samedi 17 avril 2010

Au nom d'un remerciement juste

Cher lecteur,

J'ai échoué cette semaine à livrer un billet quotidien à mon blogue. Je ne sais pas si la hauteur de cette tâche me dépasse ou qu'il ne me reste plus de sujets simples et appropriés pour un billet cohérent. Désormais il faut chercher au fond me mon âme la formule de toutes mes pensées décousues afin de m'épancher clairement sur les événements de ma vie qui dépassent les limites de ma compréhension.

Depuis vendredi, je noirci plusieurs pages de mon cahier d'écriture sur une suite de quelques courriels laconiques entre trois collègues de travail et moi. D'une poignée de lignes, un déluge de pensées refoulées m'a jailli sur les pages de mon journal. Enfin à huit heures du soir, je me suis décidé de jeter tout pour l'instant et de recommencer sur la partie visible de l'iceberg pour laisser entendre la façon dont j'entends l'immense puissance de l'insinuation sous-jacente d'une phrase qui se veut tout innocente.

Tout d'abord quand j'écris les courriels, j'ai du mal à accepter les us et coutumes de nos jours. Oui, je sais, l'instantanéité nous domine. La musique, les actualités, les images, voire l'écriture en sont influencées. Adieu les formules de politesse, même un petit Bonjour au début d'un courriel est caduc et je n'en reviens pas. Je commence chaque courriel de bureau avec un "Bonjour (Votre nom ici)", puis j'écris mon message.

Les deux sont importants. Bonjour veut dire que vous souhaitez à votre collègue une petite formule de courtoisie qui sort, en principe, de quelque profondeur de votre âme. Si ce n'est pas le cas, je trouve que la formule m'encourage d'y regarder un instant. En tout cas, on n'est pas dans l'armée où la discipline exige que chaque soldat se présente raid et correct. Ce serait le cas si on commençait la missive avec le prénom, « Soldat ! Attention ! Je vais vous relayer un message très important de l'état-major ! Tout le monde sur le pont ! » C'est claire, efficace, correct, mais le ton est trop décalé pour un lundi matin au bureau. D'ailleurs le bonjour me plaît. Je veux naturellement introduire subtilement une chaleur à l'intéressé.

Est-ce trop de travail d'inclure une formule d'entrée et un prénom dans un courriel ? Je suis tellement bizarre, mon cher lecteur, que je me sentirais plutôt mal à l'aise si on les enlèverait.

Dans le texte d'un courriel, je m'attends à une explication claire et complète du message, mais souvent je suis déçu. Par exemple, mercredi, l'on m'a demandé « Go, est-ce que tu as eu et as de l'expérience du X ? » et tout d'un coup mon cerveau était en état d'alerte. Pourquoi est-ce qu'il me le demande ? Où en est l'explication ? C'est tout ? Après quelques courriels de plus, le mystère se révèle enfin. L'on veut que j'enseigne à un sous-fifre tout ce que je sais sur X afin qu'il en devienne compétent dans le délai d'une semaine.

N'empêche qu'il me fallait plusieurs années d'étude autodidacte pour arriver à une compétence imparfaite, la direction me demande de transférer mes connaissances par un moyen bien bon marché (peut-être télépathie, perception extrasensorielle, hypnose ?) afin que le jeune sous-fifre enthousiaste puisse comprendre et utiliser X comme moi. En effet, ils me demandent de me faire caduc dans un courriel bref en mots écrits mais long en mots non-écrits et, bien sûr, sans formule de politesse.

J'ai failli sortir des gonds.

Après avoir parler avec Chouchou, ma femme, et un collègue, j'ai répondu que j'allais lui donner une leçon par jour et ensuite on verrait les résultats.

J'ai été souhaité le bienvenu. On m'a donné des instructions, et puis on m'a fait subir un dernier abus de langage. C'est le remerciement en forme de formule finale de salutation, « Merci tellement » ou Thank you so much. Comment je déteste cette locution obligatoire et fausse. D'abord selon les grammaires anglais et français, on utile le mot tellement pour indiquer une limite ou niveau d'un sentiment ou d'une action. Par exemple, « J'en étais tellement enragé que je voulais étrangler mon collègue de travail, » ou « Je me suis fâché tellement contre cet imbécile que je lui ai hurlé des obscénités à pleins poumons. »

Or quand on écrit « Merci tellement », je suppose que cela veut dire « je vous remercie tellement que ... » alors ? quoi ? Quel est le niveau de votre remerciement ? Que vous voulez me traiter de salarié méprisé qui ne mérite même pas le moindre degré de remerciement ?

Si vous n'avez pas assez d'imagination de terminer cette formule pourquoi pas substituer le mot bien pour tellement. Vous arriveriez à vous exprimer clairement et, j'espère, sincèrement votre appréciation à votre interlocuteur. Peut-être je me trompe. Bien que tous les directeurs des projets adorent me dire que je ne sais écrire aussi bien qu'eux, il se peut que le but d'une communication est à sens unique, ambiguë et mystérieuse pour le lecteur, mais tout à fait claire pour l'un qui donne les ordres. C'est comme une lettre qui laisse le voleur au lieu du crime pour tenter encore une fois les sinistrés. C'est l'affirmation que l'autre vous a tellement volé que vous vous mettez à penser à la première occasion de planter tout là, vivre en tranquillité, et peut-être écrire des lettres remplies de toutes les formules de politesse pour vous lier étroitement d'amitié avec vos correspondants.

Avec toute ma gratitude, je vous prie d'agréer, Messieurs et Mesdames, l'expression de mon profond respect.

Ren du Braque

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