jeudi 29 avril 2010

Le plaisir d'avoir tort

Trois histoires sur moi. Je ne peux m'arrêter de parler d'elle, parce qu'un bref rencontre où on forme une opinion de l'autre est toujours un miracle de l'humain. Le regard estime l'apparence dont on attribue les traits comme la beauté, la sincérité, l'amabilité, et même si on ne veut pas l'avouer, la sensualité. L'écoute juge le timbre, le ton, et la musicalité de la voix. L'esprit la profondeur de l'autre esprit. Les parfumeurs veulent nous dire que les odeurs augment les atouts des autres traits, mais ni le parfum d'une femme ni l'eau de toilette d'un homme utilisés en modération n'ont jamais manipulé mon regard, mon écoute, ou mon esprit. En tout cas un rencontre met en marche tous les sens pour repérer l'essence de l'autre.

Tout cela se passe dans quelques instants et après que notre image est empreinte dans l'esprit de l'autre, on essaie de renforcer les images et les impression favorables de soi-même et de supprimer celles qui nous sont fâcheuses.

Si l'image est fausse, dans une société libre ou dans une relation égale on peut demander que l'autre recadre l'image sur un trait important qu'on n'a pu observer d'abord. Ce n'est pas toujours facile, mais on a le droit.

S'il existe une raison plausible, j'ouvrirai encore une fois mon esprit pour recevoir une nouvelle image de l'autre. De plus, avoir de la curiosité, c'est aussi demander des questions bêtes et parfois maladroites. Cela veut dire si je faisais des bêtises, il fallait permettre aux autres de faire pareil.

D'ailleurs je pouvais voir que toutes les impressions que moi tenait sur moi n'étaient que les images favorables que les Etats-Unis projetaient autour du globe. J'entends souvent dire dans les médias que nous sommes les plus tolérants. J'entends l'écho de cette impression dans la bouche des jeunes gens qui ne savent rien du monde ni parlent une seule langue étrangère. En fait, j'ai souvent l'impression que mon étude de français est interprété comme un signe d'appartenance du mauvais côté. M'intéresser à l'Afrique, c'est magnifique. À la France, c'est rance.

Comme je disais, j'ouvrirai mon esprit pour recevoir une nouvelle image de l'autre, et j'essaierai toujours de donner une nouvelle image de moi-même juste pour le plaisir de confondre mes amis. Vous me pensez blanc, je serai noir. Vous me pensez noir, je serai hispanique. Vous me pensez hispanique, je serai juif. Et vous me pensez juif, je serai arabe.

Or de plus en plus ce jeu n'est plus de mise. Nous sommes si tolérants qu'il faut assumer l'identité stéréotypée afin que les autres puissent l'accepter et vilipender les autres qui n'acceptent pas les stéréotypes. En fait, il me semble que le jeu est de souligner que nous avons pu surmonter tout d'un coup notre passé esclavagiste et qu'il faut toujours aller plus loin. Dans ce nouveau jeu il faut renforcer la présence d'une minorité opprimée basée seulement sur la couleur de la peau afin de faire valoir sa lutte héroïque d'obtenir les droits civiques, les richesses, et les promesses d'un rêve radieux américain. Moi m'a même dit qu'elle avait un rêve américain. Elle voulait vivre et s'installer aux Etats-Unis auprès des noirs et de vrais américains.

Je pense que sa question n'était pas posée pour éviter le contact, mais tout au contraire, je pensais qu'elle aurait bien aimé parler à un vrai noir. Et si elle ne parlait pas à un vrai noir, il fallait qu'elle parlât à un vrai américain.

Ce n'est qu'une hypothèse pure. Voilà encore une. Sans une longue échange culturelle, je ne sais pas si elle puisse me reconnaître parce que mon image ne ressemble ni à l'un ni à l'autre.

Je ne veux pas dire mal d'elle. Elle n'a absorbé que toutes les images que les Etats-Unis font valoir d'eux-mêmes. Elle était séduite. Choisir entre elle et mon pays serait impossible. En contrepartie, je choisirais le regard, l'écoute, et l'esprit qui permettent la réalité de se révéler. Jamais je ne choisirai les illusions, le rêve américain, ou le scénario répété en boucle de la lutte perpétuelle des minorités contre une majorité oppressive dont cette lutte fait cacher les racines des inégalités économiques.

Non, je refuse parler mal d'elle. Je m'en prends à mon pays qui laisse entendre qu'ici il n'y a que des vrais américains blancs et les américains noirs et qui fait rêver de richesses imparables tandis que notre pays est l'un des plus inégalitaires.

Je me suis emporté contre mon pays sans décrire ce qui s'est passé. Après qu'elle m'a demandé de connaître mieux mon identité, nous avons parlé de ses impressions des Etats-Unis. Nous autres américains sommes de gros obèses, nous faisons rêver du rêve américain, nous avons un mauvais système de santé, Obama fait de bon travail, et nous avons le meilleur système d'éducation. Cela m'a surpris parce qu'elle avait raison à peu près sur les autres points, mais elle avait grand tort de croire dans notre système éducatif. À mon avis les Américains sont de plus en plus ignorants de culture, d'histoire, de philosophie. Je travaille avec des doctorats. Quand je leur dis mes choix littéraires--Shakespeare, Cervantes, Platon, ils me disent presqu'en unisson que ces auteurs n'ont plus d'importance ni de pertinence. D'ailleurs ils préfèrent regarder le dernière émission de 'American Idol' ou 'Desparate Housewives'. Quelle ouverture d'esprit ! Quelle éducation !

J'ai dû lui préciser que tandis que nos meilleures universités comme Harvard et MIT sont parmi les plus prestigieuses, la plupart de nos lycées et les autres universités sont médiocres. Un baccalauréat ne vaut pas beaucoup dans les quartiers défavorisés.

Je lui ai expliqué tout cela. Nous avons causé. Les impressions qui étaient empreintes par l'industrie culturelle se sont estompées et j'imagine que j'ai pu redessiner les contours de l'identité de mon pays. Nous avons pu dessiner les contours de nos esprits sans l'influence malsaine du faiseur d'image grâce à notre regard, notre écoute et notre esprit. En outre, à la fin de notre conversation, j'imagine que j'ai pu la séduire. Elle m'a tutoyé et puis elle a dit qu'elle partageait un compte de Skype avec son mari. C'était lui qui a fait pleuvoir la tempête de non. Au moins c'est ce que j'ai inféré quand elle a dit, « Mon mari m'a dit que tu as laissé des messages. »

J'avais donc tort. J'ai fait mal en disant qu'elle m'a évité exprès. En me détrompant, je me suis enrichi au moins d'un rencontre qui valait la peine.

C'est comme ça qu'on découvre le plaisir d'avoir tort. Que beaucoup du monde en découvrira et vite !

mardi 27 avril 2010

Le couleur de Ren du Braque

Au début d'un film ou d'une émission de télévision les comédiens sont tout de suite reconnaissables par leurs traits distinctifs. Celui est beau, celle-là est drôle, lui, il est bête. Pour nous, au contraire, serait-il même possible d'être reconnu parmi tous les visages de la foule ? Et d'ailleurs d'être reconnu pour ce que l'on se prend ?

Il faut vous avouer que ce billet va souffrir de ce manque de clarté. Comment trouver les expressions précises pour décrire l'ambiguïté qui nous entoure. L'aspect le plus troublant de cette ambiguïté est que l'on lutte incessamment d'annoncer son identité à tout le monde, tout en sachant très bien que la connaissance de soi-même est une quête impossible.

La dernière fois, cher lecteur, oh, pardon, peut-être serait-il sage de dire que vous vous trouvez sur le blogue de Ren du Braque, blogueur errant et aventurier du blogue-sphère, au cas où vous vous tromperiez de site ? J'ai peu de photos ici. Je n'écris pas sur un objet très reconnaissable comme la bande dessiné, mes bébés, ma famille, la pornographie, la vie de merde, la vie des femmes, la musique rock, les vedettes de cinéma, les films ou les objets fétiches. Grosso modo, je n'écris rien sur la culture contemporaine. J'essaie d'écrire sur mes expériences absurdes.

Si cela vous intéresse, je vous remercie pour l'intérêt que vous portez à mes balivernes.

La dernière fois j'étais en train de parler à moi, ma nouvelle correspondante parisienne de Skype, qui étaient depuis presque deux semaines impossible à rejoindre, impossible à connaître, et impossible à en tirer plus d'un mot dans son dernier courriel. En contrepartie, je n'ai jamais reçu de mot ni désobligeant ni décourageant. Je m'attendais de lui rejoindre tôt ou tard. Jeudi matin, il me semblait qu'elle faisait tout pour m'éviter qui m'a inspiré d'écrire Une tempête de non. Vendredi matin, je l'ai vue sur Skype. La curiosité ayant la raison sur moi, je l'ai appelée et entamé notre première conversation.

Ce jour-là, je n'étais pas du tout en pleine forme. Je balbutiais, je demandais vite des questions compliquées, et puis elle m'a demandé si j'étais noir. J'ai dû avoir l'air étonné, parce que je n'ai rien dit immédiatement après sa question, puis j'ai lentement répondu non et ce non contenait toute une gamme de sentiments. Au début, j'ai repoussé cette identité. Aussitôt que je l'ai dit, j'y ai réfléchi davantage et en y réfléchissant mon refus s'est transformé en étonnement. Pourquoi m'a-t-elle demandé ça ? A-t-elle remarqué un ton américain-africain ? Qui est cette femme ?

« Ce n'est pas grave, » a-t-elle répondu. « Vous êtes donc un vrai américain ? »

Je n'en pouvais plus. Un vrai américain ? Moi ? Vous voulez rire ? Ma tête se tournait comme une toupie. Je me suis dit que ce serait possible que tout de go un français pourrait me prendre pour un vrai américain sans me voir. S'il me voyait sans que je lui parle, il pourrait également me prendre pour turque, marocain, hispanique, iranien, juif ou italien ce qui est souvent le cas chez les turques, les marocains, les hispaniques, les iraniens, les juifs ou les italiens.

Pas tout le monde est comme ça. Chouchou, ma femme, est asiatique. Selon elle, je suis blanc, parce que je ne suis pas asiatique. Cela n'a pas d'importance à vrai dire, mais il m'embête un peu. J'ai essayé de lui convaincre que je n'étais pas forcément blanc, même si je dois me déclarer blanc sur les formulaires. Face à ce méconnaissance, on aurait pensé qu'il fût impossible de lui faire changer d'avis, mais l'identité est tellement méconnaissable qu'il me fallait juste un ou deux ans avant que la multiplicité de mon identité ne fût révélée. Une fois en sortant du métro, je l'ai essayé encore une fois et en regardant son visage, j'y ai renoncé. En traversant la rue, un clochard noir ivre s'est approché de moi, m'a regardé droit dans les yeux et puis il a dit à la cantonade, « Je suis noir aussi. Je suis noir aussi. Michael Jackson. »

Voyez-vous la confusion que je provoque au sein de mon peuple américain multiculturel bien plus tolérant que tous les peuples du monde ?

S'il faut le dire, j'ai la peau plus noir que feu le célèbre chanteur. Et lui, à son pompe funèbre était bien plus noir que je l'aurai été. Se ferait-il que puis que je peux être n'importe quel couleur que je ne peux jamais en avoir un seul ?

Non. Je n'ai pas de couleur. Je suis Ren du Braque. C'est le couleur multiple Go. J'évite le bidon des journaux, les ragots, et les âneries de la culture contemporaine pour écrire des balivernes décousues. Je me présente comme blogueur errant, chevalier absurde, et amateur de blagues stupides. Ce n'est pas reconnaissable comme une vedette de cinéma, mais il me convient très bien.

dimanche 25 avril 2010

La suspension noire

Lorsque des idées échouent, les mots viennent dans très maniable. - Goethe

Et si les mots échouaient aussi ?

Si vous êtes arrivé ici par hasard, vous auriez pu vous tromper d'adresse ou errer en faisant un clic sur le lien « Next Blog ». Une fois arrivé, si vous vous attendiez de lire un texte cohérent, assuré, et bien-fondé, vous découvrirez que ce n'est pas la sûreté, l'assurance et la vérité qui règnent ici. C'est le hasard pur -- beau, confondant, et moqueur.

