J'interromps le récit de la conversation avec M. Nauphouture pour vous
narrer en total la conversation de ce soir. On dit que la surprise
nous guide et nous contrôle. Elle alimente notre désir. Je peux bien
imaginer que vous allez tous lire ce billet tout en en désirant plus !
Je rêve, forcément. Le monde est bien trop prévisible. Le désir, c'est
soumis à la conformité. Je vous écris quand même dans la vaine
espérance de faire régner juste pour un peu de temps l'inattendu.
Vendredi soir, je parle à Mlle Vendredi-Soir. Cela fait plus de neuf
mois que je parle avec elle. Petit à petit et à travers les
rendez-vous hebdomadaires, nos caractères se dessinaient. Moi,
nostalgique, mélancolique, mais, j'espère, drôle, et si je peux dire,
d'une manière désarmante. J'essaie de la surprendre pour qu'elle rie
et s'amuse bien. Elle, gaie, joyeuse et pleine d'un rire
contagieux.
Au début, son sujet préféré était la guerre des sexes. Les femmes sont
toujours les victimes des hommes méchants. Elles doivent se battre, se
montrer fortes et indépendantes. Par contre, malgré cette attitude
méfiante, elle s'appliquait avec ardeur à mon programme de lecture. Et
elle rit. C'était tout à fait inattendu de rencontrer quelqu'un qui
rit avec autant de joie. Tous les autres correspondants ont juste un
très petit rire. Cela dure deux ou trois secondes. Nous rions et rions
et rions. D'ailleurs, personne n'a pas autant d'envie de parler avec
moi. Avec les autres, on commence à l'heure convenue et on parle une
heure. Impossible de parler plus. Avec elle, nous avons commencé avec
une durée d'une heure mais après quelques rendez-vous c'est attendu de
parler deux heures ou jusqu'à ce que nous ne soyons trop fatigués de
parler.
« Quoi de neuf ? », c'est la question pour commencer. Elle allait
bien, mais très fatiguée. Elle a bossé toute la semaine pour avoir
plus de jours de congé pour Noël. Moi j'avais une grande histoire. «
Bon ! » elle a dit, « Ce sera bien. Je suis prête. »
En fait, je l'amuse par les histoires de ma vie. Quand je lui annonce
que j'en ai une, elle s'attend à s'amuser.
Je suis allé à un colloque sur le rassemblement des statistiques
gouvernementales. Je ne m'attendais pas à grand chose. Ma seule
inquiétude était que je ne comprendrais rien. Malheureusement, c'était
le contraire. J'ai trop compris.
Les premiers quatre conférenciers parlaient de leurs efforts
d'exécuter une décision de l'administration d'Obama. Dès 2013 ou 2014,
tout renseignement serait réuni et disponible. Le gouvernement mettrait
sur pied encore une couche de bureaucratie qui classifierait chaque
miette d'information. Les renseignements, comme le recensement, les
sondages, les enquêtes, tout ce qui est confidentiel mais nécessaire à
une gouvernance représentative du peuple, serait désormais sous un
contrôle centralisé. Parfait. Un chercheur qui fait des prévisions sur
le coût d'un programme social pourrait réunir tout l'information
disponible pour en parfaire une prévision. On peut enfin répondre à
une question fondamentale, « Qui a besoin de quoi ? » et le
gouvernement peut réagir d'une manière efficace. Que vive
l'administration Obama !
Ce serait le paradis enfin offert au peuple. J'en étais convaincu
jusqu'au dernier intervenant. Mais lui, il a annoncé que le ciel
tombait.
Le gouvernement veut centraliser toute information pour espionner sur
tout le monde. S'il détecte un problème avec quelqu'un qui a fait
faillite par exemple, il serait plus facile de lui expulser du pays
grâce à ce nouveau système. Pire encore, quand les gens voient un
avertissement sur leurs questionnaires qui dit que leurs réponses aux
questions seraient examinées par le département de défense,
pourront-ils se fier à quelconque promesse de confidentialité ? Et
répondrait-il même aux questions ? Faut-il toujours suivre cette
logique de méfiance et de peur ?
