vendredi 23 juillet 2010

Une prélude à Acte III, Scène 3

En faisant chemin au bureau dans le métro, perdu parmi tous les navetteurs, et plongé dans ma lecture, j'ai trouvé le coupable. Tout ce temps devant nos yeux, dans Acte III, Scène 3 de Hamlet, Claudius avoue son fratricide ! Hamlet la source de son indécision, et Rosencrantz et Guildenstern, leur obéissance aveugle au roi, peu importe sa corruption. Et dire que Coucou a toujours insisté sur l'innocence de Claudius. Pierre Bayard a prétendu, dans son Enquête sur Hamlet, que Hamlet s'est impliqué, parce que l'adolescent de 16 ans n'a pas tué son oncle quand l'occasion s'est présenté. Et moi, depuis trois ans, lorsque Coucou a annoncé que les dires d'un fantôme ne pouvaient prouver rien, j'étais ébranlé. Tout le monde déconstruit et reconstruit la réalité sans le moindre gêne, et, moi, le livre aux mains, bouche bée, leurs mots me déconstruisant et me reconstruisant, je balbutiais « mais, attend ! il est... n'est-il pas ? il est ? il est coupable ? non ? »

Depuis trois ans, j'étais figé dans cette incertitude obscure, mais mercredi matin, une clarté m'a percé. J'étais enfin en paix.

Quand je suis entré dans le bureau, j'ai demandé à ma voisine si elle s'est souvenue si Claudius était coupable.

« Lui, je pensais qu'il voulait tuer Hamlet. »

« Non, est-ce que tu te souviens d'avoir vu, à part de l'évidence du fantôme, si le roi a avoué d'avoir tué le père de Hamlet ? »

« Mais, je pensais qu'il voulait tuer Hamlet. »

« Non, ce que je veux dire est... eh, qui a tué le père de Hamlet ? »

« Tu veux dire le fantôme ? Il était déjà mort. Je ne comprends pas. »

Et il me semblait que la reconstruction de la pièce prenait des heures. Je lui ai enfin dit que dans acte III, scène 3, Claudius fait des aveux complets. Elle, un peu craintive sous l'ardeur de mon interrogation, a dit qu'elle ne s'en est souvenu rien de particulier, mais elle aimait la pièce, quand elle l'a vue.

Neuf heures plus tard, en rentrant à la maison, j'ai lu acte III, scène IV. La célèbre scène entre Hamlet et sa mère. Il l'accuse, et elle l'accuse d'avoir perdu la raison. Il la pousse. Il lui hurle ses crimes. Et elle s'affole et supplie. Il lui exige de se regarder dans le miroir et de mettre une fin à sa nouvelle vie avec le frère de son ancien mari. Il enrage et lui demande d'écouter la dernière voix de la raison. Il y a un petit imprévu, c'est-à-dire un rat assassiné par l'épée de Hamlet derrière un rideau dans la chambre, et elle l'assassine de bon après. Elle le condamne comme un fou en proie de délires.

Père mort, oncle vilain, mère aveugle, copine assujettie, amis faux, sycophantes, ennemi furieux, vérité introuvable, raison perdue, Dieu porté disparu, pauvre Hamlet ! Pauvre humanité aussi, n'est-ce pas ? N'empêche. Je voulais encore parler d'acte 3, scène III. Je suis rentré à la maison. Chouchou regardait la télévision. Je lui ai servi les restes du dîner de la veille. Je me suis installé dans le fauteuil à bascule, l'assiette sur mes genoux, un verre de vin à la main et Hamlet dans l'autre.

« Écoute ! Je veux te parler. Éteins la télévision ! »

Elle a maugréé en éteignant le poste. « Alors, qu'est-ce que tu veux en parler ? Tu sais, aujourd'hui au bureau, Barbelle (sa patronne) a tellement tergiversé. Elle dit toujours de n'importe quoi, juste pour faire plaire à la personne qui peut lui faire avancer. Oh, elle m'énerve ! Je dis, elle est... »

« Mais attend, attend. Du calme. Inspire de la paix, souffle un sourire ! Est-ce bien ? C'est mieux ? »

« Tu voulais parler. J'ai parlé. Qu'est-ce que tu veux en parler ? »

« De Shakespeare. Écoute. J'ai trouvé les passages... Eh. D'abord, est-ce que tu te souviens si Claudius a avoué son crime ? Tu sais ce que Coucou dit. Que Claudius n'est pas coupable. Quand même pour répondre à tous les autruches, il faut mettre la tête dans la sable avec eux et puis trouver dans la pièce où l'on puet réconnaitre la culpabilité de Claudius. Mais où ? »

« Il est coupable. Il l'a avoué. »

Un peu perplexe, je lui ai demandé, « Mais tu te souviens d'avoir entendu dire une confession ? Est-ce que tu te souviens ce qui s'est passé quand il a avoué ? Es-tu sûre ? »

« Je ne sais pas. Il l'a avoué. Tout le monde sait qu'il était coupable. »

« Serait-il que je l'aie totalement oublié ? », je me suis dit. Peut-être le doute de Coucou, versé dans mon oreille comme le poison versé dans l'oreille du père de Hamlet, m'a fourrvoyé. « Néanmoins, c'était dans la scène où l'oncle était à genoux et Hamlet était derrière lui. Tu t'es souvenue de cette scène ? »

Elle n'a rien dit.

« Mais, cela ne veut rien dire. L'important n'est pas la confession. En fait, l'obsession de trouver le coupable mène à un dialogue de sourds, une interprétation chère à Coucou et Pierre Bayard, mais accessoire chez Shakespeare. La culpabilité, c'est un piège dangereux qui empêche la compréhension. Cette scène porte sur l'absence du Dieu chrétien et sur ses valeurs oubliées. »

Après une pause pour savoir si elle me suivait, le grand athée de la maison lui a humblement demandé, « Je vais lire des passages de la scène. Ça va ? »

Je l'ai regardée, est-ce qu'il sera une suite ?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

il faudrait que je relise la pièce... et puis, on en reparle.... c'est marrant de passer la journée avec Hamlet, du Métro Boulot Dodo, vous faites une expérience tragique en vivant sur deux plans différents... j'attends la suite.

Edmée De Xhavée a dit…

Je ne peux pas discuter Hamlet dont je ne me souviens pas assez bien! Mais te lire est un régal!

Ren a dit…

Bonsoir K.role et Edmée et bienvenues à ma tragédie entre métro, boulot, dodo. Oui, la lecture me fait vivre sur deux plans différents, mais comment vivre sur seulement un ? Merci bien de m'avoir rendu visite. A bientôt !