Samedi matin, c'est le temps de parler avec mon ami M. Vittel.
« Bonjour Go. J'ai choisi l'article No Lifeguard on Duty (Le surveillant de baignade n'est pas de service). C'est très drôle. » Et ensuite il a lu la première phrase, « "Les
bagarres récentes, les agressions contre les surveillants de baignade
et une défécation dans et autour de la piscine du parc McCarren à
Brooklyn New York nous rappellent que loin d'être une oasis sereine, une
piscine publique est une boîte de Pétri qui déborde d'une barbarie
légère." »
« Oui » a-t-il dit, « les êtres humains sont sauvages. »
Selon l'écrivain et M. Vittel, notre côté sauvage sort quand nous
sommes vulnérable, presque nu et plongé dans un élément naturel.
J'ai fait un appel en faveur de notre humanité, « Mais, l'image d'une
boîte de Pétri est un peu sévère. L'écrivain Leanne Shapton nous
assimile à des microbes, hein. Soit. Continue. Mais attend ! Et les
nudistes, » ai-je demandé, « ils seraient donc les plus sauvages ? »
A ma grande surprise, ils sont les plus civilisés parce qu'ils sont
au naturel et civilisés à la fois. Malheureusement ils doivent se tenir à
l'écart des yeux sauvages, comme les nôtres. Nous ne sommes ni assez
sophistiqués ni adultes d'harmoniser les deux extrêmes. Le seul bémol
chez les nudistes ? C'est que leur liberté est privée. En public les
sauvages se revêtissent civilisés et se découvrent barbares, faute de
bonnes moeurs.
Et c'était toujours comme ça. A l'époque romaine dans les bains de
Bath, Angleterre, les baigneurs ont prié aux dieux de punir la personne
qui a volé leurs affaires alors qu'ils baignaient. Un malheureux a gravé
cette phrase dans une plaque des malédictions, "A Minerve la déesse
de Sulis j'ai donné le voleur qui a volé ma houppelande, soit esclave
soit libre, homme ou femme. Il ne rachètera pas ce don sauf avec de son
propre sang."
« Oh là là ! » s'est écrié M. Vittel. « Quel barbarie ! »
« Ah ! » ai-je ri, « On savait maudire jadis. Oui, le vol est
abominable. Par contre, ce qui se passe à Brooklyn, c'est tout d'autre
chose. Bagarres, agressions, défécation dans une espace publique ! A
Baltimore il y a parfois des meurtres. Dans mon voisinage il y a une
piscine publique, mais je n'y vais plus. Après avoir vu plusieurs
casiers cassés, je crains qu'au retour de la piscine je ne trouve le
mien fracassé et pillé. Imagine-toi, presque nu, sans clefs, sans
portefeuille devant un casier tout vide. Tu vas à la piscine ? »
Depuis longtemps M. Vittel n'y va plus. Il a peur des microbes.
L'écrivain a ensuite blâmé la tension sexuelle pour les inconvénients
au bord d'une piscine. N'empêche que quand elle avait 13 ans, une
fille, pas un garçon surexcité, a volé son sweat-shirt rose favori
pendant une rencontre de natation. La chair exposée excitera le sexe de
l'autre sexe. Oui, c'est vrai, c'est un fait, donc il faut séparer les
hommes et les femmes. En Suède, le pays où tout se passe très bien et
beaucoup mieux quand tout ne s'arrange pas parfaitement pour l'écrivain,
les femmes pataugent gentiment dans leur dambadet et les hommes nagent
très bruyamment dans leur herrbadet. Une solution idéale donc. N'empêche
que la plupart des Suédois se soulagent dans les toilettes unisexes.
A ce point nous étions d'accord tout de suite. « Il est ridicule de
penser ainsi. Comment un retour à la ségrégation des sexes
améliorerait-il la situation ? D'ailleurs l'écrivain pense que la
ségrégation à la suédoise est une invention moderne tandis que la
ségrégation de n'importe quel pays est aussi vieille que les pierres.
C'est en mélangeant les sexes à l'école et au travail que l'on a réduit
les préjugés sexistes. Et maintenant cette femme veut se tenir à l'écart
pour promouvoir quoi ? Son propre sexisme ? Son propre colon nudiste ?
