mardi 3 août 2010

Au moins j'ai Shakespeare

J'arrive enfin à la fin d'Acte III, scène 3 de Hamlet -- le recommencement impossible ou le souhait de la mort. Le roi vient de s'arracher de son for intérieur une confession de fratricide. Il avoue comment il est tiraillé entre le bien voulu dans un avenir souhaité et le mal réel dont il veut cacher la souillure.

Peut-on pardonner son crime ? Écoutez son plaidoirie,

Is there not rain enough in the sweet heavens
To wash it white as snow? Whereto serves mercy
But to confront the visage of offense?
And what's in prayer but this twofold force,
To be forestalled ere we come to fall,
Or pardoned being down?

Quelle nouveauté, avant qu'il ne sois trouvé coupable, il reconnaît ses méfaits.

J'ai dû expliquer le texte à Chouchou, « Tu vois, le coupable se demande comment il peut laver ses péchés de sa peau, et il demande, Shakespeare nous demande, à quoi sert la merci si on ne peut demander qu'à Jésus de nous défendre au visage de l'offensé ? La force doublé du verset, Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal, comment est-ce qu'elle peut nous aider si nous sommes condamnés en avance à la ruine ? Est-ce qu'on peut demander pardon pour un crime sans être châtié ? »

« Ah, ben non. Les coupables adoreraient ça. » Ensuite elle a ajouté à sa colère un ton sarcastique. « Oh, je suis Trent Lott (un sénateur américain qui a eu des liaisons avec des prostitués au même temps qu'il a vertement critiqué Bill Clinton d'être tricheur), je suis Mel Gibson, j'ai fait des bêtises, j'ai menti au public. Maintenant que tout le monde le sait, j'avoue tout. Voulez-vous me pardonner ? Je ne pense pas ! Pas de pardon avant le châtiment! »

« Je pensais que tu dirais ça. Pas de merci, pas d'indulgence catholique, pas de confession en face d'un prêtre. Coupez les têtes ! »

« Oui, et qu'on commence avec les prêtres catholiques pédophiles. »

J'ai hésité. Shakespeare, a-t-il anticipé tout notre rancune et nos accusations ? Est-ce qu'il nous a mené à une situation pour rehausser les images inversées de la vengeance et son reflet, la merci. Il nous demande si on peut pardonner le roi, le meurtrier, le menteur, le fratricide-régicide, un déicide à peu près. Le roi avoue plus tard que la justice divine l'attend, peut-être, mais en attendant, auprès de ses semblables, on peut essayer de la repentance. Écoutez,

What rests?
Try what repentence can. What it can not?
Yet what can it, when one cannot repent?
O limed soul, that, struggled to be free,
Art more engaged!

Selon la loi de notre espèce cruelle, le roi se sait condamné. La repentance ne vaut rien. Son âme enlisée dans la glu de son péché, qui a lutté pour se libérer, et encore plus envasée.

« Tu comprends ? Le roi, qui peut imposer sa justice de sa main dorée, veut racheter son intégrité. Faut-il laisser angoisser ? »

« Oui, tant mieux ! »

« Mais, aussi improbable que ce soit et absolument contraire aux derniers exemples y compris moi qui est toujours coupable pour avoir ouvert la bouche, le roi avoue son crime avant d'être accusé par des preuves crédibles. C'est un crime parfait. Hamlet n'a que les dires d'un fantôme et la réaction du roi à une mise en scène dans la mise en scène de Hamlet. Et, ce qui est très intéressant, Hamlet n'entend rien de la confession de son oncle. Il n'a que sa vengeance. Pas étonnant que les esprits binaires enlisés eux-même dans la glu de la culpabilité jettent toute nuance. Ils déclarent que le roi est innocent et Hamlet coupable, ou comme moi, le roi coupable, Hamlet juste. Shakespeare ne nous révèle que les extérieurs que nous affichons. Tous les personnages dans cette pièce, et nous aussi, nous sommes tous menteurs. Nous pensons maintes mauvaises pensées, mais dans notre for intérieur, nous pouvons demander pardon. Mel Gibson, Trent Lott, l'homme qui a échangé sa femme contre une version plus jeune, la femme qui a planté là son mari, qui sait s'ils ont vraiment repenti. Nous adorons nous accuser des méfaits parce qu'à la surface, notre monde démocratique est despotique et sans merci, mais au fond de chaque civilisation et religion, chez les chrétiens, les catholiques et leur sacrée confession, il faut demander ET donner pardon. »

« Et les juifs ? »

« Oy veh ! Je pense qu'ils font des mitzvahs. C'est-à-dire on peut pécher, on va pécher, c'est inéluctable, mais en revanche, il faut toujours penser faire de bons gestes. Un mitzvah. »

« Est-ce qu'on mange de la soupe aux matzo (pain azyme) après les mitzvahs ? »

« Écoute ! Shakespeare n'a pas écrit sa pièce pour comparer toutes les religions. Il voulait nous demander "Quoi faire dans un monde qui a perdu ses valeurs fondamentales ?" »

Elle m'a regardé très contente d'avoir joué avec les mots yiddish qui commencent par 'M' et terminent par 'Z'. « Est-ce que tu veux de la soupe matzo demain ? » Je l'ai regardé mi-amuzé mi-angoizé. Elle a cédé de regagner un ton plus sérieux, « D'accord, qu'est-ce qui se passe ensuite ? Le roi avoue, et alors ? »

« Hamlet entre dans la pièce. Il s'approche du roi qui est à genoux. Il dégaine son épée. Il contemple sa vengeance, mais il la rejette. Écoute,

Why, this is hire and salary, not revenge.
He took my father grossly, full of bread,
With all his crimes broad blown, as flush as May...
And am I then revenged
To take him in the purging of his soul,
When he is fit and seasoned for his passage?