Si vous êtes venu exprès pour lire des balivernes que j'écris, vous êtes arrivé à pic. Aujourd'hui je vais écrire sur mon incapacité absolue de distinguer les arbres du forêt. C'est que dans mon dernier billet j'ai raconté mon périple de deux semaines de contacter une jeune Parisienne, que j'ai baptisé moi parce que son nom de compte courriel contenait ce pronom personnel. Au début je pensais qu'elle voulait correspondre avec moi et après un échange de coordonnées, il semblait, qu'elle m'évitais comme la peste. Or vendredi matin j'ai découvert que tout ce que j'ai écrit n'était qu'une suite longue et bizarre de malentendus transatlantiques.

Vendredi matin, j'ai enfin dormi plus tard que 4h30, mais après deux nuits sans sommeil, j'étais plus que distrait. J'étais abruti. J'ai allumé l'ordinateur à 6h40. J'ai allumé la machine expresso, donné à manger aux chats, mis au feu de l'avoine, et puis regardé de nouveau l'écran Skype. Moi était là. Enfin ! Sera-t-il possible de former un nous de moi et moi ?

J'ai hésité, tiraillé entre la curiosité et l'embarras du camouflet reçu cette semaine. Si je l'appelais et elle disparaît, serais-je rendu plus braque que d'habitude ? Et s'il y en avait une explication raisonnable ? ou si on oubliait notre début trébuchant ? La question devant moi était la frustration ou la curiosité ? J'ai choisi la curiosité bien sûr. Mais avant de mettre en marche ma nouvelle tentative, j'ai tiré un coup d'expresso. J'en avais certainement besoin.

« Voulez-vous parler aujourd'hui ? Si je le veux ? Oui, bien sûr. Attends un instant. Je vais chercher un café et puis je serai prêt. » lui ai-je écrit.

J'ai eu mon café devant moi, mais je n'en ai pas encore goûté. D'ailleurs je me suis rendu compte de mon état de somnolence. Je n'aurais rien à lui dire. J'ai réfléchi sur des sujets, les malentendus transatlantiques par exemple. J'étais donc armé et prêt pour converser. Allez Go, mais j'ai pris une petite pause. Je voulais entamer mon café comme je le fais chaque matin. Je le regarde d'en haut et j'imagine l'état prochain de mon coeur après l'avoir bu, puis je me dis « tiens, tu commences la journée maintenant. Souviens-toi de te ralentir un peu, au lieu de juger, essaies de comprendre d'abord, observes ce qui t'arrive et le monde qui t'entoure, et surtout n'avale pas d'un seul trait ton café ! »

Distrait, j'ai bu quelques gorgées alors que je pensais, « pourquoi tu attends ? Vas-y ! » J'ai mis en marche l'appel de Skype. Il a sonné une, deux, trois fois. Serait-il possible qu'elle a changé d'avis entre-temps ? Quatre, cinq sons de cloche électronique.

Enfin !

Ah ! Il y a toujours un certain mystère dans un rencontre, à plus forte raison qu'il est fait dans une langue étrangère. Il faut composer des questions simples, mais décalées des conversations quotidiennes. On parle très souvent, trop souvent à mon avis avec ceux qu'on connaît donc les locutions simples sont souvent les plus difficiles à prononcer. On ne demande pas à son époux, « pourquoi est-ce que vous voulez étudier l'anglais ? » En fait, c'est souvent le contraire. On demande « Tiens, pourquoi est-ce que tu ne fais jamais ce que j'aimerais faire ? » A rebours de la vie quotidienne l'étude d'une langue nous oblige de changer nos habitudes. Il faut vouvoyer pour démontrer le respect, demander des questions sur ce que l'on fait au lieu de ce que l'on ne fait pas, et demander des questions qui ne sont pas déguisées en reproches et insinuations. En outre les correspondances y ajoute la patience. Il faut attendre l'occasion de se parler, attendre le bon moment d'aider l'autre, encourager au lieu de décourager, et surtout laisser écouler du temps afin que l'autre révèle lentement ses traits. Et la patience est un animal si rare de nos jours, qu'il faut l'ajouter à la liste des espèces en voie de disparition.

Nous causions en anglais. Je luttais de former des questions cohérentes dans ma langue maternelle. Pour quelque raison inexplicable, j'ai l'habitude de choisir au hasard un tas de mots et les mettre ensemble, comme « Quels sont les raisons que vous ont inspiré de vouloir étudier l'anglais ? » Quand on dit une question pareille à une Parisienne qui n'a pas le temps d'écrire plus qu'un seul mot dans un courriel, c'est un désastre à plus forte raison qu'on la dit vite et peut-être avec des fautes de grammaire aussi.

Comme je disais auparavant, j'étais fatigué. Je parlais comme une personne qui venait de se lever. Mais si moi était aux États-Unis et j'étais en France, j'aurais au moins reconnu que c'était très tôt dans le matin et qu'il fallait boire un café pour se réveiller. Peut-être, même j'aurais reconnu que mon correspondant a dit qu'il ne dormait plus depuis quelques jours. En revanche, moi n'est pas moi. Elle n'en avait aucune idée.

Selon elle, j'avais un accent très fort. J'en étais étourdi. Comment lui expliquer qu'elle s'habituait à l'accent anglais qui pour nous autres américains était un accent particulier. En outre, j'ai eu le vague sentiment que mon identité était dans les mains de quelqu'un qui la maniait comme un enfant bond une balle. Je voulais lui dire que selon mon avis mon accent est plutôt normal, mais je déteste m'identifier selon les normes. J'ai entamé de dire comment mon accent est composé des traces qui m'ont marqué. Une moitié de ma famille est de la Pennsylvanie rurale, l'autre moitié est de la ville de New York. Mon accent n'est ni new-yorkais ni exactement de ma ville natale. Mais l'identifier selon la norme, où est-ce que j'en suis ? Puis elle a dit que je parlais très vite. Ah, cela, désolé. Je peux me ralentir, malgré mon état nerveux.

Et comme ça nous avons dansé notre vals de méconnaissance. Elle cherchait m'identifier d'un seul mot ou d'un seul trait, et j'ai essayé de lui expliquer ma nature multiple et tirée de plusieurs racines. Je chancelais, mais j'avais encore les pieds sur terre. Et ensuite elle m'a planqué au sol. « Etes-vous noir ? »

Je termine mon billet en pleine suspension. Je vous prie d'attendre la suite comme j'ai dû patienter l'occasion de réagir à cette question innocente mais pleine d'incompréhension. En contemplant la signifiance de cette question, essayez de savouer le parfum indélicat de ma, qui est maintenant devenu votre, suspension noire.

jeudi 22 avril 2010

Une tempête de non

Il faut marcher en ces autres amitiez, la bride à la main, avec prudence et precaution : la liaison n'est pas nouée en maniere, qu'on n'ait aucunement à s'en deffier. Aymez le (disoit Chilon) comme ayant quelque jour à le haïr : haïssez le, comme ayant à l'aymer. Ce precepte qui est si abominable en cette souveraine et maistresse amitié, il est salubre en l'usage des amitiez ordinaires et coustumieres : A l'endroit desquelles il faut employer le mot qu'Aristote avoit tres familier, O mes amys, il n'y a nul amy.

- Montaigne, Essais, De l'Amitie

Il n'y a pas de dieu de l'amitié. La seule chose qui ressemble ce métaphore introuvable est l'amitié qu'on doit ressentir envers Jésus, mais entre les êtres humains, rien. En revanche l'amour jouit d'un grand renom. Il noue les âmes. Il enflamme la passion, le désir, l'obsession, la jalousie. Il ne demande jamais, il exige, cajole, force, manipule. Il essaie tout pour arriver au but, mais l'amitié ? Selon l'amour, c'est ce que l'on prétend vouloir si on ne se paye pas les délices de l'amour. Pauvre amitié, quelle pitié, vous êtes comme un orphelin ou comme la soeur oubliée de l'amour. Je vous aime quand même juste comme vous êtes, l'idéal plus élusif et intangible que celui de l'amour.

Hier, je décrivais les associations de la Toile comme la manifestation divine informatique de l'amour. Aujourd'hui, je décrit les correspondances par l'écrit (courriels, lettres, voire les blogues) ou par la conversation comme la manifestation mal de l'amitié. Mais finie toute ce tas de généralités. Je vous écris aujourd'hui d'un événement.

Il y a douze jours, j'ai reçu un courriel d'une jeune femme qui m'a annoncé son désir d'établir une correspondance par Skype. Elle était directe et ardente ce qui suggérait qu'elle fût une bonne et fidèle correspondante. C'était ma première erreur. Elle n'a dit qu'elle aimerait améliorer son anglais et qu'il lui était très important. Elle n'a dit ni qu'elle trouvait mon profil intéressant ni qu'elle voulait se lier d'amitié. Elle a dit qu'elle voulait parler couramment l'anglais, parce qu'elle en avait besoin.

D'habitude, je déguise le nom de mes personnages, mais dans l'occurrence, il faut souligner que son nom de compte courriel contenait son prénom et le pronom personnel de la première personne du singulier, moi. Je la baptise donc, moi, au diable la confusion qui pourrait arriver. Vous pouvez la confondre avec moi, je veux dire Go, ou peut-être vous-même, parce qu'on a tendance de s'identifier juste un peu avec le texte qu'on lis. En tout cas, je m'en remets à vos habilités de lecteur et de lectrice pour en démêler tout cet enchevêtrement de pronoms et noms. Vous êtes vous, moi, c'est moi, et je suis moi. Claire, non ?

Moi et moi nous somme échangé nos coordonnées informatiques dans l'attente de nous voir un jour par skype. J'ai même donné à moi le nom de mon blogue, parce qu'elle me l'a demandé. Une lectrice ! je me suis pensé. Formidable. Nous avons aussi échangé nos horaires, mais à ce point, nous ne sommes pas arrivés à nous faire comprendre. Le décalage horaire, les heures de travail, les besoins personnels, tous nous faisaient bloc. Il était évident qu'il serait impossible de nous rencontrer la semaine dernière, mais en revanche elle a dit qu'elle ne travaillerait pas cette semaine. J'ai présumé que nous parlions le matin environs 8 heures sauf lundi matin, parce que je parle alors avec M. Leau-d'eden.

En attendant je réjouissais de mon nouveau contact avec moi, une parisienne. Je mentionne sa ville parce que j'ai trouvé que les Parisiens sont aussi impossibles que leur ville est absolument belle. Ils arrivent les plus nombreux aux sites de correspondance. Ils déclarent qu'il faut parler anglais et établir des échanges avec quelqu'un qui partage leurs intérêts. Ils disent qu'ils sont ouverts à toutes les opinions, tous les loisirs. Ils adorent les rencontres, les voyages, les cultures, la tolérance. Chaque profil semble avenant, accueillant, merveilleux, mais quelquefois on voit bien que la crise économique les ont poussés à s'ouvrir à la langue anglaise. L'ombre qui obscurcit ce désir n'est rien d'autre que le besoin de gagner sa vie. Et une obligation reste une obligation pénible et ressentie, juste comme vous reste vous, moi, reste moi, et je suis encore moi. Claire ?

Pendant la semaine, je n'ai entrevu que ces nuages. Dans mon optimisme aveugle, j'ai vu la lumière sublime d'un nouveau contact avec moi en me pensant « enfin, je vais avoir un contact à Paris. Ce serait génial. D'ailleurs, elle veut visiter Washington et elle est partante de nous rencontrer. Quel honneur ! Ce serait bien chouette d'accueillir des visiteurs. Ce faisant nous, moi, moi et Chouchou deviendrions citoyens cosmiques cosmopolites. Formidable ! Hou là ! Wow ! ... »

Désolé, cher lecteur, je m'emballais. J'ai dû enlever une portion du texte qui répétait sans cesse mon enchantement et émerveillement. Je suis retourné dans la normale.

