalué la valeur ajoutée d'un prof quand on n'est pas sûr des caractéristiques les plus basiques des élèves ? Je n'en sais rien. On dit qu'étant donné la qualité des données, nous avons mesuré la valeur ajoutée de chaque professeur ainsi. Il faut pincer le nez, supposer que la théorie et les données sont bonnes, et ensuite prononcer sans broncher vos conclusions. Autrement dit, soyez claire et lucide, malgré tous les évidences contradictoires et les limites des méthodes quantitatives.

D'habitude, un chercheur présente son travail aux chercheurs dans le même domaine, et tout cela tombe promptement dans l'oubli. Or cette fois-ci, nous sommes entrés en pleine guerre entre les professeurs et l'administration d'éducation de ... La réforme éducative en vogue aux États-Unis est d'instaurer la concurrence farouche, parce que l'unique problème dans les écoles, selon les hommes et femmes d'action, est les mauvais professeurs. Il faut les remplacer comme on remplacerait un rouage dans la machinerie de la restauration rapide. Par conséquent, l'administration nous a demandé d'identifier les profs les plus performants par notre évaluation statistique. Nos résultats, arrachés de nos mains, ont été immédiatement cités comme une évidence indéniable que d'une quantité considérable des professeurs ne valaient pas leur salaire.

Je ne sais pourquoi mais son courriel automatique m'a fait penser à ces profs. J'ai mis la tête dans mes mains et je me suis demandé quelle était la valeur de mon travail quand il n'est qu'un rouage dans une machine politique infernale ? La seule réponse est que je travaille seulement pour but lucratif, rien d'autre. Selon ma boîte et les résultats de notre travail, cela doit me suffire. Je mérite ce qu'on me paye.

C'est probable que ces profs ne méritent pas leur salaire. Ils sont inefficace en face d'une armée de jeunes étudiants difficilement éducables. Grosso modo, le système éducatif va très mal de nos jours. En revanche, notre "étude" ne prouvait rien. C'était déjà conclu que le problème principal était les professeurs. L'"étude" n'était qu'un prétexte d'imposer une politique de capitalisme sauvage dans nos écoles. On allait imposer une concours entre les profs pour faire réussir leurs élèves aux examens standardisés.

On ne nous avons pas demandé « Où est le bien-fondé des examens standardisés, de la compétition farouche, du capitalisme comme modèle du meilleur des mondes possibles ? Où est le bien-fondé que le "Race to the Top" de l'administration Obama qui récompense les administrations des états qui imposent des réformes pour mesurer constamment le progrès aux examens standardisés ? Où est le bien-fondé de punir et de stigmatiser les paresseux et récompenser les bosseurs automates ? » On ne nous avons pas demandé pourquoi était-il si difficile d'éduquer les jeunes ?

Et pire, on ne nous avons pas demandé « quels seront les conséquents de cette politique ? »

A mon avis, tout devient de plus en plus standardisé et concurrentiel. Les professeurs vont enseigner un programme basé uniquement sur la réussite aux examens standardisés et s'entretuer en même temps. Les étudiants, qui sont en train de s'entretuer, vont croire que l'éducation est la réussite aux examens standardisés et rien de plus. Quand ils sortent des écoles, ils mépriseraient leur éducation plus que les jeunes d'aujourd'hui la méprisent. Les futurs ouvriers vont penser qu'il faut travailler comme un horloge à remontage automatique et à système auto-correcteur. Et les chercheurs qui nous mesurent constamment ne penseront qu'aux travaux qui les attendront à la rentrée de leurs vacances. Ils partiront pour Paris, ne sauront qu'une poignée de mots français et se prendront pour cosmopolites.

