mardi 13 avril 2010

Le progrès furieux des Américains qui n'ont que des tirants de botte

Cher lecteur, je suis tout seul. Américain, je dois me faire tout seul. Je n'ai que moi-même, mais contraire à notre mythe je vous voue que je ne suis ni costaud ni résilient. J'échoue plus souvent que je réussis. On pourrait dire que je ne suis pas un vrai Américain. Je m'habille comme eux, je parle comme eux, je fais semblant de travailler comme eux, mais au fond je mène une existence louche qui est apte à corrompre l'attitude optimiste éternelle de cette terre bénie, ce nouveau paradis, ce jardin d'Éden.

Bien sûr, mon pays n'est pas pour les feignants, les bons à rien, les mécréants. Ces gens-là, ils empêchent le progrès. Ils méritent une bonne gifle. On ne leur donne jamais la parole. Ils sont nos laissés-pour-compte.

Voilà comment on les écrase.

Aujourd'hui sur la radio, j'ai entendu un rapportage sur un événement choquant. Une cycliste, qui a été heurtée par un camion militaire près du périmètre de sécurité du sommet sur la sécurité nucléaire, est morte. Les cyclistes, et grosso modo les autres feignants, sont en deuil et en choc. Un cycliste a dit que la prochaine fois qu'il voit un camion militaire il y ferait plus d'attention et le laisserait beaucoup plus de place.

Ancien cycliste que je suis, je peux vous dire que j'avais échappé belle autant de voitures que j'ai fini par abandonner mon vélo. Selon mon expérience, laisser plus de place pour un véhicule, c'est inviter aux autres malheurs de la rue de devenir les obstacles dangereux. A mon avis, un camion militaire n'est pas à sa place dans la société civile. Autrement dit, plus on est sécurisé, plus on est menacé par les instruments de sécurité. Il faut surtout se ralentir et réfléchir à la sécurité des cyclistes et des piétons pour que tout le monde peut vivre ensemble dans un équilibre harmonieux.

Selon le département de l'état,"Président Obama est l'hôte de l'événement afin d'accroître la coopération internationale pour éviter le terrorisme nucléaire." La présence militaire est là pour assurer la sécurité des membres du sommet; les cyclistes et piétons sont là pour vivre en toute sécurité grâce aux efforts des gens qui jouent avec les armes de destruction massive; et les manifestants sont là pour faire avancer leur programme. Que c'était sur la Chine ou les droits fondamentaux, je n'en ai retenu rien. Mais pour une raison quelconque, une manifestante de Kentucky était interviewée. Elle a prononcé dans sa voix rauque sudiste un résumé de l'événement qui était truffée de courage faux, entrelacé de tirants de botte et bourré de petites phrases méchantes, « c'était bien malheureux que la femme ait été heurtée, et qu'elle soit morte, mais nous sommes ici pour faire du progrès et il faut avancer. Nous ne pouvons pas revenir au passé. »

Évidemment madame, on ne peut pas revenir au passé. Et là, c'est triste de penser au sort de cette pauvre cycliste. Mais, feignant et corrompu que je suis, j'ose une seule question. Si on faisait une pause juste pour quelques minutes, même un jour, pour réfléchir sur le sort de cette femme écrasée au nom de la sécurité ? Pouvons-nous nous permettre plus de place et de temps dans nos vies fragiles, courtes et insignifiantes ? Pouvons-nous réduire au même temps le besoin écrasant de faire du progrès ?

2 commentaires:

Frenchman fondly into English a dit…

http://www.decroissance.info/

Rosette ou Rosie, c'est pareil a dit…

Merveilleusement bien écrit, ce texte, qui porte à grande réflexion...

Étant l'épouse d'un Américain (on a tous le droit de commettre une ou deux erreurs dans la vie, non? - Je blague, je blague...), je crois comprendre la frustration que tu ressens.

Ceci dit, je te remercie de la communiquer avec tant de franchise et d'objectivité.

Bonne journée!