lundi 29 novembre 2010

Les ours hors la loi

Remuant dans mon repaire vendredi soir, j'ai commencé à mettre en ordre mon bureau. J'ai vidé les classeurs à tiroirs et la bibliothèque de milles bouts de papier, d'un tas d'étuis de disques compacts, dont un tiroir bourré de ces étuis compacts dément, un bric-à-brac de trucs pour l'ordinateur longtemps caduques, des manuels d'instruction, un livre sans jaquette, le même livre acheté deux fois, un livre emprunté de mon beau-frère il y a quelques ans, des livres sans intérêt, des souvenirs de Guatemala, une fourchette, des numéros de téléphone, même une enveloppe d'avoine instantané. J'en ai fait un tas au centre de la pièce pour trier les objets en trois tas, l'un pour la poubelle, un autre destiné au recyclage et un troisième pour donation.

Au fond d'un tiroir se sont cachés plus d'un an les clefs de ma serrure de vélo et l'adaptateur AC/DC pour le serveur d'imprimeur. Enfin je pouvais réunir la serrure avec ses clefs et nos ordinateurs portables avec l'imprimeur. Chouchou a pris les clefs de mes mains et j'ai essayé de ressusciter le serveur. Je l'ai branché et ensuite j'ai essayé d'imprimer un document, mais le maudit truc ne fonctionnait plus. Après avoir fait des recherches, j'ai découvert que les magasins ne vendent plus les serveurs, parce que les fabricants mettent les serveurs dans les nouveaux imprimeurs. On peut les acheter en ligne, mais le prix est vol manifeste. Chouchou a dit que nous pouvions en utiliser un à sa compagnie qui se trouvait juste à la lisière du bois urbain. C'est-à-dire de la maison dix minutes à pied.

A l'heure où la nuit chasse le jour, nous nous sommes mis en marche la tête baissée. Elle portait un parka touffu d'un poil tout marron qui lui donnait l'air d'un ours de taille moyenne. Pas rasé, les cheveux débraillés, en pan de chemise, j'avais l'air d'un ours mal léché. La lumière blafarde des phares a brillé sur nos visages un instant et a disparu. Chouchou marchait de plus en plus vite à cause du froid. J'avais du mal à suivre son allure. Tout d'un coup en traversant la rue une voiture a klaxonné, et ensuite a lentement grillé le feu rouge en tournant à droite. J'ai dû retenir Chouchou, sinon je ne sais pas si le chauffard, une vieille dame chic au volant d'un Mercedes parlant au téléphone portable, se serait arrêté. Je ne sais si elle a même daigné de nous regarder. Probablement elle pensait étant donné aucune voiture n'était à sa gauche et aucun piéton n'était devant sa voiture, elle pouvait poursuivre son chemin. Les piétons au trottoir laisseraient la priorité aux fauves mécaniques s'ils connaissaient bien les lois du bois.

« Tu as vu ça ? » s'est-elle exclamé. « Les conducteurs dans notre quartier sont terribles ! Pourquoi tu m'as retenue ? Je voulais m'arrêter devant sa voiture pour lui donner une leçon. »

Je n'aime pas du tout son réflexe vengeur. Au volant elle a la mauvaise habitude de conduire la voiture de plus en plus près des voitures qui aventure trop dans sa voie. J'ai protesté, comme je proteste chaque manifestation de son réflexe, « Un jour tu vas te faire tuer ! » Elle s'est tue un instant et puis m'a dit, « Si tu m'as laissé aller, j'aurais pu lui faire s'arrêter. D'ailleurs, elle a besoin d'une bonne leçon. Juste parce qu'elle a un Mercedes et beaucoup d'argent ne veut pas dire qu'elle a le droit de griller les feux rouges ! » « Pourquoi tu dois donner une leçon à chaque personne qui contourne le règlement. Elle s'est ralentie, à peu près. Bien sûr elle est méchante, mais la vie est trop courte pour cela. Et voilà, regarde-toi. Tu es de mauvais humeur maintenant. »

Nous nous sommes promenés en silence jusqu'au bâtiment. Elle a ouvert la porte avec son clef puce sécuritaire qui a fait bip. Nous avons monté l'escalader, nos pas retentissant dans le vide obscur. À la première étage, nous avons marché dans le couloir en silence jusqu'à l'entrée de son bureau. Elle a déverrouillé les deux serrures et a poussé la porte, mais elle était coincée contre un objet lourd. La lumière du bureau a jailli dans le couloir obscur. Inquiète, Chouchou a appelé « Est-ce qu'il y a quelqu'un ? Qui est là ? » Tout d'un coup un homme hispanique un peu voûté est venu et a dégagé la porte en prenant la poubelle qui bloquait le chemin. Il a susurré « Pardon » et vite une femme est venue à la porte aussi. Les deux sont sortis un peu embarrassés.

Chouchou est allée à son bureau. Elle a touché sa chaise. « Tu vois ? La chaise est encore chaud. Quelqu'un s'est assis dans ma chaise. » Je ne pouvais supprimer un sourire, « Et alors ? Qu'est-ce que tu penses qu'ils faisaient ? » Elle a dit que l'on a déjà surpris les agents de nettoyage en train de téléphoner dans son bureau. Son office avait un service téléphonique gratuite, et les agents de nettoyage en tirent profit. « Je vais dire à ma patronne de tout cela, » elle a conclut. Déçu, j'ai répondu, « Oh ! Je pensais qu'ils étaient en train de se peloter. Ne dis rien à ta patronne. Si le service est gratuit pourquoi les embêter ? Si tu étais loin de ta famille, ne serais-tu pas tentée de les appeler de temps en temps ? Nous les avons surpris parce que nous voulions emprunter un serveur d'imprimeur. Qu'est-ce que tu vas dire à ta patronne ? "Go et moi sommes allés au bureau pour emprunter quelque chose et nous avons surpris deux agents de nettoyage dans le bureau !" ? »

« Je vais le lui dire, » elle m'a dit. Nous nous sommes regardés. Je lui ai regardé d'un air espiègle « Tu es sûre qu'ils ne se pelotaient pas ? »

Elle s'est tue.

« D'accord. On y va ? »

Nous sommes partis sans serveur d'imprimeur ni caresses volées. Deux ours entourés d'autres ours hors la loi.

vendredi 19 novembre 2010

La symphonie des mots

Ce mercredi matin Philippe Cassard a présenté la première de deux émissions consacrés au cycle de lieders de Schumann. La première fois que j'ai écouté son programme, il y a deux ans, il parlait du cycle des lieders de Schubert. Les deux musiciens ont été inspirés de la même source, les lieders de Heinrich Heine, le célèbre poète romantique. Ses lieders, inspirés de son amour profondément malheureux, racontent l'histoire d'un jeune homme qui commence un voyage qui n'est que le début de sa fin. Dénié de l'amour de sa bien-aimée, il vagabonde dans le forêt et la neige en plein hiver. Il n'a ni présent ni avenir, juste un passé qui le tourmente, un passé que Heine fait écho dans ses lieders qui font écho dans la musique de Schubert et de Schumann.

Peut-être un discours sur la musique semblerait avoir le moindre d'intérêt. Une fois quelqu'un m'a surpris au travail à écouter l'émission. Dans son accent blasé californien, il m'a demandé « Oh, qu'est-ce que c'est ? C'est en français ? Oh, man, tu dois trouver une émission la plus prétentieuse et l'écouter très fort. Cela serait très drôle. » Je lui ai dit qu'en fait, l'émission était bien prétentieuse. Philippe Cassard prétend de nous donner une leçon de musique. Il nous instruit comment écouter la musique, où chercher les nuances, pourquoi il faut jouer cette mélodie doucement et lentement plutôt que fort et vite. Il traduit tous les symboles musicaux en sentiment, couleur, humeur et lumière. « Et mon cher ami, c'est merveilleux, » je lui ai expliqué, mais il ne pouvait pas comprendre ce que je voulais dire. « Non, je veux dire que tu dois trouver quelque chose de très, très prétentieux en français. Cela serait du fun. »

J'ai dû laisser tomber mon admiration de Philippe Cassard. Quelquefois il est impossible d'être prétentieux aux États-Unis, même si la prétention n'est que l'intention de vagabonder un peu à travers l'univers culturel. Mais dès qu'il me quitte j'y plonge à nouveau.

Pour savourer mieux une phrase mélodique, Philippe Cassard la joue plusieurs fois pour mettre en scène les nuances indiquées par le compositeur. Une fois normalement, une fois en ignorant les nuances, encore une fois en soulignant les nuances, et finalement pour enfoncer le clou. En savourant mieux la phrase, je suis ébahi du trésor subtil et complexe enseveli dans la mélodie. Sans M. Cassard, il me faudrait plus d'une tête, plus d'une seule vie pour entendre comme lui. J'ai essayé de jouer à la guitare. Je singeais les mouvements nécessaires pour faire sonner les notes sur les pages de musique de Sor, Tarréga, Carcassi, et Villa-Lobos tout en ignorant exprès les nuances. Je pensais que si on jouait correctement les notes, ce qui n'était jamais facile, on arriverait. M. Cassard, si prétentieux, si méchant envers les dilettantes m'a ouvert les yeux, les oreilles et l'esprit. Il révèle couche après couche, subtilité après subtilité, et détail après détail. Il transforme les notes en être sensuel. Et ensuite il ajoute dans les notes le sentiment et la douleur du poème. Et moi, je commence à sentir que la musique et les mots partagent, échangent, résonnent et expriment une chose éminemment prétentieuse, une chose divine, intangible et extraordinaire — l'infinité de notre cœur humain.

En présence d'un tel génie, je me demande comment il a su choisir les notes, les arranger, tailler cette ligne-ci et laisser pousser celle-là, faire sonner plus fort une mélodie et chanter doucement les autres, comment il a su résonner des notes pour nous faire peur, mélancolique, ou heureux. Pourquoi est-il qu'un écho d'une mélodie est comme un souvenir lointain ? Et si l’écho va en crescendo, pourquoi est-ce que le souvenir semble nous troubler ? si l’écho persiste, pourquoi nous nous sentons hanté ? C'est comme si le compositeur a pu sonder le fondement de nos cœurs par quelques notes qui flottent dans l'air.

Miracle, merveille, mystère.

Et voilà nous sommes vendredi. Je voulais terminer ce billet hier. Je voulais terminer un autre billet mercredi, mais j'ai dû l'abandonner, faute d’enthousiasme. C'est..., j'ai juste encore une idée à écrire. Je cherche les mots qui conviennent, mais où sont-ils ? Et quand je les trouve, comment les mettre en ordre ? Dois-je les garder ? Écrire une série de questions ? Résonnerait-elle comme je veux le faire résonner ?

La mystère, c'est savoir comment les notes résonneront dans les oreilles des autres. La tentation est trop grande de se dire « Et bien, cela me va. J'ai plus ou moins chanté toutes les notes. Si le public ne l'aime pas, c'est leur problème. » Cette tentation mène à l'isolement.

La merveille, c'est le parfum, la lumière, la couleur et la sensualité dont les notes, sans corps, nous rappellent.

Le miracle, c'est l’écho qui persiste en nous longtemps après que la musique a été chantée.

Une dernière chose avant de vous quitter. Récemment une personne a laissé entendre que la vie lui a privé d'un avenir. Un jour plus tard, elle a précisé d'avoir bien choisi son chemin. Moi, j'ai pensé que la précision n'était pas nécessaire. Tous les notes qu'elle a fait sonner, m'ont déjà dit le nécessaire, sans le dire explicitement, qu'il serait impossible de lui priver de son avenir voulu. C'est la nuance de ses mots qui me l'a dit.

Et nous, ceux qui écrivent ou juste parlent pour s'approcher de la mystère, la merveille et le miracle, serait-il que nous, ensemble, composions une symphonie des mots ?