Où en étais-je ? Alors, pendant la semaine, j'ai aussi reçu un lien à un article sur les attitudes parisiennes. Selon un enquête ils sont aussi élégants, et cultivés, raffinés qu'ils sont stressés, égocentriques, et impolis. Comme l'article portait sur les attitudes générales et que ces attitudes correspondaient selon mon vécu, je n'y voyais rien de gênant malgré mon amour disproportionné pour cette ville. J'en était indifférent à peu près, mais j'appréciais très bien que M. Leau-d'eden me l'a envoyé parce que nous pouvions en parler lundi matin à huit heures pile.

Lundi matin venu, j'allume Skype et lui, il est là et cela me surprend un peu, parce que je reçois plus de rejet et d'abandon que de fidélité. Toute bonne chose a sa fin Go, vous me diriez. Oui, je le sais, mais je persiste un peu trop longtemps à savourer l'exquis délice de l'amitié. J'y persiste jusqu'à l'absurdité.

On a parlé du volcan, des vacances, de la possibilité de passer ses vacances sans soleil en français, et des parisiens. Après trente minutes en français, on a échangé de la langue. En anglais, on a parlé d'un drôle de question, « Quels sont la source des malentendus transatlantiques ? Est-ce que nous avons plus d'intérêts en communs que différends ? » Ces questions sont le sujet pour la réunion de dimanche au sein de mon association et elles nous ont servis bien comme sujet lundi matin. On a parlé aisément de tout et de rien jusqu'à neuf heures où je lui a dit avec un brin de regret au revoir, et pour la première fois, il m'a dit quelque chose d'extraordinaire. Il m'a dit « merci Go pour avoir posé la question. Il me plaît de parler comme ça. » J'en ai eu un coup de fierté et d'embarras. Cela m'a paralysé un peu, puis j'ai balbutié que ce n'est rien. Je le fais parce que c'est quelque chose qu'on peut partager. » J'ai éteint l'ordinateur, et je suis devenu songeur. Pourrait-il être vrai ? Est-ce que je vais devenir citoyen cosmique cosmopolite ? Ce serait merveilleux, formidable, incroyable ! hou là ! Wow ...

La chute est toujours très dure, particulièrement après une grande réussite.

Je me suis levé tôt mardi matin, à 4h30 précisément, parce que je ne pouvais plus dormir. Depuis quelques semaines, j'ai de plus en plus un air d'abruti. J'ai allumé l'ordinateur, et la voilà. J'ai pensé écrire commencer mon billet et puis à 8h, j'imaginais que nous allions parler. Environs 6h30 elle est partie ou elle a éteint Skype. Je n'ai pensé rien jusqu'à 8h, puis je me suis dit que quelque chose n'allait pas. À 8h30, rien encore, donc je lui ai écrit un courriel dans lequel je mêlais mon mécontentement avec un brin d'humour. Dans le dernier échange de courriels j'ai essayé d'expliquer tout, décalage horaire, les heures convenables pour un rendez-vous, tous les jours possibles, et elle n'a écrit qu'un seul mot, « ok. » J'ai saisi sur ce mot et lui ai répondu à 8h40, « est-ce vraiment ok ? » puis j'ai mentionné l'article sur les Parisiens et y ai ajouté qu'à Washington je mène une vie moins stressée. A ma grande surprise, elle m'a appelé à 9h, exactement quand je dois partir pour travail. Sa voix était firme, et assurée. Elle reflétait un soupçon de l'embarras qu'elle a dû ressentir, mais on n'a pas dit un seul mot là-dessus. Elle maintenait qu'elle désirait encore me parler, mais il lui fallait parler à 7h. Parfait à 7h demain.

Mercredi matin, je me suis levé encore une fois très tôt. Elle était en ligne, et encore une fois elle a vite disparue. Je lui ai envoyé un message par Skype à 6h20, un courriel à 6h50. Rien. A 9h, elle s'est pointé sur Skype, je lui ai écrit que ce n'était pas grave. On parlera demain. Mais, elle a vite disparu encore une fois.

Impossible, je me suis dit. C'est impossible. C'était une tempête de non, un orage de rejet, un tremblement de terre anéantissant, un ouragan de refus. Ma seule explication de ce phénomène est qu'elle, ce moi qui n'est pas moi, mais qui partage mon identité au moins par notre bref rencontre, réjouit de dire non autant que j'adore me lier d'amitié. Elle en réjouit tellement qu'elle m'a appelé pour me faire croire qu'on allait se parler encore une fois ce qui mènera à une autre occasion de dire non. Elle pense que les anglophones qu'elle rencontre ne sont que des boîtes mécaniques qu'on peut introduire une pièce de monnaie pour recevoir une dose d'anglais, tandis que je considère que chaque français représente une occasion de rencontrer un individu intéressant et charmant. Elle doit ressentir une joie perverse en limitant le contact qui ne se produit jamais, tandis que je ressentis un plaisir énorme de m'entendre bien avec les autres. Quelle différence entre moi et moi.

Mais il ne faut pas se fier à ma plume cher lecteur. Tout cet énigme se résume sous la plume de Montaigne. J'ai déjà cité une passage du chapitre De l'Amitié dans ses essais dans lequel il explique comment on a transformé la règle d'or en principe de précaution sage mais banal. Il y a décrit une amitié pure. Un homme a été condamné à mort. Il était tellement détesté que les autorités voulaient punir ces amis aussi. Quand ils ont demandé à l'un de ces plus fidèles amis la raison qu'il lui était absolument loyal, il a répondu, « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. » Autrement dit, les deux étaient tellement lié également qu'il serait impossible de les démêler.

Pour conclure, dans cette histoire étrange, c'était bien moi, et c'était bien moi, mais nous ne serons jamais plus que deux atomes dans cette tempête de non parmi toutes les amitiés ordinaires et coutumières.

mercredi 21 avril 2010

Un groupe grand au temps bruineux

Dans ma quête d'une vie sociale, j'ai essayé maintes groupes de conversation, des cours à l'alliance française, des cours de danse, et les associations de la Toile. Au fur et à mesure j'ai laissé tomber les groupes, les cours, mais les associations continuent à me coller comme une dépendance aux jeux vidéo. Je sais qu'elles ne m'offriront rien sauf l'illusion d'être entouré de personnes qui jouent le rôle d'un ami retrouvé parmi toutes les âmes anonymes et disparates de la ville de Washington D.C., mais comme les promesses de nos hommes politiques séduisent les électeurs malgré la vacuité de leurs propos, je garde l'espoir d'une grande réunion dans un restaurant plein à craquer de jeunes gens fort intéressants et bien sûr qui me trouvent absolument fascinant, drôle, intelligent, charmant, cultivé, raffiné, mais pas trop snob, tolérant, charitable, accueillant, et pourquoi pas intéressant aussi. Oh, j'ai oublié poli et modeste.

En fait, je dois me préparer pour deux événements ce week-end. Le premier sera un groupe de littérature et le second un groupe dont je joue le rôle d'animateur. Mais est-ce que je veux rire ? Trouverai-je tous ces jeunes gens qui me trouvent extraordinaire ? Non. J'y irai en traînant les pieds. Je porterai un sourire nerveux. J'essaierai de devenir l'image de mon moi idéal, mais il est fort possible que le moi idéal ne sera qu'une ombre auprès du vrai moi. Dès que j'ouvre la bouche, l'espoir s'estompera, mais, pour un instant qui durera quelques paragraphes, essayons de rester optimiste.

En principe une association est une idée géniale. On peut se retrouver au sein d'un groupe amical qui se réunit pour célébrer leur amour ou passion pour un intérêt, comme l'étude de français, la littérature classique, la philosophie, ou les sports. Au bureau et à l'école il est difficile de trouver des personnes qui s'intéressent à converser à plus forte raison à parler des intérêts particulier. Il faut toujours être aux aguets pour une occasion de s'introduire dans une conversation intéressante au milieu du jacassement abrutissant et constant sur la culture contemporaine de masse. Tout cela est une tâche ardue. Si on travaille toute la journée, qui aura le temps pour trouver l'occasion de parler à un inconnu, laisser écouler du temps pour être honnêtement séduit, et puis arriver à se lier d'amitié ? Au moins les associations enlèvent l'embarras de se trouver en face d'un inconnu avec qui on n'a rien en commun. D'ailleurs on a un sujet moins banal que la carrière, la ville natale, le boulot, grosso modo les petites choses auxquelles personne ne s'intéresse, n'est-ce pas ? On a une fenêtre ouverte à toutes les possibilités. Les loisirs, c'est une manière de se dévoiler et révéler ses passions, sa vrai identité.

Hélas, la réalité déniaise souvent toute théorie, et parfois par des moyens les plus étonnants.

La ville de Washington contient des jeunes gens talentueux. Ils y arrivent tout seuls, pleins d'espoir pour un début glorieux dans la vie. Ils travaillent de longues heures dans le gouvernement, les cabinets d'avocat, les cercles de réflexion, et les organisations non gouvernementales. Par conséquent, ils ont un emploi du temps chargé; ils assistent nombreux aux associations basées sur un intérêt populaire pour réussir une vie sociale à leur temps perdu; et puisque il est toujours difficile à faire le tri parmi tous les choix d'associations ils choisissent une vingtaine de groupes. Par exemple, l'une des membres du groupe dont j'assume le rôle d'animateur s'est inscrite à 25 groupes qui portent sur le yoga, les jeunes filles fabuleuses, le ski, les femmes cultivées et athlétiques, le développement d'habilités parapsychologiques, l'alimentation crue, le voyage, la culture mondiale, les fantômes et les personnes qui l'ont vus, la meditation, et, bien sûr, les rencontres romantiques, qui est de loin l'intérêt qui attire les personnes de toute poil et de toutes âges.

On ne sait jamais, mais j'ai l'impression que toute association n'est qu'un prétexte de pour rencontrer son âme soeur. Au moins il semble que la recherche d'un amour est toujours la convive invisible de chaque association qui entre au dessous du moi idéal de chaque membre.

Je pourrais dire que l'amour, c'est le malheur de toute amitié ou qu'il transforme toute personne sage en imbécile. Dans l'antiquité, l'amour était aveugle. Il nouait les coeurs avec ses flèches à la tête en or, et avec son feu il a brûlé la reine de Carthage et la ville de Troie. Et où il y a de l'amour, il y a aussi son jumeau, la déception. Si l'amour remplit les registres des associations, il se fait que son jumeau décourage les rencontres mixtes aussi. On peut bien imaginer que l'amour tire sur son arc avec de ses flèches en or. Les coeurs des membres potentiels des associations s'enflamment, mais quand il est l'heure d'assister aux réunions vient, l'amour remplit son arc avec des flèches à la tête de plomb qui endormit l'amour et tire encore une fois. C'est la raison la plus raisonnable que j'ai pu trouver pour cet écart entre les intentions et les absences.

En tout cas, malgré l'explication proposée le résultat est toujours le même. La réalité contredit la théorie. Les associations ont beaucoup de membres, mais personne n'assiste à leurs réunions.

Quant à mon groupe, nous avons 81 membres dont quatre ont dit leur intention d'assister à la réunion de dimanche. L'une des membres, qui adore les jeunes filles fabuleuses, a qualifié son intention avec la phrase « mon oui est plutôt un peut-être. »

Est-ce que j'ai perdu le fil de mes pensées ? J'ai commencé par avoir une idée claire de ce que je voulais écrire, mais j'ai fini par me perdre dans les méandres de la généralité. Je crains qu'en écrivant ce texte le sujet m'ait poussé à cacher l'expérience personnelle derrière un trop-plein de mots, comme l'amour, la déception, et l'espoir obscurcissent l'intérêt initial des membres de mon association.

P.S. Je viens de reconnaître un élément clé qui explique une grosse partie de ce manque d'intérêt et qui convient bien avec le temps de ces derniers jours, nuageux, couvert, et aujourd'hui bruineux. Il faut attendre le prochain billet.

lundi 19 avril 2010

Mon ignorance et le lave-vaisselle malade

Mon ignorance et ma négligence sont infinies. Les deux me mènent parfois rudement à l'échec. A l'inverse de Jules César, un jour on dira de moi, « il resta chez soi, il détourna les yeux et il échoua. » Le dernier exemple de mon impuissance s'agit de notre lave-vaisselle. Je craigns que bientôt il ne faille achever notre bête fidèle et en acheter un nouveau.