Et quand ils, en vacances, enverront des messages aux personnes qui se demandent des questions tout à fait loufoques, comme quel est vraiment mon rôle dans cette machine déshumanisante, ils les surprendront encore une fois par une réponse automatique qui se voudrait rassurant.

jeudi 5 août 2010

La grenouille du mont vert

Ce week-end nous avons sauté de Washington, DC et atterri à Manchester, New Hampshire. Ensuite comme deux grenouilles de vacances, nous avons sauté de ville en ville en Nouvelle Angleterre. Nous avons tiré la langue, respiré du bon air de la campagne de nos nez et peau, coassé et sauté de nouveau trouvant le paysage des ruisseaux, des lacs, et des montagnes de plus en plus beau, au fur et à mesure que nous sommes plongé dans l'arrière-pays du Vermont. Notre émerveillement a atteint son comble à la ville à côté du lac Champlain, Burlington, Vermont -- une ville de 40 000 âmes, mais belle, animée, et heureuse.

La ville montait une fête de la musique folklorique. Elle avait une longue rue piétonne au centre de la ville. La rue était bondée, mais pas trop, de gens à tout poil, familles, hippies, vieux, jeunes, jeunes musiciens qui jouaient du violon. Elle avait également un marché en plein air où on peut trouver les produits locaux, fromages, lait, légumes, saucisses et glace. Et bien que la ville fût animée, elle avait une tranquillité. Nous pouvions entendre la silence sous le bruissement rythmé des Vermontois (ou Vermontais ?)

Muet de stupéfaction, nous avons absorbé toute la splendeur de la ville. Nous avons clignoté les yeux, puis nous avons mis nos pattes sur eux pour vérifier que nous n'étions pas perdus dans une rêverie, et puis nous nous sommes mis à nous demander des questions. Comment se fait-il que le Vermont est si beau ? Pourquoi vivons-nous à Washington, DC avec la foule, les prétentieux, les ambitieux, les cultes de l'argent, du pouvoir, de l'influence et de la culture contemporaine ? Pourquoi supportons-nous jour après jour la saleté, la colère, l'impatience tandis que le Vermont est propre, heureux, et patient ? Pourquoi vivons-nous dans la chaleur et l'humidité au même temps qu'il faut subir la froideur et la sécheresse dans nos relations sociales ? Quand trouverions-nous la simplicité ?

Et puis nous nous sommes demandé la question la plus dangereuse, si nous vivions dans le Vermont ? Serait-il le paradis si longtemps souhaité ?

Cette question est si dangereuse pour moi, parce qu'elle met en marche l'imagination, et quand l'imagination est en marche, peu à peu elle s'empare de mon esprit. Maintenant j'erre et saute entre deux étangs : l'un qui m'entoure à DC et qui m'exige de m'insérer dans le travail, et l'autre qui me fait sauter dans le ciel loin au-dessus des lacs, des ruisseaux, des bois verts et des montagnes du Vermont. Au travail, mes rêveries s'écoulent de plus en plus longtemps. Je regarde l'horloge de l'ordinateur, pense au Vermont, et quand j'arrive à sauter encore une fois dans mon bureau, c'est avec horreur que je découvre comment je suis enlisé dans l’éphémère où l'étang réel s'est évaporé.

Comment j'admire les esprits qui savent s'arracher de l'invasion des souhaites incontrôlables et s'installer devant leur ordinateur et travailler. Un jour ! Oh, je ne peux y penser. Je veux juste rester dans le réel. Je me force de faire attention à ce qu'il faut faire. Je ferai attention au train, j'entrai dans la voiture, je ne vais pas penser au Vermont. Je m'installe ici. Ah, mais attend. Qu'est-ce qu'il y a ? Mince ! Il faut me déplacer. Un jeune dont ses jeans ne couvre guère les fesses écoute son baladeur au maximum. Pardonnez-moi, excusez-moi, est-ce que vous pouvez retirer votre pied madame ? Voilà une place, est-ce libre monsieur ? L'homme retire son sac du siège, me toise, et continue à faire du texting au même temps qu'il parle au téléphone. Ben, je m'installe. Je vais sortir mon livre, je vais lire, bien que la coude de mon voisin soit insérée dans mes côtes. Oh, je n'en peux plus ! Je saute !

