jeudi 29 juillet 2010

Un petit mot de notre directeur absent

La pluie battait la fenêtre, et le coup de tonnerre a envahi le bourdonnement des ordinateurs et le murmure des voix indistinctes dans le couloir. Le métro, marchera-t-il ce soir ? La moindre perturbation lui fait faire une dépression mécanique et faire accumuler les retards. Rentrerai-je même à la maison ? Mon Dieu, j'ai aussi provoqué mon propre retard. J'ai oublié d'aller au laboratoire au troisième étage, parce que depuis l'après-midi je contemplais dans une nuage comment ramasser par les méandres de ma pensée la pluie de mes sentiments.

A huit heures et le quart, je suis arrivé au transfert métro. Sur le plateforme, une foule s'est amoncelée. Sans faille, le métro a fait une dépression. Le prochain train arriverait dans un délai de 16 minutes. J'ai remarqué une petite place entre un homme et une femme sur un banc. Elle m'a vu et laissé m'être glissé entre eux. Visage après visage et corps après corps s'est promené devant moi. Je les ai tous contemplés. Un homme mince, jeune, et courbé aux oreilles bouchées des oreillettes de son portable parlait haut alors qu'il s'est promené devant nous. Hommes, femmes, enfants, jeans, pantalons, coutumes, cravates, chemises, fatigue, ennui, sourires, froncements, quelques rire, et puis le même homme aux oreilles bouchées parlait encore, mais cette fois-ci il marchait dans la direction contraire.

J'ai ouvert mon livre, The Two Noble Kinsmen de Shakespeare qui serait le dernier livre de ses pièces que je n'ai jamais lu. Est-ce que je vais vraiment commencer à écrire aussi en anglais sur Shakespeare ? Peut-être pourrais-je trouver un passage dans ce livre ? Mais non. Cette pièce est une collaboration entre lui et John Fletcher. Je ne sais comment, mais le texte semble moins vif et alerte. Le prologue est magnifique, mais la première scène manque d'épaisseur. Chaque phrase ne contient qu'une seule pensée. Shakespeare est magnifique, mais comment se limiter seulement à son adoration ?

J'ai jeté un œil sur ma voisine. C'était aimable de sa part de reconnaître mon désir pour une place. Elle lisait, savait que j'étais là, mais a continué de lire. L'homme aux oreilles bouchées est encore une fois passé devant nous en demandant d'un air indigne « J'aimerais bien savoir, le directeur, que fait-il exactement ? »

Ohhhhhh. Une question comme ça, qui fait hausser les sourcils et chatouiller la curiosité, c'est trop belle de laisser tomber dans l'oubli. J'ai regardé ma voisine. Elle le savait, mais elle résistait de son mieux. Parler à un inconnu, comme moi ? Non. Elle prétendait de se plonger dans sa lecture quand je lui ai aussi demandé « Oui ! Que fait-il exactement ce directeur ? »

« Bonne question ! » a-t-elle dit, soulagée de s'être échappé un peu d'énergie nerveuse et trop amusée de m'ignorer davantage.

Enfin, le train arrivé, nous nous sommes précipités à trouver une place, parce que le prochain arriverait dans 15 minutes. La première voiture, grâce à sa distance de l'entrée du plateforme et du ventre de la foule était à moitié pleine. J'ai trouvé une place au troisième rang des sièges. Une mère hispanique et ses deux gamins aux yeux bruns et visages heureux se sont installés dans le siège en face de la portière. Elle avait les oreilles bouchées de son lecteur de bruit digitalisé, les gamins ont ouvert des yeux ronds. Quand ils se sentaient un peu abandonnés, elle les a caressé d'une seule touche qui les a extasié. Le gamin dans le banc s'est tellement courbé et tordu qu'il a failli tomber par terre. L'autre dans la poussette a mis les mains dans l'air.

