jeudi 10 janvier 2013

L'absentéisme d'à présent

Sept jours déjà ?

En lisant deux articles du New York Times'In Praise of Messy Lives,' Essays by Katie Roiphe (l'éloge des vies en désordre) et Cultural Studies: On 'Mad Men', The Allure of Messy Lives (Études culturelles: De 'Mad Men', Les attraits des vies en désordre) dont le sujet m'a rappelé de ce projet d'écrire au moins une fois par semaine, en me préparant pour ma conversation de mardi soir... Mon Dieu ! Quel bordel, cette phrase. Désolé, très désolé. Je recommence. J'ai lu deux articles du New York Times et j'avais une histoire à raconter pour M. du Braque. Les articles portent sur l'indiscipliné, l'incontrôlable, l'inconstance, le désordre, et la joie d'une vie de bordel. L'histoire ? Vous verrez.

Selon Katie Roiphe, nos vies sont trop bien réglées. Nous — mais qui est ce nous ? Ce n'est pas tout le monde. C'est une certaine plage de société. C'est un nous qui est discipliné, maîtrisé. Un nous qui sourit quand il le faut, surveille les enfants, s'enthousiasme pour la liberté que la technologie nous procure, s'indigne contre l'individualisation, crie contre l'injustice, et crie encore contre la hausse des impôts, un nous qui a l'air suffisant, qui sait profiter de l'instant — nous nous rebellons contre les moeurs conventionnelles mais, à la limite, notre rébellion est bien rangée dans les rayons d'une chaîne de supermarchés bio. Elle craint qu'entre la consommation bien taillée à nos excentricités et les activités d'épanouissement personnel, nous n'ayons oublié de nous épanouir.

Encore une fois, désolé, j'ai mal traduit la dernière phrase. Elle dit que nous avons oublié de profiter de l'instant présent (carpe diem, seize the day, Be Here Now!). Peut-être je suis trop bien ordonné de penser uniquement au profit de l'instant. Tout le passé, le présent et le futur, j'y pense. Même un petit instant pris dans une photo me rappelle de toute ma vie. C'est plus fort que moi.

Par exemple, la semaine dernière, le département des ressources humaines m'a demandé de choisir trois photos sur huit prises par leur photographe professionnel. En visionnant les photos, je me suis souvenu de la séance dans une pièce sombre avec un photographe roublard aux cheveux lissé et son adjoint blafard. Il m'a fait tourner, poser, mettre la main dans la poche, naturellement, sourire. « Non, pas comme ça ! Sois heureux ! » Entre les déclics interminables, il m'a demandé si je voulais le tuer. Je n'y ai pas encore pensé, mais pendant que j'ai affiché un sourire gêné, l'idée m'a parue pas mal. Il m'a aussi demandé si j'aimais mon boulot, comme s'il s'attendait une réponse enthousiaste. A ce moment, toute pensée était d'une noirceur absolue.

Il n'était pas facile de regarder ou d'apprécier les images. A force d'un ennui continu devant l'écran, mes yeux étaient un peu injectés de sang. Mon sourire était figé à quelque part entre le malaise et une bonne humeur oubliée. Dans les dernières photos mon pantalon en velours côtelé se voyait en bas du cadre et la fermeture éclair n'était pas tout à fait fermée. Je sais qu'on a envoyé un courriel pour nous annoncer que ces photos représentaient une importante étape dans l'histoire de la compagnie. Nous nous présenterions désormais plus professionnels. On nous a conseillé de porter une chemise et une cravate. Nous, le nous de la compagnie, de la compétition, de l'efficacité, devrions au comble de l'impeccable. Moi, je me demandais où était le mal dans la photo non-professionnelle ? Je n'y étais pas beau, mais gai, correcte et souriant.

Et me voilà très insatisfait de mon apparence. Si j'avais fait juste un petit effort, j'aurais pu éviter encore une déception. Si on regardait ces photos, on dirait que le boulot ne m'intéressait pas du tout, que tout mon style vestimentaire contredisait ma bonne volonté affichée. Pire, en y regardant de plus près, j'ai vu que le deuxième bouton était déboutonné. Je ne sais m'habiller donc. Et si je ne sais m'habiller, est-ce que je suis compétent ?