J'aimerais bien penser oui.

mercredi 10 novembre 2010

Scruter l'horizon d'une énigme

Coucou, un jeune homme de mon bureau, le seul avec qui j'ai essayé de me lier d'amitié, s'en est allé en juillet. Nous avons souvent parlé de maints sujets. En principe, je lui ai demandé son avis pour savoir comment il interprète et reconstruit le monde en paroles. Je sais que ce n'est pas un bon méthode d'entamer une relation, mais à l'époque, j'étais curieux de la jeune génération. Je m'entends très mal avec eux. À mon avis, ils sont un peu paranoïaques et hostiles, réfractaire à la haute culture, toute ouverte à voir une conspiration partout. Au début, je voulais le comprendre, peut-être trouver un moyen de mieux m'entendre avec les jeunes gens. Malheureusement, c'était rare, très rare, trop rare, que nous nous sommes mis en accord. Pas à pas et à contrecœur, j'ai renoncé à lui faire confiance. Et en amertume, j'ai fini par lui en vouloir, voire le détester. J'ai essayé de mon mieux de dissimuler mon dégoût pour ses idées. Et lui, cinglé de mon rejet, a volontairement ajouté à ses propos des amalgames, assimilations et accusations qui attisaient mon mépris. Notre méfiance réciproque n'a pas impliqué un refus de contact qui à la surface semblait tout amical. Quand il est parti, il m'a donné un opus aussi épais comme un matelas qui contenait le schéma en symboles logiques et mathématiques de réduire l'être humain en machine à calculer. Piqué par l'audace de son cadeau, je lui ai donné le livre le plus humain et le plus dérangeant à ses yeux, Hamlet de William Shakespeare. Depuis nous sommes quittes si doucement qu'il serait impossible de confirmer notre séparation et si amèrement que l'on se contente de n'avoir plus de contact.

Je jure que je voulais sincèrement lui offrir mon amitié, ma sincère amitié, mais au bout du compte, il me semblait que chaque tentative d'amitié véritable s'est soldée en conflit et insultes. Je ne lui ai jamais insulté, comme il m'a insulté. Je ne lui ai jamais dit qu'il était raciste, je n'ai insinué ni qu'il était ringard, ni qu'il était méchant. De temps en temps, je lui ai taquiné quand, à mon avis, ces propos étaient farfelus. Par exemple, pendant une conversation sur l'éducation, il a dit que nos enfants seraient mieux éduqués, si nous rayions les écoles des villes et leur donnions un ordinateur portable et l'accès gratuit à la toile. Après une telle déclaration, si je n'étais pas tout d'un coup frappé de stupeur, j'ai toujours essayé de suivre la trame de son argumentaire et puis lui demander des questions pour lui obliger de modérer ses propos. J'ai essayé le lui faire comprendre que si on suivait ses conseils, les résultats pourraient être moins que paradisiaques. En fait, puisque la toile est gavée de pornographie, de violence, de stupidité, et de banalité, bien qu'il existe, selon lui, un jeune homme en Afrique qui s'est très bien éduqué grâce aux atouts informatiques, cet exemple serait très difficile de reproduire pour la plupart de l'humanité. Le malheur, c'était que j'ai souvent réussi de lui faire voir l'absurdité de ses idées. C'est là où j'ai dû essuyer les injures de plus en plus mal dissimulées.

A dire vrai, je ne sais pas si j'eusse pu être plus doux avec lui ou me soustraire mieux de l’enchevêtrement de mon amour-propre blessé, ses idées, et le bien dégagé d'un vif échange d'opinions. Par contre, j'ai toujours essayé de continuer la conversation, s'il le voulait. A la fin de notre amitié, il s'est contenté de me demander de résoudre des casse-tête mathématiques. Pour une raison quelconque il pensait très chouette d'en avoir la solution. Il pensait qu'en se perdant parmi les symboles mathématiques il augmenterait son quotient intellectuel. Moi, j'en ai résolu quelques-uns en scrutant l'horizon de l'énigme, en examinant les relations, les hiérarchies, la structure du problème. Ce faisant j'étais content que mon cerveau fonctionnait comme avant et un peu mécontent, parce que les mathématiques ne me plaisent plus. Et je le lui ai dit pour arrêter le devoir de résoudre ses casse-tête, mais au bout du compte j'ai fini par lui dire de ne plus en avoir de temps ni d'intérêt.

Ce samedi, j'ai écouté une émission de France Culture, et tout d'un coup je me suis souvenu de l'une de nos disputes qui avait durée plusieurs jours. Selon Coucou, les variations Goldberg de Bach jouées par Glenn Gould étaient plus que la meilleure interprétation de ce chef-d’œuvre. Elle était novatrice, révolutionnaire, et émancipatrice. Comme d'habitude, j'étais bouche bée devant une telle déclaration et comme d'habitude, c'était moi qui étais responsable de ma propre stupéfaction, parce que juste avant, je lui ai dit que Murray Perahia venait d'enregistrer les variations. Elles étaient belles et profondément différentes que celles de Gould. Puisque Coucou m'a dit qu'il a commencé à prendre des leçons de musique, je pensais que la différence entre les deux interprétations lui intéresserait et lui plairait. A ma grande surprise, le sujet nous a mené à maintes joutes aux variations infiniment répétées.

En bref, selon Coucou, Gould était Dieu et Perahia était un homme insignifiant. Au début de notre confrontation, je ne suis arrivé à dire que les variations de Perahia étaient très belles, donc une telle comparaison me semblait déraisonnable.

Au cours de notre discussion, Coucou n'a jamais concédé d'avoir jouer une fausse note. Selon lui, les institutions et les traditions dans la musique classique sont tellement étriquées, les écoles de musique sont si bourrées de grénouilles de bénitier, tous les musiciens avant Gould étaient si dépourvus de talent artistique qu'il fallait un Dieu comme Gould ou un Gould qui est devenu un dieu de rompre avec toute cette tradition et histoire. Avant Gould, la tradition piano forte (c'est-à-dire les nuances des notes) était comme un camisole de force sur le corps, l'esprit et les mains des musiciens. Elle les a forcé de jouer les variations dans une ridicule exagération entre piano et forte. Gould a rejeté ces carcans et du coup il a mené une révolution et nous a émancipés de la tyrannie de la tradition.

Il est vrai que Gould était inimitable, idiosyncratique, excentrique. Un génie. Pour éviter notre lutte interminable et futile, j'aurais pu dire « Oui, d'accord, Gould est Dieu. Gould était novateur, révolutionnaire. Quel était l'autre adjectif ? Élyséen ? Oh, émancipateur. Un messie, non ? Oui, Perahia n'est qu'un rien insignifiant, » mais je me savais incapable de dire que tout autre musicien avant Gould n'était qu'un abruti à cause d'une tradition suffocante. Au lieu de me mettre en colère, j'ai recherché les critiques de la musique de M. Gould. Le consensus était que son style était plat et horizontal comme l'horizon du Grand Nord. A force d’évacuer les nuances des notes et de les envelopper dans une petite silence grâce à sa touche légère, sa précision d'attaque et son staccato impeccable, il a fait sonner et articuler chaque note. Chaque voix, chaque ligne mélodique dans les variations se bat contre les autres pour être entendu. L'effet est pure magie, mais à mon avis son interprétation n'impliquait pas la condamnation de tous les musiciens avant et après lui. En fait, son interprétation est discordante et gênante. Bach a écrit les variations pour aider un aristocrate de dormir. Si Gould les avait jouées pour lui, il n'aurait pas fermé l’œil de la nuit.

Gould a aussi prononcé des avis très excentriques sur la musique classique. Sans broncher, il a dit que jouer des pièces au public n'était plus nécessaire. Il pouvait enregistrer les pièces, les entreprises culturelles les vendraient, le public les écouterait chez soi, il passerait au prochain projet, parce qu'une fois l'enregistrement fait, on n'avait pas besoin de le réinterpréter. En fait, on peut émanciper le public en éliminant toutes les salles de concert qui limitaient l'appréciation de la musique aux élites et émanciper les musiciens de jouer la même pièce tout le temps. Bien sûr, Coucou répétait ses avis comme la parole de Dieu.

Mais alors, je n'ai pas même expliqué pourquoi j'ai commencé cette histoire, pourquoi une émission de France Culture (La Fabrique de l'humain) m'a fait penser de Glenn Gould. Est-ce que vous pouvez scruter l'horizon de mon esprit et deviner où je voulais aller ? 

mercredi 27 octobre 2010

Braque en bric-à-brac

Cela fait plus de deux semaines sans billet. Est-ce l'angoisse de la page blanche ? Pas assez de temps ? Rien à dire ? Est-ce qu'il fait trop chaud ? C'est la fin d'octobre, mais il fait si humide qu'on se met à suer aussitôt qu'on sort. Est-ce que la maison est trop encombrée de bric-à-brac ? Depuis plus de trois semaines nous partageons la maison avec les menuisiers qui rénovent notre cuisine; ils ont accaparé du sous-sol, de la salle à manger et de la salle de séjour. Leurs outils sont partout. Nous devons nous faufiler parmi eux pour trouver nos casseroles perdues dans le jungle qui était jadis notre demeure. Chaque matin, à 6h30 le travail commence par un nouvel assortiment de questions. Je dis oui et Chouchou dit non. Nous nous regardons interloqués et inquiets, et ensuite je dis non, et elle dit « non, n'est-ce pas ? » comme il va de soi. Je réponds non, mais c'est comme ça, c'est oui. La confusion continue, les menuisiers nous regardent et nous discutons. Je dis « Mais qu'est-ce que tu veux ? » Elle dit qu'elle ne sait pas. Je dis, moi non plus. Les menuisiers nous regardent les yeux de plus en plus écarquillés. Je ne sais comment ils supportent des bobos comme nous.

Juste après avoir résolu l'énigme du jour, Zanie, la voisine, entre dans la cuisine. Depuis la salle de séjour j'entends sa voix perceuse à percussion demander aux menuisiers de venir avec elle pour juste cinq minutes. Il y a une fuite aux toilettes. J'hésite entre intervention héroïque et fuite lâche, mais les mots comme « Bonjour Zanie. Quelle surprise ! Est-ce que vous voulez une tasse de thé vert ? Je mettrais de l'eau sur le poêle pendant que Freddie et Carl travaillent. Aujourd'hui ils vont peindre la cuisine », ils ne me viennent pas à l'esprit. Par contre, deux mots se répètent en boucle haut et fort, « Zanie ! NON !! ZANIE !! NON !!!»

Pour éviter une embrouille, je les laisse se débrouiller tous seuls. Le menuisier adjoint lui parlent à la voix humble, patentée et patiente. « Non, madame j'aimerais bien vous aider, mais je suis ici au compte de mon chef. » Elle insiste et répète que cela ne durerait que cinq minutes. Le menuiser chef vient à son secours, « Non, madame je ne sais rien de toilettes. Je connais un très bon plombier. Je peux vous donner sa carte de visite. » Elle insiste, insiste et insiste. Il écoute, écoute et écoute, mais il finit par couper court à la discussion, « Non madame, je ne peux vous aider. D'ailleurs nous sommes déjà en retard. »

Ensuite, je cherche notre chat Victoire. Pauvre bête. Il a une très mauvaise haleine à cause d'une infection dentaire. Quand il me voit le compte-gouttes à la main, il se détale. « Viens. Viens ici. Viens ! Petit monstre ! Reste tranquille et ne bouge pas ! » Je l'attrape et essaie de lui faire avaler sa médecine, mais le petit tigre met l'une de ses griffes acérées dans la cuticule de mon petit doigt. « Aïe !! »

Enfin, les tâches ménagères finies, j'essaie de me débarrasser de tout ce bric-à-brac mental et m'installe dans mon fauteuil. J'allume l'ordinateur, examine mon compte de courriel et essaie d'écrire, mais je n'en ai pas envie. Est-ce le crayon ? Où est le crayon ? Où est mon bloc-notes ? Est-ce que mon écriture à la main est illisible ? Est-ce que l'ordinateur portable ne me plaît plus ? Si j'avais une vieille machine à écrire ? Cela ferait un joli tic, tac, bric, brac, clic, claque, claque sur le papier. Serait-il plus pratique d'écrire avec une machine à écrire parce qu'un billet serait écrit et imprimé à la fois et ensuite prêt d'être examiné. Ce serait formidable ! Mais une vieille machine à écrire, une machine que je détestais à l'université, que je pensais ne valait rien, vaut plus de mille dollars aujourd'hui !

Au milieu de ma rêverie, Ronronfleur vient s'installer sur mes genoux. Comment puis-je écrire avec un chat qui se met entre moi et l'ordinateur ? Je mets une main sur son corps qui ronronne et l'autre cherche le souris sur le bureau et malheureusement elle chasse la tasse de thé au sol. Ronronfleur prend panique. Je la tiens et lui dit, « Ne me quitte pas, ne me quitte pas Ronron. Ronron ! J'ai besoin de ton ronron calme ! » C'est trop tard. Elle me quitte et je regarde un instant tout le bric-à-brac qui m'entoure, pousse un soupir, et me lève pour aller au travail.

dimanche 10 octobre 2010

Sommeil, fatigue et fin

Le week-end s'est envolé. Je l'ai passé à somnoler sur le canapé. Je suis si fatigué que lire le journal me semble un exploit herculéen. Deux semaines se sont écoulées sans avoir écrit un seul billet. Je voulais nager à la surface, trouver un asile dans le tourbillon, et parfois j'ai pu me hisser sur une petite île du temps, mais vite la fatigue et le sommeil ont mis fin au jour et j'ai dû tomber dans les bras de Morphée pour être bercé quelques heures. Des heures qui ne duraient jamais assez longtemps. Le prochain jour, j'étais au travail à 9 heures, et si j'avais de la chance, je rentrais avant 21 heures. Sinon, je rentrais à 23 ou 24 heures.

