samedi 10 juillet 2010

Une interface cérébrale pour les vieux

A l'époque où ma grand-mère était dans l'hôpital, Coucou, un médecin en cours de fabrication, m'est venu dans mon bureau. Après le regard fixe, une pause où tout s'arrête, et son bonjour plat et mécanique, puis, comme sa routine impose, encore une pause, je deviens tellement inconfortable, que je deviens son polichinelle et commence la conversation. Malgré mon irritation contre ses manières, je lui ai offert les détailles de ma vie intime. Je lui ai expliqué où j'étais vendredi, la souffrance de ma grand-mère, et ma tristesse de la voir à la fin de sa vie.

Étant donné que les détailles intimes ne lui plaisaient pas, je lui ai dit avoir trouvé un philosophe intéressant d'autant plus qu'il a beaucoup inspiré Foucault -- l'homme que Coucou n'a cesse de citer vaguement comme il est le messie. En outre, le philosophe, qui s'appelle Canguilhem, était médecin. Au début Coucou pensait que son marionnette essayait de se dérober à son contrôle, parce que souvent je suis un mécréant à l'égard de Foucault. J'ose de dire qu'il n'est pas le Seconde venue du Messie. En revanche, de peu de ce que j'ai entendu dire de Canguilhem, il semblait fort intéressant.

Il a dit que les normes et les pathologies de la santé sont relatifs de l'un à l'autre. Par exemple, on estime les maladies ou pathologies de provoquer les mauvais états de santé, et cela veut dire que la mort est une pathologie, un état anormal relatif à une bonne santé. Mais depuis la création de la vie sur terre, il n'y a rien de plus normal que la mort. Bien qu'on ne veuille pas l'admettre, l'état morbide et pathologique est toujours une certaine façon de vivre et c'est tout à fait normal.

Foucault a fait un copier-coller sur ses idées et les a réinterprétées par rapport à la santé mentale, la répression, l'homosexualité, et puis il a annoncé la mort de l'humain au but d'ouvrir la voie à une nouvelle politique de vérité. Je ne suis pas expert philosophique, mais ce que je peux constater est les disciples de Foucault semblent toujours dans un état d'euphorie céleste quand ils parlent de leur gourou. C'est toujours par rapport aux « normes » arbitraires que les moins intelligents estiment Shakespeare, la loi, l'éducation, les principes des républiques Américaine et Française, la vertu, la moralité et la civilité, mais si on déconstruisait les normes (et quand on dit "déconstruisait", ils mettent de l'emphase sur chaque syllabe, DÉ - CON - STRUI - SAIT, comme un illusionniste faisant de la prestidigitation) on peut voir évidemment que tout disciple de Foucault a raison.

Pour persuader Coucou que le livre peut l'intéresser, je lui ai dit que Foucault a écrit l'introduction de Le normal et la pathologique de Canguilhem, dans laquelle Foucault a reconnu l'influence qu'il lui devait. Puis je lui ai dit que comme médecin, j'imagine qu'il serait important d'explorer intellectuellement la rapport entre la vie et la mort. Est-ce vrai que la mort est pathologique ? Ou ne devrions-nous pas l'accepter ?

Puisque ma grand-mère était toujours présent dans mon esprit, j'ai dit que l'on pourrait dire que son état était déplorable. Certainement, je ne voudrais pas vivre si j'étais presque sourd, démi-aveugle, et atteint d'Alzheimer, mais en y réfléchissant, il faut me demander si je pense cela à cause de la norme que je me suis défini. Quand j'ai regardé lutter grand-mère de tirer profit de chaque moment de sa vie, elle m'a basculé et surpris. Elle avait le courage de redéfinir la vie pour elle-même. Elle était moribonde, muette, mais la force de la vie était encore avec elle. Elle faisait tout ce qu'elle pouvait. Elle me regardais et à la fin elle m'a souri. Je pensais qu'elle était belle et magnifique.

« Mais tu es sûr qu'elle t'a bien reconnu ? Peut-être ce n'était que du mimétisme ? » Je lui ai dit qu'on ne pouvait être sûr dans une telle situation, mais je me suis aperçu des petits changements dans son visage. Peut-être ai-je tout inventé pour me rassurer ? Je n'en saurai jamais rien. Quelquefois il faut espérer à l'invérifiable expérience humaine.

« Non, le seul moyen d'aider ta grand-mère serait de l'attacher à une interface cérébrale dans laquelle on peut dresser une carte entre les réactions cérébrales et les pensées. Comme ça on peut déterminer si elle est vraiment en vie. »

Je l'ai regardé bouche bée, puis j'ai dit, « Et si les machines ne disaient rien, mais elle agirait comme je viens de te décrire ? Comme médecin, tu me conseillerais de la laisser mourir ? Par ailleurs, et si les machines lui faisaient mal ? »

Il est devenu un peu gêné. « Je ne sais pas, mais dans un cas pareil, on peut attacher les patients aux interfaces. On peut tout savoir. »

« Mais peut-être on ne saurait jamais ? peut-être la vie est comme ça. Incertaine, indéfinissable, impossible d'en formuler des normes. Et toi, quand je m'en mets aux normes, tu me pensais borné et ringard. Maintenant c'est toi qui nous imposes ton norme de tout savoir. Je suis désolé. Nous autres êtres imparfaits essaient quand même de comprendre cette vie sans les interfaces cérébrales. Peut-être nous sommes tous fous, et peut-être la beauté de la vie humaine est qu'elle est folle et incontrôlable ? »

A ce point, il est devenu de plus en plus gêné et nerveux, « Non, on va inventer une interface. On va aider les vieux comme ça. » Et puis, il m'a quitté.

Quant aux interfaces, je les accepterai sous seulement une condition. On les met d'abord sur lui et après on me dit ce qui se passe dans son cerveau. Je veux savoir s'il serait sous l'emprise d'une puissante illusion. J'espère que les résultats seraient incertains.

2 commentaires:

Zoreilles a dit…

Que j'aime cette manière de voir et de non-expliquer les choses, la vie, la mort, en conservant ce questionnement, ce mystère qui plane, cette poésie du regard, de l'esprit, en toute liberté.

Parfois, il vaut mieux ne pas tout savoir et se fier à son coeur, son intuition, son amour de la vie.

Juste vivre... sans avoir besoin de tout analyser et tout comprendre.

Ren a dit…

Merci et bienvenue Zoreilles. Tout à fait d'accord ! Je pense qu'il est aussi important de construire un dialogue avec la prochaine génération. Il faut trouver les mots, voire l'analyse, qui persuade que l'amour, l'intuition, la poésie et le mystère sont aussi ou plus importants que le tout savoir...