dimanche 2 décembre 2012

Mariage ou révolution


Samedi, 8 heures du matin, l'heure de ma conversation avec M. Nauphouture de Paris qui habite près du Bois de Boulogne. Un endroit où je n'ai jamais foulé la terre. Un jour j'aimerais marcher sur ses feuilles mortes et me perdre en me baladant parmi ses arbres. J'aimerais humer le parfum de cette forêt sauvage et domptée, aspirer profondément et me ressourcer par l'amour infini de la mère nature.

En écrivant « mère nature » je pense que la phrase un peu injuste. La nature est aussi engendrée par un père nature et d'ailleurs on pourrait dire que c'est une nature sexuée, toujours divisée en deux tandis que la vie est la réunion continue de cette triste division.

Un petit mot, s'il vous plaît, sur les conversations. Il est vrai que j'ai laissé tomber mon écriture et aussi vrai que je me suis entraîné par les correspondances par Skype. Chaque semaine j'entretiens trois conversations et un dialogue de sourds ce qui ne m'offre pas beaucoup de temps pour écrire. Je sélectionne des articles, je les lis de près, de loin, avec mes lunettes et avec les lunettes d'autrui et enfin je prends des notes pour en parler. Cette lecture lente invite d'autres voix dans nos conversations. C'est plus qu'une conversation. C'est une fête de mariage, si vous voulez, où je me marie avec un interlocuteur et les journalistes qui font partie de nos demoiselles d'honneur et témoins. Pendant la conversation avec M. Nauphouture nous sommes à la fois paresseux—la seule préparation de ma part est de sélectionner des articles—et très bosseur—nous examinons de très près chaque paragraphe, phrase et, de temps en temps, mot. Et cela nous fait voyager au dépaysement total où le retour du refoulé surgit, le retour éternel se dessine, et bien sûr à la fin le retour à la normale nous attend.

Ce samedi parmi les seize articles de la sélection il a choisi l'article, "The Wedding Effect", une épître profane vaguement contre le mariage.
Première paragraphe. A une cérémonie de mariage à Prague, la journaliste a eu le coup de foudre pour un Anglais, mais malheureusement l'amour n'est pas éternel. Après moins d'un an, les appels Skype et une semaine heureuse dans les Bahamas ne pouvaient surmonter ni la distance entre Londres et Palo Alto ni leurs personnalités incompatibles.

« Alors ! » M. Nauphouture a l'habitude de commencer tout commentaire par ce mot, « c'est tout à fait normal. Une histoire d'amour sans la fin heureuse hollywoodienne. Il est naturel que leur illusion s'est brisée sur l'écueil de la réalité. » « Mais » je lui ai dis, « tu vois que son cousin et une Tchèque ont fini leur coup de foudre par le mariage, tandis qu'elle et son beau n'y sont pas arrivés. Entre la Californie et Londres y a-t-il moins de différence culturelle et peut-être moins de différence sexuelle. C'est-à-dire que dans les pays de l'Europe de l'Est, les femmes assument un rôle plus traditionnel tandis que dans l'ouest les hommes et les femmes jouent des rôles parfois ambigus et supposément égalitaires. Est-il juste de supposer un lien entre la géographie et l'amour ? Faut-il dire que l'amour ne peut surmonter les obstacles ? »
Nous avons tourné en rond quelque fois sur ces questions. Lui insistait que l'amour est une illusion qui ne peut guère survivre dans telles conditions. Moi, j'ai fini par insister de peindre ce portrait dans toutes ses détails et dans tous ses couleurs. L'amour existe entre la Tchèque et le cousin, mais il n'existe pas entre la journaliste et l'Anglais.

Paragraphe suivante, une description de la fête et une mise en cause de l'effet néfaste des cérémonies de mariage. D'après elle, la sagesse d'une jeune femme serait diminuée par le bonheur, l'ivresse et la promesse de la cérémonie. Nauphouture est devenu tout d'un coup nostalgique de ses jours d'ivresse. Moi, je me suis tu. J'étais alors plutôt solitaire et il est difficile d'être nostalgique d'un passé où je voyais les autres aller à cérémonie après cérémonie tandis que je n'avais ni des amis ni l'argent pour aller dans un autre état ou un autre pays d'ailleurs. Quand même je n'ai aucune rancune contre la joie d'autres et leur tas d'amis qui leur donnent beaucoup d'opportunités d'avoir des aventures. Je pense seulement si on est entouré de tant de richesse, il faut en profiter plus sagement.