Alors, il y a un brin de vérité dans la photo. J'ai l'air d'abandon et de négligence, mais quand même le désordre est mineur en comparaison de l'ordre de mes jours. Comme une horloge, je bois un café le matin, je mange une soupe le déjeuner, je fais le trajet au bureau à 9h30 et rentre à la maison à 19h. Et à chaque pas de ma journée, mon esprit est ailleurs.

Ms. Roiphe, qui a trois enfants de trois hommes, me conseillerait de m'abandonner plus. Aventures, cigarettes, alcool, sexe, fêtes, gueules de bois, lecture érotique des années soixante-dix ne seraient-ils pas plus intéressants que mariage, nourriture bio, café, fidélité, solitude, exercice et écriture absurde et autobiographique ? Si on se laisse abandonner au manichéisme de la question, il faut constater que le désordre du présent est plus intéressant que l'ordre quotidien. Mais le sous-entendu dissimulé derrière cette question, c'est que tout le monde doit se rebeller de la même manière. Rejeter tout ce qui symbolise l'ordre et embrasser catégoriquement et systématiquement le désordre. Si on se rebellait à la fois contre le bien-être et la rébellion du bien-être ?

Et maintenant j'ai révisé ce texte deux fois. J'ai corrigé le mieux possible mes fautes. D'autres pensées me sont venues et puis m'ont échappé. Il est drôle que quand je m'examine dans la glace, souvent bien que je soi mal rasé, que mes cheveux soient bien emmêlé, je n'y fasse aucune attention. Je suis comme je suis. Mais devant mes mots, ah devant la tournure de mes phrases et mon manque de style je me sens inadéquat et défaillant. Et la horloge sonne, la routine recommence. Je vais au bureau dans un style qui est comme je suis, mi-nu mi-habillé et tout à fait mal boutonné, un style absentéiste d'à présent.

4 commentaires:

Colo a dit…

Ah, voilà un sujet intéressant! Diabolique même.
Je ris en affirmant ça mais c'est comme une évidence pour moi.
Regarde toi; tu te sens à l'aise, idées claires, corps à sa place les cheveux en broussaille, boutonné à l'envers. Il n'y a rien à dire. Ni ta vie professionnelle ni personnelle ne souffriront de ces petits désordres.

Par contre, ceux qui possèdent de grands désordres de personnalité qui ne se "voient" pas immédiatement, ceux-là sont à craindre. Curieusement ce sont ces derniers qui vantent (ou commandent) l'ordre partout, un ordre insupportable qui ne permet pas d'être soi. Uniformes.

Les belles idées surgiraient-elles mieux dans une tête bien coiffée? Dans un bureau impeccablement rangé?

Mais sûrement ce que ILS veulent ce n'est pas des personnes aux idées géniales qui pourraient renverser leur petit ordre personnel.

Enfin, et dans le désordre, c'est un sujet dont il me plait bien discuter.
Merci donc señor Ren, beau dimanche loin du bureau, des photos.

Ren a dit…

Merci Colo. En effet ce qui me choque c'est comment je me laisse être entraîné par l'ordre et le désordre. Je vais plutôt bien mais dès qu'il s'agit de me présenter correctement, je me sens accaparé par les diktats du bureau, d'un ordre ou d'un désordre uniforme. C'est le prix à payer pour la sensibilité humaine. Et volontiers, je le paye.

De nada señora Colo, beau dimanche à toi.

Adrienne a dit…

haha tu me fais rire avec ton "exercice d' écriture absurde et autobiographique" ;-)
pour ce qui est de la photo, tu as sûrement déjà vu celles d'Einstein: plus mal coiffé et mal boutonné, il n'y a pa... alors quelles conclusions faut-il en tirer?
;-)

Ren a dit…

La conclusion ? il faut être un Einstein pour être mal coiffé. Malheureusement le reste de l'humanité, si intelligent qu'il soit, est obligé d'être très bien coiffé, rémunéré et couronné. Quand même, c'est un luxe d'aller tête découronnée. Et Einstein était un type riche en idées.