« Bien sûr, si on ne voit que la barbarie chez l'autre on finira par
ériger des barrières, mais n'y a-t-il pas d'autres remèdes sauf
l'exclusion et la privatisation ? Il est drôle que vêtus nous ayons fait
tant de progrès tandis que le progrès recule en se dévêtant. Cette
femme ne veut que limiter la tension sexuelle, la gêne et l'embarras.
Elle va finir par nous étouffer dans un confort douillet. »
En écrivant ces lignes je regrette de ne pas avoir pensé aux femmes
de Femmen. Leur nudité représente-t-elle un progrès ou juste une
provocation ?
Revenons à notre histoire.
A Toronto l'été dernier, il y avait une vague d'intrusions dans les
piscines publiques et privés. Les jeunes Canadiens escaladaient les
clôtures pour y faire la fête. Ils buvaient, fumaient et plongeaient
dans les piscines avant d'être chassés par la police. L'écrivain les a
appelés intrus, malfrats, mauvais enfants. Et puis dans la prochaine
paragraphe elle a écrit d'avoir fait pareil avec deux garçons dans sa
jeunesse. Et voilà elle était jeune aussi, quasi nue, intruse, joyeuse
et accompagnée de deux jeunes garçons. Elle se souvient de cette nuit
comme la plus douce baignade de sa vie.
« Ah ! » M. Vittel a soupiré, « C'est génial. »
J'ai eu la même réaction. Les dernières lignes étaient comme un répit
après une longue tirade. Si je n'étais pas tellement heureux de
retrouver un peu d'humanité dans la chute du texte, j'aurais dit « Bobo
typique ! Quand elle était jeune, elle était rebelle. Elle enfreignait
les règlements, nageait presque nue et entourée de deux garçons, et
maintenant qu'elle est "adulte" tous les hommes sont des animaux en rut
et la société humaine est une boîte de Pétri débordante de sauvagerie.
Bien sûr, je préfère sa nostalgie d'un temps plus innocent à la première
partie de sa chronique où tout bonheur est privatisé, stérilisé et ségrégué et le mal partout. »
Nous sommes arrivé à la fin de l'article en anglais et au début de notre conversation en français.
« Puisque nous avons parlé des piscines américaines et canadiennes, si nous parlions des Eaux-Bonnes, l'ex-bien nommée ? » J'ai ensuite lu, « "Un
village de bergers, une station thermale, des pistes de ski... La
commune des Eaux-Bonnes (Pyrénées-Atlantiques) a déjà connu trois vies
successives... (et) le bourg central, au fond de la vallée n'en finit
pas de ruminer son sort perdu de villégiature à la mode."
« Tu connais Eaux-Bonnes ? Tu vas aux stations thermales ? »
Quand il était jeune ses parents lui amenaient au Sud pour faire du ski.
« Eaux-Bonnes, » j'ai continué, « la bien nommée,
ressemble, de nos jours, à un décor de carton-pâte, une mise en scène
montée pour les besoins d'un tournage. Des immeubles haussmanniens,
balcons en fer forgé réglementaires au deuxième étage et mansardes
émergeant d'une toiture en ardoise, posent, incongrus, au beau milieu de
la montagne pyrénéenne... Les vertus des eaux du Valentin, un ruisseau
qui se jette dans le gave d'Ossau, furent reconnues dès le
XVIe siècle. Une vache blessée à la patte chemina
dans le cours d'eau et en fut immédiatement guérie. »
En bref, Eaux-Bonnes appartient à une époque où régnait une autre
civilisation basée sur la guerre, la majesté architecturale de Paris, et
une animation excessive et débordante. La ville a été construite autour
de ces eaux en raison des soins destinés aux soldats commotionnés. Ses
squares coquets semblent directement importé des plus chics
arrondissements de Paris et son Hôtel des Princes rappelle encore la
splendeur passée. Ses hôtels chics accueillaient une clientèle huppée
comme Sarah Bernhardt et Rosa Bonheur et ses taules ont été bondé d'une
foule dont Eugène Delacroix se plaignait souvent.
