mercredi 14 avril 2010

La vie est courte ? Non, elle est longue

Hier soir, j'ai assisté à une réunion de mon groupe de lecture sur Don Quichotte. Nous avons essayé de parler de cette longue histoire de 940 pages, autrement dit, nous avons essayé de faire l'impossible. Juste pour énumérer toutes les petites histoires entrelacées dans le grand récit, il faut être doué d'une mémoire surhumaine. Tirer de tous les détails enchevêtrés et parfois contradictoires un thème unique et tangible, c'est de la folie.

Mais, et maintenant je ris de mon audace mon cher lecteur, je l'ai essayé.

« D'où provient la source du courage du chevalier du visage triste ? » j'ai demandé à tout le monde. Évidemment, la folie est la source et la réponse de courte haleine des autres membres. On est vite passé à d'autre chose, mais je ne me lâchais pas, « Et quel genre de folie serait-il ? »

- Il croit les récits chevaleresques au pied de la lettre. Il tient trop au monde noble et fantasmé d'antan.

- Il imagine que toute obstacle n'est que l'enchantement de mauvais sorciers qui le poursuivent et tourmente.

- Il est tombé amoureux d'une femme qu'il n'a jamais vue et on sait bien que l'amour rend fou.

- Il finit par être obsédé de son insignifiance et puis se payer le luxe d'avoir un nom digne de sa noblesse et des aventures dans lesquelles il serait le héros qui redresse tous les torts aux pauvres gens et aux femmes qui souffrent de l'injustice. S'il était de notre époque, chercherait-il la célébrité dans les émissions de la télévision réalité ?

- Il avait trop de testostérone. Tu sais Go que tous les hommes souffrent une crise des cinquante ans.

« Oui, oui, oui, oui, et euh, quoi ? Non. Écoutez. Je vous explique, » ai-je dit en essayant de rester calme dans l'inondation des opinions.

- C'était les femmes de sa maison qui lui ont rendu fou. On sait bien que les femmes sont la source de toute malheur.

« Oui, euh, non, écoutez-moi un instant ! » et puis j'ai commencé mon explication.

Dans les passages où Don Quichotte explique sa propre folie, il dit que c'est mieux d'être trop noble que d'être fort bête et ignorant, mieux d'être trop enhardi que de manquer du courage, mieux de vouloir de la justice éphémère que de se résigner à l'injustice ambiante, mieux de collectionner des échecs avec de bonnes intentions que de réussir sans cesse mais avec de la mauvaise foi. Il dit que c'est mieux de mourir dans l'attente de vivre selon les idéaux nobles que de vivre dans l'assurance d'une vie indigne. Selon la folie don-quichottique, il ne faut jamais craindre la mort, parce que la vie idéale contient tout ce dont on a besoin. Quand j'ai lu ces passages, j'ai pensé aux propos du philosophe Épicure. On retient un renom de lui d'être un grand épicurien, c'est-à-dire sensuel et voluptueux, mais c'est une interprétation abusive de sa doctrine. Il n'a pas dit qu'il fallait être un hédoniste égocentrique. Pour se réjouir de la vie, il faut se connaître mieux. Il faut reconnaître les limites de soi-même et bien connaître les réalités.

L'une des plus terribles réalités est la mort. Elle est un événement terrifiant qui nous menace à chaque instant. Les émissions de la télévision sont remplies d'images de l'agonie, de la misère, de la cruauté de la mort. Et dans la perception de la mort on devient craintif, triste et malheureux. La mort symbolise la perte ineluctable du tout bonheur éphémère. C'est dans la mort que tout être, animal, végétal et humain, se trouve. Nous partageons ensemble un destin commun, une fin sans pitié et pleine d'angoisse.

« La vie est donc courte ! Il faut en jouir quand on peut, n'est-ce pas ? » ont dit l'homme qui pensait que les femmes rendent tout les hommes fous et la femme qui accusait tous les hommes de voler le bonheur de toute femme.

Mais non. Épicure n'a pas dit cela. La mort, selon lui, n'est rien pour nous. Elle est une accident qui arrive à autrui. Elle n'a aucune importance. Bien qu'elle anéatisse tous et toutes, il faut se libérer de la notion de la mort, mais ne jamais perdre de vue la nature de la vie qui est bien sûr plein de douleur et de souffrance. Et voilà comment Épicure a instruit Don Quichotte. La mort n'a pas d'importance. Il est mieux de dire que la vie est longue, même quand on sait très bien le contraire. N'est-ce pas une philosophie folle ? Ou est la folie de Don Quichotte tout à fait raisonable ?

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