mercredi 7 juillet 2010

Une réflexion sur notre reflet

Le goût est fait de mille dégoûts --Paul Valéry

If you don't know where you are going, any road will get you there --Lewis Carroll

Une heure de lecture est le souverain remède contre les dégoûts de la vie --Montesquieu

De nos jours, je ne sais quoi dire à Coucou. Si j'ai l'air d'être en pleine santé, mais en revanche je me sens dégoûté, las, fatigué, et triste d'être de retour, je dois avaler mon amertume devant lui et boire son verre plein de propos tolérants et un peu tyranniques. J'aurais préféré que l'on disait ce que l'on pouvait voir -- mon sang méditerranéen s'est affirmé en contact avec le soleil provençal. En revanche, il m'a donné son pronostic contre toute évidence. Et dire que j'ai écrit pour lui une lettre de recommandation adressée aux facultés de médecine. Ne devrait-il pas examiner avec soin ses patients avant de leur offrir son opinion ? N'est-il pas dangereux de proférer des conseils qui sont basés sur les apparences au lieu des causes plus profondes ? Quant à la couleur de la peau, c'est là où le bât blesse. Si on assimile à tort un teint à une condition saine, cela peut exploser le patient à un danger.

Il est jeune. Au début, j'ai essayé de me faire comprendre avec lui, mais au bout du compte, j'ai découvert que c'est toujours moi qui ai besoin d'instruction. Je lui parle pour savoir comment j'ai tort auprès de la nouvelle génération. Je ne sais jamais quand une nouvelle leçon va arriver, mais il arrive presque chaque fois qu'il entre dans mon bureau, bien que j'essaie souvent à éviter les brouilles qui lui mènent dans un état agité et raisonneur.

Comme je suis vieux et âgé culturellement, j'évite de lui convaincre que j'ai raison. Je lui propose ma vérité, et ensuite je reçois ma correction. C'est comme une leçon d'une nouvelle langue étrangère. C'est en effet anglais, mais une conversation avec lui est comme un voyage dans un pays inventé par Lewis Carroll, et elle me fascine.

Après lui avoir résumé tout notre voyage et avoir ignoré ses propos sur ma peau, je suis tombé muet. Je savais si je ne parlais pas, personne ne parlerait, donc j'ai creusé mon cerveau pour un sujet. Après quelques instants en nous regardant bêtement, je lui ai décrit ce qui est arrivé dans la navette de l'avion à l'aéroport. Nous nous sommes assis en face d'un couple qui nous ressemblait. Un américain et une japonaise parlaient japonais à leurs enfants qui leur répondaient en anglais. Chouchou m'a dit que le mari parlait japonais mieux qu'elle. Je leur regardais. Je me suis imaginé une vie comme la leur, avec des enfants et avec une maîtrise parfaite de la langue japonaise. Je me suis demandé si nous pourrions ré-enchanter notre monde en plongeant dans une autre culture, mais cette fois-ci une culture partagée et appréciée également. J'ai demandé à Chouchou, « Qu'est-ce que tu penses du japonais ? » Elle ne pensait qu'au repas de ce soir. Elle a donc répondu « Oui, nous pouvons commander du sushi. Cela fait longtemps que je ne mange plus du riz. Je veux du riz, Go ! Tu ne comprends pas. J'adore le riz. » J'ai souri. « Non, je ne voulais pas dire cela, » j'ai répondu. « Je voulais savoir si tu penses jamais à étudier le japonais. » Elle a dit que le japonais était très difficile, puis elle semblait réfléchir à quelque chose. Après quelques instants, elle a dit que ce serait plus simple de commander de la cuisine chinoise.

Malgré son obsession d'un repas avec du riz, et son refus de se lier à la culture japonaise, j'ai dit à Coucou que ma femme semblait apprécier qu'il y avait quelque chose de plus profond dans un voyage où on pouvait parler la langue. Je l'ai même épiée de temps en temps regarder le vocabulaire dans les livres de tourisme. Peut-être un jour elle aimerait faire quelques pas vers une nouvelle culture ? Peut-être elle tomberait amoureuse de la France juste un petit peu ?

