mercredi 12 décembre 2012

L'ascenseur de l'âme

« Si l'ascenseur est un symbole du progrès urbain, il faut noter bien que le progrès peut nous faire chuter et monter à son aise. » —Ren du Braque
« Les Japonais s'adonnent avec passion au shinryoku, "la balade en forêt". » En lisant la première phrase de notre deuxième article M. Nauphouture et moi étions transportés loin de notre querelle sur les espoirs désespérants de l'amour et du mariage et loin surtout de la révolution.

Je ne sais pourquoi j'ai choisi cet article. D'habitude mon choix va de pair avec le sien. Par exemple il y a une semaine il a lu un article sur l'amitié introuvable chez les trentenaires et les quadras; moi, un article sur la découverte après la deuxième guerre mondiale d'une amitié indicible entre un couple juif et un couple nazi. Nous suivons les mêmes balancements dans notre conversation hebdomadaire. Le Parisien dans le monde américain rejette le texte. Il se rebiffe. Il dit non, non, non. L'Américain qui lit Le Monde trouve un texte sublime et retrouve l'équilibre entre les deux rives de l'atlantique. Cette fois-ci il semblait que notre différend ne serait jamais résolue, toujours enfouie dans le non-dit, mais vous savez le vieux proverbe. Chasser la nature, elle revient au galop.

L'article parlait de l'écopsychologie, une discipline née dans la contre-culture, l'antiracisme, l'écologie, et la psychologie humaniste qui postule que notre bien-être est fort lié à la nature.

« Alors ! » s'est-il exclamé, « La contre-culture, bien, bien. L'antiracisme, très bien. Mais c'est avec un 'c' minuscule, cette contre-culture. » Selon lui la vraie contre-culture représente la vie urbaine, les villes, la rébellion. La nature, c'est une fuite. Ce n'est pas pour tout le monde, donc c'est pour les bobos.

« Lis la prochaine paragraphe ! » j'ai protesté. « Si, si. La nature est importante. Il dit ici que "(les) salariés dont la fenêtre donne sur des arbres et des fleurs estiment leur travail moins stressant que ceux qui ont une vue sur des constructions urbaines". Je trouve cela bien vrai. Par ma fenêtre, je ne vois que du béton, des bâtiments moches et des voitures. Presque chaque mois il y a une alerte à la bombe. Quelle stupidité urbaine et déhumanisante ! Pour m'empêcher de devenir fou, je baisse le store pour bien fuir la ville et m'enfermer dans ma cage. Ben, je suis d'accord avec toi. C'est une fuite, mais une fuite bien nécessaire. »

Lui a dit qu'il n'avait pas besoin de nature. Il regardait les toits de Paris. La vie offerte aux hommes par la science et la civilisation se trouve dans les grandes villes. Et comment pouvais-je m'opposer à Paris ?

« Oui c'est vrai, mais Paris a de la beauté, il a des jardins sublimes, des lieux où on peut échapper ... aux stimulations sensorielles fortes et récurrentes, ce qui entraîne un stress accru. Et cette beauté, c'est une révolution, n'est-ce pas ? Si tu ne le penses pas, viens à Washington et regarde par ma fenêtre ! »

Il tenait à sa révolution. Il n'a jamais cédé, mais sa révolution n'était pas aussi forte qu'avant et il a concédé que Paris était beau.

 Ensuite nous nous sommes plongé dans le coeur de l'article. "(Ce désir) de nature... nous reconnecte avec la part de "sauvage"... en nous. Il nous renvoie aux parties les plus pulsionnelles et indomptées... C'est l'élan vital qui échappe à notre contrôle... Une sorte d'énergie à l'état pur."

« Et nous revoilà au sein de notre premier article, mon ami. La nature, cet élan vital, n'est-il pas essentiel ? N'est-il pas notre amour ? Cette femme gâtée, elle voulait tout contrôler et en faisant elle a détruit son désir. Si elle avait cherché le naturel au lieu de préférer et justifier cette vie hyperbranchée, elle aurait eu plus de chance de marier ses pulsions et ses souhaits. »

A ce point, il m'a surpris en disant que les pulsions et le côté sauvage ne sont pas civilisés. C'est plutôt comme ce barjo de Sète qui a tiré sur ses voisins pour avoir fait la fête. Quoi dire ? Ces pulsions qui font partie à notre nature, elles me font peur parfois. Je me demande souvent qui contrôle quoi chez moi. Je vois, moi, un plouc arraché de la nature depuis l'âge de 18 ans, dans la nature une remède contre les stress de la ville. Il avait une vision grandiose de la civilisation et des accomplissements de l'homme. Je partage cette vision, mais en chemin aux grandeurs civilisées, l'homme s'est quelquefois égaré de la route.