A mon avis, c'était un changement profond de régime. L'administration
pense qu'il y a un ennemi n'importe où, et lui, qui se vante d'être
ouvert à chaque minorité et à chaque religion, nous traite de criminel
potentiel tout un chacun. Bouleversé et choqué, je me suis dit, « Le
ciel est tombé. Ce n'est plus les États-Unis. C'est un bizarre empire
de peur. »
« Mais si on est correcte, » elle a protesté, « il n'y a rien à
craindre. »
J'étais fatigué. Mon récit n'était qu'une moitié de ce que j'ai écrit
ici et je ne savais comment en réparer. « Toute cette information
serait inutile. Loin de nous protéger, elle serait utilisée seulement
pour nous embêter, voire nous priver de liberté, comme le FBI a
récemment détruit les carrières de deux généraux du Pentagon. Tu
connais l'histoire ? »
C'était une affaire trop banale pour une comédie d'intrigues — une
liaison entre un général et sa biographe, un crêpage de chignon, une
mondaine qui flirtait et manipulait un agent de renseignements qui lui
envoyait des photos de lui-même torse nue. Tout cela serait absolument
ridicule sauf que le FBI a lu les courriels des généraux qui se
comportaient comme des vilains gamins obsédés par les jolies
femmes. Oui, ils avaient tort, mais l'espionnage fait par les petits
gens, c'est inquiétant quand même. Et qu'est-ce que les huiles et les
mondaines font là-bas en Floride ? Le gouvernement doit-il mettre
son nez partout pour découvrir que la plupart des Américains sont
méchants, malhonnêtes, machiavéliques et surtout bêtes ? Et si le
gouvernement huilait et graissait cette grosse machine de guerre
seulement pour espionner un voisin imbécile ?
J'étais dans le brouillard. Le ciel est tombé encore une fois. Le
gouvernement a été accaparé par les paranoïaques et je ne savais
comment l'expliquer. Pire, peut-être je suis la seule personne qui
pensais ainsi. Après tout, Obama est un saint. Je pense qu'il séduit
et flatte trop bien le peuple, beaucoup mieux que les mondaines de
Tampa, et il dissimule son amour pour l'argent, le pouvoir et son
attitude très machiavélique. De plus ce n'est pas lui que je crains le
plus. C'est le président après lui et la tentation absurde d'utiliser
cette machine de guerre.
Je ne voulais pas persuader que le ciel tombe si cela nous mène à
quereller. D'ailleurs, j'évite à tout prix les sujets basés
exclusivement sur la peur, l'opinion, la guerre, la rancune, la
révision du passé et du présent pour rabibocher la crédibilité de nos
attitudes puériles, bien-pensants et conformistes. Je me limite à
parler exclusivement sur les sujets trouvés dans les journaux. Cela
nous aide à retrouver notre humanité, et, si je vous me permettrais,
d'une manière imprévisible.
Confus et incertain, je voulais passer à notre premier article, donc
j'ai dit, « I heart unpredictable love » (
J'aime de tout mon coeur
l'amour imprévisible).
Elle pensait que je commentais l'affaire, peut-être que je blâmais la
mondaine et le général pour leur aventure, donc elle a dit, « Mais
s'ils voulaient avoir une aventure, il n'y a pas de problème. »
Je suis toujours choqué par cette attitude qu'elle épouse. Si deux
personnes veulent un amour d'une nuit, pourquoi pas ? Je voulais
répondre que je regrettais le temps où on cherchait l'amour au lieu du
sexe, mais je savais qu'elle serait plutôt inflexible sur ce
point. J'ai donc répété « Hein. J'aime de tout mon coeur l'amour
imprévisible. »
« Mais ils étaient mariés, » a-t-elle dit, « donc ce n'étaient
pas correcte. »
« Quoi ?! L'amour imprévisible n'est pas possible pour les couples
mariés ? »
Après que nous nous en sommes démêlé tout, nous avons parlé de
l'article. Un psychiatre assimilait l'amour à une dépendance aux jeux
de hasard parce que le dopamine dans notre cerveau nous fait
intéresser plus au plaisir imprévisible et parfois malsain qu'un
plaisir standardisé et sauf. Mais grâce à notre sagesse et meilleures
prévisions nous pouvons éviter les pièges de l'amour. Nous pouvons
maîtriser, bien huiler, graisser notre cerveau par des renseignements
sur les conséquences de l'amour. C'est à nous de décider avec qui on
aime, et comment, pourquoi et sous quelles conditions qu'on aime. Pour
la troisième fois cette soir, je voulais dire non. Il faut laisser
ouvert notre coeur. L'amour n'est pas prévisible. C'est son
mystère. Si on essaye de contrôler tout, on finira par détruire
tout. Le ciel tombera. Ce sera un catastrophe. Non, non, non !
Mais tout d'un coup, elle a décroché. Sa soeur est arrivé chez elle
son visage baigné de larmes et son coeur brisé. L'amour imprévisible a
imprévisiblement terminé notre conversation et je ne sais quand nous
nous parlerons encore.
Ben, que dois-je faire ? J'attends, quoi, en espérant que le ciel ne tombe pas encore une fois.
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