J'espère que les jours les plus durs se sont passés. Juste pour vérifer que la dernière phrase n'était pas un voex pieux, j'ai ouvert mon compte courriel au bureau. D n'a pas envoyé un message ce week-end. Je suis libre ! Au moins je serai libre après huit heures de travail. Libre ! Libre pour me demander ce que je fais dans ma vie, pourquoi je m'ennuie tout le temps, et comment je peux mener une vie plus simple et enfin arriver dans un équilibre tranquille sans ces questions bouleversantes.

Mais en effet, délester un peu dans ce déluge de travail, de stress, et de fatigue, c'était un soulagement. Les questions sur mon avenir, les questions existentielles, les chateaux en Espagne, l'imagination, j'ai tout lâché à l'eau. Et en contre-partie, j'ai regardé plus de télévision, de la télévision idiote. Tout d'un coup le match de football américain entre Washington et Green Bay m'a semblé très intéressant, et au même temps c'était juste pour ne penser à rien. Et ne penser à rien, c'est fermer lentement les yeux, c'est essayer de les rouvrir, c'est les laisser fermer en se disant qu'on est au bout du rouleau et demain on pourrait se remettrait en selle, peut-être.

Et maintenant, j'essaie d'écrire une paragraphe. Je n'ai besoin que de quelques mots qui auraient un soupçon de lien à une silhouette d'une idée qui intéresserait à un lecteur ou une lectrice au lieu de faire voir de toute évidence que cette idée fait dire à tout le monde une phrase qui vient de plus en plus vite à ma bouche, N'importe quoi ! Et si vous savez comment je déteste cette phrase qui répresente la fin de la patience et le commencement de l'abrutissement. Et voilà, la fin de la dernière paragraphe de ce billet. Je suis au bout du bouleau. Je n'ai rien plus à dire. Et qu'est-ce qui j'ai trouvé dans cet essai ?

Qu'au-dessous de l'énorme poids de la fatigue qu'un homme aussi bizarre comme moi peut enfin rejoindre la plupart de l'humanité qui ne veulent rien de plus que de voir un match de foot un dimanche après-midi et puis terminer son billet en se disant n'importe quoi.

mardi 28 septembre 2010

Un appartement loué à New York

Hier je suis arrivé au bureau à 9h5, inquiet, en raison d'une réunion téléphonique avec D. J'ai demandé à ma voisine si elle a entendu sonner le téléphone. Elle a dit que non. J'en étais soulagé, juste un instant, avant que le téléphone n'ait sonné. D m'a dit qu'il ne pouvait me donner de nouveaux ordres. En attendant, il fallait travailler en mettant sur le compte d'un autre projet. Je lui ai dit que ce n'était pas un problème, j'avais beaucoup de travail, tout ce qui était en retard.

A 16h30 D a eu assez de temps pour me donner de nouveaux ordres. Dimanche, le mec, qui est en charge de l'assurance de qualité de notre document, a révisé nos efforts. Nous devons répondre aux commentaires, alors que D écrit le troisième chapitre, mais si je vois un commentaire qui mette en cause notre méthode décrite dans le chapitre que j'ai écrit et D a ré-écrit, il faut le dire et tout de suite.

J'ai envoyé à D un commentaire sur tous les commentaires à 20h30 et une demi-heure plus tard j'ai quitté le bureau.

Rentré à la maison à 9h40, j'ai ouvert mon compte de courriel. A 21h30, D m'a répondu. Il faut nous réunir demain matin pour en parler.

Grosso modo, je suis surchargé au travail et hier soir mon esprit m'a fait voir sa vision de mon nouvel état. Dans un rêve, je venais de m'installer à New York au prétexte d'un nouvel emploi. En rentrant à l’appartement, j'ai traversé la ville grise et morne. Les gigantesques bâtiments couverts d'une sueur grasse m'ont dominé de toute leur hauteur. Je marchais la tête baissée en cherchant l'appartement quand une femme m'a fait tourné la tête par le poids de son regard alourdi de dégoût et de désir. Dans ses yeux j'ai lu sa question, « Voulez-vous troquer un peu de votre argent contre mon chair ? Ne soyez pas si moralisant ! Ce n'est qu'un petit péché dans un grand monde. » J'ai reculé comme si d'instinct et puis je l'ai regardé pour lui dire « Non, désolé. » Je ne peux pas louer la chair d'une femme.

Je l'a quittée et cherchais encore le bâtiment. J'ai monté des escaliers et les ai descendus. Il semble que je savais où se trouvait l'appartement, mais le chemin tortueux me menait devant les yeux des personnes désœuvrées qui me regardaient comme la prostituée, comme un homme qui ne désire que la cambrure d'une femme. Et après les avoir échappés, ils m'en voulaient.

Je suis entré dans l'appartement. Le salon était en désordre total, vêtements éparpillés partout, un cendrier plein de cendres, des verres demi pleins, et une odeur qui persistait. Mon co-locataire dont je ne connaissais rien, étais étendu sur un canapé. Il m'a dit qu'il venait de retourner et qu'il n'est pas allé au travail. Il était trop fatigué. Il a ensuite annoncé qu'il a trouvé un autre appartement avec un ami. Il allait me quitter dans un mois. Je me suis rendu compte que malgré sa paresse, son manque d'hygiène et son apparence débraillée, je comptais sur lui de payer une moitié du loyer. Maintenant il fallait chercher un co-locataire; je ne pouvais le payer tout seul. Un co-locataire ! « Où allais-je en trouver un ? » je lui ai demandé. Il n'en avait aucune idée. Selon lui grâce à ma bonne mine, j'avais de la chance de trouver un appartement avec lui. En contrepartie, il m'a fait voir la nouvelle installation des barres dans l'enceinte de la fenêtre. « Ces mesures de sécurité ne marcheront pas. Le propriétaire en a acheté des trucs inefficaces et bon marché. Bonne chance. »

Je suis entré dans ma chambre. En fermant la porte, je me suis réveillé.

C'était environs 4 heures du matin. Mon Dieu, un co-locataire, quel cauchemar ! Mais tout cela était "réel" et faux. Quand j'étais étudiant, j'étais surmené, pauvre. J'ai vécu avec des co-locataires trouvés dans les petits annonces, l'un après l'autre était plus pénible que le précédent. Et aujourd'hui je suis retourné à cet état dans lequel je me sens avoir troqué ma vie contre mon désir de faire plaire à mon employeur.

Je sais, c'est sombre ce billet, mais j'étais content d'avoir ce rêve. De plus en plus souvent quand j'essaie d'écrire, la silhouette de mes pensées ne se dessine pas. Dans un rêve, même dans un cauchemar, l'inconscient fait tout. Il ne faut que transcrire l'image de son propre conte de fées.

Chose curieuse ! Aujourd'hui après avoir parler à D pendant une heure sur toutes les révisions du texte, j'ai lu un courriel du président de notre compagnie. Notre bail n'a pas été renouvelé. Notre compagnie vont déménager. Nous allons nous installer dans une région de Washington, DC qui est plus grise et morne, où la violence est plus fréquente, mais qui est en train de développement. C'est-à-dire on va troquer les désœuvrés contre les personnes qui ont bonne mine.

dimanche 19 septembre 2010

Harry Nilsson et la journée de parler comme un pirate

Cette semaine j'ai essayé d'être bon, mais dans mes moments d'inattention, j'ai cherché sur la toile le film que j'ai vu à la télévision il y a 30 ans qui s'appelle The Point!. Comme la toile contient tout, je l'ai trouvé et ai découvert que l'auteur du scenario, Harry Nilsson, était musicien. Le film a été adapté de l'album du même nom dont Harry a dit « Je prenais de l'acide et j'ai regardé les arbres et je me suis rendu compte qu'ils se terminaient tous en pointe, et les maisons se terminaient en pointe. J'ai pensé, "Oh ! Toute chose tient une pointe, et si elle ne l'a point, elle a toujours son point essentiel." »

J'ai visionné 10 minutes du vieux film. J'en ai été enchanté comme avant. Je me suis pensé qu'il était dommage que nos artistes ne prennent plus d'acide aujourd'hui. Il faut rêver ou halluciner juste un petit peu pour transmettre une fraction d'émotion ou de tendresse que ce film contient.

J'ai découvert plus sur Harry Nilsson. Ami de John Lennon, chanteur célèbre jadis, mais inconnu aujourd'hui, cet homme a écrit et a chanté les chansons que tout le monde connaît. Vous avez certainement écouté ses chansons, "Coconut", "One", "Without You". Vous vous souvenez des vers dingues de "Coconut" -- "You put de lime in de coconut, you drink em bot up" ou ceux de "One" -- "One is the lonliest number that you'll ever do".

En fait, quand je l'écoute, je cherche à changer de chaîne, parce que je sais si j'écoute juste quelques notes de ses chansons, mon esprit va les jouer en boucle dans ma tête pendant une semaine. La chanson qui me détruit est "Without you". Oh, elle commence si doucement, "No, I can't forget this evening / Or your face as you were leaving / But I guess that's just the way the story goes" et puis il ajoute une nuance aux vers suivants "You always smile but in your eyes your sorrow shows / Yes, it shows". Et à ce point c'est trop tard pour moi. Je l'écoute bouche bée, et Harry verse ses mots dans mon esprit, "I can't live if living is without you / I can't live, I can't give any more."

Je suis marié. Je vis avec Chouchou, mais quand j'écoute cette chanson, je me demande « qui est cette personne ? Je ne la connais pas, mais désormais je ne peux plus vivre sans elle. Je ne peux plus donner non plus. Elle est partie. Je suis sans elle. Seul, tout seul. »

Ce week-end j'ai dû travailler, malgré ma réluctance. Il faisait beau tout le week-end. Le ciel était bleu et sans nuage. L'air, frais et enfin sans moustiques. Malheureusement, un homme que j'estime m'a donné beaucoup de travail qui doit être terminé ce mercredi. J'ai dû m'isoler dans la maison et taper du texte pêle-mêle dans un document. Je n'ai aucune idée s'il va être lisible. Entre-temps, je regarde le ciel et je me désespère. Et ce diable Harry Nilsson commence à chanter dans ma tête, « I can't live if living is without you. I can't live, I can't give any more. »

Ces paroles sont si simples qu'il est difficile à imaginer qu'elles peuvent provoquer une crise de chagrin dans laquelle l'on ne peut rien faire sauf pleurer son sort malheureux, mais c'est exactement ce qui arrive. Peut-être ce grand-fils des acrobates suédois a su transmettre la douleur qu'il a subie quand il a vu son père abandonner la famille à l'âge de 3 ans et la condamner de vivre en pauvreté. Mais il n'y a pas de trace d'amertume dans sa voix. C'est juste un mélange de mélancolie, souffrance, joie, amour et crève-cœur.

Et je l'écoute dans mon bureau quand je dois travailler, tandis que mes collègues travaillent sans faille. Au moins il me semble ainsi, mais cela ne veut pas dire qu'ils ne font jamais pause. Nous avons un collègue, T, qui nous donne une occasion de nous détendre une fois par an. Depuis un mois il nous annonce que le 19 septembre est la journée mondiale pour parler comme un pirate. Vendredi il vient au bureau un bandana à la tête et un bandeau sur un œil qu'il porte sous ses lunettes. Pendant les jours qui procèdent cette journée il cache de petites babioles dans le bâtiment et il en dresse une carte pour les collègues qui participent à la chasse au trésor. Vendredi après-midi les couloirs se sont remplis de tous les jeunes gens de notre compagnie. Ils cherchent dans chaque bureau du butin. Ils me surprennent au bord des larmes, mais ils n'en voient rien. Ils sont heureux et ne peuvent voir que du lucre.

Cet an c'était ma voisine qui a gagné le grand prix, des sacs de « Pirate's Booty », une espèce d'amuse-gueule industrialisé en forme de maïs éclaté et couvert d'une sorte de fromage en poudre. Absolument dégoûtant. Elle en a mangé presque tout un sac, et ensuite elle m'a demandé si je pouvait lui faire la faveur de manger le reste.