Tout d'abord je dois dire que le lave-vaisselle est une machine indispensable qui exécute une tâche ménagère la plus pénible. Quand on nous l'a livré, je le regardais en admiration. Notre premier lave-vaisselle. Quel miracle de technologie ! On le charge et une heure plus tard la vaisselle sont propre. Il est tellement merveilleux et fiable qu'on lui fait aucune attention après l'avoir chargé. On pousse sur le bouton comme on dirait à un ouvrier de très bas salaire, « tais-toi et fais ton travail. » Malheureusement, il n'est plus en bonne santé. J'en ai abusé trop. Quand je le mets en marche, il grogne comme un agonissant. Comme une bête noble et fouettée par un maître ignoble, il continue à faire son travail, même si le fardeau qu'il porte sur le dos lui fait du mal.

Ce matin j'ai découvert que de l'eau saigne dans son ventre. Il faut couper l'eau de la source afin que l'eau ne déborde pas de son réservoir et coule au sol de la cuisine. Cette solution implique que nous sommes privés de l'eau chaude dans la cuisine.

Hélas, comment est-ce que je suis arrivé à ce point-là ? J'aimerais bien avoir une bonne réponse, mais mon ignorance est si totale, que je ne sait pas même ses limites. Quand j'y pense je vois ma négligence jouait bien un rôle dans l'affaiblissement de sa santé. Depuis le premier signe de sa maladie, je souffrais aussi d'une autre maladie exclusivement attrapée par une majorité des Américains -- le trop-plein d'optimisme. A l'époque, je pensais que le lave-vaisselle allait se remettre vite et le petits sons n'étaient rien d'inquiétant. Chouchou pensait que mon père et moi en étions la cause. Nous l'avons installé mal. Elle n'a pas confiance en lui. Il se peut qu'elle n'a pas confiance en lui aussi, mais c'était mon idée de l'a fait installer par nous-mêmes. Plus tard on apprendrait que notre installation n'était pas correcte selon le règlement municipal. Il fallait avoir un unique tuyau voué au lave-vaisselle. Nous avons fait partagé de l'eau chaude de l'évier avec lui. A notre insu, nous lui avons potentiellement nui.

Après quelques mois (oh que j'aie honte !) le son est devenu tellement aigu et agonissant que nous ne pouvions plus l'ignorer. J'ai appelé le magasin qui nous l'a vendu pour faire venir à la maison un mécanicien. Elle a vu notre installation et vite remis tous ses outils dans sa boîte en disant qu'elle n'en pouvait rien faire sauf me dire que je peux essayer d'éliminer le son en ouvrant le robinet à l'eau chaude ou en fermant le soupape au dessous de l'évier. Les deux marchaient. Selon moi, le problème était résolu. Pour l'effort de venir chez nous, j'étais obligé de payer 100 $ pour un conseil temporaire qui remettrait au lendemain ce que j'aurais dû résoudre là. Pire, quand j'y pense, j'imagine qu'elle voulait bien m'aider, mais la politique de l'entreprise excluait toute initiative gratuite qui minimiserait les frais du client. Elle savait très bien où se trouvait le problème, mais elle ne savait pourquoi le soupape était défectueux. Était-il notre installation ? Une pièce conçue et vouée à l'autodestruction ? Un nouveau détergent qui ne nuit pas à l'environnement ? Qui sait ? Pour trouver une solution, il faut payer.

Dans ce monde voué au service distribué au compte-gouttes, c'est notre ignorance qui en bénéficie et notre fidélité en nous-mêmes et en nos compagnons qui en souffrent.

Chouchou vient d'apprendre qu'il y a plus d'eau chaude dans la cuisine. « Comment est-ce que je peux faire la vaisselle sans eau chaude ? » elle demande. « Euh, va dans la salle de bains ? » je lui ai docilement proposé. « Mais fais attention de ne pas boucher la bouche d'égout. Nous serions donc sans eau chaude dans la cuisine et sans bain utilisable. »

Je dois faire quelque chose et vite.

dimanche 18 avril 2010

Des vacances sans soleil ?


Aujourd'hui en chemin au petit déjeuner à notre restaurant favori, j'ai regardé le ciel recouvert des nuages. Cela m'a donné une pensée inquiétante. J'ai demandé à Chouchou ce que nous allions faire pour nos vacances, maintenant que le volcan islandais venait de vomir de millions de m3 de cendres et de suie dans les cieux du Nord de l'Europe. Le soleil n'y brille plus. Tous les aéroports sont bloqués. Nous pouvons attendre jusqu'à ce que les aéroports soient rouverts bien sûr, mais est-ce que le soleil percera les couches de fumée volcanique ? Le soleil pourrait se cacher tout l'été et nous voulons aller en France. Qu'est-ce que nous allons faire Chouchou ?

« D'abord messieurs et mesdames, attachez vos ceintures de sécurité. »

La vie en couple exige parfois qu'on écrive ensemble les lois de notre propre gouvernement familial, parce qu'on fait tout ensemble. On passe les vacances ensemble, vit ensemble, et au bout du compte s'attend à atteindre les mêmes buts. Donc dans la voiture, il faut attacher la ceinture de sécurité.

En route, on se posait des questions. Aller en Grèce au lieu d'aller en France ? ou aller en Corse ? Aller au Alaska ? ou rendre visite à nos amis ? Aller en Tahiti ? ou en une France sans soleil ? Au nom de prudence il faut attendre quelques jours pour savoir si le ciel français restera couvert. En attendant ma question pratique se mue en question philosophique. Peut-on passer des vacances dans un endroit où le soleil ne brille jamais ?

Nous savons très bien que le soleil est essentiel au bonheur vacancier. Nos premières vacances en France commençaient à Perpignan. Au début nos pensions que la ville était un trou perdu, parce qu'elle semblait sans éclat. Les gens étaient bizarres, le centre sans animation. En fait, plusieurs fois nous sommes passé au dessous des fenêtres des appartements dont les locataires ont jeté un objet quelconque au dessus de nos têtes. Par exemple, une femme a jeté au pigeons un tas de journaux qui tombaient lentement en éparpillant dans tous les azimuts. Une autre fois, un homme mal rasé se coupait les ongles sur le seuil de sa fenêtre. Nous avons fini par abandonner les petites allées de la ville de peur qu'une ordure tombât sur nos têtes.

Or tout cela s'est vite dissipé aussitôt que le soleil a pu chasser les nuages du ciel. La ville s'est dévoilé comme un Cendrillon qui venait de trouver son prince.

Il était indéniable que le soleil a sauvé nos vacances, mais le mystère qui me déconcerte est pourquoi ? Est-il impossible de trouver la beauté d'une ville qui n'est pas illuminée par les rayons du soleil ? Les fleurs, les orangers, et les citronniers ne sont-ils pas aussi beau et aussi remplis de parfum dans un jour nuageux que dans une lumière éclatante ? Sommes-nous tellement gâtés que nous ne pouvons pas nous amuser sans un temps parfait ?

Chouchou n'aime pas les questions philosophiques, donc nous sommes passés à son sujet.

Ces jours-là elle joue dans un orchestre qui monte un spectacle musical. L'orchestre est souvent en mal de joueurs parce que tous les musiciens ont un emploi du temps chargé. Chouchou joue dans cet orchestre depuis belle lurette. Elle a vu certains se déménager, des autres s'absenter pour raisons professionnelles ou personnelles, des femmes quitter l'orchestre pour donner le jour à leur enfant, et des vieux mourir. A chaque évolution la direction trouve un joueur de rechange qui, à cause de la marche impitoyable du temps, est de plus en plus souvent plus jeune qu'elle. Il y a quelques ans les jeunes joueurs étaient plutôt arrogants. Cela continue aujourd'hui, mais cet an elle voit que les nouveaux adorent le "texting".

« Cette nouvelle flûtiste, elle fait du texting chaque fois qu'elle attend sa prochaine partie. Il est incroyable qu'elle puisse trouver sa place en faisant des messageries. J'en serais perdu. » Ne sachant quoi répondre, je lui ai dit « C'est inexcusable. »

« Mais, non, » elle a répondu, « le pianiste fait la même chose. Il joue sa partie et puis lit son livre. » Ne sachant encore quoi dire, j'ai dit, « C'est donc admissible. » Chouchou y a réfléchi et puis admis que la fille n'était pas souvent perdue, mais elle entrait parfois tard ou pas du tout. Elle faisait semblant de suivre les notes sur la page, mais son attention et son âme sont partagées entre son téléphone portable et la pièce de musique. Elle met effectivement un bémol sur sa contribution et espère qu'on lui fera la même attention qu'elle fait à sa partie. Quand Chouchou a prononcé son idée elle a écarquillé les yeux et demandé, « Qu'est-ce qui nous arrivera si la jeune génération ne fait pas attention à ce qu'elle fait ? »

Je lui ai demandé, « Pourquoi tu dis ça ? Est-ce que tu pense que le ciel tombe sur nos têtes ? », et j'ai mis les mains sur la tête comme nous avons fait dans les rues de Perpignan.

« N'aies pas peur, Chouchou, » je lui ai dit. Le monde a été toujours comme ça. Les gens ont été toujours tiraillés entre la vérité et le mensonge, comme nous passons nos vies tiraillés entre le soleil et la nuit.

Cervantes nous a souvent répété cette leçon dans son livre Don Quichotte. Par exemple, quand Sancho était gouverneur de son île Barataria il a écouté un procès entre un débiteur qui tenait une canne et un créancier. Le dernier prétendait qu'il a prêté de l'argent à son ami il y a quelques mois. Il a longtemps attendu d'être remboursé, mais après plusieurs mois il lui a demandé pour l'argent. L'autre a prétendu qu'il a déjà rendu l'argent. Par conséquent, les deux se trouvaient devant la loi et demandaient une résolution du conflit. Pour prouver son honnêteté, le débiteur a dit qu'il jurerait devant tout le monde qu'il aurait rendu l'argent. Sancho lui a dit qu'il accepterait de lui écouter prêter serment, puis sous prétexte qu'il fallait se débarrasser de sa canne, il l'a mise dans les mains du créancier, mis sa main droite sur la canne de Sancho et prêté serment qu'il a rendu l'argent aux mains de son ami. Après sa déclaration, il a repris sa canne et Sancho a dit qu'il fallait que l'homme a dit la vérité. Malgré les protestations du créancier, il a prononcé que le procès était résolu. Après quelques instants, Sancho a commandé les deux hommes à revenir devant lui. Il a pris la canne des mains du débiteur et l'a brisée en deux. Des deux parties est sortie toute l'argent qu'il devait à l'autre. Le débiteur parlait vrai et faux à la fois. Il essayait de mélanger assez de vérité à son mensonge afin qu'il puisse profiter de sa malhonnêteté en sauvegardant sa réputation. Ni Cervantes ni Sancho n'ont jamais dit que le ciel tombait. En revanche, Don Quichotte, à cause de son désenchantement a trouvé la mort à la fin du roman. Il ne pouvait plus vivre dans un monde où le soleil était trop souvent obscurci par les nuages malhonnêtes et trompeurs.

Mais revenons à nos moutons de laine blanche. Est-ce que nous pouvons aller en France quand le soleil serait obscurci par de maudits nuage de cendres volcaniques ? Vous savez, je suis absolument tiraillé entre la résignation et l'espoir. Est-ce que cela veut dire que je suis prêt pour une aventure don-quichottique ?

samedi 17 avril 2010

Au nom d'un remerciement juste

Cher lecteur,

J'ai échoué cette semaine à livrer un billet quotidien à mon blogue. Je ne sais pas si la hauteur de cette tâche me dépasse ou qu'il ne me reste plus de sujets simples et appropriés pour un billet cohérent. Désormais il faut chercher au fond me mon âme la formule de toutes mes pensées décousues afin de m'épancher clairement sur les événements de ma vie qui dépassent les limites de ma compréhension.

Depuis vendredi, je noirci plusieurs pages de mon cahier d'écriture sur une suite de quelques courriels laconiques entre trois collègues de travail et moi. D'une poignée de lignes, un déluge de pensées refoulées m'a jailli sur les pages de mon journal. Enfin à huit heures du soir, je me suis décidé de jeter tout pour l'instant et de recommencer sur la partie visible de l'iceberg pour laisser entendre la façon dont j'entends l'immense puissance de l'insinuation sous-jacente d'une phrase qui se veut tout innocente.