Hamlet ne veut pas le tuer en acte de prier, parce que l'image du roi comme monstre ne correspond pas à l'extérieur présent du roi. Selon Hamlet, son oncle est un Mel Gibson, un Trent Lott, un fratricide toujours figé dans l'acte de son crime. Il veut retrouver le monstre et alors prendre sa vengeance. Et voilà les deux sont collé sur la surface de leurs images. Ils sont les reflets d'un crime parfait inavoué et d'un pardon impossible.

Shakespeare nous suggère que dans notre monde sans merci, la vengeance la plus cruelle et brutale serait la seule issue. Il n'y aura jamais de place ni pour la vie, ni pour l'âme. Hamlet est la tragédie de notre civilisation déboulonnée et du pardon abandonné. Et si je peux, pour un instant, devenir accusateur moi-même, j'aimerais dire que nous tous, ou au moins la grande majorité de tout peuple armé et aux prisons surchargés, toute religion, chrétiens, catholiques, juifs, musulmans, et même les athées militants, nous vivons sans le moindre état d'âme quant au manque de pardon. On s'obsède d'autre chose, d'une version du passé parfois trop erronée pour contempler le monde autrement, d'une image ou d'un stéréotype trop faussé pour être crédible. Est-ce qu'on voit même l'âme et le pardon une seule fois quand on regarde religieusement notre dieu télévisé ? »

Elle se savait enlisé dans ma glu, « Pauvre Go ! Je vois ton âme ! » et ensuite elle a ajouté, « Tu es très pessimiste ce soir. »

« Ben, oui, peut-être, quelquefois. » Je l'ai regardée. Notre conversation s'approchait à la fin. Bientôt, elle rallumerait la télévision, et je lirais. « Eh, la confession, l'apanage des catholiques, au fond, c'est une bonne idée, non ? »

« Oui. » Elle restait silencieuse. Je savourais le plaisir de m'être bien exprimé sur un sujet cher à mon cœur. Elle, espiègle, m'a demandé, « Tiens, je pensais que tu ne croyais pas en Dieu ? »

« Non, je ne crois pas en Lui, mais au moins j'ai Shakespeare. Le poète de l'humain. »

8 commentaires:

Delphine a dit…

Mais oui, la vengeance ne peut générer la vie! Le pardon seul permet de ne pas désespérer; il permet de se racheter. Mais de grâce évitons tous ces pardons politiquement corrects exigés de nos hommes d'état qui les prononcent du bout des lèvres en pensant à l'apéro qui suivra!

Ren a dit…

Tu ne crois pas les paroles, paroles, paroles de nos hommes politiques ? Quelle était cette chanson ? :)

A mon avis, c'est le pardon qui nous libérera de la glu de promesses manquées. Ce n'est ni l'espoir optimiste ni les paroles, paroles... Tu connais la chanson.

Colo a dit…

Tu,(je peux dire tu?) fais le tour de la question, par où puis-je la prendre? Laissons les religions de côté, la justice officielle aussi.
On dit que faute avouée est à moitié pardonnée. Ceci convient à ton texte...ha, ha, seulement "à moitié".
Sinon je suis tout à fait d'accord avec toi sur le pardon d'Homme à Homme, dans les relations personnelles.
NB: Paroles, paroles...la magnifique Dalida!
A bientôt.

Delphine a dit…

Go: j'aime que tu évoques les billets de mon blog :-) Ca me fait plaisir (et à mon Ego malmené aussi...)et j'aime le pardon même si je suis dans une rage folle depuis hier.

Ren a dit…

Colo, mais bien sûr. Merci de ta visite. Oui, j'adore cette devise. On ne la connait plus en anglais américain, mais à l'époque de Shakespeare elle était de mise.

Delphine ! Que tu te remettes, quand tu pourras entrevoir une issue.

La sagesse des devises, les paroles des autres, et surtout les pièces de Shakespeare :) il faut les cultiver.

Anonyme a dit…

Je suis comme Colo, je ne sais pas par où entrer dans ce texte fouillé et complexe ! intéressant ! très intéressant... Confession et pardon permette de continuer de vivre malgré la culpabilité ...est-ce que c'est une manière de justifier l'injustifiable... mais comme vous dites, on ne voit pas toujours ce qui se passe et les critères pour juger de nos fautes sont souvent ceux du passé, ainsi les crimes contre l'humanité d'aujourd'hui ne seront jugé que demain... s'il reste encore des hommes pour le faire. OUps, me voilà encore plus pessimiste que vous pour le coup... bien envie de relire SHAKESPEARE... TIENS !

Ren a dit…

K.role. ! J'étais très étonné de lire votre billet aujourd'hui. On parle presque du même sujet au même temps, mais selon les textes de nos dramaturges préférés. Je dois dire après avoir entendu Acte IV Scène 6 de Don Juan chez vous, j'ai eu envie de redécouvrir Molière.

A mon avis le jugement est bien trop tard, mais le travail de l'historien semble de plus en plus capital. Comment écrire notre histoire afin de condamner nos crimes mais également de faire valoir la grande roue massive qui lie chaque âme ? Zat ist di question ! Oh la grande roue, j'en ai parlé dans Dîner au détour mondain.

C'est tout ! Au plaisir de vous lire et découvrir plus.

Anonyme a dit…

oui ! c'est vrai : il y a des similitudes entre nos deux billets ! mais ce qui me ravi le plus c'est d'avoir pu donner envie de redécouvrir Molière : vraiment je suis au comble de la joie ! Merci