vendredi 21 mai 2010

L'imagination perdue


Le cosmos est une pensée qui ne se pense pas, suspendue à une pensée qui se pense.

Les préjugés occupent une partie de l'esprit et en infectent tout le reste.

Malebranche
Je n'ai su choisir une seule citation de Malebranche, parce que j'ai passé toute ma vie en ignorance totale de sa philosophie. J'ai passé toute ma vie en ignorance totale de l'effet "Madame Butterfly", et tout d'un coup grâce aux Nouveaux chemins de la connaissance et 360 documentaries, j'ai rencontré tous les deux pendant une semaine.

La dernière fois, j'ai parlé de l'effet "Madame Butterfly". Bref, certains hommes occidentaux ont une folie pour les femmes orientales, et certaines femmes orientales n'aiment plus les orientaux.

Chouchou, ma femme, est japonaise. Mon ami juif, ses parents venus aux États-Unis pendant la deuxième guerre mondiale, s'est marié avec une coréenne, qui a quitté la Corée pendant la guerre civile coréenne. Mon ancien ami des parents catalan et cubaine, qui a dû quitter l'Espagne à cause de Franco et fuir Cuba à cause de Castro -- il m'a planté sans mot dire après une discussion qui a fini mal sur Elian Gonzalez; je n'ai jamais vu une personne si émue par la haine d'un état où il n'a jamais mis le pied -- s'est marié avec une philippine. Elle est venue aux États-Unis pour travailler. L'un de mes meilleurs amis (j'en ai deux) s'est marié avec une Vietnamienne. Il a fui le Vietnam pendant la chute de Saigon.

Désolé mon ami, mais selon la logique extrapolée de Masako Fukui, tu souffres doublement de l'effet "Madame Butterfly", parce que tu apprécies les occidentales et tu t'es marié avec une vietnamienne.

Chouchou pense comme Mme Fukui. Il y a quelque chose de bizarre que tous mes amis se sont mariés avec des femmes asiatiques. Selon elle et Mme Fukui et la plupart de l'humanité, les orientaux et les occidentaux doivent se marier avec les orientales et les occidentales. En outre, il faut parler juste à ses semblables. On peut le voir même dans la Toile qui prétend d'être un lieu d'échange, de mélange, d'ouverture d'esprit. Bidon. Les femmes parlent dans des cercles étroits et resserrés selon leur manière. Les Québécois se parlent dans les messageries. On vous dit bonjour, peut-être, mais à fur et au mesure, on voit qu'il y a des affinités très rigides qui excluent une mixité. C'est-à-dire une mixité qui m'inclurait.

Je m'écarte de mon sujet.

Je pense comme Malebranche. L'amour, l'amitié, l'apprentissage, la vie, et leurs contraires--la haine, l'indifférence, l'ignorance, et la mort, naissent de l'imagination. De plus, on s'imagine un avenir. La réalité vous corrige parfois brutalement. Et on se remet à rêver, à remplir le vide présent avec les mémoires du passé, avec les espoirs de l'avenir, et avec un amour mutuel et impossible d'un époux qui, si vous avez de la chance, ne vous pense pas un peu bizarre à cause de votre folie dont toutes et tous souffrent. Parfois, la rage, la haine, les bonnes causes, et la folie ont raison de nous. Je soupçonne que faute de remède de notre mauvais emploi de l'imagination, on a inventé la chère politesse et le respect noble comme un cache-imagination élégant.

Et maintenant j'arrive à la fin de l'émission où Mme Fukui nous a conseillé d'apprécier l'autre comme il l'est. Exactement. Malebranche a dit la même chose il y a 350 ans, sauf qu'il aimait l'imagination. Aujourd'hui, je crains qu'on ne veuille nous corriger de nos défauts par la suppression totale de l'imagination. Est-ce que vous appréciez les femmes orientales ? Mais ne vous imaginez pas une vie ensemble basé sur les stéréotypes fantasmés ! Voilà votre texte. Lisez ces lignes ! Après le signal ! Et ... je ne sais les mots en français...

Tous mes amis, tous, sont des immigrés. Moi-même, immigré, mais jamais, jamais installé. Pas vraiment. Nous avons tous une histoire d'errance. Elle est souvent oubliée, mais elle est là. Elle nous guette. Et nous avons du mal à nous adapter à ce monde qui nous a vomis d'un pays à l'autre. En chemin, nous avons regardé de jolies femmes de tout poil, souvent à poil. Et nous nous sommes mis à nous imaginer un rencontre, un amour, une vie.

Malheureusement, les divertissements d'aujourd'hui adorent nous taquiner avec un jeu de culpabilité et peut-être un peu de jalousie.

Si vous n'aimez pas ce billet, blâmez mon imagination, pas moi, s'il vous plaît. Mais en tout cas j'imagine qu'il est vraiment trop tard. Qui lit ces balivernes ? Il est mieux de rester chez soi, parmi ses semblables, parmi les pensées, les mots et les amis convenables. Ne souffrez plus de votre mauvaise imagination !

J'ai pas mal d'amitiés basées sur l'échange linguistique et dont je suie énormément fier. Grosso modo, ils sont probablement un peu isolés, un peu loin du norme à cause de la géographie, de l'âge, de l'esprit actif, et de la curiosité. En tout cas, ils ont une imagination, et ils l'utilisent.

J'ai une seule amie française que j'ai rencontrée à une réunion de l'une de ces maudites associations qui se targuent de la sociabilité mais ne sont qu'un lieu bizarre pour les personnes en quête d'un rencontre amoureux. Dès le début, et malgré toutes les différences--et il y en a !, nous nous entendons très bien. Elle est juive.

Je ne vante pas de ces différences, mais au bout du compte, je me pose la même question de Mme Fukui. Pourquoi est-ce que je ne trouve jamais d'amis parmi toute cette maudite normalité ? Soit il ne me reste plus d'imagination, soit il n'en reste plus à la grande majorité de l'humanité.

Est-ce que vous pouvez imaginez une autre conclusion ?

2 commentaires:

Delphine a dit…

Cher Ren, je pense qu'il y a maldonne, je ne suis pas Wallonne: mon père est flamand, ma mère est wallonne et moi je suis bruxelloise et je parle les trois langues nationales plus deux autres. Pour le reste, j'espère ne pas vous avoir offensé, cela se voulait un compliment.

Ren a dit…

J'ai supprimé les lignes où j'aurais dû avoir ouvert l'esprit davantage. Votre commentaire démontre bien ce que je voulais dire. Et en fait c'est l'essence de ce qui est en jeu dans le monde. Fermeture contre ouverture. Et ouverture à l'idée qu'on possède plusieurs identités et cultures dans un seul corps.

Et voilà je me révèle un peu impulsif. Nous autres vagabonds, nous ne sommes pas toujours stables. Je n'aime pas donner un prétexte qui excuserait mes lignes. J'en assume toute responsabilité.

Veuillez m'excuser et venez me lire quand vous avez temps.