Cette journée de parler comme un pirate est le seul jour où j'entends parler T. Après quoi, il entre dans le moule. Je ne sais pas comment l'accent pirate peut lui donner le courage de continuer, mais moi, quand je regarde le ciel bleu, je sens l'air le plus frais de l'année contre ma peau, j'ai envie d'écouter chanter Harry Nilsson et d'essayer un peu d'acide.

samedi 11 septembre 2010

Et plus si affinités

Il n'est plus là. Je l'ai écouté hier, seulement une moitié de l'émission, mais aujourd'hui il n'est plus là. Mince alors ! France Culture, pourquoi tu me tourmente ainsi ?

Mais bon. Je vous demande pardon. J'ai promis la suite de mon histoire de mes vacances à Nîmes. J'en ai écrit un écheveau de mes pensées, et maintenant je les démêle. Entretemps j'écoute des personnes qui semblent n'avoir aucun problème de s'exprimer bien. Hier, j'ai écouté deux émissions de France Culture dont l'invitée, Dominique Baqué, a tissé un lien implicite entre deux tendances sociétaux, les affinités sur la Toile et les cougars.

Dans ces émissions, Mme Baqué, écrivain, critique à Art Press, nous a décrit ses expériences dont elle a écrit dans ses livres "E-love : petit marketing de la rencontre" et "Désintégration d'un couple". Tout d'un coup, à part les recherches de l'amour, j'ai enfin compris un peu plus sur la nature des rapports hyper-connectés. A mon avis, le sort des êtres humains livrés à eux-mêmes est le même. Socrate pensait que les Sophistes prisaient plus le discours creux que la philosophie. Shakespeare a décrit le narcissisme de Richard II, le mal absolu de Richard III, le nihilisme du roi Lear et l'absence de la vérité qui entourait Hamlet. Tous les maux d'aujourd'hui ne sont ni nouveaux ni imposés par la Toile. C'est la mise en scène de soi-même et de ces malheurs qui est de plus en plus criante, choquante et assourdissante.

Aux États-Unis, la Toile serait toujours le meilleur des mondes. En France, on en parle, en fait des débats, et en pose des questions. Je l'adore. Et je pense bien de vous présenter les émissions que je viens d'écouter.

Au cas où vous ne supporteriez ni la mise en scène des idées d'Alain Finkielkraut -- il a la tendance de ponctuer ses phrases de pauses significatives--, ou au cas où vous n'auriez pas le temps d'écouter une émission de 45 minutes, je vous décris ce que j'en ai saisi.

Dans la recherche des liens sociaux ou dans la quête de l'amour, Mme Baqué a rencontré des hommes l'un après l'autre qui ne cherchaient que le plaisir sexuel. Selon eux, la Toile offre aux hommes un hyper-marché de consomption sexuel dont la monnaie serait un discours formaté, superficiel et fun et où la devise dominante serait « il n'y a pas de mal dans la recherche du bien. »

A mon avis, je vois dans ce témoignage une sorte d'épidémie où la conscience humaine est de plus en plus sous l'emprise de la banalité, des désirs et des pulsions. En fait, une fois je parlais des rapports hommes-femmes aux hommes âgés et divorcés. Ils ont dit que la seule manière de parler aux femmes étaient de leur mentir. J'en ai été frappé de stupeur d'autant plus que plusieurs hommes ont déclaré cet avis avec la même conviction. Après notre conversation, j'ai pensé qu'ils manquaient un peu de maturité, mais maintenant je pense que l'on est formé et mené à vivre cette obsession sexuelle comme elle va de soi, tandis que l'on ignore de plus en plus le plaisir d'une rencontre lente et ouverte dans laquelle les pulsions et la peur sont maîtrisées. Leur point de vue m'a rendu triste parce que j'ai vu ces hommes-là, qui étaient sensibles et intelligents, condamnés à une isolation à perpétuité, parce que l'on ne peut ni se lier d'amitié ni tomber amoureux, si on est assujettis aux désirs aveuglants.

J'en ai parlé à Chouchou de cette émission. Puisque les femmes doutent toujours la fidélité des hommes, elle m'a demandé, inquiète et interloquée, si je faisais mes courses dans cet hyper-marché informatique. Est-ce qu'il y a une tentation de voir les choses comme ça ? J'ai dit non. Je ne traîne pas. Mais il faut dire qu'au sein des associations basées sur la Toile, il y a un manque de contexte dans les rencontres qui peut mener exactement à une vacuité dans les relations humaines. Souvent, quand j'étais entouré des pèlerins de plaisir, en proie de fun, ou sous l'emprise de la propagande, je me sentais accablé sous le poids d'une dépendance généralisée. Il me faut m'échiner pour ne pas courber l'échine et garder ma dignité.

La plupart du temps, j'abandonne, juste comme Mme Baqué. Même si elle est toute seule après avoir subi le choc profond d'un divorce douloureux, elle ne s'en remet plus à la Toile. Elle sait ce qui l'attend, les mensonges de l'hyper-marché de consomption sexuelle.

A mon avis, la Toile semble comme la vieille torture de Tantale réinventée.

Mais comment est-ce que les cougars sont liées à l'hyper-marché sexuel ? Selon les invitées de l'autre programme, tout d'abord l'étiquette « Cougar » est tout à fait méprisante, déshumanisante et abrutissante. Elle donne l'impression que ces femmes sont tellement assujetties à leurs pulsions qu'elles ne sont qu'un animal. 

Je n'ai écouté qu'une moitié de ce programme. Par conséquent, je ne sais pas s'ils ont parlé de l'idée que les cougars représentent une sorte d'émancipation sexuelle pour les femmes. Dans le blogue d'une certaine incertaine, elle a écrit un billet dans lequel tout le monde est d'accord avec l'opinion suivante : si les hommes veulent se conduire comme des animaux écervelés, il s'ensuit que les « cougars » doivent avoir le droit de faire pareil. J'y ai laissé un commentaire dans lequel j'ai assimilé les cougars aux rhinocéros d'Ionesco. Quelqu'une m'a répondu, obliquement. Selon elle, puisque Molière a écrit des pièces de théâtre où les hommes faisaient la cour aux jeunes femmes, il serait temps que les femmes assument leurs droits aussi. Comme d'habitude j'ai abandonné cette certaine incertaine, après avoir écrit un billet sur son billet. Je ne voulais même pas dire que Molière, dans L'École des femmes, a ridiculisé Arnolphe, le protagoniste, parce qu'il voulait imposer son amour à une très jeune femme. J'ai renoncé à revisiter son blogue. Perte de temps.

Heureusement, sous la plume de Molière, la jeune femme a eu la sagesse de défaire les desseins d'Arnolphe, qui semblent terriblement pareils aux promesses formatées et stockées dans les rayons de l'hyper-marché de la consomption sexuelle. Mme Baqué a dit que l'acte le plus subversif d'aujourd'hui serait d'afficher ses sentiments pour lutter contre ce fléau de brutalité. J'ajoute que la réflexion et la maîtrise de soi seraient aussi les vertus subversives. N'étaient-elles pas considérées il y a belle lurette comme la garantie de l'égalité ou du bonheur ?

samedi 4 septembre 2010

Un diaporama de la Camargue

Il y a quelques semaines, un courriel de Marie Jo m'a surpris. Elle nous a envoyé un joli diaporama de la Camargue pour prolonger nos vacances. Les très belles photos ont eu l'effet souhaité; je me suis replongé dans le parc parmi les chevaux, les taureaux et les flamants roses. J'étais encore une fois dans le paysage couvert de roseaux, parsemé d'étangs et marais, et bordé de vagues qui se brisent doucement contre le sable. Je me suis souvenu du mistral qui a balayé la chaleur de nos corps pendant la première semaine et de l’œil brûlant au ciel dont les rayons nous ont cuits pendant la seconde. A la fin de notre séjour je voulais vivre comme les ragondins des marais submergés dans l'eau jusqu'à son museau, mais malgré notre faiblesse sous le soleil, nous avons assumé notre rôle des touristes errants et avons parcouru le terroir.

Aujourd'hui il est lamentable que j'aie presque tout oublié de nos vacances. Je me souviens des jardins et de l'arène de Nîmes, mais Saintes Maries de la mer, Arles, et Aigues-Mortes semblent loin. J'ai beau voir les photos qui prouvent nous y étions, l'oubli m'arrache de l'endroit, tandis que les ragondins et les flamants y restent.

Quand nous sommes arrivés chez Marie Jo, elle et son mari nous ont chaleureusement accueilli avec une bouteille de rosé et un pot de confiture aux figues de maison. Ils nous ont donné maints conseils, des cartes de la région et des prospectus de visite. Bref, ils ont essayé de leur mieux de nous intégrer dans leur maison, leur ville et leur région afin que notre visite ne soit pas une errance, mais une appartenance.

Le temps passe. La vie à Washington continue comme avant. Quelquefois on me demande comment se sont passées les vacances et petit à petit je m'en souviens de moins en moins. Tout d'un coup un courriel du passé arrive dont les mots arrosent amicalement mon présent. « Nous pensons souvent à vous deux et souhaitons que tout aille au mieux : travail, beau temps et pas trop de soucis. » m'a-t-elle écrit. Tout mot me fait plaisir et me fait revivre mon expérience.

Comme Voltaire et son invention, Candide, Marie Jo et son mari, Jean Paul, sont des jardiniers retraités bosseurs. Ils ont des cerisiers, oliviers et figuiers, des rosiers et orchidées, un bassin de jardin où nagent des poissons rouges. Leur cabane à outils est aussi une maison pour les tourterelles. Il leur a fallu 30 ans de travail incessant pour civiliser le terrain. Ils ont planté des arbres, des fleurs, et des arbustes. Ils ont dégagé le sol des sentiers et les ont couverts de petits gravats. Trente ans de bosser, de planifier, d'acheter des graines, de creuser le sol, de mettre les mains dans la boue, d'admirer lentement les arbres enceints donner des fruits, et de ne jamais se décourager. J'en étais très impressionné.

Leur jardin est leur ancrage dans un monde qui ne cesse jamais de bouger. De l'autre côté de la rue, leurs nouveaux voisins argentins se faisaient construire une église et aménageaient leur terrain avec des engins de terrassement. Leurs autres voisins étaient nouveaux et riches aussi. Je me suis pensé que c'était un peu injuste. Les riches peuvent s'installer où ils veulent. Dans quelques mois, ils peuvent copier les travaux de 30 ans avec leurs engins et leur armée d'ouvriers. J'ai scruté le visage de Jean Paul quand il parlait d'eux. Il a souri et a haussé les épaules.

Au début de mes vacances, j'ai décidé de me fier aux transports régionaux. Marie Jo nous a indiqué où se trouvaient les arrêts. Entre la gîte et le premier arrêt, nous avons vu un camping. Parmi des caravanes, des ordures et des bouteilles vides éparpillés, des familles faisaient du camping sauvage alors que leurs enfants jouaient sur un dur sol de béton où de mauvaises herbes poussaient. Au premier arrêt, bien que j'aie lu les horaires, je n'ai jamais pu comprendre les horaires. J'ai même demandé aux autres pourquoi les bus arrivaient au hasard, mais la seule réponse d'une femme était que tout allait bien. Au deuxième arrêt, à peu près 20 minutes à pied du premier, les bus arrivaient à l'heure, mais la promenade sur les bas-côtés de cette zone entre la campagne et la ville parsemée de grandes surfaces était une traversée du désert. Les voitures roulaient si vite que l'air abusé de leur sillage nous a secoués. Ce terrain vague avait l'air du paysage rurbain américain, où voitures, bruit, poids lourds, pollution, et une poignée de piétons font partie d'un écosystème du jungle urbain.

Quand même, les Nîmois s'y habituaient. Je me souviens d'un conducteur qui taquinait en français une femme qui lui répondait en arabe et en français. Il voulait savoir ce qu'elle faisait et elle l'a accusé d'être fouiné. Selon elle, elle faisait ce qu'elle faisait. Le pauvre, il lui a parlé très gentiment. Il a dû s'excuser dans un ton conciliant ponctué des inflexions qui ressemblaient un sanglot supprimé. « Mais non, » il lui a dit, « je veux juste te parler. »

Un matin, nous avons attrapé le bus plein de lycéens, tout un chacun ayant les oreillettes d'un baladeur aux oreilles. Deux adolescentes écoutaient le leur au volume maximum pendant qu'elles dansaient dans leurs sièges, se parlaient et se psalmodiaient les paroles de leur musique mécaniquement maniée. Surchargées de sons, de paroles, et de mouvement, elles ont dû s'ignorer, bien qu'elles se regardassent. Impossible de les ignorer ou de saisir ce dont elles parlaient, nous deux nous sommes sentis agressés et percés par une vague hostile, invasive et aveugle.

