vendredi 19 mars 2010

Le drame de la Toile

Je suis au bord d'un grand abysse qui s'appelle internet. Je passe de plus en plus de temps aux activités liées à la Toile. Chaque jour je jette minute après minute dans ce trou autant que le jour fini j'épreuve un malaise de vide en me demandant « qu'est-ce que j'ai accompli aujourd'hui ? »

Et voilà une question angoissante. Au travail, à la maison je cherche à me distraire. Je lis un article, je veille les comptes de courriel, je guette un nouveau message dans les boîtes de dialogue. A la fin de la journée toute mon activité semble fade, incolore, et indifférente.

La Toile est l'échappatoire de la routine, mais qu'est-ce qui m'arrivera si j'en ai besoin d'un échappatoire de cet échappatoire ?

Une introduction maladroite pour le billet du jour. Je demande pardon aux personnes qui pensaient qu'elles échapperaient de leur ennui, mais en revenche elle se trouveraient directement en face d'une dépendence dont ils ignoraient l'existence.

Aujourd'hui, je me lève et je me rends compte que je suis déjà débordé des projets informatiques. Il faut écrire mon billet, terminer le billet d'hier, écrire à mes correspondants, et parler avec quelqu'un à 8 heures par Skype. (Il n'est pas arrivé au rendez-vous ! Peut-être était-il débordé de projets informatiques ? Comme moi ?) Au lieu d'écrire, qui me semble une activité directe, sensible, et distincte, je veille les comptes de courriel et guette les messages dans les boîtes de dialogue. Bien sûr, ce que j'y découvre m'oblige de répondre.

Pourquoi, si c'est une perte de temps absolue ?

Oui, vous avez raison M. l'autre côté de mon cerveau, mais je vous expliquerai quand même.

Tout commence innocemment. J'écris à la boîte de dialogue, plusieurs membres répondent amicablement que mes propos leur plaisait, et c'est là où les griffes du piège ouvrent et m'attendent. J'en suis débordé de joie. Je m'imagine heureux comme Dieu en France. Je guette de plus en plus souvent la boîte de dialogue. C'est à qui le tour de s'enthousismer ? Grande est la chute quand je vois mes propos détournés. Je m'irrite, je m'agace, je me fâche, et puis je me mets à écrire.

La première fois j'ai eu l'idée géniale de lire en haute voix les pièces de Shakespeare qui se jouent au théâtre. Beaucoup de monde y étaient favorables, et cela m'a fort surpris. Je ne m'attendais pas d'une telle réponse. Je voulais savoir s'il existait une seule ou deux personnes qui aimeraient l'essayer. Mais sans faille si une idée devient populaire, quelqu'un va prendre le train en marche et le fourvoyer le démarche. « Idée formidable ! mais pourquoi nous limitons-nous à la lecture de Shakespeare ? Ses pièces sont trop longues, et il y a d'autres dramaturges plus appropriés pour nous : Wilde, Chekov, Molière, ou Stoppard, » s'est demandé un mec, Walter, qui a de l'art de la provocation tout en dissimulant ses arrière-pensées. Ensuite, quelqu'un d'autre lui a répondu, « Oui, j'aimerais bien lire Stoppard ! »

Je bouillais d'une rage sourde et muette. Oh, ce maudit Walter, comme je vous déteste !

La deuxième fois j'ai répondu à un fil de discussion sur le choix des prochains livres du groupe. J'ai recommendé Le Phèdre de Platon. Le livre a été recommendé sur Les nouveaux chemins de la connaissance de France Culture comme le plus beau dialogue de Socrates. Personne n'a dit qu'il aimerait bien lire le texte. Ensuite une femme a dit bien qu'elle gardait un mauvais souvenir de Socrates depuis l'université, elle supposait que je pouvais lui aider à apprécier Socrates. Et encore une fois les griffes du piège étaient prêtes.

Quel compliment, quel bon mot ! Ce groupe est pas mal. Quelqu'un me connaît, parce que je suis si charmant et intelligent. Je ne suis pas insignifiant. Peut-être allons-nous parler du Phèdre ! D'autres personnes ont écrit leurs choix et il semble très bien que Platon va être abandonné. Orwell, Hemingway, Steinbeck, Wharton, et Styron sont des écrivains formidables, et bien que l'on n'ait pas formulé de règles pour nous servir du guide, j'imagine qu'une suggestion doive être formuler parce que l'on estime le livre et le recommende. Bref, on veut partager son amour d'un livre.

Et ensuite, Walter, ce vieux qui sait tout, qui est insupportable, et qui passe tout son temps à assister aux réunions de meetup sur tous les causes possibles. Pour la plupart il semble qu'il s'intéresse principalement aux réunions pour les célibataires, et j'imagine que dans chaque groupe il essaie d'être astucieux. Il est le magnifique Walter et il est là pour vous le répéter. Il prend le train en marche et recommende un tas de livres et tous les dialogues de Platon qui sont dans sa bibliothèque.

Quand j'y réfléchis, c'est un peu bête, mais il m'énerve. Je me pense « Je vous rattraperai, Walter, démon, Satan ! Je vais vous chasser de la Terre et vous renvoyer à l'enfer ! » Et j'écris encore une fois à la boîte de dialogue en dégringolant dans l'abîme de l'univers virtuel.

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