Voulez-vous me suivre ? Allez avec moi dans le Vermont ! Allez, hop sautez ! Nous y sommes, dans le Vermont. Qu'est-ce qu'il y a ? Rien. Nous sommes encore devant nos écrans. Attendez, je vous cherche un journal, le Free Burlington Press. C'est gratuit et pas seulement voué aux lecteurs et lectrices en quête de divertissements. C'est un vrai journal pour tout le monde et surtout pour les riverains de Burlington dans un pays où la grande majorité des journaux sont sous le joug d'une poignée des corporations qui possèdent notre journalisme.

Voyons, ils ont une ville qui s'appelle Montpelier. J'adore Montpellier ! C'est leur capitale. Pourquoi pas ? Paris est trop, trop stressé. Il faut se détendre, non ? Voyons encore, le journal a des pages actualités, sports, divertissement, photo, opinion, blogues, et LIVING ou société. Exactement, vivons dans le Vermont. Qui sont les Vermontiens ? Et voilà un article intéressant qui révèle un peu de leur habitudes amoureuses. Ils préfèrent le weed dating au speed dating. Que c'est original ! Le weed dating est le speed dating avec les mauvaises herbes. Moi, je pense que mon imagination préfère le speed stating au speed skating (patinage de vitesse). C'est la même chose sauf qu'on saute d'état d'état en voiture.

Mais le weed dating ? Sérieusement. Comment marcherait-il dans le Vermont ? Certainement il faut se débrouiller comme les types là-bas. Est-ce qu'il faut feindre d'être inepte ? « Eh madame, pardonnez-moi, mais est-ce que vous pouvez me prêter une main ? Je pense avoir besoin d'aide, beaucoup d'aide. Peut-être vous pouvez, chez moi ou vous, m'expliquer comment arracher les mauvaises herbes ? » Probablement pas. Les Vermontiginois sauraient en reconnaitre la différence.

Ou juste faire des propos d'une ineptie totale, « Hé ma poule, tu veux aller chez moi ce soir ? »

Très macho, « Je vais vous protéger des mauvaises herbes ! Suivez-moi ! »

Naturaliste et muesli croquant, « Tu sais qu'on peux manger des mauvaises herbes. Je les mets dans mes salades que je récolte de ma terrasse. Tu veux la voir ? »

Très enthousiaste, « J'adore le weed dating ! C'est formidable. Tomber amoureux et arracher des mauvaises herbes au même temps. C'est si bio et naturel ! »

Mystérieux, zen et exotique, « Le weed dating est le ying et yang de notre mère cosmique, ma chère mère à venir. Tu es le centre de mon essence cosmique, bébé. »

Sportif et compétitif, « Je parie que je puisse arracher plus de mauvaises herbes que toi ! Le perdant dois acheter des bières ce soir ! »

Qui fait du compostage, « Ne jettes pas les mauvaises herbes dans la poubelle. Je fais du compostage. Si tu veux, je peux te le faire voir. »

Les tatoués, « J'ai un tatouage des mauvaises herbes sur mes reins. Tu veux le voir ? »

Religieux, « Nous devons arracher tous les mauvaises herbes du jardin du Seigneur. Voulez-vous voir mon jardin ce soir ? »

Drogués, « Hihihihihi, les herbes. J'aime toutes les herbes. Héhé. Hihihi. Chez moi, ce soir ? »

Craintifs, « J'ai peur des mauvaises herbes ! » « Eeek ! » « Tu veux aller chez moi ? C'est une zone sans microbe ni germe ni herbe ! »

Amateurs de la glace, « Ben et Jerry's ne sait rien ! Je fabrique de la glace chez moi. J'adore la glace au parfum des mauvaises herbes. Veux-tu en gouter chez moi ? »

Canadiens anglophones, « How's it going, eh ? There's a lot of weeds here, eh. »

Québécois, « Hé, Ça va, hein ? Il y a beaucoup de mauvaises herbes ici, hein. J'ai de la bière chez moi. Tu veux boire un coup ? »

Baba cool de l'été de l'amour, « J'ai de bonnes herbes dans mon autocaravane, man. Oops, sœur. Tu veux "tune in, turn on et drop out" avec moi ? »