A la gare routière, je me souviens des adolescents désœuvrés qui s'intéressaient plus à parler fort qu'à attendre les bus. Une fois, très incertains, nous avons choisi notre quai et attendions l'arrivée d'un bus pour Avignon. Quatre adolescents, à côté de nous, riaient, parlaient vite et bruyamment. Tout d'un coup une jeune fille a couru devant nous, évidemment inquiète de rater son bus. L'un des galants lui a hurlé « Cours ! » et les autres se sont esclaffés. Quelques minutes plus tard, ils sont retournés à la gare.

Franchement, quand je vois le beau paysage français transformé en paysage urbain pollué et le regards vides de toute trace de chaleur humaine, je me désespère.

J'ai demandé à Marie Jo et Jean-Paul ce qu'ils pensaient des adolescents, parce que, bien sûr, je m'intéresse à ce qui se passe en France, mais je m'inquiète aussi. Si la France devenait un États-Unis bis, où irions-nous pour fuir l'incivilisation qui nous entoure ?

À suivre, leur réponse.

mercredi 1 septembre 2010

Aucun échange ce week-end

Depuis 2008, je parle par Skype avec des partenaires linguistiques. Ce week-end était le premier sans échange linguistique. Un, deux, trois échanges, c'est bien. Quatre, c'est beaucoup, cinq, six, c'est exaltant, mais trop. Zéro ? Ex nihilo nihil fit, zéro n'est rien.

Selon Lucrèce, rien ne vient de rien, ni retourne à rien. Selon les créationnistes, Dieu a crée l'univers à partir de rien. Moi, en tout cas, le monde existe. Il y a 6 milliards d'êtres humains sur la terre, dont environs 200 million parlent français. Je ne sais pas si nous avons été créés d'un matériau qui a toujours existé, mais ce week-end je n'en ai trouvé rien. Personne n'était disponible pour parler une heure, 30 minutes en anglais, 30 minutes en français.

Pour créer une vie sociale, il faut établir des liens sociaux. J'imagine qu'il s'appelle amitié, intérêt, ouverture, et curiosité. Et il faut se présenter, « Bonjour, je m'appelle Go. Je suis quadra. Je suis homme. J'aime lire et explorer le monde. J'aime Le Monde, la culture française, France Culture, France Musique, sa littérature, sa cuisine, son histoire, et, bien sûr, sa langue. Je peux vous aider à améliorer votre niveau d'anglais. Si on se parlait par Skype ? Je peux vous recommander des articles choisis de Le Monde et du New York Times, et ensuite on peut en parler. Ça va ? »

Est-ce que vous savez combien d'écueils y a-t-il dans cette introduction ?

Amitié, oui, mais pas trop. Intérêt, d'accord, pas plus que mon amour-propre. Ouverture, ce n'est qu'un mot qu'il faut dire. Curiosité ? Oui, mais ni indiscret, ni bizarre. Vous vous appelez Go ? Vraiment ? Ce n'est pas correct !

Quadra ? Quel mot rébarbatif ! J'ai beau répéter toutes les maximes roboratives qui nient ce qu'on est en train de vivre, l'âge est toujours la marque inconsciente des expériences gravées dans l'âme. Qui aime les marques, les signes, les rides et le gris ? Qui ne veut pas les effacer ou au moins les remplacer avec une histoire plus enjouée, enjolivée, rajeunissante ou jeuniste ?

Homme ? Excusez-moi. Je ris. Attendez juste un peu. Pas encore fini. Homme ? Attendez, attendez. Ça y était. D'accord, j'ai fini. Je connais un écrivain femme. Selon sa maison d'édition, on peut vendre 10 pour cent plus de livres si le titre contient le mot « femme ». C'est, à mon avis, une attitude femmiste. On voit cette attitude dans les profils de mon site dévoué aux échanges. C'est plutôt embêtant de lire, « Je ne veux parler qu'aux femmes » après avoir pesé chaque mot d'un profil. Souvent, j'ai été sur le bord de me dire, « Tiens, cette personne me semble intéressante ». J'ai conduis mon intérêt jusqu'au fond de l'impasse pour découvrir qu'on a dû mettre ce panneau à l'entrée du profil.

Est-ce que je dois changer le titre de mon billet à « Femmes, femmes, femmes, où étiez-vous ce week-end ? »

Le reste de ma présentation attire de temps en temps un preneur plutôt fier de leur culture. Je parlais avec un jeune étudiant de droit de Lille. Il m'a choisi parce qu'il n'aimait pas l'hégémonie culturelle américaine. Après quelques conversations, il est allé en Angleterre. J'espère qu'il parle anglais aussi couramment qu'il le veut. Une fois, une femme, qui aimait Zadie Smith et Michael Cunningham, m'a demandé ce que je lisais. Je lui ai répondu Don Quichotte, et après deux tentatives d'établir le contact, rien plus. J'ai échangé avec une belge, qui adorait la culture française aussi. Je lui ai écrit que sur le programme Chanson boum de France Culture on a présenté la musique de Presqu'oui, et plus rien. Marie m'a écrit qu'elle aime l'histoirie. Je lui écris, « moi aussi », et plus rien.

Mon Dieu, où est-ce que je veux en venir ? Grosso modo, je vois dans ce site toute l'humanité qui chasse le contact avec le monde extérieur, mais je découvre que les soucis quotidiens des quadras, les évolutions tumultueuses des jeunes, la facilité, les autres intérêts, et le manque d'intérêt empêchent le moindre contact. J'ai eu plus de 50 rencontres avec les hommes, les femmes, les jeunes, les vieux, les français, les belges, les québécois, une Suisse (mais elle est en vacances, elle est toujours en vacances !) Chaque rencontre est une expérience formidable, mais au bout du compte, elle finit souvent par une déception.

Ben, cela m'est égal. J'ai rencontré quelques amis, P, Sancho, M, et R. J'ai parlé à Moi et à M. L'eau-d'eden. (Si vous n'avez pas lu ces billets, je les recommande. C'est si vous avez le temps.) J'ai souvent parlé à C., mais il semble que lui, père de trois enfants et entrepreneur, n'a plus de temps. Si je le contacte, il me dira « demain, j'essaierai », mais il n'a jamais assez de temps. C'est dommage, parce que lui et moi, nous avons eu de bonnes conversations. Au début de notre correspondance, juste pour rire, je me suis présenté comme un échangiste linguistique. Il n'a pas ri, et on a passé aux autres sujets. Je ne le dis plus.

Grosso modo, tout va bien. M, P, R et Sancho retourneront un jour. Il ne faut que patienter. En attendant, je suis encore et toujours essay-iste.

mercredi 25 août 2010

La panthère rose dans notre jardin

Hier, j'ai recommencé encore une fois à me mettre en forme. A 14h, je cours sur un tapis roulant pendant 30 minutes. Il y a 30 ans, je courais le 400 mètres, et après je me effondrais au sol, heureux de respirer profondément et exalté d'avoir volé un instant. Aujourd'hui, ô cruelle blague de vieillesse, je prie que cette machine sacrée ne me jette pas par terre en suçant l'air comme un naufragé. Après l'exercice, je la remercie, parce que sans l'exercice physique, je me sens assiégé. J'ai mal aux articulations. Je suis abruti, moins alerte, plus insomniaque et quelquefois j'ai la tête qui tourne. Grosso modo, je pense que le train-train de bureau, stress et ennui me ronge moralement et physiquement. Les seuls secours sont le café et l'exercice, mais le café, j'en abuse, et il commence à me faire plus mal que bien. Juste pour survivre, il faut en boire moins et me torturer plus.

L'exercice pendant la journée a deux avantages. Alors que je me torture au travail, une pause tapis-torture me rend plus efficace, et elle me permet le luxe de regarder des émissions de télévision très bêtes. Ma préférence est les bandes-dessinées des années soixante. Hier, on a diffusé une émission de la bande-dessinée The Pink Panther. C'est toujours un plaisir d'entendre le célèbre thème inoubliable de Henry Mancini. En revanche, j'ai été frappé de surprise par le talent artistique, quasiment absent de notre époque, de la bande-dessinée. Le décor, minimaliste et surréaliste, n'était qu'un tas de gribouillage en couleurs vives et foncées. Et les histoires, courtes et toutes pareilles, ont des nuances sophistiquées, littéraires et absurdes. Le pickpocket, qui est une araignée aussi, échappe au commissaire Clouseau en marchant sur un mur. Quand le commissaire essaie au nom de la loi de l'attraper en le suivant, c'est la loi de gravité qui attrape le commissaire. Il tombe au sol et une brique tombe sur sa tête plus tard. Dans une autre histoire, le commissaire entre dans une maison qui est hantée, mais le monstre qui hante le lieu, c'est vraiment son adjoint, Deux-deux. Il a bu une potion qu'il a trouvé dans la maison pour calmer son estomac, mais celle-là le transforme en M. Hyde chaque fois qu'il hoquette. Le commissaire lui demande de monter la garde dans une pièce, ils se séparent, Deux-deux hoquette, se transforme en monstre gigantesque, et quand le commissaire retourne, Deux-deux l'attrape dans ses mains vertes et monstrueuses, le plie dans une balle et le jette contre un mur. Plus tard une brique ou quelque chose tombe sur lui aussi. Dans le même programme, la panthère rose entre dans un parc d'attractions où les dés sont pipés. Il voit un garçon lance une balle qui atteint une cible et ensuite l'homme perché sur une planche tombe dans l'eau. Notre chat rose l'essaie, il atteint la cible aussi, mais au lieu de faire tomber l'homme, une trappe ouvre sous ses pieds et il tombe dans un bassin infesté de crocodiles. Plus tard une brique tombe sur sa tête.

Dans chaque histoire, un personnage de caractère stable s'attend que les lois qui s'appliquent aux autres, s'appliquent également à lui, et nous rions quand il apprend à ses dépens que tout est faux. Les apparences sont trompeuses, les dés sont pipés, les protagonistes, toujours trop crédules, rencontrent les Dr. Jeckyl qui se transforment immédiatement en M. Hype, battent les protagonistes naïfs, et se re-transforment en Dr. Jeckyl avant d'être découverts.

En quelque sorte, chaque rencontre avec Zanie, la voisine avec qui nous partageons un jardin, se répète ce scenario rose. Si elle était un personnage dans ce programme -- faites l'entrée du thème de M. Mancini -- on verrait que la famille Rose avait des chatons et elle avait des chats. Quand l'un part en vacances, le voisin qui reste veille sur tous les animaux, et quand le vacancier retourne, il fait un cadeau à l'autre. La famille Rose achète en France quelque chose de joli; Zanie leur donne quelque chose de l'aéroport. Petit à petit, la voix de verre brisé de Zanie fait mimer la panthère rose une crispation qu'il voudrait réprimer, alors que sa femme rose plonge de plus en plus profondément dans la terreur du désastre imminent qui briserait les relations amicales.

Au premier rencontre, madame rose relaie une requête de Zanie à M. Rose d'aider le fils de Zanie à porter un objet lourd à quelque part. Volontiers, il se lève et découvre que Zanie a trouvé une bouche d'incendie. Il porte seul cet objet en fer épais à l'endroit désiré, pendant que son fils, qu'elle appelle numéro 3, et qui est plus comme un bœuf qu'une panthère rose maigre, le regarde avec hauteur comme sa mère. En luttant avec ce menhir moderne, il foule les fleurs que madame Rose vient de planter, et après un long effort, couvert de sueur, il laisse tomber l'objet qui lui fait mal. Quand il retourne à la maison, madame Rose lui dit que l'endroit désiré était sur le côté Rose. Il hausse les épaules.

Plus tard, la famille Rose, en retournant des vacances, découvre que Zanie a mis un banc sur leur côté du jardin. En se plaignant à son mari, elle demande « Pourquoi ne peut-elle pas mettre son banc à son côté du jardin ? » Lui hausse les épaules. L'an suivant, la famille Rose retourne et découvre encore un banc sur leur propriété. Cette fois-ci madame Rose va lui demander pourquoi elle a mis ce banc comme ça ? Zanie lui explique que c'était à cause de l'homme qui l'aide maintenant, parce que M. Rose est toujours trop occupé de lui prêter la main. L'homme a dit qu'il faut mettre des dalles au-dessous du banc, mais si c'est comme ça, elle peut lui demander d'enlever les dalles. Madame Rose rentre hors de soi. Lui, il hausse les épaules.

