lundi 7 juin 2010

Le remords d'un puritain

Mais que votre parole soit: Oui, oui; non, non; car ce qui est de plus vient du mal. -Matthieu 5:37

Remord : Sentiment douloureux, angoisse accompagnée de honte, que cause la conscience d'avoir mal agi. -Le Petit Robert

Père m'a appelé. Grand-mère est sortie de l’hôpital. On dit que cela ne peut durer longtemps.

Samedi matin, je suis allé en Pennsylvanie.

En route, l'été se voit pleinement. Au dessous du canapé des arbres, je roule lentement. Je vois une marmotte d'Amérique plonge dans un champs cultivé, mais malheureusement je vois aussi des carcasses des animaux morts, ratons laveurs, opossums, écureuils. Les bois du Maryland et de la Pennsylvanie ont trop de faune. Ils débordent des bois et la faune mécanique des êtres civilisés les écrasent. C'est un massacre des innocents.

Le lendemain la Pennsylvanie a subi un orage puissant. Grêle, vent, pluie sont tombés sur les routes, sur les maisons, et sur les fenêtres. Une incendie a brûlé quelques maisons dans la nuit à cause d'un croisement de câbles ou une explosion d'un engin électrique. Entrant dans la ville, je n'en avais aucune idée. Je n'ai vu que la route était fermée. Il a fallu faire un détour. J'étais perdu pour un instant, mais je suis enfin arrivé à la maison de ma grand-mère et oncle.

Je suis entré dans la maison. Mon oncle m'a dit de m’asseoir. Il me parlait. Je ne disais guère rien. Un poids lourd pesait sur moi qui m'étranglait la voix. J'ai regardé grand-mère. Elle n'avait pas l'air de me reconnaître. J'avais l'air abruti pendant quelques minutes. Quand elle s'est endormie, le poids s'est levé. Oncle a dit qu'elle ne m'a pas reconnu.

Avant de parler de mon oncle et de grand-mère, il faut dire que je ne les connais guère. Ils sont des taiseux. Ils parlent à père, mais pas à moi. Je pensais jusqu'alors qu'ils ne le pouvaient pas à cause du fossé des générations ou à cause du fait qu'à leurs yeux je n'étais qu'un enfant. Maintenant que j'étais majeur, je pensais, ils ne savaient comment me parler. Ce jour-là, j'ai su que la conclusion était vrai, mais ce que j'imaginais était faux.

« Vous allez bien oncle ? »

« Oui. » Il l'a regardée un instant, puis il a dit. « Elle ne va pas bien. Les médecins ont dit que cela ne peut pas durer, mais le prêtre a dit qu'il a vu des patients vivre pour un an dans un état pareil. » Il a fait une pause, puis il a ajouté, « Personne ne s'en fiche. »

« De grand-mère ? » ai-je demandé étonné.

« Non. »

J'étais stupéfait pour un instant. Après peu j'ai compris qu'il répondait à ma première question. J'avais honte de ne pas avoir compris.

« Tu vas aller voir ton frère ? Ils vont fêter l'anniversaire d'Allette (ma nièce) ? Ils vont aussi fêter la fin de la première année du lycée. Elle est presqu'aussi grande que toi. »

Je me suis souvenu du fait que chez mon frère conservateur les fêtes transforment souvent en beuverie. « Est-ce qu'ils vont boire ? » Mon oncle a dit, « Il vaut mieux pas ! » Je lui ai dit qu'ils aiment boire.

Mon frère Flintstone est un ivre belliqueux qui déchaîne sa méchanceté quand il boit. Puisque Guimauve et lui ont les grand-enfants de la famille, on ne peut dire rien là-dessus. En fait, quand je dis à mon père que Flintstone est méchant, il nie tout. C'est toujours le contraire de ce que je dis. Il y a toujours un doute. En fait, selon mon père, Flintstone est très bon. Néanmoins, toute cette bonté n'est jamais au rendez-vous pour moi. La dernière fois que je suis allé chez lui, il m'a accueilli à la porte avec un collier de chien dans la main. « On va te faire porter ce collier Go. Cela sera rigolo. » L'ambiance de cette réunion familiale n'était pas gaie.

