jeudi 1 avril 2010

Contre la montre

Mon cher lecteur, je m'excuse. Je suis tellement débordé aujourd'hui. Je crains que désormais ce ne soit le cas tous les jours. Je me lève, je donne à manger aux chats, je fais le petit déjeuner et le café, s'il le faut, j'écris à mes correspondants, je leur parle par Skype et puis j'essaie d'écrire. Je ne lis plus les articles dont mon projet d'échange en exige quotidiennement le devoir. Je ne joue plus de la guitare depuis longtemps. L'unique chose que je fais hors de cette routine, c'est de lire le livre pour la prochaine réunion de mon groupe de lecteur. Ce sera Don Quichotte. On discutera toutes les 940 pages de ce livre. Pour le terminer à l'heure, il faut lire 40 pages par jour. Oh là là Don Quichotte, vous et votre quête, vous êtes la goutte d'eau qui déborde la vase.

Mais, ce n'est pas juste. Je vous adore, Seigneur Quichotte.

Tout cela n'est pas sans conséquence. Je passe de plus en plus de temps devant l'écran de mon ordinateur, ce qui veut dire que je sors de plus en plus tard de la maison. En chemin à la piscine, je continue à écrire des notes sur des sujets des billets futurs. Il faut que je m'en souviens de chaque détaille. Chaque pensée pourrait me servir de sujet de discussion. Je déborde des idées, peut-être absolument stupides, mais il faut dire que la vase n'est plus vide, même à moitié. Après avoir nagé, il est déjà 10 h 30 avant que je ne mette le pied dans le métro. J'arrive au bureau de plus en plus en retard. Je dis bonjour à notre secrétaire énormément obèse. Je lui souris, dis bonjour. Elle me dit bonjour. Quand je quitte la réception, elle me demande, « Comment allez-vous ? » Je bredouille « Bien, et vous ? ». L'échange m'énerve. Pourquoi me demander cette question si on n'a pas le temps d'y répondre. Mais bien, peut-être, elle m'invite de causer un peu. On ne sait pas. J'imagine qu'elle veut me dire « je te vois Go. Tu es encore une fois en retard. » Oui, évidemment.

Je ne m'en plains pas. En fait, ces jours-là je suis très content. Mon chef m'ignore. Tout le monde m'ignore. Je suis absolument invisible au travail. Je dois écrire deux textes qui me donne prétexte d'être absorbé dans un immense travail mais au bout du compte il n'y en a aucune difficulté.

Ce n'est que les oiseaux du bureau qui font attention à ma présence. Je leur parle, Jojo, DJ et parfois Coucou. Aujourd'hui moi et lui, nous avons passé une heure en parlant du pape. Ce sera un sujet d'un futur billet. Promis ! Et je vous jure, mon cher lecteur, je reviendrai un jour au sujet du deuxième oiseau. Entre-temps, j'essaie de m'arrêter de me noyer ou de gagner cet épreuve contre la montre.

Au début de la semaine, j'ai même pensé prendre un jour de congé à la fin de la semaine, mais c'est vraiment une idée imbécile. Je peux faire tout ce que je veux au travail en toute impunité. Je peux même sortir tôt, si je le veux. C'est le paradis, quoi, sauf que je reste totalement débordé.

En revanche, il y a un avantage inouï de ce trop-plein que j'ai oublié de décrire. Avant cette semaine, je n'ai jamais pris le métro à 10h30. Ce que l'expérience est tout à fait différente ! Les navetteurs boudeurs sont au travail et les oiseaux migratoires et touristiques les remplacent. La méchanceté est disparue, et les sourires sont partout. On peut regarder les gens dans les yeux. Cela ne les provoque pas. Ils l'adorent comme des touristes qui regardent autour d'eux pour voir si les gens de la ville qu'ils visitent sont sympas. Je suis le seul ambassadeur du train qui leur dit « Oui ! » Ce matin, en cherchant une place libre, une petite fille est soudainement sortie dans le couloir. Par réflexe, je lui ai évité, puis à la réflexion j'ai dirigé mon regard en bas. Qu'est-ce qu'il y a ? Ah, une jolie fille qui me regarde. « Bonjour, ma petite. »

Je me suis installé dans une place à côté d'une vielle dame. Elle m'a même souri. Quel monde qui est dans le métro après 10h30. Est-ce comme ça tous les jours ? Ensuite, je me suis plongé dans la lecture. Comment est-ce que je vais arriver à lire 40 pages aujourd'hui ? Cinq pages plus tard, c'est l'arrêt pour changer du train. Je me suis levé pour m'approcher de la porte, avant que le train n'arrive à la prochaine station. Une jolie femme à côté de sa fille m'approche et puis me demande, « Monsieur, je suis de la Californie et nous sommes en visite à votre ville de Washington. Est-ce que vous auriez la bonté de prendre une photo de ma fille et moi ? » « Bien sûr, madame ! Un, deux, trois, souriez ! »

Je me suis pensé après avoir quitté le train, « Madame, je le ferais comme si vous étiez la belle Dulcinée du Toboso dont rêvait Don Quichotte. »

Sancho Panza, s'il vivait à notre époque, dirait que dans l'épreuve contre la montre, c'est la montre qui toujours gagne. Moi, je ne suis pas d'accord. En perdant, j'ai gagné, au moins aujourd'hui.

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