En été, la famille Rose fait du jardinage. Ils ont un joli figuier. Ils pointent du doigt où se trouvent les figues naissantes. Zanie voit le couple et leur dit s'ils étaient sympas, elle leur donnerait des fruits de son figuier. M. Rose ouvre les yeux ronds. Madame, impassible, rentre à la maison, et jure et jure et jure. Chaque jour, les Rose couvent le figuier du regard. Un week-end, ils partent pour le Vermont, quand ils retournent, ils découvrent que tous les fruits mûrs ont été cueillis. Zanie leur en donne quatre. Les Rose ne savent combien elle a pris.

Il y a quelques jours, Zanie a appelé la maison Rose, une chauve-souris était dans sa maison. M. Rose l'a attrapée et l'a relâchée. Le jour suivant, Zanie leur a fait cadeau. Dans le sac se trouvaient deux boîtes de friandises de la marque Starbucks et une note sur laquelle elle a écrit, « Aucune bonne action reste impunie. » Quand madame Rose, a examiné les boîtes, après les avoir longtemps ignorées, elle découvre que la date de péremption est le 29 novembre 2009.

Je me demande pourquoi on ne fait plus de bande-dessinées comme la panthère rose ? Serait-il qu'elle est trop surréaliste ? ou juste sur-réaliste ?

Attendez ! Il faut que je vous quitte. J'ai la prémonition qu'une brique va tomber sur ma tête.

dimanche 22 août 2010

La liberté retrouvée

Vendredi soir vers 9 heures le téléphone a sonné. Numéro 3, le troisième fils de Zanie, notre voisine, nous appelait. Ils étaient aux abois. Il y avait une chauve-souris dans leur maison.

Chouchou s'est dirigée vers la porte. J'ai cherché des matériaux pour dé-chauve-souriser, des gants, un sac, et nous sommes allés chez Zanie.

Elle parlait en haletant de panique. Le flot saccadé de mots n'avait aucune information utile sauf qu'elle a pris panique et qu'elle volait partout. « Dans la salle à manger ! » Inspiration, expiration. « Dans le salon ! » Expiration, Inspiration. Réprimant l'envie de rire, j'ai demandé à son fils « Où est-il ? » Il m'a emmené en haut. Au seuil de la porte il a pointé du doigt à un morceau indistinct et immobile sur le rebord d'une fenêtre. J'ai cherché de quoi pour m'approcher d'elle. Le lit et le radiateur étaient trop loin pour l'attraper. J'ai demandé une chaise, mais numéro 3 ne m'a offert qu'une chaise de bureau, équipée de quatre roues. Je lui ai dit que c'était trop instable pour chasser une chauve-souris, mais il ne m'entendait pas.

Je me suis perché sur le radiateur. Il a cherché Chouchou.

La pauvre chauve-souris semblait presque morte. J'ai lentement agité ma main devant elle. Est-elle malade ? Est-ce la rage ? Cette petite bête, maintenant pas plus grande qu'une souris, semblait si anodine, frêle et inanimée. Comment est-ce que tu as pu semer tant de panique dans cette maison ? Chouchou est entrée dans la pièce. « Peut-être est-elle morte ou malade, » Je lui ai dit. « Ne la touche pas si elle est atteinte de la rage, » elle m'a répondu. « Je suis ganté, merci. »

J'ai ouvert et ai fermé le sac en le contemplant. Il m'était certain qu'une bête habile et sauvage pourrait y échapper. En regardant la chauve-souris immobile j'ai demande, « Est-ce que tu peux me chercher un petit sac de voyage ou un sac de médecin. » Elle a demandé à Numéro 3 pour un sac. Il est retourné avec un sac plastique peu solide.

Encore perché sur le radiateur, j'ai imaginé un plan de secours. Je l'attraperais, mais pas de la main. Si la pauvre se démenait dans mes mains ? Il faut l'attraper de quelque chose de doux, de si doux qu'il serait invisible et imperceptible, et ensuite flottant sur ce coussin aussi léger comme un nuage invisible, je la transférerais dans le sac. J'ai scruté dans la pièce un nuage. Je me suis contenté d'une chemise dossier jaune. En la vidant de son contenu, j'ai renversé un cadre métallique qui reposait sur le seuil de l'armoire. Il est tombé au sol et a fait un bruit lourd. Inquiet, Numéro 3 a demandé « Qu'est-ce qui se passe ? » Chouchou est entrée dans la pièce quand j'étais en train de glisser le dossier sous l'animal. « Ne la touche pas ! » elle m'a averti. La bête, qui ne voulait ni me toucher ni être touchée, s'est ranimée et a fait plusieurs tours de la pièce au-dessus de nos têtes.

« Ferme la porte ! » j'ai demandé. Chouchou l'a vite fermée en partant.

Maintenant, j'étais seul avec l'animal qui cherchait désespérément une issue. J'ai patienté. Elle devait être épuisée, et conforme à mon hypothèse elle s'est installée près de l'entrée au comble. J'ai vu une boîte en carton près de l'escalier. Je l'ai vidée et me suis approché d'elle. « Ne va pas en haut. Reste ici avec moi. Je t'aiderai à échapper cette prison. Sois tranquille, tranquille. » Et ensuite, elle s'est réveillée encore une fois et traçait des cercles autour des lames tournantes rapidement du ventilateur de plafond.

Il est impossible de suivre la trace du vol d'une chauve-souris. A chaque coup d'aile, ce foudre de Hadès accélèrent en se tordant et changeant de direction. Cette électricité noire zigzaguait en tournant autour de la pièce. Quelquefois, quand je ai senti le picotement de la peur électrique me perçait, j'ai mis le petit parafoudre, qui a été récemment un nuage invisible et avant ça une chemise dossier jaune, devant mon visage. Peu à peu, elle, coincée entre les murs, le plafond, un petit parafoudre et les lames, traçait un cercle presque rond. Ébloui et immobile, j'ai regardée ce foudre imprévisible et insaisissable. Elle a brièvement transformé cette maison par sa présence, mais petit à petit, le foudre a été dompté par la maison. Après quelques minutes, sa lutte furieuse pour trouver une issue s'est soldée par un abandon. Épuisée, elle s'est accrochée la tête en bas dans le rideau.

J'ai pris la boîte et commencé à m'approcher d'elle. J'ai mis le pied gauche sur le radiateur et puis en grognant je me suis hissé jusqu'à elle. Chouchou, qui écoutait attentivement à la porte, est entrée dans la pièce, « Tout va bien ? Qu'est-ce que tu fais ? » « Chut ! Je suis en train d'attraper la chauve-souris » J'ai mis la bouche de la boîte à la gauche d'elle, puis à la droite. Je ne pouvais me décider, mais elle semblait dans l'état que je l'ai trouvée, mi-morte. J'ai mis la bouche autour d'elle, et elle est tombée dans la boîte. J'ai eu quelques instants d'indécision sur la méthode de fermer la boîte. Enfin, j'ai laissé la boîte ouverte un instant et heureusement j'ai pu remettre le couvercle sur la boîte.

Vite, vite, vite je suis descendu avec la proie emboîtée et sidéré. Chouchou m'a suivi, « Ne laisse pas ouvrir la boîte ! » Un peu exaspéré, un soupir m'a échappé. Elle et moi étions au seuil de la porte. J'ai regardé la poignée de la porte en me demandant comment ouvrir la porte sans les mains. Elle a dit, « Il faut la garder au cas où -- ! » L'animal a battu ses ailes. « Non, écarte-toi ou ouvre-moi ! » j'ai demandé en essayant d'ouvrir avec ma coude. Elle nous a lâchés.

Dans le silence de la nuit, j'ai cherché un endroit pour la relâcher. J'ai mis la boîte sur la terre et ai enlevé le couvercle. Elle a hésité aussi longtemps pour me faire me demander pourquoi elle ne voulait pas profiter de sa liberté retrouvée. Je me suis approché de la boîte pour voir ce qui se passait. Tout d'un coup elle s'est envolée. Elle a fait un tour de la taille de sa ancienne prison en passant quelques centimètres devant mon visage. Elle a fait encore un tour, et puis en zigzaguant elle a voltigé dans la nuit. Elle a aussi pris toute son énergie avec elle.

J'ai ramassé la boîte et ai marché lentement à la porte.

dimanche 15 août 2010

Comment vider la pluie qui déborde ?

Fatigué et las comme des épaves flottants, encombré et lourd comme un navire qui prend de l'eau, j'ai travaillé ce vendredi. Je n'ai guère écrit une seule phrase. Mon esprit, il faut avouer, s'absente trop souvent. Il serait atteint d'ennuilitis.

Le matin je me lève tôt. Je fais du café, j'allume l'ordinateur. D'abord, courriels, correspondances, actualités, ensuite j'annonce au monde virtuel que je suis disponible. Je regarde ma boîte aux lettres. Trop de temps s'écoule depuis ma dernière lettre à mes amis à Wooster, MA, Philadelphie, Los Angeles, Cleveland et Peoria et entre-temps je fais un tour de manège perpétuel errant entre la maison, le bureau, le métro.

Je décroche « R ? Tu es là ? Tu veux parler ? Dans une heure. Ça marche. À midi, je jouerai au tennis. A tout à l'heure. » « M ? Vous êtes là ? Oui ? Dans cinq minutes, parfait. » Aujourd'hui, M est dans la pluie à Lausanne. La semaine prochaine, elle partira pour l'Espagne. Pour les châteaux ? Non ! Son amie et elle ont un appartement à la plage. Oh, les châteaux ! Les châteaux en Espagne. Non, ce n'est qu'un appartement Go. Ah, tu sais Go que les châteaux en Espagne, ils sont aussi fiables que les châteaux en sable, n'est-ce pas ? Les appartements, c'est mieux, mais je ne sais combien de bouquins je peux ouvrir.

Elle va lire, manger des salades, parler, errer. Elle se laissera juste flotter sur les vagues de la mer et du temps dans l'appartement au bord de la mer.

« Go ? Tu es prêt ? » « Attends R, je parle à M. Dans 5 minutes ? »

Et nous parlons encore dix, quinze minutes, mais maintenant M, c'est au revoir. Dans deux semaines. Bonnes vacances. A bientôt.

« R ? Prêt ? Il pleut en Angleterre aussi ? Tout le monde semble trempé de l'eau aujourd'hui. »

R et moi, nous avons un programme de lecture pour alimenter notre conversation. « Tu penses qu'on peut être heureux en changeant ses habitudes de consommation ? Est-ce que tu penses que tu peux se limiter à l'essentiel ? » Bien que nous deux soyons d'accord que c'est une bonne idée, il retournera cette semaine aux banlieues de Paris, un peu triste de quitter Manchester, ses théâtres, son histoire, les rues de Liverpool où on voit partout la trace de quatre coccinelles qui chantaient "All You Need is Love".

« Tiens, Est-ce que tu penses que cette description de la côte fleurie est juste ? Est-ce vrai que Presque toute ruelle à Honfleur semble cheminer vers un abri romantique ou refuge tranquille ? » Bien sûr que oui. On y oublie la prétention et l'ostentation, mais attention, Go, on a essayé d'oublier les complications du monde civilisé en 1968. Tous les Parisiens, qui ont troqué Paris contre la campagne, ont vite découvert que les troupeaux de chèvres et vaches ne les intéressaient pas autant que la ville. Tout le monde erre, Go, mais il faut rentrer chez soi. Oui, je le sais.

Tu veux parler en français maintenant ? Est-ce que tu as lu sur « Ces adolescents qui se font injecter du Botox ? » C'est affreux. Et ce phénomène ne se borne pas uniquement aux États-Unis. Cette jeune fille de 18 ans était philippine. Botox, laser Thermage, tout es accessible aux jeunes depuis la jeune âge de 12 ans. Comme ça, notre société finira par penser que Michael Jackson s'est procuré une suite d'interventions chirurgicales mineure, non ?

Et je dois dire que j'ai honte. Récemment j'ai demandé à une femme « Qu'est-ce que c'est que cet essentialisme de femmes ? » Et voilà, le blogue vie de meuf montre très bien que les femmes ont des expériences différentes que celles des hommes. Bien que je tienne encore à l'idée que l'essence de la vie humaine est pareille pour les hommes et les femmes, quand un groupe opprime un autre, la tentation d'ériger des murs et s'isoler devient prégnante. Cela se voit dans l'assimilation entre les locutions vie de meuf et vie de merde et se voit dans le verlan, un langage qui exclut, qui veut ériger des barrières à la compréhension mutuelle.

R, ne serait-il pas plus facile de trouver un Honfleur, un Vermont, un château en Espagne et ensuite juste vivre ? Ben, tu rentres à Paris donc.

Oui, je t'appelle dimanche prochain.

