jeudi 25 mars 2010

Ne demandez pas, ne le dites pas

Le bavardage n'est jamais innocent. Je dois rappeler cela à chaque fois que j'ouvre la bouche. Il est infiniment plus sage d'avoir l'air taiseux et le visage renfrogné voire rebutant afin d'éviter une conversation légère de tout et de rien. Mêmes les plus innocents conversations peuvent mener au désastre. Voilà un exemple.

A la fin d'une journée quelconque de travail, je sortais au hasard du bureau avec un collègue. D'habitude, il arrive au travail et part tôt et moi, tard. Cette fois-ci, il faut que je sois parti plus tôt que d'habitude, car lui, il suit son emploi du temps comme une horloge suisse.

Je l'imagine chez lui. Il se lève, son gros ventre dépassant le bord de la veste de son pyjama, ensuite il donne à manger à ses grenouilles et à sa tortue, prépare et emporte son déjeuner, et puis il doit manger quelque chose pour le petit-déjeuner. Est-ce qu'il boit du café chez lui ? C'est un mystère, mais j'en doute. Chaque matin, il boit gratuitement un gobelet énorme de café de la machine au bureau avec du sucre et du succédané de crème. A l'heure du déjeuner, je le rencontre de temps en temps dans la cuisine du bureau. Il sort de son panier toujours la même chose, une boîte de soupe condensé, un plat surgelé et peut-être une boîte de légumes. Tout le lot remplit la cuisine d'une odeur de la nourriture industrielle. A ces moments où je suis coincé dans le même endroit avec lui je lui parle. Enfin, c'est moi qui l'écoute alors qu'il me parle de sa tortue, de ses grenouilles qui puent, de sa voiture (un GTO, vroom, vroom !), et de son frère jumeau. Dire qu'il y a deux personnes comme lui dans le monde.

Comme je disais, pendant que nous sortions ensemble, j'ai essayé de prendre le dessus. Je voulais parler juste une fois, donc je lui ai demandé sur le livre dans ses mains. « Oh, je aime bien les livres à suspense de ... » Mais faut-il dire le nom d'un des maintes écrivains qui écrivent ces romans à la taille d'une petite brique qui sont aussi facile à lire que l'on peut le faire les yeux mi-clos ou fermés ? Ah oui, il le faut. Je continue. « ... Dean Koontz. Ils sont très intéressants. J'adore tourner les pages très vite. J'adore le suspense... » Je voyais qu'il menait la discussion aux éloges béats des écrivains de masse qui sortent de leurs machines à écrire des produits industriels de masse. Je voulais, parce que je suis méchant comme le diable, détourner la conversation juste un peu. Je lui ai donc demandé, « Est-ce que vous aimez les livres médicaux à suspense comme Robin Cook ou Michael Crichton ? Cela doit être intéressant, n'est-ce pas ? »

Tout innocent, sourire aux coins de la bouche, il m'a dit, « Non, s'il faut lire quelque chose de ce genre je préfère Stephen King ou parfois John Grisham. J'aimais bien The Client. Avez-vous vu le film ? »

J'ai bien vu que tout était fini. La conversation dérape, au moins à mon point de vue. Lui, il était tout droit dans son élément. Cela m'a provoqué. J'ai persisté.

« Mais non. Les livres médicaux à suspense me semblent très intéressant. En fait, si j'avais le temps, j'écrirais mes propre histoire sur les aventure de Dr. Russell Scalpel. Tout le monde l'appelle "Rusty" (Rouillé en français). Dr. Scalpel est très amiable et honnête, mais un peu maladroit et voire pas du tout tranchant et vif. Je l'imagine dans son cabinet médical en conversation avec son infirmière, Madame Bonbon.

« Mais qu'est-ce que vous faites Dr. Rusty ? Avez-vous stérilisé vos instruments médicaux ? Celui-là a l'air d'être couvert de sang ? »

« Ah, non, ben. Oui, en fait, je ne m'en souviens plus. Alors, je crois que c'est l'heure de votre examen médical, Madame Bonbon. »

« Encore ? Ok, allez-y. Oh docteur, docteur ! Oh ! Docteur ! »

« Ah, ça y était. Je vous fais mal ? »

« Non, mais votre instrument avait froid. »

Et ils parleraient plusieurs chapitres jusqu'à ce que un patient mourre subitement dans son cabinet. Dr. Scalpel à la rescousse ! Pourquoi est-il mort ? Est-ce que l'on va trouver les scalpels disparu ? Est-ce que Dr. Scalpel va trouver ce qu'il cherche pendant ses examens médicaux ?

A ce point, mon collègue ne s'amusait pas. « Oui, cela pourrait être drôle, » m'a-t-il dit le visage renfrogné voire rebutant. On s'est regardé un instant, puis il m'a dit « Allez, au revoir ! » bien que nous ne soyons pas encore arrivés à la sortie du bâtiment.

« D'accord » était le seul mot que j'ai pu prononcer. Après qu'il m'avait planté là, j'ai dit à mi-voix « A demain. »

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