Oh là là. Je suis descendu dans les stéréotypes. Ce n'est pas forcément l'imagination qui a inventé tout cela. Qu'est-ce que je ferais là-bas ? Qu'est-ce que je dirais à Chouchou si nous nous rencontrions dans les champs d'une ferme ? Le soleil couchant, le son des grillons dans l'air, le chant des oiseaux dans les arbres au bord de la route, quelquefois un oiseau chanteur percerait le bourdonnement des insectes et vite une mélancolie descendrait et insérerait dans mon cœur alors que j'arracherais des mauvaises herbes. Je les regarderais dans mes mains couvertes de boue dont l'odeur atteindrait mon nez en même temps que le parfum des mauvaises herbes. Tout d'un coup je verrais Chouchou à une autre rangée de blé. Ébloui de sa beauté champêtre, j'oserais lui dire « Tiens, ma chérie, duz yuz likezee weedz ? Lay mi putz wone in your hair. Zay ar zo beautiful liks zur eyze. »

J'ai travaillé toute la journée en imaginant cette scène si belle et si Vermontonienne. A la table, je lui ai tout répété. Le weed dating, notre rencontre romantique, puis je lui ai dit, « Tu sais, nous ne pouvons pas nous pointer dans le Vermont comme ça. Il faut inventer une histoire. Sinon nous vivrons là-bas, comme nous vivons ici, peu intégrés, mal compris, et totalement oubliés.

Elle y a un instant réfléchi. « Mais tu n'aimes même pas faire du jardinage ! La dernière fois que tu as arraché une mauvaise herbe, tu t'es fait mal au dos. Et c'était depuis combien de temps que tu ne te douche plus ? »

« Oui, mais dans le Vermont on ne se douche pas sauf si dans un ruisseau très froid et fraîche. Comme ça on n'a pas besoin de se doucher. »

« Tu parles ! Mais qui va croire dans cette histoire ? Tes yeux sont si beaux ! Ton accent français en anglais est terrible ! Fais-la plus réaliste. Nous nous sommes rencontrés. Tu t'es penché pour arracher une mauvaise herbe, et tu t'es fait mal au dos. J'ai dû te jeter au fond de ma camionnette. Je suis tombée amoureuse de toi, parce que tu t'es plaint tellement, que j'ai fini par plaindre de toi, moi-même. »

« Ridicule ! Est-ce que tu as une seule fois conduit une camionnette ? Tu ne me jetterais pas dans la camionnette. Tu dirais "Au revoir" et m'y laisserais en rase campagne ! »

« Oui, tu as probablement raison. » Elle a enfin avoué.

« J'ai une idée. Je me plaignais du weed dating, parce que je pensais qu'il était une perte de temps. Pourquoi nous forcer de travailler afin de rencontrer quelqu'un d'autre ? Ensuite, je me suis aperçu d'une grenouille. Je l'ai attrapée dans mes mains et te l'a amenée pour te faire voir. Tu as été pris de panique, ce qui a provoqué la panique chez la grenouille qui a sauté de mes mains et a atterri sur toi. Tu t'es mise à courir à ta camionnette. »

« Et, alors ! Qu'est-ce qui s'est passé après ? »

« Alors, je t'ai suivi. Affolée, tu criait "au secours, au secours !" », j'ai dit. Et ensuite le sourire aux lèvres, j'ai dit, « Ben, j'ai dû la trouver. »

« Ha ha, très drôle. Est-ce que tu vas te doucher, cette semaine, homme de grenouille ? »

« D'accord. »

J'ai quitté la table. Je suis allé en haut pour me doucher. Je me suis demandé si l'eau froide marcherait mieux que l'eau chaude. « Hou là ! C'est froide ! » Après la douche, j'avais sommeil, donc je me suis couché. Chouchou m'a suivi. On a éteint les lampes. Les grillons bourdonnaient dans l'air Washingtonien. Le ruissellement de la pluie battait légèrement les fenêtres. J'ai fermé les yeux et dit « bonne nuit » à Chouchou. J'étais sur le bord de m'endormir quand tout d'un coup Chouchou a dit, « Hé Go, hé ! »

« Qu'est-ce qu'il y a ? »

« Je pense qu'il y a une grenouille dans le lit ! »

J'ai ouvert les yeux rond, « Ah bon ! »

mardi 3 août 2010

Au moins j'ai Shakespeare

J'arrive enfin à la fin d'Acte III, scène 3 de Hamlet -- le recommencement impossible ou le souhait de la mort. Le roi vient de s'arracher de son for intérieur une confession de fratricide. Il avoue comment il est tiraillé entre le bien voulu dans un avenir souhaité et le mal réel dont il veut cacher la souillure.