Merci pour la conversation, R. Ciao.

Sancho ? Où es-tu, mon ami ? Encore tu es ailleurs en vacances.

Alors, le tennis. Y a-t-il quelqu'un ? Non, la pluie couvre les champs de tennis. Ma raquette restera dans son coin, alors que je contemple par la fenêtre le vert foncé des jardins et des arbres. Je regarde la pluie bat le trottoir en formant des ruisseaux.

Je pense bien de me débarrasser des choses qui s'accumulaient dans la maison. Je regarde tentative après tentative de m'éduquer -- listes de vocabulaire, copies de grammaire faites à main, feuilles de musique, bricolage, jardinage, livres de cuisine, couture, réparation de meubles, Shakespeare, italien, espagnol oublié, des vies de culture -- et je jette tout ce qui me semble loin comme un château en Espagne.

Chouchou rentre. Elle me regarde interloquée. « Qu'est-ce que tu fais ? Tu pars ? » « Oui ! » je plaisante, « Je vais en Espagne. » Plus tard, je lui dis que j'ai le cafard. Peut-être est-il temps de changer de métier, devenir infirmier, vivre dans le Vermont, trouver l'essentiel en travaillant juste assez d'heures pour vivre ? D'une manière ou d'une autre, je pense qu'il faut recommencer, au moins il faut prétendre que demain c'est mon premier jour. Je sais qu'il est impossible. Depuis longtemps, la pluie s'est accumulée dans mon verre. Il déborde.

Tu sais, Chouchou, qu'une fois ma patronne et moi étions dans le métro. Je lui ai essayé de parler de nos vies hors du bureau. Je lui ai arraché qu'elle assiste aux réunions d'un groupe de lectrices que se réunissait depuis 15 ans. Quelquefois elles lisent de la littérature classique, mais la plupart du temps, c'est un bouquin quelconque. Par exemple, le groupe était en train de lire L'élégance du hérisson, qui n'était qu'une réécriture d'Anna Karenina. Je me suis lancé dans une tirade. « Oh, la littérature d'aujourd'hui ! Tout est si ironique, si inévitable qu'il faut demander pourquoi nous lisons ces livres si nous sommes tous condamnés dès le début à un stéréotype ? Mon ami à Philadelphie dit quelque chose de pareil il y a vingt ans. Est-ce que ça fait déjà vingts ans ? Néanmoins, il a dit que quand nous sommes jeunes, nous avons tous une spontanéité et une essence. C'est un mystère, mais en vieillissant nous devenons un stéréotype de nous-mêmes, ce qui est bien différent que la vision de ce stupide livre. J'ai bien les mêmes ennuis dans mes groupes de lecteur. Il est impossible d'échapper cette ironie étouffante. Quelquefois, je ne sais s'il vaut la peine de parler aux autres, mais malgré les regards vides de la plupart des membres, j'y vais parce qu'un ou deux membres m'ont dit qu'ils appréciaient bien mes commentaires sur L'arrache-cœur. En fait, à chaque question, l'une des membres demandait "Attendez ! Go, qu'est-ce que tu penses ?" J'ai été flatté. »

« Ma patronne m'a regardé comme les autres membres me regardent, "Toi ? Les autres pensent que tu fais de bons commentaires ?" »

« Je n'ai dit rien. J'ai vite compris que dans la hiérarchie rigide de notre compagnie les patrons et les patronnes sont toujours plus intelligents que leurs adjoints. Il se voit que mon essence est bien inférieure que la sienne. »

« Tu sais Chouchou, j'en ai marre. Bien qu'elle soit aimable et sensible, ce commentaire échappé de ses lèvres me fait déborder de malaise. » Nous nous sommes un instant regardés. J'ai pensé que c'est maintenant moi qui ne supporte plus mon travail. Il y a un an, c'était Chouchou. Sa patronne lui rendait folle. J'ai soupiré et lui ai souri. « Je vais préparer le dîner. »

Maintenant, il est 23h19. Demain je flotterai au métro, me laissant entrainer dans le courant et je rentrai plus tard, comme d'habitude.

vendredi 13 août 2010

Les escargots de mes jardins voisins

Les premières phrases d'un billet sont les plus timides. Elles se cachent, comme les escargots, dans une coquille. Lentement, la maison sur le dos, elles traversent le vide blanc de mon cahier. Quel étrange paradoxe, sécurité inerte et indistincte, soudainement belles et fragiles lorsqu'elles se mettent en quête, toujours chez soi, mais jamais au même endroit, ces premières phrases timides.

Elles errent d’œil en œil, d'oreille en oreille. Lorsqu'elles rencontrent sur leur chemin les objets indistincts, elles s'arrêtent et se recroquevillent. Petit à petit, elles remuent une antenne, scrute l'horizon, et dans l'obscurité de l'indifférence elles cheminent à nouveau en cherchant l'aventure. Lorsqu'elles rencontrent un autre escargot, les deux se lèvent les antennes en haut, s'approchent, s'effleurent l'un l'autre, et vite, par pudeur, se détournent les yeux, mais lentement elles retournent. Enfin, pendant un instant, elles se sentent se voltiger le poids écrasant le leur maison.

Je vous attends, mes premières phrases. Je patiente, bah ! je m'impatiente aussi. Où vous trouvez-vous maintenant que je suis prêt ? Vous étiez partout, alors que j'ai dû travailler hier. Vous n'êtes pas timides lorsque je me parle comme un fou.

En attendant votre trace grise de crayon, je pars pour les jardins de mes anciens voisins. Que font-ils ? Je ne les vois plus. Il semble que l'on m'a fait déménager, parce qu'un clic sur « Next Blog » me fait cheminer ailleurs. Est-ce qu'Emilie écrit encore sur sa peinture de la semaine ? Oui, c'est Carvaggio qui est sur son chevalet, mais qu'est-ce qu'il y a ? Elle fait du karaté ? hiii-ya ! La petite fille de Roumanie, tes parents doivent penser qu'il est temps pour savoir se défendre. Augustine fait-elle voir des scènes de sa vie de famille qui sont si intimes et précieuses que je, par pudeur, détourne mes yeux ? Le café clochette fait-il encore cuisiner de belles histoires et des recettes alléchantes ? Ce café, peuplé de chats, dans le centre-ville de Rennes, j'aimerais vous rendre visite un jour, mais aujourd'hui vous me semblez trop loin.

Je n'ai jamais mis la trace de mes yeux dans leurs sites. Je me pensais trop encombré de pensées lourdes et trop lent en face de leur légèreté et allégresse.

Et maintenant je rentre dans la coquille. Demain j'attends encore mes escargots.

mercredi 11 août 2010

Cynisme, naïveté, et déception

Tôt ou tard, j'allais vous dire ce que je pensais sur mon exercice d'écriture. Mes billets, à mon avis, forment une sorte de correspondance avec ceux qui veulent échanger avec moi lecture et commentaire. C'est un exercice très intéressant, parce que je ne connais rien de ce monde. J'ai suivi mon chemin, souvent comme un ermite. Et me voilà, un homme qui a la quarantaine, mais qui ne sait rien. Il y a quelques ans, j'ai commencé à explorer ma ville et j'ai vite découvert que mes principes, mes goûts, mon expérience n'ont pas de résonance dans le monde. Souvent, quand mes opinions se heurtent les opinions d'autres personnes, ils font un bruit lourd et tombent au sol. Boum.

L'un de mes meilleurs amis nous en avons parlé. Selon lui, nous sommes âgés culturellement. Ce qui est ironique est que tous mes amis et moi ne comprenons ni les opinions de notre génération ni celles de la génération qui nous suivent ou nous précédent. Nous sommes vieux sans avoir profité de la culture de notre génération.

Et je vois mes meilleurs amis essayer de s'adapter aux mœurs contemporaines. Il brise mon cœur d'entendre parler l'un de mes amis sur « l'intelligence émotionnelle ». C'est la nouvelle "philosophie" en vogue dans les grandes entreprises. Grosso modo, il faut parler le moins possible, manipuler, culpabiliser, soupçonner les employés le plus possible, et toujours garder le sang-froid. Je l'ai écouté, un peu écœuré. Je lui ai convenu que cela pourrait être utile, mais je lui ai vite demandé « tu crois que le sang-froid face à une manipulation ouverte pourrait être un modèle personnel ? S'il faut le faire dans une entreprise, peut-être, mais ici entre toi et moi ? » La silence s'est installée à la table où Chouchou, moi, lui et sa femme étaient assis. Il m'a regardé et vite compris que nous suivions autrefois d'autres règles de conduite qui se voulaient absolument anticonformistes. Ce n'était qu'un instant. Nous sommes amis. Je sais qu'il doit porter ces costumes et coutumes. Il est le même. Il sait que je suis le même. Son ami qui le vois au-dessous de ses costumes et coutumes qu'il doit porter.

C'est avec cette insistance, cette obstination, que je parle dans mes billets. Oui, je veux provoquer, je sais que mes mots causent une tension. Si quelqu'un dit « je suis un grand méchant. » Je dis NON. Je veux voir au-dessous de vos costumes et coutumes. Et lorsque le moment arrive où on peut ou garder sa carapace méchante ou laisser voir son intériorité, je suis toujours déçu si on préfère la carapace, et certainement mes opinions se heurteront les autres. Le choc fera un bruit lourd.

Comme blogueur errant à la Cervantès, je crois que le choc est nécessaire. Je l'ai trop longtemps évité. On n'apprendra rien si on se range dans une carapace méchante ou dans un beau costume. Il faut courir des risques, parce qu'il y a simplement trop d'invitations à vivre sous les carapaces étouffantes. D'ailleurs, il faut guetter son reflet dans les yeux de la société. Il faut s'exposer aux dangers de mésentente. Il faut vivre presque nu, comme les Cyniques grecs. Mais chose curieuse, le mot cynique, comme il a transformé de l'antiquité au présent. Je compte trois définitions.


  1. Antiq., philos. Qui appartient à l'école philosophique d'Antisthène et de Diogène qui prétendait revenir à la nature en méprisant les conventions sociales, l'opinion publique et la morale communément admise. (Le Robert)

    Selon Wikipédia, Les cyniques "proposent une autre pratique de la philosophie et de la vie en général, subversive et jubilatoire."

  2. Cour. Qui exprime ouvertement et sans ménagement des sentiments, des opinions qui choquent le sentiment moral ou les idées reçues, souvent avec une intention de provocation. => brutal, impudent. (Le Robert)

    Selon Wikipédia, "on peut attacher à ce cynisme une sorte d'humour noir (parfois involontaire), pince-sans-rire, mordant et ironique, souvent employé pour manifester une certaine rébellion face à un monde incompréhensible de par la multiplicité des conventions factices, socialement admises, qui le régissent à la différence du sarcasme, qui ne recherche pour sa part qu'une démonstration de force."

  3. Et il existe encore le cynisme contemporain, par exemple celui de Sarkozy, qui adore son parler franc, derrière lequel il cache son mépris et son avarice. Il ment, il manipule, il méprise (cette fois-ci les Roms sont sa cible), il fait peur. Il a de l'intelligence émotionnelle, quoi.


Je vous avoue qu'il arrive souvent qu'on me prend pour un cynique. Et dans mon esprit les définitions les plus récentes sont les plus imposantes. Il me choque d'être appelé ainsi selon la définition contemporaine. Mais si on ignore le cynisme contemporain, j'accepte que dans mes billets il y a un cynisme auquel j'étais aveugle.

Et effet, si on pense que j'étais cynique, j'ai bien réussi dans mon dernier billet. J'ai fouillé dans ma mémoire, y mêlant des mots et voilà un billet jubilatoire, un humour noir, pince-sans-rire, et un peu subversif. Je ne recherche pas la brutalité. Peut-être suis-je impudent... Je n'aime pas ça, mais d'accord... impudent.

S'il s'agit vraiment d'un cynisme contemporain, je n'aime pas ce jugement, mais je sais très bien que les mots qu'on choisit ont un effet.

A vrai dire, le dernier billet se voulait très braque, espiègle, rebelle et un peu indiscipliné...

Mais je vous demande à ceux qui ont lu mon dernier billet. La paragraphe sur les gens qui nous annoncent "Je suis très méchant" et une personne qui ignore cet avertissement, parce qu'elle veut croire que son "ami" est bon au-dessous de sa carapace... Est-ce cynique ? Et puis de revivre cette déception chaque fois que ses amis se sont bien révélés méchants, est-ce cynique de le dire ? Est-ce la déception cynique ? Est-ce la prononciation de la déception cynique ?