Or Coucou ne peut pas accepter que j'imposerais mon amour fou à Chouchou. Ne pouvions-nous pas aller au Japon ? Non, je lui ai dit. C'est une longue histoire. Elle a hérité les ennuis de sa mère envers sa famille au Japon. Je ne peux pas imaginer qu'elle veuille y aller. Coucou a ensuite proposé que Chouchou aimerait aller en Chine. Non, je lui ai dit. Chouchou n'aime pas les Chinois. A ce point, il a froncé les sourcils. Au but d'éviter la leçon de moralité qui s'ensuivrait, j'ai dit que je lui conseille de ne pas généraliser sur les Chinois. Elle comprend, mais elle a ses raisons particulières, et je me suis arrêté là.

Coucou a dit avec un brin de dégoût « Soit ».

Dans la vraie vie, je me limite au minimum d'explications en face d'un jugement, mais dans la vie épistolaire je me permets plus de liberté. Les raisons de Chouchou sont basées sur son vécu aux États-Unis auprès des médecins chinois. A son avis, elle les trouve trop intéressés par l'argent. Bien sûr, elle fait un amalgame entre les médecins chinois et toute la population chinoise, mais il est impossible de faire oublier les expériences amères.

Au bout du compte, ce n'est pas une question de tolérance ou de compromis. C'est une question de goût. Chouchou est japonaise et pense que l'étude du japonais est trop rébarbatif. Bien qu'il soit asiatique, cela ne veut pas dire qu'elle trouve chaque pays asiatique intéressant. En fait, je pense qu'elle s'est rendu compte que si on ne parle ni lit la langue d'un autre pays, le but d'un voyage se réduit vite à faire du lèche-vitrines et à échanger en anglais avec les commerçants.

Moi, je n'ai aucune envie de voyager dans un pays où je ne parle pas la langue. Il y a vingt ans, j'ai fait un long voyage en Europe sans aucune facilité avec les langues de l'Europe. Il me semblait une expérience nécessaire, mais pas à refaire. A la fin du voyage, je me suis demandé pourquoi aller en Europe si je ne parle qu'aux autres Américains sur ce qui se passe aux États-Unis ?

Et alors, j'étais en face de mon jeune américain qui a passé trois mois à Paris sans s'intéresser à la langue française ni à sa culture. Il insistait que j'aille en Asie. Je lui ai suggéré que si j'allais en Asie, j'irais en Vietnam. Mon choix ne lui a pas plu. Le Vietnam ? Oui, mon meilleur ami est vietnamien. Chouchou et moi déjeunons chaque week-end dans un restaurant vietnamien. S'il faut choisir, notre expérience nous dit qu'il faut aller au Vietnam.

Coucou, ne trouvant rien d'intéressant dans mon choix, s'en est allé.

Quant au Vietnam, je sais que nous n'y irons jamais. C'est trop loin. La langue est trop difficile. Nous n'avons ni le temps ni l'énergie d'explorer ce beau pays. Nous sommes comme mon ami vietnamien. Son père, âgé culturellement aussi, lui dit tout le temps de lire un certain épopée vietnamien, parce qu'il contient l'âme et le cœur du peuple du Vietnam. Mon pauvre ami, il est trop américain, vieux et las d'entreprendre ce projet de découverte. Il est venu aux États-Unis quand il avait 12 ou 13 ans. Il parle vietnamien comme un garçon. Il est entre deux mondes, adulte aux États-Unis et enfant au Vietnam. Moi, je veux aller à quelque pays où je peux lire un bon bouquin qui me dirait tout sur le cœur et l'âme de l'humanité, mais je ne connais que le monde américain et juste un peu du monde français.

Entretemps, il faut chercher un restaurant chinois. Chouchou veut du riz !

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