Tout d'abord quand j'écris les courriels, j'ai du mal à accepter les us et coutumes de nos jours. Oui, je sais, l'instantanéité nous domine. La musique, les actualités, les images, voire l'écriture en sont influencées. Adieu les formules de politesse, même un petit Bonjour au début d'un courriel est caduc et je n'en reviens pas. Je commence chaque courriel de bureau avec un "Bonjour (Votre nom ici)", puis j'écris mon message.

Les deux sont importants. Bonjour veut dire que vous souhaitez à votre collègue une petite formule de courtoisie qui sort, en principe, de quelque profondeur de votre âme. Si ce n'est pas le cas, je trouve que la formule m'encourage d'y regarder un instant. En tout cas, on n'est pas dans l'armée où la discipline exige que chaque soldat se présente raid et correct. Ce serait le cas si on commençait la missive avec le prénom, « Soldat ! Attention ! Je vais vous relayer un message très important de l'état-major ! Tout le monde sur le pont ! » C'est claire, efficace, correct, mais le ton est trop décalé pour un lundi matin au bureau. D'ailleurs le bonjour me plaît. Je veux naturellement introduire subtilement une chaleur à l'intéressé.

Est-ce trop de travail d'inclure une formule d'entrée et un prénom dans un courriel ? Je suis tellement bizarre, mon cher lecteur, que je me sentirais plutôt mal à l'aise si on les enlèverait.

Dans le texte d'un courriel, je m'attends à une explication claire et complète du message, mais souvent je suis déçu. Par exemple, mercredi, l'on m'a demandé « Go, est-ce que tu as eu et as de l'expérience du X ? » et tout d'un coup mon cerveau était en état d'alerte. Pourquoi est-ce qu'il me le demande ? Où en est l'explication ? C'est tout ? Après quelques courriels de plus, le mystère se révèle enfin. L'on veut que j'enseigne à un sous-fifre tout ce que je sais sur X afin qu'il en devienne compétent dans le délai d'une semaine.

N'empêche qu'il me fallait plusieurs années d'étude autodidacte pour arriver à une compétence imparfaite, la direction me demande de transférer mes connaissances par un moyen bien bon marché (peut-être télépathie, perception extrasensorielle, hypnose ?) afin que le jeune sous-fifre enthousiaste puisse comprendre et utiliser X comme moi. En effet, ils me demandent de me faire caduc dans un courriel bref en mots écrits mais long en mots non-écrits et, bien sûr, sans formule de politesse.

J'ai failli sortir des gonds.

Après avoir parler avec Chouchou, ma femme, et un collègue, j'ai répondu que j'allais lui donner une leçon par jour et ensuite on verrait les résultats.

J'ai été souhaité le bienvenu. On m'a donné des instructions, et puis on m'a fait subir un dernier abus de langage. C'est le remerciement en forme de formule finale de salutation, « Merci tellement » ou Thank you so much. Comment je déteste cette locution obligatoire et fausse. D'abord selon les grammaires anglais et français, on utile le mot tellement pour indiquer une limite ou niveau d'un sentiment ou d'une action. Par exemple, « J'en étais tellement enragé que je voulais étrangler mon collègue de travail, » ou « Je me suis fâché tellement contre cet imbécile que je lui ai hurlé des obscénités à pleins poumons. »

Or quand on écrit « Merci tellement », je suppose que cela veut dire « je vous remercie tellement que ... » alors ? quoi ? Quel est le niveau de votre remerciement ? Que vous voulez me traiter de salarié méprisé qui ne mérite même pas le moindre degré de remerciement ?

Si vous n'avez pas assez d'imagination de terminer cette formule pourquoi pas substituer le mot bien pour tellement. Vous arriveriez à vous exprimer clairement et, j'espère, sincèrement votre appréciation à votre interlocuteur. Peut-être je me trompe. Bien que tous les directeurs des projets adorent me dire que je ne sais écrire aussi bien qu'eux, il se peut que le but d'une communication est à sens unique, ambiguë et mystérieuse pour le lecteur, mais tout à fait claire pour l'un qui donne les ordres. C'est comme une lettre qui laisse le voleur au lieu du crime pour tenter encore une fois les sinistrés. C'est l'affirmation que l'autre vous a tellement volé que vous vous mettez à penser à la première occasion de planter tout là, vivre en tranquillité, et peut-être écrire des lettres remplies de toutes les formules de politesse pour vous lier étroitement d'amitié avec vos correspondants.

Avec toute ma gratitude, je vous prie d'agréer, Messieurs et Mesdames, l'expression de mon profond respect.

Ren du Braque

jeudi 15 avril 2010

Et si on changeait le monde ?

Je ne fais rien pour améliorer l'état pitoyable de notre existence. Je vaque à mes affaires comme la plupart de l'humanité. C'est-à-dire je m'occupe aux tâches banales -- je vais au bureau, fais des courses, et fais de l'exercice -- et j'essaie d'avoir le loisir d'écouter le chant des oiseaux que je ne peux pas identifier parce que je suis trop paresseux, d'écrire mes billets, de parler un peu avec mes voisins de bureau qui en sont parfois trop stressés. Mais est-ce que je fais quelque chose pour changer le monde ? Le monde entier avec toute notre humanité de six milliards d'êtres humains et toute la biodiversité menacée d'extinction ? Je ne crois pas. J'ai du mal à m'insérer dans mon très petit quartier et au bureau. Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ? Juste l'idée de finir la description de mon incompréhension m'accable.

Or quand je parle avec mes correspondants jeunes par Skype, avec des jeunes gens bien éduquées en personne, ou avec des post-modernes de tout poil, j'ai l'impression que mon attitude est à rebours de la tendance actuelle. Tout le monde qui se prétend une ouverture d'esprit vaste et décomplexé prétend aussi au vouloir de changer notre monde pourri, borné, et plein d'injustice. Ils le fait avec tant d'insistance que je commence à avoir des doutes de moi-même. Moi, je n'aime pas l'injustice non plus, mais je n'arrive pas à inculper toutes les arrière-pensées de chaque membre de notre société. Je me demande simplement, si mon incompréhension empêche le progrès. Chaque fois que j'ouvre la bouche, on me traite de criminel parce que je ne suis pas toujours en colère contre l'injustice. La nouvelle génération, qui accuse et fustige les crimes de notre monde actuel et de notre passé tantôt avec raison tantôt en tombant dans l'exagération, a le réflexe de jalonner tous leurs propos avec une accusation d'injustice et puis de ponctuer les accusations avec leur vouloir de changer le monde.

Quand même, je les écoute avec intérêt. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est-ce que vous proposez vous autres jeunes gens ?

Ce n'est pas souvent qu'on arrive à la déclaration claire et bien prononcée de ce vouloir de changement. Souvent on ne fait que des comparaisons qui le suggère. Par exemple, j'ai entendu dire une fois que le Pakistan a eu le courage d'élire une présidente, mais pas aux États-Unis et en France. Les Français et les Américains sont loin derrières les Pakistanais en tant que la tolérance affichée d'accepter un président femme. Je n'ai pas suivi de tout près la campagne de notre président -- le nouveau messie du changement dont on peut croire était son slogan, n'est-ce pas -- mais je doute qu'il ait bien dit « Je vais changer le monde. » Il l'a en principe évoqué, mais pas dit clairement qu'il allait reformer Wall Street, arrêter toutes les guerres de choix, dont celles de l'Iraq et de l'Afghanistan font partie. Non, il n'a dit qu'il pouvait parler aux PDG et aux pauvres. Est-ce un changement ? On verra.

Ce lundi, j'ai parlé à M. Leau-d'eden par Skype. On cause moitié en anglais, moitié en français. Pendant notre conversation amicale, il a bien dit « Il faut changer le monde. » J'en étais ébloui. Je me suis pensé tout de suite que c'était le moment de comprendre cette volonté. Il m'a expliqué qu'il écoute des bandes rock qui tiennent des propos extrêmes parce que l'on ne peut pas changer le monde et rester coi à la fois. On ne peut pas maintenir un bon équilibre parmi le travail, la famille, et les amis et espérer un meilleur avenir. Il faut devenir un peu extrême, sinon c'est la routine qui veut dire « Tais-toi et va travailler au bureau. »

Comme le temps d'aller au travail s'approchait, je trouvais ces propos cruels, mais vrais. Qu'est-ce que je fais pour changer le monde enfin ?

J'ai une réponse. J'ai mon propre militantisme, mais je doute tellement de moi-même que je ne dirais rien pour l'instant. Je voulais juste raconter les deux côtés de l'histoire. Le côté déséquilibré qui cherchait son nouveau équilibre qui est le mien, et l'autre côté très ancré dans la certitude d'une extrémité féroce. Ce serait un miracle si je pouvais le décrire avec justice.

mercredi 14 avril 2010

La vie est courte ? Non, elle est longue

Hier soir, j'ai assisté à une réunion de mon groupe de lecture sur Don Quichotte. Nous avons essayé de parler de cette longue histoire de 940 pages, autrement dit, nous avons essayé de faire l'impossible. Juste pour énumérer toutes les petites histoires entrelacées dans le grand récit, il faut être doué d'une mémoire surhumaine. Tirer de tous les détails enchevêtrés et parfois contradictoires un thème unique et tangible, c'est de la folie.

Mais, et maintenant je ris de mon audace mon cher lecteur, je l'ai essayé.

« D'où provient la source du courage du chevalier du visage triste ? » j'ai demandé à tout le monde. Évidemment, la folie est la source et la réponse de courte haleine des autres membres. On est vite passé à d'autre chose, mais je ne me lâchais pas, « Et quel genre de folie serait-il ? »

- Il croit les récits chevaleresques au pied de la lettre. Il tient trop au monde noble et fantasmé d'antan.

- Il imagine que toute obstacle n'est que l'enchantement de mauvais sorciers qui le poursuivent et tourmente.

- Il est tombé amoureux d'une femme qu'il n'a jamais vue et on sait bien que l'amour rend fou.

- Il finit par être obsédé de son insignifiance et puis se payer le luxe d'avoir un nom digne de sa noblesse et des aventures dans lesquelles il serait le héros qui redresse tous les torts aux pauvres gens et aux femmes qui souffrent de l'injustice. S'il était de notre époque, chercherait-il la célébrité dans les émissions de la télévision réalité ?

- Il avait trop de testostérone. Tu sais Go que tous les hommes souffrent une crise des cinquante ans.

« Oui, oui, oui, oui, et euh, quoi ? Non. Écoutez. Je vous explique, » ai-je dit en essayant de rester calme dans l'inondation des opinions.

- C'était les femmes de sa maison qui lui ont rendu fou. On sait bien que les femmes sont la source de toute malheur.

« Oui, euh, non, écoutez-moi un instant ! » et puis j'ai commencé mon explication.

Dans les passages où Don Quichotte explique sa propre folie, il dit que c'est mieux d'être trop noble que d'être fort bête et ignorant, mieux d'être trop enhardi que de manquer du courage, mieux de vouloir de la justice éphémère que de se résigner à l'injustice ambiante, mieux de collectionner des échecs avec de bonnes intentions que de réussir sans cesse mais avec de la mauvaise foi. Il dit que c'est mieux de mourir dans l'attente de vivre selon les idéaux nobles que de vivre dans l'assurance d'une vie indigne. Selon la folie don-quichottique, il ne faut jamais craindre la mort, parce que la vie idéale contient tout ce dont on a besoin. Quand j'ai lu ces passages, j'ai pensé aux propos du philosophe Épicure. On retient un renom de lui d'être un grand épicurien, c'est-à-dire sensuel et voluptueux, mais c'est une interprétation abusive de sa doctrine. Il n'a pas dit qu'il fallait être un hédoniste égocentrique. Pour se réjouir de la vie, il faut se connaître mieux. Il faut reconnaître les limites de soi-même et bien connaître les réalités.

L'une des plus terribles réalités est la mort. Elle est un événement terrifiant qui nous menace à chaque instant. Les émissions de la télévision sont remplies d'images de l'agonie, de la misère, de la cruauté de la mort. Et dans la perception de la mort on devient craintif, triste et malheureux. La mort symbolise la perte ineluctable du tout bonheur éphémère. C'est dans la mort que tout être, animal, végétal et humain, se trouve. Nous partageons ensemble un destin commun, une fin sans pitié et pleine d'angoisse.