J'ai entrevu une femme et son enfant entrer dans le train et je me suis levé afin qu'ils pussent s'installer. J'étais en face du petit. Ses yeux grands comme sa bouche se sont fixés sur moi. Je faisais semblant de lire, mais il me regardait comme j'étais un directeur mystérieux. Je lui ai bougé le petit doigt. Il a ouvert des yeux plus ronds. Je lui ai fait coin-coin de ma main. Il s'est levé les mains au-dessus de sa tête. Je lui ai bougé le petit doigt, « est-ce que tu peux bouger le petit doigt, mon petit ? »

Il a poussé un petit cri de joie. J'ai regardé sa mère qui a souri mais n'a osé que de m'entrevoir quand je regardais son enfant.

Pendant quelques instants j'ai contemplé l'enfant. Il n'a jamais détourné le regard de mes yeux. Je voulais lui avertir. J'ai dû le quitter. Je lui ai dit, « Ciao, mon enfant. Ciao. » Il n'a pas compris. « Ciao. »

Quand je me suis dirigé ver la portière, il a poussé un cri. Sa mère lui a caressé la tête, et il m'a suivi de regard jusqu'à ce que je suis sorti. Je voulais lui dire que le directeur retournerait. Il te dirait bonjour, te bougerait le petit doigt. Une main te gouvernera vers le murmure de l'eau quand elle roule. Tu ne serais pas tout seul.

Et maintenant je suis tout seul devant l'écran de mon ordinateur. Je vous dois la fin d'Acte III, Scène 3, mais entretemps je pense entrevoir des mots dans les nuages des mes pensées... Merci mes amis. Merci Bellegine.

6 commentaires:

Delphine a dit…

"Une main te gouvernera vers le murmure de l'eau quand elle roule. Tu ne serais pas tout seul."

On aimerait tous que ce directeur revienne (sourire). Jolie pluie de pensées, GO.

Edmée De Xhavée a dit…

C'est toujours un régal de te lire, et de réaliser, par ta plume, les choses qui nous traversent l'esprit sans bruit. Oui, on s'assied à côté de gens inconnus parfois, et si on veut rester sur son quant à soi, on n'évite pas toujours un éphémère instant de contact.

Et oui, on observe alors. Et on est observé sans doute.

Anonyme a dit…

Ren,

c'est un plaisir de vous lire. J'aime votre phrase "ramasser par les méandres de ma pensée la pluie de mes sentiments", absolument géniale et votre maîtrise du français est bien meilleure que vous le croyez. Et surtout je devine une personne d'une grande sensibilité, dotée d'un humour un peu...braque, derrière chaque texte.

If I could write in english as well as you do in french, I'd be thrilled. But I have a question: should I write "I" or "i" when talking only about my little person?

Merci Ren, or Go

:-)

Colo a dit…

Pour bien entendre le murmure de l'eau, le sifflement du vent....il ne faut pas se boucher les oreilles, isnt'it?
Je me suis régalée à lire votre billet, merci.

Anonyme a dit…

Pour moi, c'est le taxi.

Ren a dit…

Merci de votre visite.

@Delphine, le directeur invisible et muet m'a dit qu'il était désolé, mais il serait encore en retard. Il faut attendre davantage.

@Edmée, j'aime bien ton observation. Il existe une tension entre le quant à soi et le contact humain qui nous lie.

@Lise, Très content de votre visite. Et me voilà rassuré que mon écriture reflète ma personnalité... c'est toujours un défi de trouver l'expression précise de ma pensée soit en français soit en anglais. C'est toute une histoire. Un jour j'en écrirai ! Et merci pour ta question. Je l'adore et cela me donne des idées !

@Colo, merci. Oh là là les oreilles bouchées, il faut en parler même si nos interlocuteurs ne nous entendent pas à cause de ces maudits trucs-là.

@Peter, un trajet en taxi ! Je veux voir ça, peut-être chez vous ?

Très content d'avoir vous retrouvé tous dans ce train. Mon arrêt est le prochain. A bientôt.