Le sens de cet article par rapport au premier nous a échappé voire
nous a dépaysé comme l'invasion parisienne a dépaysé les villageois
pyrénéens. M. Vittel avait dans sa gorge un brin de nostalgie mêlé d'une
pincée de résignation. J'ai imaginé le goût de ce temps, les jeux et
les spectacles organisés par les hôtels, les odeurs émanant des
restaurants, les grands halls où tout le monde dînaient ensemble,
familles, couples, enfants, amis de familles, de couples, rires,
sourires, codes, règles, libertés. Et la foule, j'ai imaginé la joie
d'être entouré des autres dans les rues et dans les spectacles. Je
voulais demander, « Est-ce que nous vivons vraiment mieux aujourd'hui ? »
mais j'ai vite passé à l'article L'éclairage artificiel de nuit favoriserait la dépression dont il résistait la conclusion, « le progrès nous rend nerveux et apathique. »
Le soir j'ai éteint tous les appareils clignotants dans la chambre.
Ce voyage aux stations thermales m'a montré qu'il existe un point
mort entre notre époque et le passé. Ce n'est pas par la ségrégation, la
nudité, la sauvagerie, les transgressions ni la sécurité qu'on en
sortira, mais par l'engagement spontané avec autrui. Malgré toutes les
fautes du passé, et vous savez très bien que nous nous extasions en les
énumérant l'une après l'autre, serait-il possible que l'on pouvait
plonger et se perdre dans l'entassement naturel et désordonné de la
foule ? Si ce n'était pas le cas, est-ce que nous construisons un monde
où ce serait possible ou souhaitable ? Au moins avons-nous encore le
courage de côtoyer notre voisin au lieu de lécher de doigt tout le temps
notre appareil informatique ? Dans le premier article un femme rêve
d'une mixité des sexes, du désordre joyeux et du progrès spontané mais,
en revanche, elle cherchait la ségrégation, l'ordre et un progrès par
calcul. Dans le second on regardait en arrière en notant une splendeur
passée.
Est-ce un espoir que le premier prône un retour au passé par le biais
de prétendre que l'adoption d'une pratique aussi vieille que les
herrbadets et dambadets serait un progrès ?
C'est-à-dire un progrès public pudique.
En forêt / En el bosque
Il y a 3 heures
3 commentaires:
Bonsoir Ren, j'ai lu une fois, c'est pas assez, tellement de sujets intéressants! Je reviendrai donc...nue ou habillée, tu n'en sauras rien bien sûr!!
Rire, que ça fait du bien, loin des affreux villancicos!
À bientôt.
Il n'y pas longtemps ma fille est revenue de la piscine couvertes sans culotte ni pantalon; elle a eu de la chance, le voleur lui avait laissé le reste!
Bien sûr nous j'ai franchi des clôtures, me suis baignée chez des particuliers absents sans laisser de traces, hop, repartie... enfin toutes ces choses "normales" quand on est jeune.
Ce qu'il me semble c'est que cette époque choisit invariablement d'interdire, sévir, clôturer, séparer plutôt que d'éduquer. C'est plus rapide, demande moins d'efforts surtout!
C'est une démission qu'il m'est impossible d'approuver, cautionner.
ET j'en ai par dessus la tête d'entendre que les pays nordiques sont e-xem-plaires (mais c'est une autre histoire).
Je voulais ajouter un mot sur la semi-nudité des Femmen. Pour moi elle représente un cri, le dernier argument possible....comme pour dire: on a tout essayé. Un peu comme un soldat vaincu qui montre son torse nu en disant "tirez" tu me comprends?
Belle fin de semaine!
J'espère que ta fille a au moins trouvé une serviette de bain pour rentrer à la maison !
A propos des pays nordiques, je pense que l'écrivain parlait des endroits de luxe nordiques pour servir comme un exemple pour toute l'Amérique.
A propos des soldats vaincu, je viens d'écouter l'émission de La danse des mots appelée "Les mots de la fin". Dire « tirez » au peloton, c'est une manière de vivre jusqu'à la fin de sa vie. On donne l'ordre au lieu de se laisser être assassiné. Voilà un noble dernier mot...
Là-dessus, cela n'est pas le dernier mot. Tu m'inspires de retourner à ce sujet.
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