« La vie est donc courte ! Il faut en jouir quand on peut, n'est-ce pas ? » ont dit l'homme qui pensait que les femmes rendent tout les hommes fous et la femme qui accusait tous les hommes de voler le bonheur de toute femme.

Mais non. Épicure n'a pas dit cela. La mort, selon lui, n'est rien pour nous. Elle est une accident qui arrive à autrui. Elle n'a aucune importance. Bien qu'elle anéatisse tous et toutes, il faut se libérer de la notion de la mort, mais ne jamais perdre de vue la nature de la vie qui est bien sûr plein de douleur et de souffrance. Et voilà comment Épicure a instruit Don Quichotte. La mort n'a pas d'importance. Il est mieux de dire que la vie est longue, même quand on sait très bien le contraire. N'est-ce pas une philosophie folle ? Ou est la folie de Don Quichotte tout à fait raisonable ?

mardi 13 avril 2010

Le progrès furieux des Américains qui n'ont que des tirants de botte

Cher lecteur, je suis tout seul. Américain, je dois me faire tout seul. Je n'ai que moi-même, mais contraire à notre mythe je vous voue que je ne suis ni costaud ni résilient. J'échoue plus souvent que je réussis. On pourrait dire que je ne suis pas un vrai Américain. Je m'habille comme eux, je parle comme eux, je fais semblant de travailler comme eux, mais au fond je mène une existence louche qui est apte à corrompre l'attitude optimiste éternelle de cette terre bénie, ce nouveau paradis, ce jardin d'Éden.

Bien sûr, mon pays n'est pas pour les feignants, les bons à rien, les mécréants. Ces gens-là, ils empêchent le progrès. Ils méritent une bonne gifle. On ne leur donne jamais la parole. Ils sont nos laissés-pour-compte.

Voilà comment on les écrase.

Aujourd'hui sur la radio, j'ai entendu un rapportage sur un événement choquant. Une cycliste, qui a été heurtée par un camion militaire près du périmètre de sécurité du sommet sur la sécurité nucléaire, est morte. Les cyclistes, et grosso modo les autres feignants, sont en deuil et en choc. Un cycliste a dit que la prochaine fois qu'il voit un camion militaire il y ferait plus d'attention et le laisserait beaucoup plus de place.

Ancien cycliste que je suis, je peux vous dire que j'avais échappé belle autant de voitures que j'ai fini par abandonner mon vélo. Selon mon expérience, laisser plus de place pour un véhicule, c'est inviter aux autres malheurs de la rue de devenir les obstacles dangereux. A mon avis, un camion militaire n'est pas à sa place dans la société civile. Autrement dit, plus on est sécurisé, plus on est menacé par les instruments de sécurité. Il faut surtout se ralentir et réfléchir à la sécurité des cyclistes et des piétons pour que tout le monde peut vivre ensemble dans un équilibre harmonieux.

Selon le département de l'état,"Président Obama est l'hôte de l'événement afin d'accroître la coopération internationale pour éviter le terrorisme nucléaire." La présence militaire est là pour assurer la sécurité des membres du sommet; les cyclistes et piétons sont là pour vivre en toute sécurité grâce aux efforts des gens qui jouent avec les armes de destruction massive; et les manifestants sont là pour faire avancer leur programme. Que c'était sur la Chine ou les droits fondamentaux, je n'en ai retenu rien. Mais pour une raison quelconque, une manifestante de Kentucky était interviewée. Elle a prononcé dans sa voix rauque sudiste un résumé de l'événement qui était truffée de courage faux, entrelacé de tirants de botte et bourré de petites phrases méchantes, « c'était bien malheureux que la femme ait été heurtée, et qu'elle soit morte, mais nous sommes ici pour faire du progrès et il faut avancer. Nous ne pouvons pas revenir au passé. »

Évidemment madame, on ne peut pas revenir au passé. Et là, c'est triste de penser au sort de cette pauvre cycliste. Mais, feignant et corrompu que je suis, j'ose une seule question. Si on faisait une pause juste pour quelques minutes, même un jour, pour réfléchir sur le sort de cette femme écrasée au nom de la sécurité ? Pouvons-nous nous permettre plus de place et de temps dans nos vies fragiles, courtes et insignifiantes ? Pouvons-nous réduire au même temps le besoin écrasant de faire du progrès ?

dimanche 11 avril 2010

Un dimanche mouvementé à ne rien faire


Même quand on essaye de ne rien faire, même aux moments qui restent effacés de la mémoire, si on y fait attention, la vie est toujours en ébullition. C'était le cas aujourd'hui, un dimanche quelconque où je pensais faire juste ce que je voulais faire.

Je me suis levé à six heure trente, trop tard pour voir le lever du soleil, trop tôt pour dormir assez d'heures. J'ai fait du café, et puis j'ai fait des calculs -- parler par Skype, finir de lire Don Quichotte, écrire mon billet, terminer le billet d'hier, et aller déjeuner à quelque part. Je pense que j'ai commencé à lire, mais ce matin, je ne sais plus ce qui j'ai fait. Le jour a bien commencé environs 9 heures quand ma femme, Chouchou, m'a demandé ce que je pensais faire. Rien, je lui ai dit, tout ce que je voulais faire. Non, il faut ajouter à ma liste qui consistait d'un seul article de vérifier les impôts. Est-ce qu'on va déjeuner quelque part ? Non, elle a un concert dans l'après-midi, et c'est moi qui dois faire la cuisine.

Environ 9h30, j'ai sorti mon vélo du sous-sol pour aller à l'épicerie. Cinq minutes plus tard, j'y arrive, mais il n'ouvre pas jusqu'à 10h. Je rentre et prends une douche. Chouchou tire le rideau et me voit. Cela fait longtemps que j'ai pris une douche à la maison. Je me lave après avoir nagé à la piscine. Je me rase, et puis ressors. Cette fois-ci, je rentre à la maison, le sac à vélo gorgé à craquer, et essaie de commencer la cuisine, mais Chouchou a d'autres idées. Il faut attendre jusqu'à ce qu'elle finisse à nettoyer tout, et en attendant je dois me laver les mains. Est-ce que je peux utiliser la grande planche à découper ? Non, il n'est pas propre. Je l'aide à la nettoyer avec le mitigeur aéré, et puis je le lui point. Elle fronce les sourcils et j'y renonce.

Je prépare les plats. Je termine les asperges et la salade. Je découpe les ingrédients, je les mets ensemble, mais je dois retourner à l'épicerie pour des navets, un pot de confiture de baie d'airelle, et du persil. Quand je suis rentré, le lave-vaisselle, qui est fort malade, est en train de grogner comme un agonissant. Chouchou l'a démarré parce que le maudit engin s'est mis à fuir et elle voulait vider l'eau qui déborde et coule au sous-sol dont le sol est couvert de l'eau. Le désastre évité, je recommence à travailler. Vers midi, je vois si un correspondant m'attend. Je laisse un message et retourne à la cuisine. Nous n'avons qu'une heure pour terminer la cuisine et manger, mais elle veut terminer les impôts. Je lui dis qu'il sera impossible de manger, travailler et passer un peu de temps ensemble. Allons à la terrasse, éteins la télévision, et mange dehors avec moi !

Et alors, dehors c'est le paradis. Tout le chaos s'efface. Le soleil brille. La lumière jaillit sur les couverts. Les oiseaux chantent. Tu vois ? Mais qu'est-ce que tu y penses ? A ton concert ? Non, les impôts. Mangeons Chouchou.

« Tu vois, c'est comme la France ici. L'azalée-là, c'est comme une cathédrale, les jonquilles, comme un pré vert de hautes herbes, les oiseaux, comme les oiseaux français ou les chants des cloches, non ? » Elle reste tranquille. On ne se parle plus, sauf pour remarquer les oiseaux dans les arbres, les abeilles dans les arbustes et les bourdons dans l'air. On laisse les chats dehors par une fenêtre ouverte. Nous mangeons. Je bois un verre de vin.

Je retourne à la cuisine pour faire des oeufs pochés. Un, deux, trois dans l'eau. Je note le temps pour attendre et l'abeille dans la maison. Une abeille dans la maison ! Je le cerne par un drap et l'encourage de sortir, mais le temps de la faire sortir est trop long pour les oeufs. Ils sont tous durs.

Nous finissons le déjeuner en toute tranquillité. Et juste pour un instant j'ai l'impression que tout est calme et tranquille. Je flotte, les milles distractions et soucis sont loin, la vie est belle. En fait, il me semble que tous mes plans de ne rien faire ce dimanche s'accomplissent sans le moindre effort.

Et dire que jusqu'à à ce moment tout me disait le contraire.

Le reste de la journée ne mérite pas une description. Ce n'est pas qu'il était calme. C'est que même dans une journée à ne rien faire, la vie est toujours en ébullition, et je finis le jour par m'épuiser.

Qu'est-ce qui va m'arriver pendant les vacances en France ? Merde, j'ai oublié de conclure notre projet de vacances. Le week-end prochain peut-être ? Je n'ai pas grand chose à faire.

samedi 10 avril 2010

Scénario banal

Je pensais écrire sur d'autre chose aujourd'hui, mais ce serait impossible. Quand une histoire tombe dans les mains, il faut en écrire.

Si vous n'étiez pas au courant, nous avons une voisine, Zanie, qui adore faire des commérages sur les vies des autres voisins. Cette fois-ci elle a raconté à ma femme M. tout sur le sort de nos anciens voisins, les Pétet.

En bref, M. et Mme Pétet travaillaient dans un pays catholique et y élevaient leurs deux enfant adorables quand M. Pétet a eu un coup de foudre pour une autre femme qui travaillait avec les Pétet. Il a planquée là toute la famille et maintenant vit avec son amour. Ils continuent, je suppose, de se voir à l'école. J'imagine qu'il continue à voir ses enfant. Selon les commérages de Zanie, il veut vite divorcer de sa femme et se marier avec son amante, mais puisqu'ils sont dans un pays catholique, le divorce est impossible. Comme son amante ne veut quitter la région, ils pensent s'installer tout près dans un autre pays. Mme Pétet veut rentrer dans la maison de notre quartier. Où est le problème ? M. Pétet demande que Mme Pétet lui suive afin qu'il ne soit pas séparé de ses enfants.

vendredi 9 avril 2010

Sancho Panza et Don Quichotte ne s'aiment plus

Cervantes avait de la génie de coupler le chevalier avec son écuyer, le long et mince avec le petit et rond, la folie des idéaux avec la sagesse du bon sens. Autrement dit, il a marié le ciel et la terre. Il a même mis ensemble le cheval mince et long, Rocinante, avec l'âne petit et trapu, gris-pommelé. Ensemble, ce pair inégal cherchait des aventures, l'un en quête de la valeur et du renom que mériteraient la dignité de son âme, l'autre en quête d'une île. En chemin, ils nous donnèrent le jour à une image de nous-mêmes en état de libération de tout dogme étroit.

Aujourd'hui, le divorce est partout. On ne voit plus le couple ensemble. Nous sommes des individus libérés de notre conjoint. Le divorce le plus criant est celui du corps. On ne met plus ensemble le rond avec le mince. On met chaque taille dans des catégories qui vont de l'anorexie à l'obésité, et dans chaque catégorie on se fait un score, qu'il dénote un attribut sur l'état physique--trop maigre, en bonne santé, enclin au diabète type II ou qu'il en décrit le charme charnel--trop mince, très sexy, grotesque, c'est selon sa profession, médecin, anthropologue sociale, journaliste, publicitaire, vedette de cinéma, faiseur d'image et surtout les blogueurs.

Dans la sphère privée, c'est nous qui choisissons l'image et puis nous l'interprétons. Souvent le choix se fait selon la manière de choisir un vêtement. Il faut se divorcer des images qui ne sont ni bonnes pour la santé ni désirés pour l'image de soi-même. Et on arrive à une image qui plaît à l'individu mais qui est plutôt hostile aux autres images. Mais cela ne se dit jamais. On est toujours obligé de choisir l'image. Si vous ne l'aimez pas, ou vous êtes trop préjugé ou vous vous appartenez à une autre catégorie, et comme ça vous n'avez ni le droit de voir le monde dans son ensemble ni le besoin de vous lier d'amitié avec le contraire.