Peut-on pardonner son crime ? Écoutez son plaidoirie,

Is there not rain enough in the sweet heavens
To wash it white as snow? Whereto serves mercy
But to confront the visage of offense?
And what's in prayer but this twofold force,
To be forestalled ere we come to fall,
Or pardoned being down?

Quelle nouveauté, avant qu'il ne sois trouvé coupable, il reconnaît ses méfaits.

J'ai dû expliquer le texte à Chouchou, « Tu vois, le coupable se demande comment il peut laver ses péchés de sa peau, et il demande, Shakespeare nous demande, à quoi sert la merci si on ne peut demander qu'à Jésus de nous défendre au visage de l'offensé ? La force doublé du verset, Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal, comment est-ce qu'elle peut nous aider si nous sommes condamnés en avance à la ruine ? Est-ce qu'on peut demander pardon pour un crime sans être châtié ? »

« Ah, ben non. Les coupables adoreraient ça. » Ensuite elle a ajouté à sa colère un ton sarcastique. « Oh, je suis Trent Lott (un sénateur américain qui a eu des liaisons avec des prostitués au même temps qu'il a vertement critiqué Bill Clinton d'être tricheur), je suis Mel Gibson, j'ai fait des bêtises, j'ai menti au public. Maintenant que tout le monde le sait, j'avoue tout. Voulez-vous me pardonner ? Je ne pense pas ! Pas de pardon avant le châtiment! »

« Je pensais que tu dirais ça. Pas de merci, pas d'indulgence catholique, pas de confession en face d'un prêtre. Coupez les têtes ! »

« Oui, et qu'on commence avec les prêtres catholiques pédophiles. »

J'ai hésité. Shakespeare, a-t-il anticipé tout notre rancune et nos accusations ? Est-ce qu'il nous a mené à une situation pour rehausser les images inversées de la vengeance et son reflet, la merci. Il nous demande si on peut pardonner le roi, le meurtrier, le menteur, le fratricide-régicide, un déicide à peu près. Le roi avoue plus tard que la justice divine l'attend, peut-être, mais en attendant, auprès de ses semblables, on peut essayer de la repentance. Écoutez,

What rests?
Try what repentence can. What it can not?
Yet what can it, when one cannot repent?
O limed soul, that, struggled to be free,
Art more engaged!

Selon la loi de notre espèce cruelle, le roi se sait condamné. La repentance ne vaut rien. Son âme enlisée dans la glu de son péché, qui a lutté pour se libérer, et encore plus envasée.

« Tu comprends ? Le roi, qui peut imposer sa justice de sa main dorée, veut racheter son intégrité. Faut-il laisser angoisser ? »

« Oui, tant mieux ! »

« Mais, aussi improbable que ce soit et absolument contraire aux derniers exemples y compris moi qui est toujours coupable pour avoir ouvert la bouche, le roi avoue son crime avant d'être accusé par des preuves crédibles. C'est un crime parfait. Hamlet n'a que les dires d'un fantôme et la réaction du roi à une mise en scène dans la mise en scène de Hamlet. Et, ce qui est très intéressant, Hamlet n'entend rien de la confession de son oncle. Il n'a que sa vengeance. Pas étonnant que les esprits binaires enlisés eux-même dans la glu de la culpabilité jettent toute nuance. Ils déclarent que le roi est innocent et Hamlet coupable, ou comme moi, le roi coupable, Hamlet juste. Shakespeare ne nous révèle que les extérieurs que nous affichons. Tous les personnages dans cette pièce, et nous aussi, nous sommes tous menteurs. Nous pensons maintes mauvaises pensées, mais dans notre for intérieur, nous pouvons demander pardon. Mel Gibson, Trent Lott, l'homme qui a échangé sa femme contre une version plus jeune, la femme qui a planté là son mari, qui sait s'ils ont vraiment repenti. Nous adorons nous accuser des méfaits parce qu'à la surface, notre monde démocratique est despotique et sans merci, mais au fond de chaque civilisation et religion, chez les chrétiens, les catholiques et leur sacrée confession, il faut demander ET donner pardon. »