Je n'ai pas lâché prise. J'ai varié le thème en poursuivant le même chemin, « Quand est-ce que vous avez commencé à boire ? »

« J'avais douze ans. »

« Douze ans ! »

« J'avais un pote Freddie. Nous buvions chez son père. Nous avons un seau lié à un corde dans lequel on a mis des bouteilles de bière. » il m'a dit le sourire aux lèvres.

« Et père ? », je lui ai demandé. « Oh, le père n'était jamais là. » il a répondu. « Non, je veux dire... », j'ai commencé à dire. « Mon père ? S'il avait su, il m'aurait donné un coup de pied dans le cul. » Je lui ai souri. Une autre nouvelle inattendue, mais je voulais savoir ce que faisait mon père. Mon oncle a fait une mine et grommelé, « Lui, il est un fichu idiot. »

Voilà une phrase qui m'a fait lâcher prise. Il m'a regardé. Il a guetté ma réaction. Je l'ai regardé un instant, et puis j'ai regardé le sol. Ma curiosité ayant raison sur ma pudeur, je me suis décidé de lui demander une question qui n'était jamais posée. Chez mon père et la seconde, il était claire que père et oncle ne s'entendaient bien, parce que mon oncle était un grincheux qui n'a jamais quitté sa mère. Il était un jaloux qui disait que grand-mère préférait toujours mon père. Cela me semblait toujours une explication raisonnable, mais comme je ne m'entendais plus avec personne et il me semble que père préfère Flintsone à ces autres fils, je pensais bien lui demander la question afin qu'il pût répondre pour lui-même.

« Pourquoi est-ce que vous ne vous entendez pas avec mon père ? »

Au début, il a protesté qu'il s'entendait très bien avec lui. Ils sont frères, mais... « tu veux savoir pourquoi je l'appelle un fichu idiot ? »

Il n'avait pas de motif évident pour le dire, et il s'est tu, mais le poids sur moi m'écrasait. Pour respirer mieux, j'ai dû lui dire, « Vous savez, je ne m'entends pas très bien avec lui. Depuis le divorce et le remariage, j'ai du mal à comprendre comment m'y prendre. La seconde est vraiment insupportable. Lui, quand je lui parle, il est toujours sur la lune. Je lui parle et il nie ce que je dis. Je lui demande « Père selon vous, qu'est-ce que c'est la vérité ? » Et il me répond qu'il n'en sait rien, mais il sait que la vérité selon moi est trop inexacte et trop sévère. »

« Go, écoute. Guimauve et la seconde parlent trop. Quand elles parlent, il m'entre par une oreille et me sort par l'autre. »

« Mais, j'ai un grand problème. Quand elle parlent, il m'entre par une oreille, et ensuite il y reste. Elles sont omniprésentes dans la famille. Elles ont accaparé de tout. Et quand on leur dit la moindre des choses, elles ... »

« ... explosent. Oui. C'est comme ça. Il n'y a plus rien à faire. Et c'était la même chose chez toi quand tu étais enfant. Est-ce que tu sais comment ton père et ta mère ont fait souffrir à ta grand-mère ? Chaque jour elle a eu du chagrin à point d'être malade à cause de tes parents. Et on ne pouvait rien dire. »

A ce point il a ouvert grand les yeux. C'est un trait particulier de la famille. Cela veut dire que la suite sortirait du fond de l'âme. Même mon père le fait, mais au bout de tous ses mensonges, de tous ses équivoques, de tous ses faux-semblants, je ne me fiais plus à ces yeux-là. Je ne me permettais plus d'ouvrir grand les yeux. Si je ne croyais plus rien, qui me croirait ? Quand je dis ma vérité, je la dis au sol, parce que je suis convaincu que c'est déjà trop tard. Et maintenant mon oncle ouvre grand les yeux pour couler la vérité directement dans mon âme. « Je ne sais pas quoi serait-il arrivé à vous trois garçons, si elle ne se préoccupait de vous trois tout le temps. Elle était toujours là. Ta mère et ton père, c'était une cirque, un drame tout le temps. Derrière chaque fichu idiot, homme ou femme, il y a un parent ou frère qui se tait. Nous ne pouvons rien dire. Nous étions là pour vous, les enfants. »

Et dire pour toutes ses peines, mon oncle est traité d'un vieux grincheux.