Et voilà dans les paragraphes suivantes nous nous sommes mis à échanger, voire à bagarrer comme un vieux couple. Il a accusé la journaliste de vivre en liberté uniquement aux cérémonies. Au lieu de s'ouvrir l'esprit seulement pendant les cérémonies, il lui faut plus de liberté tous les jours. En outre comme notre société et ses valeurs anciennes nous privent de liberté, ce qui nous rend malheureux, il nous faut une révolution pour donner à tout citoyen et toute citoyenne le maximum de liberté.

« Mais revenons au texte. » je lui ai protesté. « N'y a-t-il pas quelque chose dans ce texte qui cloche ? Les cérémonies avaient été formidables, mais cérémonie après cérémonie elles sont devenues banales. Au début de ses années vingt, la promesse d'un amour toute sa vie semblait magnifique, mais dans la vraie vie nous sommes si difficiles que le mariage a l'air d'un cauchemar. La fête bachique nous fait rêver et prendre nos fantasmes comme réels, mais elle nous oblige également de supporter une réalité à deux pénible. La joie aux fêtes n'est rien d'autre qu'une solidarité morbide en face de la fin des jours. L'optimisme d'un mariage ne suffit pas pour contredire l'angoisse que provoquent les statistiques du taux de divorce. Elle oppose l'insouciance de l'amour contre la contrainte du mariage, le chaos du désir contre contrôle, mais son image de sa propre cérémonie me semble aussi fantaisiste que ridicule. Elle est formatée jusqu'au moindre détail. Au lieu de choisir sa propre fantaisie, elle veut l'arranger selon le décor de ses filmes favoris et le son de ses albums favoris. Le problème, c'est elle. Elle veut toute la joie de l'union chaotique de deux âmes, mais elle veut contrôler tout détail de sa vie. Son ordre ne détruit-il pas sa joie ? N'est-elle pas le renard qui méprise les raisins ? Pire, le renard ne pouvait pas atteindre les raisins, mais elle doit avoir toute la liberté de transformer ce rêve en réalité, n'est-ce pas ? »

Bien sûr, il tenait à sa révolution. Le mariage est une institution dépassée. Les valeurs d'antan dénaturent la nature humaine et nous asservissent. Je lui ai gentiment posé des questions : Mais fallait-il priver les gens de leurs espoirs, voire de leurs illusions ? Ne pouvons-nous pas être libres et mariés la vie durant ? La journaliste détruit sa joie par l'ordre, mais n'érigeait-elle pas d'autre ordre plein de fantasmes similaires et aussi contraignant ? Un jour, si nous suivons cette logique de liberté, nous allons célébrer les divorces autant que les mariages alors que nous fabriquons à la chaîne autant de rêves irréalistes à la fin du mariage qu'au début.

Et voilà nous n'étions qu'au milieu de notre rendez-vous, mais je suis à la fin celui-ci. Je vous demande de permettre de prendre congé pour l'instant. Je reviendrai cette semaine pour vous décrire la deuxième partie de notre conversation. Et je vous demande pardon encore une fois. Je dois réviser un peu le texte, essayer d'éliminer l'inutile. J'ai commencé cet exercice pour m'habituer à ce mariage entre mon esprit et les mots. Au début, j'étais plein d'illusions, mais maintenant je divorce. La faute est à moi. La réalité, c'est que ce n'est qu'un blogue. Un vrai essai serait plutôt plein de contraintes, de prétention d'immortalité. Moi, paresseux, angoissé devant la page blanche, je demande un peu de liberté d'écrire ce que je veux. Peut-être un jour je serai prêt à me marier à une écriture plus formelle et stricte, mais maintenant je jette ma gourme avant de m'atteler à la rigueur. Fantaisiste ? Pourquoi pas ?

2 commentaires:

Colo a dit…

Tu es revenu, ça me fait plaisir.
Je pensais que tu avais divorcé de nous, mais ce n'était qu'un lien un peu relâché qui s'est retendu.
Des vagues qui rapprochent, éloignent, et tout ce petit monde qui flotte le mieux possible.

Je reviendrai lire la suite, promis.

Ren a dit…

Merci Colo, en fait j'espère que c'est une petite révolution. Il n'est pas évident de savoir comment écrire un billet. Il n'est pas évident d'améliorer son écriture. Donc nouvelles habitudes, nouveau but, nouveau dialogue, mais le même mariage.

Merci encore une fois. A bientôt. Croise les doigts.