Nous avons donné le jour à une liberté si individualiste et compartmentaliste qui finit par devenir banale, omniprésente et oppressive. Et c'est pourquoi, à notre époque, Sancho et son chevalier ne s'aiment plus.

jeudi 8 avril 2010

Le premier costume

Dans le métro j'ai vu une jeune femme qui m'attirait l'attention. Elle avait une coupe dépouillée, les cheveux raides et trop longues pour un style chic, trop courts pour assumer une forme plus luxurieuse. Il était incertain si elle y a mis un petit boucle au bout de la coupe ou si l'inattention voire la rébellion y a causé la rupture. Elle portait des lunettes simples qui cachaient son visage. C'est-à-dire je ne l'ai vu qu'une seconde ou deux. Dans tel délai, les lunettes servaient plutôt comme une masque. Elles obscurcissent les sentiments et les remplaçaient avec un air indéfini qui laissait entendre un volonté apte pour le travail. Ce qui m'a attiré l'attention était son tailleur gris et trop grand. Tout d'abord, aucun washingtonien qui cherche les clés du pouvoir, avocats, analystes financier, lobbyistes, ou consultants et qui portent un costume n'en porte un pareil. J'ai jeté un oeil autour de moi à sa concurrence. Tous les tailleurs et les costumes étaient ajustés. Les plus osés portaient des tailleurs moulants dans les couleurs qui déclaraient haut et fort à l'oeil leur présence. En comparison le sien ressemblait plus à l'habit d'une religieuse qui prend le voile qu'aux armures complètes qui collent à la peau.

Le tailleur m'a fait penser à mon premier costume. Je n'en avais qu'un au début de ma carrière. C'était un cadeau d'anniversaire pour mes entretiens prochains. C'était absolument collant, parce que on m'a envoyé au tailleur dans la seule place de ma ville natale. Il m'a mis dans un costume approprié pour ma taille, mais pas pour mes épaules, ni ma poitrine. Quand j'ai décroché mon premier boulot, grâce à mon nouveau complet, il m'en fallait des autres. Bien que le complet que j'ai reçu était très bon marché, c'était hors question de retourner au tailleur. A l'époque, j'étais toujours fauché à cause d'une pauvreté provoquée par l'abandon. Le benjamin d'une famille récemment divorcée et puis reconstituée tombe dans l'oubli et doit apprendre à se débrouiller tout seul. Je suis allé à la solderie et y ai cherché des costumes.

On peut y passer des heures. Le magasin énorme est toujours en désordre. Les hordes de chalands en quête d'une bonne affaire se pressent autour des portants. Le jeu était de trouver quelque chose qui n'était pas moche, qui n'avait pas de défaut et qui était à la bonne taille, mais la taille du magasin dépassait ma capacité de dénicher un nougat d'or parmi toute cette pyrite. D'ailleurs, à l'époque les tailles des chemises et des costumes étaient standardisées. Les chemises étaient vendues par la taille du cou et de la manche. Si on achetais une chemise par rapport au cou, on choisirait un carcan, par rapport au confort c'était une tente. Naturellement naïf, j'ai choisi le confort. Tout ce que je possédais était volé de mon frère qui osait d'emprunter la carte de crédit de mes parents pendant qu'ils étaient encore en couple. D'ailleurs, je m'habituais fort aux vêtements trop grands pour moi. J'ai passé toute mon enfance dans les vêtements de mes frères, pourquoi fallait-il changer de style pour le bureau ? Je pensais qu'on ne s'habillait pas pour exprimer son propre style ou individualité, on faisait avec.

Tout ce que j'ai pu trouver était des cravates bariolées mal assorties avec les costumes trop grands. À l'époque je me suis pensé qu'on ne pouvait remarquer que la taille des pantelons et des vestons dépassait la taille de mon corps. Une ceinture bien serrée était le seul truc qui ancrait tout l'ensemble des vêtements. C'était le mât, le seul support des tentes qui étaient absolument mal ajustées à mon corps.

Quel malheur !

Aujourd'hui, après trois évolutions de carrière, je suis en liberté vestimentaire. Je n'affiche plus rien de mon individualité. Je porte les mêmes jeans et chemises banales à la maison et au bureau. On est tenté de dire que je suis rebelle parce que les personnes qui veulent réussir portent encore les habits traditionnels. Mais non, je suis paresseux. Je ne fais guère attention à mon apparence.

Beaucoup de monde jouit de la même liberté, mais grosso modo on continue de prendre un énorme soin de l'image de soi-même. On affiche l'image partout, à même la peau. Mais, je laisse tomber le sujet pour l'instant. Je n'ai pas taillé ce récit afin de dire quelque chose de profond. Enfin, je n'ai rien taillé dans ce récit. J'ai vu une jeune femme en manque d'un bon tailleur qui m'a fait penser à mon passé dans les tentes indéfines. Ce qui me surprend est comment autant de monde affichent les vêtements, les carrières, et une image de soi-même qui sont à la bonne taille.

A mon avis, sous la tente qu'elle portait j'espère que la jeune femme était conformtable.

mercredi 7 avril 2010

La grandeur des arbres à l'oeil nu

Moi, je suis invisible. Il faut l'admettre. Et il faut depuis longtemps que je ne m'en remette plus ni à la Toile ni aux collègues de bureau pour me rendre visible. Mes pouvoirs d'invisibilité sont tellement forts qu'à ce moment ma voisine de bureau reçoit un visiteur qui me fait une mine placide et insensible chaque fois que je le vois. Bien sûr, je peux rompre le sortilège quand je lui dis bonjour, mais je pense que mon pouvoir magique est devenu tellement fort que même après le sortilège est rompu, il a des ennuis de sortir de l'enchantement et n'arrive qu'à me bredouiller un bonjour mécanique. En revanche, il y a des failles dans mes puissances occultes. Par exemple, ma nouvelle voisine de bureau qui a commencé il y a quelques mois, me dit bonjour chaque matin. Elle semble réfractaire à tous les sortilèges qui me rendent invisible. La plus puissante, c'est la routine. L'ambition en est une autre. L'autosatisfaction, l'amour-propre, l'arrogance, la peur, l'obsession, les manies, l'égocentrisme, même la haine sont des puissants sortilèges aussi. Tout cela ne semble jamais l'empêcher, mais je crains qu'un jour, la routine aille nous rattraper et l'ensorceler.

Beaucoup de choses sont invisibles même à moi. Hier dans la petite matinée, je me suis aperçu de la présence de quelque chose dans le voisinage tout à fait de magnifique. Dans la lumière rose de l'aurore, les oiseaux chantaient à plein coeur aux faîtes des arbres. Leur chant m'a fait regarder en haut. Ensuite je me suis rendu compte que tous les arbres en pleine fleur étaient remplis d'oiseaux. Ils les ont transformés en amphithéâtres des chorales d'oiseaux chanteur. Afin de saisir l'envergure de leur royaume subrepticement inséré dans le nôtre, j'ai dû regarder autour de moi. Je me suis tourné plusieurs fois. Les oiseaux étaient partout et les arbres dont j'ignorais des années me semblaient tout d'un coup agrandir et devenir des géants. Je me sentais plus petit auprès d'eux, mais tant mieux reconnaissant de ce qui m'entoure.

Aujourd'hui je suis sorti pour retrouver la même sensation de merveille. L'appareil photo à la main, je me promenais en quête d'une jolie image.

C'est toute une affaire de prendre des jolies photos de la nature dans le voisinage. La ville est trop agressive pour faire des photos en dilettante. Les arbres sont trop grands pour l'objectif. En fait les câbles coupent l'image, les voitures dans la rue envahissent le cadre, les maisons détournent l'attention du sujet. Les oiseaux qui sont très jolis à l'oeil nu se fondent vite dans le paysage. C'est surprenant combien leurs couleurs sont assortis à ceux des arbres. Même quand ils atterrissent sur le sol, ils gardent une distance prudente loin du photographe. Les fleurs étaient les uniques sujets de mes photos qui coopéraient, mais la lumière du flash a rendu l'image irréelle. Quand même, la ville ne pouvait m'empêcher de les sentir, voire de m'attirer dans les allées pour en découvrir plus.

J'ai laissé tomber ma carrière naissante de photographe apprenti et continuais sur mon chemin. Je regardais en haut et écoutais les sons. Vite, je me suis aperçu de l'invasion sonore des voitures et des climatiseurs. C'était une guerre entre la nature et la ville et il va de soi que c'est la ville qui efface toujours la nature. J'ai dû chercher les endroits plus calmes pour retrouver le royaume des oiseaux.

Je ne sais comment, mais ce matin n'était pas comme hier. Que j'étais plus distrait, la ville était plus envahissante ou la routine a déjà émoussé mon émotion, je ne suis arrivé à retrouver ni la grandeur des arbres ni l'enchantement des oiseaux. La routine, Ô comme vous êtes un malin et méchant sorcier. Vous rendez toute beauté invisible.

N'empêche. Je sortirai demain à la petite matinée pour retrouver la visibilité de l'invisible et m'établir bien assorti au monde mieux vu à l'oeil nu.

mardi 6 avril 2010

L'énigme des yeux

Il y a une semaine, mon cher lecture, notre héros avait deux visites de deux oiseaux du bureau, mais je n'ai écrit que sur la première visite. Voilà la suite de l'histoire.

Le premier s'appelait Jojo et il m'a répété à pied de la lettre tout ce que Bruno lui a dit d'autant que j'avais l'impression que Bruno était là dans mon bureau. Je disais qu'il avait un faux air d'un hibou, mais je me suis trompé d'espèce. Il avait un petit air de chouette, parce qu'il n'a pas d'aigrettes, il sort la journée et les hiboux, vous savez, sont absolument nocturnes. En particulier, il est plus comme une chevêchette. Elle est la plus petite des espèces chouette. Elle a une tête ronde aux yeux bruns fades qui adoucissent le regard. J'ai choisi la chevêchette au lieu de la chouette chevêche, parce que même si les deux sont petites, la dernière effraie aussitôt qu'on la voit, et elle a des yeux au regard perçant et interrogateur. Ce n'est pas le cas de Jojo. De plus, elle est la chouette d'Athéna, déesse grecque de la sagesse, de l'intelligence et parfois de la férocité. Pauvre Jojo, je ne penserai jamais qu'il ne puisse pas atteindre un sommet si haut et lointain.

Le second était DJ qui ressemble plutôt à un moineau. Il a des gestes rapides, les yeux vifs et interrogateurs. Quand il parle, j'imagine que s'il voulait avoir l'air d'un oiseau, il n'aurait qu'à sautiller un petit peu pendant qu'il piaule et parle à la fois.

D'habitude il entre en petits sautillements. « Go ? », il me demande. Je le regarde, puis il s'approche plus, « Vous êtes disponible ? » « Oui, je vous écoute. » A ce point, il est tiraillé entre la peur de me déplaire et le désir de me parler. Ces yeux me fixent droit dans les yeux. Je le regarde, et l'énigme de ses yeux me paralyse. Je patiente.

Mais un regard, comment peut-il contenir un énigme ? Comment peut-il s'emparer de tout l'esprit ? Nous n'avons plus de métaphores de la vision, nous ne nous en remettons plus aux explications des époques médiévales ni à l'anthropocentrisme de l'antiquité qui supposait que les animaux et les êtres humains étaient tous divins et que la lumière divine émanait de notre corps et était transmise par des rayons invisibles qui sortaient de et entraient dans notre âme par nos yeux. Quand je regarde les oiseaux, je peux voir qu'ils nous regardent comme si c'est une question de vie ou de mort. Autour de notre maison il y a maintes mangeoires, parce que nous voulons faire penser aux oiseaux que nous sommes leurs amis, mais l'instinct, l'expérience et nos chats leur disent tout le contraire. Je peux donc voir qu'il sont tiraillés toujours entre la joie d'être vivant et la menace d'un danger mortel et qu'ils font des millions et millions de calculs mentaux alors qu'ils nous observent. Dans le rayonnement de leur regard, je me demande, « Qu'est-ce qu'ils pensent ? Sont-ils comme nous ? Est-ce qu'ils nous considèrent comme quelque chose de divin ? Ou est-ce qu'ils ne pensent qu'à manger et à se sauver ? Même si ce n'est qu'à manger et à se sauver, c'est un genre de conscience, n'est-ce pas ? » La chose la plus surprenante des oiseaux, c'est comment les oiseaux d'une volée restent absolument tranquilles. Ils n'ont pas l'air de rien de conscient quand je les regarde, et houp ! toute la volée s'envolent en un clin d'oeil. La rapidité de leur réflexes ou oserais-je de le dire, l'instantanéité de la transmission du rayonnement de leurs âmes, me surprend. Dans cet instant d'observation mutuelle, je suis paralysé par cette énigme.

