jeudi 8 avril 2010

Le premier costume

Dans le métro j'ai vu une jeune femme qui m'attirait l'attention. Elle avait une coupe dépouillée, les cheveux raides et trop longues pour un style chic, trop courts pour assumer une forme plus luxurieuse. Il était incertain si elle y a mis un petit boucle au bout de la coupe ou si l'inattention voire la rébellion y a causé la rupture. Elle portait des lunettes simples qui cachaient son visage. C'est-à-dire je ne l'ai vu qu'une seconde ou deux. Dans tel délai, les lunettes servaient plutôt comme une masque. Elles obscurcissent les sentiments et les remplaçaient avec un air indéfini qui laissait entendre un volonté apte pour le travail. Ce qui m'a attiré l'attention était son tailleur gris et trop grand. Tout d'abord, aucun washingtonien qui cherche les clés du pouvoir, avocats, analystes financier, lobbyistes, ou consultants et qui portent un costume n'en porte un pareil. J'ai jeté un oeil autour de moi à sa concurrence. Tous les tailleurs et les costumes étaient ajustés. Les plus osés portaient des tailleurs moulants dans les couleurs qui déclaraient haut et fort à l'oeil leur présence. En comparison le sien ressemblait plus à l'habit d'une religieuse qui prend le voile qu'aux armures complètes qui collent à la peau.

Le tailleur m'a fait penser à mon premier costume. Je n'en avais qu'un au début de ma carrière. C'était un cadeau d'anniversaire pour mes entretiens prochains. C'était absolument collant, parce que on m'a envoyé au tailleur dans la seule place de ma ville natale. Il m'a mis dans un costume approprié pour ma taille, mais pas pour mes épaules, ni ma poitrine. Quand j'ai décroché mon premier boulot, grâce à mon nouveau complet, il m'en fallait des autres. Bien que le complet que j'ai reçu était très bon marché, c'était hors question de retourner au tailleur. A l'époque, j'étais toujours fauché à cause d'une pauvreté provoquée par l'abandon. Le benjamin d'une famille récemment divorcée et puis reconstituée tombe dans l'oubli et doit apprendre à se débrouiller tout seul. Je suis allé à la solderie et y ai cherché des costumes.

On peut y passer des heures. Le magasin énorme est toujours en désordre. Les hordes de chalands en quête d'une bonne affaire se pressent autour des portants. Le jeu était de trouver quelque chose qui n'était pas moche, qui n'avait pas de défaut et qui était à la bonne taille, mais la taille du magasin dépassait ma capacité de dénicher un nougat d'or parmi toute cette pyrite. D'ailleurs, à l'époque les tailles des chemises et des costumes étaient standardisées. Les chemises étaient vendues par la taille du cou et de la manche. Si on achetais une chemise par rapport au cou, on choisirait un carcan, par rapport au confort c'était une tente. Naturellement naïf, j'ai choisi le confort. Tout ce que je possédais était volé de mon frère qui osait d'emprunter la carte de crédit de mes parents pendant qu'ils étaient encore en couple. D'ailleurs, je m'habituais fort aux vêtements trop grands pour moi. J'ai passé toute mon enfance dans les vêtements de mes frères, pourquoi fallait-il changer de style pour le bureau ? Je pensais qu'on ne s'habillait pas pour exprimer son propre style ou individualité, on faisait avec.

Tout ce que j'ai pu trouver était des cravates bariolées mal assorties avec les costumes trop grands. À l'époque je me suis pensé qu'on ne pouvait remarquer que la taille des pantelons et des vestons dépassait la taille de mon corps. Une ceinture bien serrée était le seul truc qui ancrait tout l'ensemble des vêtements. C'était le mât, le seul support des tentes qui étaient absolument mal ajustées à mon corps.

Quel malheur !

Aujourd'hui, après trois évolutions de carrière, je suis en liberté vestimentaire. Je n'affiche plus rien de mon individualité. Je porte les mêmes jeans et chemises banales à la maison et au bureau. On est tenté de dire que je suis rebelle parce que les personnes qui veulent réussir portent encore les habits traditionnels. Mais non, je suis paresseux. Je ne fais guère attention à mon apparence.

Beaucoup de monde jouit de la même liberté, mais grosso modo on continue de prendre un énorme soin de l'image de soi-même. On affiche l'image partout, à même la peau. Mais, je laisse tomber le sujet pour l'instant. Je n'ai pas taillé ce récit afin de dire quelque chose de profond. Enfin, je n'ai rien taillé dans ce récit. J'ai vu une jeune femme en manque d'un bon tailleur qui m'a fait penser à mon passé dans les tentes indéfines. Ce qui me surprend est comment autant de monde affichent les vêtements, les carrières, et une image de soi-même qui sont à la bonne taille.

A mon avis, sous la tente qu'elle portait j'espère que la jeune femme était conformtable.

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