« Et les juifs ? »

« Oy veh ! Je pense qu'ils font des mitzvahs. C'est-à-dire on peut pécher, on va pécher, c'est inéluctable, mais en revanche, il faut toujours penser faire de bons gestes. Un mitzvah. »

« Est-ce qu'on mange de la soupe aux matzo (pain azyme) après les mitzvahs ? »

« Écoute ! Shakespeare n'a pas écrit sa pièce pour comparer toutes les religions. Il voulait nous demander "Quoi faire dans un monde qui a perdu ses valeurs fondamentales ?" »

Elle m'a regardé très contente d'avoir joué avec les mots yiddish qui commencent par 'M' et terminent par 'Z'. « Est-ce que tu veux de la soupe matzo demain ? » Je l'ai regardé mi-amuzé mi-angoizé. Elle a cédé de regagner un ton plus sérieux, « D'accord, qu'est-ce qui se passe ensuite ? Le roi avoue, et alors ? »

« Hamlet entre dans la pièce. Il s'approche du roi qui est à genoux. Il dégaine son épée. Il contemple sa vengeance, mais il la rejette. Écoute,

Why, this is hire and salary, not revenge.
He took my father grossly, full of bread,
With all his crimes broad blown, as flush as May...
And am I then revenged
To take him in the purging of his soul,
When he is fit and seasoned for his passage?


Hamlet ne veut pas le tuer en acte de prier, parce que l'image du roi comme monstre ne correspond pas à l'extérieur présent du roi. Selon Hamlet, son oncle est un Mel Gibson, un Trent Lott, un fratricide toujours figé dans l'acte de son crime. Il veut retrouver le monstre et alors prendre sa vengeance. Et voilà les deux sont collé sur la surface de leurs images. Ils sont les reflets d'un crime parfait inavoué et d'un pardon impossible.

Shakespeare nous suggère que dans notre monde sans merci, la vengeance la plus cruelle et brutale serait la seule issue. Il n'y aura jamais de place ni pour la vie, ni pour l'âme. Hamlet est la tragédie de notre civilisation déboulonnée et du pardon abandonné. Et si je peux, pour un instant, devenir accusateur moi-même, j'aimerais dire que nous tous, ou au moins la grande majorité de tout peuple armé et aux prisons surchargés, toute religion, chrétiens, catholiques, juifs, musulmans, et même les athées militants, nous vivons sans le moindre état d'âme quant au manque de pardon. On s'obsède d'autre chose, d'une version du passé parfois trop erronée pour contempler le monde autrement, d'une image ou d'un stéréotype trop faussé pour être crédible. Est-ce qu'on voit même l'âme et le pardon une seule fois quand on regarde religieusement notre dieu télévisé ? »

Elle se savait enlisé dans ma glu, « Pauvre Go ! Je vois ton âme ! » et ensuite elle a ajouté, « Tu es très pessimiste ce soir. »

« Ben, oui, peut-être, quelquefois. » Je l'ai regardée. Notre conversation s'approchait à la fin. Bientôt, elle rallumerait la télévision, et je lirais. « Eh, la confession, l'apanage des catholiques, au fond, c'est une bonne idée, non ? »

« Oui. » Elle restait silencieuse. Je savourais le plaisir de m'être bien exprimé sur un sujet cher à mon cœur. Elle, espiègle, m'a demandé, « Tiens, je pensais que tu ne croyais pas en Dieu ? »

« Non, je ne crois pas en Lui, mais au moins j'ai Shakespeare. Le poète de l'humain. »