vendredi 9 avril 2010

Sancho Panza et Don Quichotte ne s'aiment plus

Cervantes avait de la génie de coupler le chevalier avec son écuyer, le long et mince avec le petit et rond, la folie des idéaux avec la sagesse du bon sens. Autrement dit, il a marié le ciel et la terre. Il a même mis ensemble le cheval mince et long, Rocinante, avec l'âne petit et trapu, gris-pommelé. Ensemble, ce pair inégal cherchait des aventures, l'un en quête de la valeur et du renom que mériteraient la dignité de son âme, l'autre en quête d'une île. En chemin, ils nous donnèrent le jour à une image de nous-mêmes en état de libération de tout dogme étroit.

Aujourd'hui, le divorce est partout. On ne voit plus le couple ensemble. Nous sommes des individus libérés de notre conjoint. Le divorce le plus criant est celui du corps. On ne met plus ensemble le rond avec le mince. On met chaque taille dans des catégories qui vont de l'anorexie à l'obésité, et dans chaque catégorie on se fait un score, qu'il dénote un attribut sur l'état physique--trop maigre, en bonne santé, enclin au diabète type II ou qu'il en décrit le charme charnel--trop mince, très sexy, grotesque, c'est selon sa profession, médecin, anthropologue sociale, journaliste, publicitaire, vedette de cinéma, faiseur d'image et surtout les blogueurs.

Dans la sphère privée, c'est nous qui choisissons l'image et puis nous l'interprétons. Souvent le choix se fait selon la manière de choisir un vêtement. Il faut se divorcer des images qui ne sont ni bonnes pour la santé ni désirés pour l'image de soi-même. Et on arrive à une image qui plaît à l'individu mais qui est plutôt hostile aux autres images. Mais cela ne se dit jamais. On est toujours obligé de choisir l'image. Si vous ne l'aimez pas, ou vous êtes trop préjugé ou vous vous appartenez à une autre catégorie, et comme ça vous n'avez ni le droit de voir le monde dans son ensemble ni le besoin de vous lier d'amitié avec le contraire.

Nous avons donné le jour à une liberté si individualiste et compartmentaliste qui finit par devenir banale, omniprésente et oppressive. Et c'est pourquoi, à notre époque, Sancho et son chevalier ne s'aiment plus.

1 commentaire:

Frenchman fondly into English a dit…

http://www.flickr.com/photos/marianovillalba/2414427669/sizes/o/