Égarés nous-mêmes, nous avons continué et trouvé un passage exquis où la civilisation et les pulsions se fusaient sous la plume de l'écrivain Didier Decoin, "Quand l'inspiration me manque, je m'approche de la fenêtre de mon bureau, sous les toits, et je contemple le jardin en contrebas, en ne pensant à rien, en n'étant que regard, regard aimant dans le sens amoureux comme dans le sens magnétique, et j'attends." Sublime.

« Ce regard aimant, ce sens amoureux qui se remplit notre vide. C'est ça l'amour. L'amant qui regarde son aimée en n'étant que regard, c'est pourquoi nous aimons et peut-être unissons avec une autre, n'est-ce pas ? Dans notre nature avec toutes ces pulsions terribles, il faut y avoir quelque chose de plus permanent qu'un amour d'une nuit ou de quelques semaines. »

Il y avait une pause pour contempler cette phrase qui était notre jardin. Je me suis demandé, « Comment trouver chaque jour ce regard ? » Et voilà comment nous avons résolu notre différend.

Ce n'est pas par la force de ma conviction que je fais infléchir les points de vue les plus tranchés. C'est par l'observation de la nature qui m'entoure. C'est par les liens infinis qui me relient à cette terre et à autrui.

Aux dernières paragraphes de l'article, deux femmes expliquaient que le jardinage leur a permis "de prendre de la distance" et de "gérer au mieux" ses émotions. La seconde qui avait vécu une année dans une grotte a affirmé que, grâce à son retour à la nature, elle a eu une renaissance totale.

« Pas mal, non ? », ai-je demandé. Il pensait que l'idée était absurde. Deux cent milles années de progrès pour dompter la terre, construire des villes, s'émanciper des superstitions pour retourner à l'état brut. J'ai ironisé, « Et si l'être humain faisait tout son progrès, juste pour, comme cette femme troglodyte, retourner vivre dans une grotte ? Ce serait un rejet total, un retour du refoulé, un retour éternel. Ben, une révolution, quoi. »

4 commentaires:

Colo a dit…

Ici tu prêches une convaincue Ren. Je vis en pleine campagne, me rends rarement en ville, et pourtant je mijote, incite les plus jeunes à toutes les rébellions possibles. Je pense, sans doute à tort, que c'est maitenent le tour des plus jeunes et je les trouve si, si, tellement résignés ici.
Perdre le contact avec la nature, avec sa force et ses changements, évolutions permanents, c'est passer à côté de tout ça.
Ce regard d'amour dont tu parles si bien, peut-on s’imaginer le poser sur une statue, un monument, un parking?

Merci pour ces débats fort intéressants, à bientôt.

Ren a dit…

Je pense, si je prêche, que l'on doit poser ce regard d'amour sur notre bien-aimé soit la nature soit l'humanité et bien sûr sur le vent et la poésie. Si cela nous inspire, il peut également nous inciter à des rébellions contre ce regard jaloux. Merci Colo.

Anonyme a dit…

whaou, Ren !!! hello !!! I'm glad to read you :)

j'aime beaucoup cette manière de récit dialogué et ce sujet me passionne, quoique je n'ai pas tranché pour l'une ou l'autre opinion. Le naturel d'une personne n'est pas la même chose qu'un retour à un état de nature "sauvage"... c'est autre chose ? mais quoi ? un état d'équilibre entre pulsion et raison, une confiance en soi, de la spontanéité ?

civilité, urbanité, conversation, art de vivre sont les trésors de la civilisation que l'on ne trouve pas dans la jungle, mais hélas, les villes deviennent des jungles d'acier et de béton où l'homme peut aussi être un loup pour l'homme..

Complexe !


Ren a dit…

Bonjour Carole, Merci bien. Moi non plus, impossible de trancher, je préfère les deux à la fois, nature et civilisation. Je ne suis pas contre la civilisation, mais plutôt contre sa position contre-nature. A la fin nous étions pour ce regard aimant. Mais tu sais s'il n'était pas aussi méprisant de la nature, je ne sais pas si j'aurais été aussi prêt à découvrir la signifiance du regard. Et pourquoi pas, c'est le dialogue entre la nature et la civilisation qui compte. Merci de ta visite. A bientôt.