J'ai regardé grand-mère un instant, mais maintenant avec une compréhension de sa sacrifice et de l'ignorance infinie que ma famille a pénétrée dans mon âme. Je pensais toujours que grand-mère aurait dû dire quelque chose à mon père, dire qu'il avait tort, qu'il était un fichu idiot. Je pensais qu'elle a choisi d'être complaisante. Après tout, c'est exactement ce que j'ai appris auprès de mes frères, mon père et ma mère. Tout le monde était un lâche. Tout le monde était complaisant. Lutter contre cette attitude m'a valu un lourde fardeau. Père m'a dit une fois qu'il aimait me voir humilié. Flintstone voulait me faire porter un collier, et frère aîné pensait que je devais subir des thérapies psychologiques, parce qu'il a dévoué toute sa vie à ce charlatanisme Reichien. Et certainement, quand il parle de Wilhelm Reich il ouvre grand les yeux et hors de l'abîme coule sa manie. Quand mon père parle de l'ambiguïté de la vérité, il ouvre grand les yeux et il dit tout ce qu'il peut dire pour brouiller les pistes, pour laisser entendre que c'est la faute de quelqu'un d'autre. Jamais lui.

J'étais au bord des larmes. Le remords me mordait à la gorge. J'ai dit à mon oncle en regardant le sol que je ne pouvais venir voir la famille. Je restais chez moi. J'aurais dû me renseigner, mais au lieu de cela j'ai vagabondé et j'ai cédé ma place aux autres qui m'ont arrachée.

Ce qui me brûle avec fureur est que ma grand-mère a demandé à tout le monde une fois, « Pourquoi est-ce que Go nous déteste ? » car je ne rendais plus visite à la famille. J'avoue quand j'ai eu ma traversée du désert je suis devenu nihiliste. Je pensais que les bêtes pouvaient s'entre-tuer et j'en rirais. Juste comme Ivan Karamazov. Et en effet, c'est ce qu'il est arrivé. Quelques mois après ma décapitation, Guimauve a décapité la seconde pendant une beuverie. Je me pensais tout rusé. Et quand grand-mère a demandé sa question--que mon frère aîné a plus tard instrumentalisée pour me culpabiliser--personne ne lui a dit la vérité. Personne ne lui a dit rien. Père, qu'est-ce qu'il lui a dit ? Rien. J'étais un méchant, un ignoble. Tout le monde autour d'elle jouaient le bon ange alors que j'étais le diable.

Ils m'ont trahi à une personne qui a sacrifié tout pour eux. Veuve à l'âge de 55 ans. Elle ne s'est jamais remariée. Jamais elle n'y a pensé. Et eux, qui ont leurs familles et leurs enfants, qui imposent leurs règles à tout le monde, ils sont toujours au bord d'une crise qui exclut absolument la vérité auprès des gens qui en ont besoin.

« Désolé mon oncle. Désolé pour ne pas être venu plus souvent. »

Il m'a regardé jusqu'à ce je pusse me lever les yeux.

Nous nous asseyions un peu sans parler, ensuite il a commencé à s'inquiéter de l'arrivée de l'infirmière. « Où diable est cette infirmière ? Elle a dit qu'elle allait arriver à 11 heures. »

En attendant, je lui ai demandé sur les vies de grand-mère et de grand-père. Elle était d'origine allemande, lui alsacienne. Mon aïeul alsacien s'est battu dans la guerre révolutionnaire et s'est marié avec une femme dont la famille trace leurs origines aux Pères pèlerins du Mayflower.

Je suis donc l'un des puritains qui, il y a longtemps, disaient Mais que votre parole soit: Oui, oui; non, non. Persécutés en Europe, ils sont venus ici, où ils sont encore persécutés.

A 1 heure et demie, j'ai pris congé de mon oncle. Il m'a regardé dans les yeux et puis a dit tendrement, « D'accord Go, prends garde à toi. »

Je lui ai serré le main. J'ai embrassé le front de grand-mère et m'en suis allé.

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