Je pense voir un moyen de répondre oui. C'est qu'il faut oublier sa déception, retenir un peu de sa naïveté, et insister de plus en plus de voir l'intériorité sans descendre dans la déception.

Qui peut faire ça ?

Est-ce cynique de dire qu'au lieu de suivre cet idéal tout à fait hors de portée mon âme, j'aime presque tout le monde ?

Oui ? D'accord. Mais suis-je un Sarkozyste cynique ?

mardi 10 août 2010

La sagesse de Space Ghost

Les mots, comme les pierres, font pencher la balance de la justice. Dans les bouches des méchants, ils peuvent blesser ou détruire, et également les bons peuvent s'en servir pour guérir ou construire. Souvent, ils se tassent comme un amas diffus; le pauvre interlocuteur ou lecteur qui veut démêler le matériau superflu des paroles précieuses se sent assujetti à un travail lourd. Quelquefois on découvre derrière les mots-murs, se cache une méchanceté cimentée d'une mauvaise foi. Nous bricolons parmi les mots-ruines, les mots-châteaux et les mots-cavernes en se construisant une vie, une identité ou juste un billet. Et on souhaite qu'après avoir mis dans la balance toutes les lourdes paroles méchantes, les mots nobles dans l'autre côté pèsent plus lourd.

Et me voilà, au bord de jeter une pierre, l'une après l'autre dans mes billets, mais avant que je ne vous parle de mes aventures dans le New Hampshire et le Vermont, je me sens obligé de vous prévenir que je serai rude, méchant, absurde et méprisant. Je risque du coup de faire pencher la balance en faveur de la méchanceté. Pire, je risque de cacher ma méchanceté derrière mon souci pour votre amour-propre.

En fait, s'il y a un type qui me dérange le plus, c'est celui qui annonce tout gaiement au monde qu'il est méchant. L'humour, la plaisanterie et la gaieté, étant irrésistibles, contredisent leur déclaration, et naturellement étant naïf au passé, je ne les croyais pas, mais lorsqu'il est arrivé le choix entre l'amour-propre et le sacrifice, j'ai découvert, souvent à mes dépens, qu'ils ont insisté avec un plaisir pervers d'être méchants. Tout surpris, je leur ai confirmé, « Mais voilà, vous êtes bien méchant. » Et tout sourire, ils m'ont avec hauteur dit « Oui, stupide, je t'en ai déjà averti. » Désormais quand ces types, que j'appelle « les points aigus », disent « je suis un grand méchant », je les crois. Je rirai à leurs plaisanteries, j'avouerai qu'ils sont drôles, mais je n'ignorerai jamais la pierre qu'ils tiennent dans leur bouche.

NON !

Et maintenant, je me mets dans le même sac. Et je vous demande, « est-ce qu'on a le droit d'être méchant ou impoli ? »

A mon avis, « je suis méchant » veut dire : « Je peux être méchant quand je le veux, mais vous êtes encore obligé de témoigner votre sympathie et tolérance. Quand je suis méchant, ne vous étonnez pas. Je vous ai déjà prévenu. Au cas où vous vous emporteriez contre ma méchanceté, vous auriez double tort. Tout d'abord, vous seriez méchant et vous vous prenez pour une âme sensible et aimable, et deuxièmement, vous vous mettriez en colère. Vous ne pouvez même pas vous contrôler, comme moi, un misérable méchant. Que vous êtes prétentieux ! »

Alors, je vous annonce que si vous vous mettiez en colère ou si je vous surprenais, vous auriez le droit de me le dire.

J'espère que c'est clair.

En attendant, j'aimerais proposer une autre formule aux méchants autoproclamés. Que vous suiviez l'exemple de Jonathan Richman dans sa chanson "I'm straight".



La chanson est magnifique, mais le clip est bête. Ne le regardez pas, juste écoutez. Il s'emporte juste un petit peu contre "Hippy Johnny". Il demande « Pourquoi toujours défoncé ? Comme Hippy Johnny ? Je suis "straight" » En anglais "straight" a beaucoup de connotations. La clarté d'expression, ce n'est pas toujours facile, mais je pense qu'il voulait dire droit, en ordre, clair, honnête, loyal, et certainement pas défoncé. Par ailleurs, il dit, « Je l'aime bien aussi, Hippy Johnny, mais s'il est si formidable, pourquoi ne peut-il pas prendre ce monde, et le prend "straight" ? Je suis "straight" ! »

M. Richman, il ne se cache pas, et il ne vise pas à attaquer "Hippy Johnny". Il ne veut qu'il dessoûle de temps en temps. Malheureusement, "Hippy Johnny" est toujours défoncé et il est devenu ridicule.

Encore un exemple avant que je ne vous quitte. Space Ghost est superhéros et imitateur d'Elvis qui chante "J'aime presque tout le monde." Il chante qu'il aime les poissons et les rouges-gorges qui font cui-cui. Il vous aime. Il s'aime. Il aime presque tout pourvu qu'il soit libre. Il aime presque tout le monde. Et au milieu de la chanson, Brak vous dit que l'amour est la plus belle chose du monde. L'amour et les mots d'amour nous unissent. Et tout cela vous fait presque pleurer, n'est-ce pas ?



Vous autres points aigus, arrêtez-vous votre méchanceté ! Ne se défoncez pas sur vos injures mal dissimulées ! Soyez "straight" ! Et dites que vous aimiez presque tout le monde !

dimanche 8 août 2010

Tirade automatique

Vendredi, j'ai reçu un simple courriel de réponse automatique de Trempet, un chercheur dans ma compagnie. Normalement, ce truc m'épargnerait d'angoisser à défaut d'une réponse prompte. Il me rassurerait qu'il n'ignorait pas ma missive, que tout allait bien. Et s'il arrivait un imprévu, tout se résoudrait très vite, comme un horloge à remontage automatique et à système auto-correcteur. Or je ne m'attendais pas du tout de recevoir ce courriel, parce qu'il y avait une minute c'était moi qui répondais à son courriel. Après m'avoir poliment remercié de lui prêter une main, il m'a demandé la prévision de temps pour achever les travaux dont il avait besoin. Je pensais qu'il était dans le bâtiment, mais la réponse automatique a indiqué qu'il serait injoignable et à Paris jusqu'à la fin de la semaine suivante.

Les vacances de Trempet, cela ne me regarde pas. Son zèle, non plus. La prévision des heures, c'est pénible, mais nécessaire dans notre compagnie. Chaque heure est un coût et un prix, dont la différence devient le profit de notre entreprise. Chaque heure proposée est un service des compétences que le client évalue parmi une gamme de propositions. Il achète et nous paye si nos compétences lui conviennent. Nos chercheurs les mieux payées écrivent les propositions de la même manière. D'habitude, ils préfèrent embaucher une armée de jeunes diplômés pour manier les données, en faire des tableaux, et peut-être écrire les programmes qui mesurent l'effet d'une intervention qui se veut plus efficace.

La première fois que j'ai été embauché pour l'un de ses projets, c'était contre son gré. Il voulait une armée, mais elle n'était pas disponible, tandis que je l'étais. Ma patronne a dû lui vendre mes services. Il a fini par m'essayer une fois. Tout est très bien allé. Cette fois-ci, l'un des soldats aguerri de son armée lui a demandé de m'embaucher. Sinon il a averti que Trempet allait tuer le simple soldat infortuné affecté à une corvée abrutissante.

Ce n'est même pas cette corvée qui me gêne. J'ai mes trucs. Je ne prévois qu'une journée de travail. Je garantis qu'il recevra ses données dans un état parfait. En effet, je suis content de me vendre comme ça. Il a besoin d'un service que personne dans la compagnie ne peut accomplir.

En effet, tout va bien au présent, mais son courriel automatique m'a fait demander si tout irait bien plus tard. Le questionnement constant de la valeur d'une chose, de moi-même, selon la loi inexorable de l'argent me tracasse. Vivre selon un constant comparaison entre l'armée et l'expérience, c'est vivre la menace d'une délocalisation quotidiennement. C'est mettre votre esprit dans la devanture d'un magasin et regarder demander le chaland « Cet esprit, qu'est-ce qu'il vaut ? Oh, je n'en ai pas besoin, une armée de simples soldats infortunés ou une poignée d'automates me suffira. »

Et pire, c'est notre boulot de mesurer la valeur des esprits.

Par exemple, la dernière fois que j'ai travaillé pour Trempet, nous avons reçu un tas de données des collèges de ... Il voulait mesurer la valeur ajoutée de chaque professeur aux notes des examens standardisés des collégiens. J'ai dû mettre en ordre toutes les données et ensuite en faire un traitement évaluer combien nous seraient utiles. A mon avis, les données étaient, comme chaque sondage, pleines d’irrégularités. Celle qui me semblait la plus grave était que dans une année scolaire plusieurs élèves semblaient changer de sexe, d'âge, de classe, d'ethnie, ou de programme social.

Comment est-ce qu'ils ont évalué la valeur ajoutée d'un prof quand on n'est pas sûr des caractéristiques les plus basiques des élèves ? Je n'en sais rien. On dit qu'étant donné la qualité des données, nous avons mesuré la valeur ajoutée de chaque professeur ainsi. Il faut pincer le nez, supposer que la théorie et les données sont bonnes, et ensuite prononcer sans broncher vos conclusions. Autrement dit, soyez claire et lucide, malgré tous les évidences contradictoires et les limites des méthodes quantitatives.

D'habitude, un chercheur présente son travail aux chercheurs dans le même domaine, et tout cela tombe promptement dans l'oubli. Or cette fois-ci, nous sommes entrés en pleine guerre entre les professeurs et l'administration d'éducation de ... La réforme éducative en vogue aux États-Unis est d'instaurer la concurrence farouche, parce que l'unique problème dans les écoles, selon les hommes et femmes d'action, est les mauvais professeurs. Il faut les remplacer comme on remplacerait un rouage dans la machinerie de la restauration rapide. Par conséquent, l'administration nous a demandé d'identifier les profs les plus performants par notre évaluation statistique. Nos résultats, arrachés de nos mains, ont été immédiatement cités comme une évidence indéniable que d'une quantité considérable des professeurs ne valaient pas leur salaire.

Je ne sais pourquoi mais son courriel automatique m'a fait penser à ces profs. J'ai mis la tête dans mes mains et je me suis demandé quelle était la valeur de mon travail quand il n'est qu'un rouage dans une machine politique infernale ? La seule réponse est que je travaille seulement pour but lucratif, rien d'autre. Selon ma boîte et les résultats de notre travail, cela doit me suffire. Je mérite ce qu'on me paye.

C'est probable que ces profs ne méritent pas leur salaire. Ils sont inefficace en face d'une armée de jeunes étudiants difficilement éducables. Grosso modo, le système éducatif va très mal de nos jours. En revanche, notre "étude" ne prouvait rien. C'était déjà conclu que le problème principal était les professeurs. L'"étude" n'était qu'un prétexte d'imposer une politique de capitalisme sauvage dans nos écoles. On allait imposer une concours entre les profs pour faire réussir leurs élèves aux examens standardisés.

On ne nous avons pas demandé « Où est le bien-fondé des examens standardisés, de la compétition farouche, du capitalisme comme modèle du meilleur des mondes possibles ? Où est le bien-fondé que le "Race to the Top" de l'administration Obama qui récompense les administrations des états qui imposent des réformes pour mesurer constamment le progrès aux examens standardisés ? Où est le bien-fondé de punir et de stigmatiser les paresseux et récompenser les bosseurs automates ? » On ne nous avons pas demandé pourquoi était-il si difficile d'éduquer les jeunes ?

Et pire, on ne nous avons pas demandé « quels seront les conséquents de cette politique ? »

A mon avis, tout devient de plus en plus standardisé et concurrentiel. Les professeurs vont enseigner un programme basé uniquement sur la réussite aux examens standardisés et s'entretuer en même temps. Les étudiants, qui sont en train de s'entretuer, vont croire que l'éducation est la réussite aux examens standardisés et rien de plus. Quand ils sortent des écoles, ils mépriseraient leur éducation plus que les jeunes d'aujourd'hui la méprisent. Les futurs ouvriers vont penser qu'il faut travailler comme un horloge à remontage automatique et à système auto-correcteur. Et les chercheurs qui nous mesurent constamment ne penseront qu'aux travaux qui les attendront à la rentrée de leurs vacances. Ils partiront pour Paris, ne sauront qu'une poignée de mots français et se prendront pour cosmopolites.

Et quand ils, en vacances, enverront des messages aux personnes qui se demandent des questions tout à fait loufoques, comme quel est vraiment mon rôle dans cette machine déshumanisante, ils les surprendront encore une fois par une réponse automatique qui se voudrait rassurant.