samedi 3 avril 2010

Le musicologue à l'épicerie du coin

La vie est toujours une aventure.

A la pensée d'avoir perdu toute la journée en faisant les choses banales, j'ai renoncé à accomplir ma lecture de Don Quichotte et à écrire un billet intéressant ou au moins sur une aventure qui s'est produite à l'improviste. J'ai déjà nagé le matin, fait cuisiné le petit déjeuner l'après-midi, et pris un petit somme en fin d'après-midi. Le sort en était jeté, il fallait m'occuper du dîner, et si j'ai commencé à 5 heures, peut-être nous pouvions manger à sept heures ce qui me donnerait quelques heures ce soir pour écrire et lire.

J'ai dressé une liste des courses. J'ai dit au revoir en me plaignant de la télévision qui était toujours allumé aujourd'hui et dont la bruit commençait à me taper sur les nerfs. La télévision, c'est avoir en visite un hâbleur qui vous ennuie par vous inculquer les mêmes histoires, blagues et conneries tout en vous donnant un coup de coude dans l'oreille. Même quand je quittais la maison, ce visiteur importun m'assenait toujours, « Oh nos émissions sont les meilleures ! Nous vous donnons à voir des spectacles pleins de passion, parce que la passion, c'est l'épice de la vie ! »

Je suis allé à l'épicerie du coin bondée de foules de gens et ai acheté. Ma tête dans les brumes de la passion et de la lecture de Don Quichotte, j'ai oublié d'acheter du maïs éclaté pour ma femme et de la crème pour la sauce du steak poivré. Je ne me suis guère souvenu d'acheter des pommes de terre, un concombre, des betteraves, et des champignons. En chemin à l'épicerie, je me pensais des sujets de conversation pour la prochaine réunion de groupe de lecture où on discuterait de Don Quichotte. Il serait inévitable que quelqu'un se prononcerait contre la beauté du livre ou insisterait tout de go qu'il était le premier livre postmoderne. En d'autre termes on entrerait le livre dans une hiérarchie littéraire selon une logique parfaitement comprise par le sérail des snobinards. Je m'imaginais à trouver les propos qui balayeraient toutes les idées reçues comme Don Quichotte a plaqué au sol le pauvre M. Carasco.

J'avoue, je suis trop bête quelquefois, mais il faut comprendre que les gens de Washington sont trempés de la manie d'hiérarchiser. Si vous lisiez un livre, il faudrait savoir si vous le considéreriez comme le meilleur. Il faut préciser et saisir l'essence de chaque expérience avec des chiffres. Si on a de la passion pour quelque chose, il faut le crier sur tous les toits et sur les émissions télévisées que le chiffre de cette passion est absolument hors de mesure. Quand on parle de Shakespeare, il n'est pas important de comprendre les nuances, mais il faut au moins dire que sa popularité est due à son rythme de mots. Tout cela, c'est du pentamètre iambe. Les washingtoniens ne sont pas pris au dépourvu. Il faut toujours avoir le détaille qui donne l'impression que vous aviez tout lu.

Moi, je pensais que Shakespeare et Cervantes sont arrivés à écrire et décrire des choses qui étaient et restaient tout à fait insaisissables et qui doivent lentement se révéler au lecteur. Comme je disais auparavant, je suis bête et parfois naïf.

Je suis rentré à la maison et ai commencé à faire la cuisine. Je me suis vite rendu compte que j'ai oublié des ingrédients importantes et après avoir commencé le travail, j'ai mis les brûleurs en veilleuse et hop ! je suis retourné à l'épicerie.

Cette fois-ci elle était moins bondée. Je faisais une autre liste des courses dans ma tête. Trois 'p', un presse-purée, du pop-corn et des grains de poivre (potato masher, pop corn et peppercorns en anglais) et du crème. Tout d'abord, du pop-corn dans le rayon d'amuse-gueule, qu'est-ce qu'il y a ? Mais, est-ce le rayon d'amuse-gueule ? qui est cette jolie mère japonaise avec sa fille ? Ce mec qui a l'air d'être ébahi regardant les bretzels, est-il son mari ? Non, c'est impossible. La fille semble japonaise de souche. Ah, quelle chance, le pop-corn est juste à côté du objet de ma passion. Quelles marques est-ce qu'il y a ? Il faut absolument étudier tous les choix. Mais regarde, ça y est. C'est le seul qui n'est pas micro-ondable. Contre mon gré, je quitte le rayon. Elle n'est pas une émission télévision que l'on peut regarder bêtement toute la journée. En avant, les grains de poivre, la crème, du lait m'attendent ! Et maintenant, il faut descendre au sous-sol pour chercher un presse-purée.

A l'entrée de l'escalier mécanique, je la vois encore. Elle me sourit, je suis au paradis, et je descende. Messieurs et mesdames, au sous-sol, passion, désir, idées immorales, et bien sûr il y a des presse-purée.

L'épicerie du coin est un lieu extraordinaire. Dans cette ville construite dans l'hiérarchie gouvernementale, totale et coloniale, où l'argent des campagnes de pression parlent plus forte que la voix du peuple, notre épicerie réussit à se débrouiller autant mieux que les entreprises de l'industrie agro-alimentaire. Dans ces hypermarchés, tout est fait selon un planning industriel. L'élément humain y est une arrière-pensée lointaine. En revanche, à Rodmans, on joue de la musique classique, et on ne choisit pas les pièces bon gré mal gré. On joue -- Mon Dieu, je fais une hiérarchie -- de la musique que j'adore. En tout cas, si vous pouvez vous fier à mon avis, c'est de la musique très raffinée, très belle. Figurez-vous, musique à la guitare de Bach, des arabesques de Debussy, Mozart, et en descendant l'escalier un nocturne de Chopin. Même la version de cette pièce était extraordinaire. J'attendais les notes exquises du bout des phrases, mais le joueur a patienté et patienté, et puis, il les a joués si subtilement, que j'en ai été ému. Passion, désir, tentation, idées immorales, presse-purée, et Chopin. Paradis Exquis.

Presse-purée à la main, j'ai remonté l'escalier et cherché la caisse. J'ai vu la petite fille, mais sa maman était d'ailleurs. Dommage.

La caissière éthiopienne m'a aperçu, mais bien qu'elle ait dû chercher des cartons, elle m'a dit qu'elle serait à ma disposition tout de suite. Il faut dire que les caissières éthiopiennes sont d'une grande gentillesse et modestie avec moi ce qui me plaît et flatte immodérément. J'essaie de leur adresser une parole aimable pour leur faire plaisir, mais souvent leur modestie me contraint de ne dire que merci et au revoir gentiment. Cette fois-ci, M. Chopin m'a ouvert la porte. Je lui ai demandé « Est-ce que tu connais ce qui se joue maintenant ? C'est du Chopin. » Le mec au ventre énorme dernier moi qui était en train de mettre une caisse de vin de table (pour une soirée) qui était le même mec qui regardait bêtement les bretzels, a dit, « Nocturnes, Opus 27, numéro 2. »

J'étais impressionne. J'ai haussé les sourcils en le regardant pour témoigner mon admiration de son précision. Moi, j'adore toutes les pièces de Chopin, mais je ne peux pas les citer comme si j'ai tout mémoriser pour gagner aux jeux télévisés. Je n'ai pas cette passion-là. Je ne suis pas musicologue.

Contente que je lui aie parlé ou qu'elle ait su le nom de cette musique belle, elle s'est affiché son contentement sur son sourire qui dépassait les limites de sa timidité. Elle m'a même regardé droit dans les yeux.

J'ai souri à la jolie caissière éthiopienne et dit au revoir.

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