dimanche 18 avril 2010

Des vacances sans soleil ?


Aujourd'hui en chemin au petit déjeuner à notre restaurant favori, j'ai regardé le ciel recouvert des nuages. Cela m'a donné une pensée inquiétante. J'ai demandé à Chouchou ce que nous allions faire pour nos vacances, maintenant que le volcan islandais venait de vomir de millions de m3 de cendres et de suie dans les cieux du Nord de l'Europe. Le soleil n'y brille plus. Tous les aéroports sont bloqués. Nous pouvons attendre jusqu'à ce que les aéroports soient rouverts bien sûr, mais est-ce que le soleil percera les couches de fumée volcanique ? Le soleil pourrait se cacher tout l'été et nous voulons aller en France. Qu'est-ce que nous allons faire Chouchou ?

« D'abord messieurs et mesdames, attachez vos ceintures de sécurité. »

La vie en couple exige parfois qu'on écrive ensemble les lois de notre propre gouvernement familial, parce qu'on fait tout ensemble. On passe les vacances ensemble, vit ensemble, et au bout du compte s'attend à atteindre les mêmes buts. Donc dans la voiture, il faut attacher la ceinture de sécurité.

En route, on se posait des questions. Aller en Grèce au lieu d'aller en France ? ou aller en Corse ? Aller au Alaska ? ou rendre visite à nos amis ? Aller en Tahiti ? ou en une France sans soleil ? Au nom de prudence il faut attendre quelques jours pour savoir si le ciel français restera couvert. En attendant ma question pratique se mue en question philosophique. Peut-on passer des vacances dans un endroit où le soleil ne brille jamais ?

Nous savons très bien que le soleil est essentiel au bonheur vacancier. Nos premières vacances en France commençaient à Perpignan. Au début nos pensions que la ville était un trou perdu, parce qu'elle semblait sans éclat. Les gens étaient bizarres, le centre sans animation. En fait, plusieurs fois nous sommes passé au dessous des fenêtres des appartements dont les locataires ont jeté un objet quelconque au dessus de nos têtes. Par exemple, une femme a jeté au pigeons un tas de journaux qui tombaient lentement en éparpillant dans tous les azimuts. Une autre fois, un homme mal rasé se coupait les ongles sur le seuil de sa fenêtre. Nous avons fini par abandonner les petites allées de la ville de peur qu'une ordure tombât sur nos têtes.

Or tout cela s'est vite dissipé aussitôt que le soleil a pu chasser les nuages du ciel. La ville s'est dévoilé comme un Cendrillon qui venait de trouver son prince.

Il était indéniable que le soleil a sauvé nos vacances, mais le mystère qui me déconcerte est pourquoi ? Est-il impossible de trouver la beauté d'une ville qui n'est pas illuminée par les rayons du soleil ? Les fleurs, les orangers, et les citronniers ne sont-ils pas aussi beau et aussi remplis de parfum dans un jour nuageux que dans une lumière éclatante ? Sommes-nous tellement gâtés que nous ne pouvons pas nous amuser sans un temps parfait ?

Chouchou n'aime pas les questions philosophiques, donc nous sommes passés à son sujet.

Ces jours-là elle joue dans un orchestre qui monte un spectacle musical. L'orchestre est souvent en mal de joueurs parce que tous les musiciens ont un emploi du temps chargé. Chouchou joue dans cet orchestre depuis belle lurette. Elle a vu certains se déménager, des autres s'absenter pour raisons professionnelles ou personnelles, des femmes quitter l'orchestre pour donner le jour à leur enfant, et des vieux mourir. A chaque évolution la direction trouve un joueur de rechange qui, à cause de la marche impitoyable du temps, est de plus en plus souvent plus jeune qu'elle. Il y a quelques ans les jeunes joueurs étaient plutôt arrogants. Cela continue aujourd'hui, mais cet an elle voit que les nouveaux adorent le "texting".

« Cette nouvelle flûtiste, elle fait du texting chaque fois qu'elle attend sa prochaine partie. Il est incroyable qu'elle puisse trouver sa place en faisant des messageries. J'en serais perdu. » Ne sachant quoi répondre, je lui ai dit « C'est inexcusable. »

« Mais, non, » elle a répondu, « le pianiste fait la même chose. Il joue sa partie et puis lit son livre. » Ne sachant encore quoi dire, j'ai dit, « C'est donc admissible. » Chouchou y a réfléchi et puis admis que la fille n'était pas souvent perdue, mais elle entrait parfois tard ou pas du tout. Elle faisait semblant de suivre les notes sur la page, mais son attention et son âme sont partagées entre son téléphone portable et la pièce de musique. Elle met effectivement un bémol sur sa contribution et espère qu'on lui fera la même attention qu'elle fait à sa partie. Quand Chouchou a prononcé son idée elle a écarquillé les yeux et demandé, « Qu'est-ce qui nous arrivera si la jeune génération ne fait pas attention à ce qu'elle fait ? »

Je lui ai demandé, « Pourquoi tu dis ça ? Est-ce que tu pense que le ciel tombe sur nos têtes ? », et j'ai mis les mains sur la tête comme nous avons fait dans les rues de Perpignan.

« N'aies pas peur, Chouchou, » je lui ai dit. Le monde a été toujours comme ça. Les gens ont été toujours tiraillés entre la vérité et le mensonge, comme nous passons nos vies tiraillés entre le soleil et la nuit.

Cervantes nous a souvent répété cette leçon dans son livre Don Quichotte. Par exemple, quand Sancho était gouverneur de son île Barataria il a écouté un procès entre un débiteur qui tenait une canne et un créancier. Le dernier prétendait qu'il a prêté de l'argent à son ami il y a quelques mois. Il a longtemps attendu d'être remboursé, mais après plusieurs mois il lui a demandé pour l'argent. L'autre a prétendu qu'il a déjà rendu l'argent. Par conséquent, les deux se trouvaient devant la loi et demandaient une résolution du conflit. Pour prouver son honnêteté, le débiteur a dit qu'il jurerait devant tout le monde qu'il aurait rendu l'argent. Sancho lui a dit qu'il accepterait de lui écouter prêter serment, puis sous prétexte qu'il fallait se débarrasser de sa canne, il l'a mise dans les mains du créancier, mis sa main droite sur la canne de Sancho et prêté serment qu'il a rendu l'argent aux mains de son ami. Après sa déclaration, il a repris sa canne et Sancho a dit qu'il fallait que l'homme a dit la vérité. Malgré les protestations du créancier, il a prononcé que le procès était résolu. Après quelques instants, Sancho a commandé les deux hommes à revenir devant lui. Il a pris la canne des mains du débiteur et l'a brisée en deux. Des deux parties est sortie toute l'argent qu'il devait à l'autre. Le débiteur parlait vrai et faux à la fois. Il essayait de mélanger assez de vérité à son mensonge afin qu'il puisse profiter de sa malhonnêteté en sauvegardant sa réputation. Ni Cervantes ni Sancho n'ont jamais dit que le ciel tombait. En revanche, Don Quichotte, à cause de son désenchantement a trouvé la mort à la fin du roman. Il ne pouvait plus vivre dans un monde où le soleil était trop souvent obscurci par les nuages malhonnêtes et trompeurs.

Mais revenons à nos moutons de laine blanche. Est-ce que nous pouvons aller en France quand le soleil serait obscurci par de maudits nuage de cendres volcaniques ? Vous savez, je suis absolument tiraillé entre la résignation et l'espoir. Est-ce que cela veut dire que je suis prêt pour une aventure don-quichottique ?

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