« Go, j'ai un problème. » Il me regarde comme les oiseaux regardent les êtres humains, les chats, les vers, et les autres oiseaux.

« Oui. Allez-y. »

« J'ai un fichier. Vous comprennez, et c'est un fichier très important. Je l'ai. » continue-t-il comme c'est une question de la vie et de la mort.

« Et alors ? »

« Je dois l'enregistrer sur les autres ordinateurs, » il me dit en forme de question, puis il clignote une fois. Je clignote. Mon incompréhension est à son comble. Tout d'abord sa question n'est pas une question, mais comment le lui dire sans avoir l'air absurde ? D'ailleurs, chaque fois qu'il me demandé une nouvelle question, il pointe le doigt dans l'air comme un oiseau qui bat son aile.

« Mais ne pouvez-vous pas copier le fichier sur les autres ordinateurs ? » je lui demande.

« Si, mais non, je veux dire... » et à ce point il pointe le droit dans l'air, « ... que, c'est un gros fichier et très important, » dit-il en pointant de nouveau trois doigts dans l'air en biais.

« Mais je ne comprends pas. Est-ce qu'il y a un problème ? »

« Non, non, non, non, non. Je voulais juste dire que... » et ne trouvant rien plus à me demander, il conclut, « Ben, laissez tomber. Je vous souhaite une bonne journée Go. Merci. »

Je lui ai souri, « De rien, DJ. Bonne journée à vous aussi. »

Après, il s'est envolé. Soyez le bienvenu à tout moment DJ.

A cet instant, je ne comprennais encore rien de l'énigme, mais il me semblait moins mystérieuse.

lundi 5 avril 2010

Je n'ai que 30 minutes

Ce sera un billet fait dans une cocotte-minute. Je n'ai que 30 minutes d'écrire et puis il faut parler à quelqu'un. Après ça, il faut me raser, faire mes cafés, faire mon sac, et puis aller au travail. Oups ! J'ai même oublié qu'il fallait donner à manger aux chats.

N'est-il pas très énervant de se limiter aux contraintes de quelques minutes pour cela, 128 caractères pour twitter, (oups ! on a 140 caractères. Quel luxe !), et quelques secondes pour parler à quelqu'un d'autre ? Oui, vous me dites qu'il faut économiser sur tous les domaines. Il faut travailler, se préoccuper des enfants, faire du progrès dans nos carrières, faire nos cours, faire la vaisselle, moucher le nez, et s'essuyer le derrière.

J'allais vous poser un tas de questions, « Faut-il avoir des limites ? Faut-il avoir beaucoup de pression ? » mais je déteste cette manière d'avoir auparavant toutes les réponses des questions qu'on a déjà posées d'un air très, très innocent. Je déclare ! que ces questions ne sont qu'un prétexte de couper court, parce qu'on n'a ni le temps de recueillir tous les avis ni la patience de regarder son avis à la lumière d'un autre esprit. La question évite le débat par l'échappatoire convenant suivant, « Oh, je m'en demandais seulement. »

Bien sûr les limites sont parfois utiles. Par exemple, quand je mets au feu l'avoine sur la poêle, c'est 30 minutes pour en faire cuisiner, plus de 30 minutes, l'avoine devient un peu sèche, plus de cela, elle colle sur le fond de la casserole. Aujourd'hui dans ma hâte, qui est habituelle, j'ai brûlé cette règle de fer du 30 minutes, et du coup, notre petit déjeuner sera de l'avoine croustillante. C'est un goût qu'il faut apprendre à aimer.

En revanche, c'est l'heure de ma conversation ! Le temps est épuisé !

Mais, comment est-ce que je pourrais me limiter à 30 minutes pour écrire mon billet ? Il était absolument impossible. Je déclare que les limites sont nuls !

Attendez, il faut aller parler. A tout à l'heure.

Je suis de retour. Tout est très bien passé. J'ai appris beaucoup de choses sur le monde virtuel et les nouveaux mots français du commerce et du monde informatique. Par où commencer cette leçon de l'instantanéité ? La propale, c'est la proposition commerciale. Vous voyez combien de secondes qu'on peut sauver avec ce mot. Il ne contient que de deux syllabes, tandis que l'expression originelle en contient neuf ! La vie durant dans les affaires, on peut économiser des siècles. Ben. J'exagère, mais au moins quelques semaines. Avec Facebook, on peut économiser davantage, parce qu'au lieu d'écrire une lettre (à la main et en papier et en encre) on peut télécharger une photo et voilà tout le monde tient de vos nouvelles. Comme on disait antan. Une photo vaut mieux que 1 000 mots, mais qui a vraiment le temps de compter à 1 000. Ce serait mieux d'écrire 100 ou 10. Aujourd'hui on n'a plus besoin d'écrire les cartes postales. Il y a les epostcards. C'est vite et écologique excepté tout le temps qu'on passe devant l'ordinateur allumé au lieu de visiter les endroits non-virtuels. Peut-être on peut rester chez soi et les envoyer. Personne n'en serait plus avancé.

A ce point, je lui ai demandé son avis sur l'idée de tenir un blogue. Mais les blogues n'étaient pas son fort. Facebook était formidable de maintenir le contact avec beaucoup de monde qui sont parsemé partout dans le monde. Et on n'a qu'à afficher quelques photos pour dire « Je suis encore en vie. » Un blogue, c'est différent. Il faut écrire, et l'écriture, ça dure. Ce n'est pas facile, au moins si on insiste d'écrire chaque jour et sans photos, sans l'affichage en boucle des images de sa vie. En fait, écrire chaque jour, c'est une manière de me ralentir, d'observer ce qui se passe dans la vie quotidienne, de me poser constamment des questions, comme « Est-ce quelque chose d'intéressant ? Est-ce que cet événement mérite d'être remâché et écrit ? »

L'intérêt de mon blogue témoigne auprès le public en a révélé la réponse. Mais, je me plains et je m'écarte du sujet. A bas les limites !

Avant de conclure ce billet, il faut noter comment j'ai terminé la matinée. Avoir fini la conversation, je me suis rasé et puis j'ai fini toutes autres tâches. Je cherchais mes clefs et je ne pouvais les trouver. Il faisait très tard. J'ai eu des visions de toute la journée ruinée par mon incapacité de quitter la maison avant 9 heures trente. J'ai fait le tour de la maison, mon bureau, la chambre, la salle de bain, le salon, la salle à manger, la cuisine. Rien. Encore une fois du comble au rez-de-chaussée. Rien, rien, rien. Mais où sont les maudits clefs ? Alors que je les cherchais, ma femme est dehors. Elle avait hâte aussi, parce qu'elle devait aller à une répétition ce soir qui lui obligeait de quitter le travail tôt, mais la voisine était là. Oh mon dieu, qu'elle adore parler à ma femme. C'était presque 9 heures quand j'ai commencé les tâches. Je les ai vu par la fenêtre. Environs 9 heures et le quart, elles étaient toujours là. Zanie, la voisine, parlait tout le temps; ma femme souriait tout le temps, figée par la peur de commettre une maladresse et l'angoisse de vouloir aller courir à la voiture en hurlant de l'impatience et l'exaspération. Pendant qu'elles parlaient, une mère avec son bébé en poussette s'approchait d'elles. Maintenant toutes les trois était en train de parler. La seule qui avait envie de couper court était la mère. Elle a poussé la poussette un ou deux pas, puis s'est tourné vers elles pour continuer. Elle remuait la tête plus souvent qu'au début. Elle a poussé la poussette encore un pas, et maintenant elle semblait tiraillée entre la conversation et son bébé, et comme si la poussette a démarré par sa propre volonté, elle a dû la suivre et dire au revoir.

Ma femme restait clouée au même endroit.

Environs 9 heures 40 j'étais désespéré. Où diable était ces maudits clefs ? J'ai crié par la fenêtre. « Chérie ! Est-ce que tu sais où sont mes clefs ? » Sur le champs elle a dit au revoir et s'est sauvée dans la maison.

« Je les ai ! »

« Mais, où diable étaient-ils ? »

« Sous le cahier de cuisine sur le tabouret dans la cuisine. »

J'ai maudis ma mémoire défectueuse. Bien sûr, qu'ils étaient là. J'ai fait la cuisine hier soir ! « Es-tu contente que je t'ai sauvée de la conversation sans fin avec Zanie. » Elle a roulé ses yeux, m'a dit au revoir et vite, vite, vite elle a filé comme une flèche au travail.

De temps en temps, c'est bien d'avoir un mari distrait qui peut terminer une conversation qui traîne plus de 30 minutes.

dimanche 4 avril 2010

Un changement de position dangereux


- Un peu de café mon amour ?

- Mets-le sur la table de nuit.

- Tu ne sors pas du lit ? Je me recouche donc.

Et voilà, on a des idées. On cause un brin qui devient une véritable conversation. Les chats nous observent et se pensent que tout le monde dans la maison fait la sieste toute la journée, comme eux. En parlant ma main gauche a pu décourager le premier avec une gentille poussée sur son flanc. Elle fait plop sur le sol, et encore une fois sur le lit. Après quelques découragements, il y a renoncé. Le second, qui ne aime pas du tout le premier, pensait que nous l'attendions. Il a le don des pas silencieux. Il s'approche de nous du pied du lit et s'installe entre nous. Je suis trop facile avec les chats installés dans le lit étendus de tout leur long et qui nous regardent la tête enfoncée entre les pattes et le regard vers le haut qui demandez « Permettez-moi ? »

« Oui, bien sûr mon chou » je me suis pensé en me levant pour m'installer à l'autre côté du lit.

« Ronron fait toujours à son idée ! Ce n'est pas juste. J'aimerais bien échanger le rôle privilégié qu'assume ce chat chatouilleux. » a dit ma chérie d'un air jaloux d'un petit tigre.

On commence et ronron nous regarde.

« Quel drôle d'idée est-ce qu'il tient quand il nous regarde ? Parce qu'il nous regarde tout le temps. Tu le sais, non ? » demande ma chérie.

Je ne réponds pas, parce que je ne pense plus, j'agis, je tremble, je, er, essaye de conjuguer le verbe bander, mais de l'autre côté du lit, du côté destiné à ma chérie.

Le chat, l'autre côté du lit, l'épouse, l'altérité et la maison unie et harmonieuse font partie d'un bon mariage. Grosso modo, accepter l'autre, c'est toujours le même refrain qu'on entend dire. Mais vivre dans la place de quelqu'un d'autre, assumer son rôle, voire dormir à l'autre côté du lit, je vous jure, c'est dangereux. Et ce n'est jamais pendant l'usurpation des rôles, c'est après, parce qu'on ne se connaît jamais tout. Il y a toujours trop de distance, trop d'écart entre les points de vue et de connaissances. Il faut apprécier l'autre et peut-être s'imaginer à sa place pour mieux s'entendre, mais au bout du compte, ronron aura ses idées de nous, et nous n'en saurons jamais rien.

On ignore le chat, et puis on finit nos ébats. Je ferme les yeux et me laisse pénétrer la douce et magnifique paresse toujours suivi d'un bâillement de lion.

« Enlève la couverture, j'ai chaud. » dit ma chérie.

Machinalement, je l'enlève, puis ma main tombe sur une tasse de café qui tombe sur le sol et vide son contenu.

En nettoyant le café répandu, je me rends compte que la faute de ma maladresse était le changement. Je dis que je ne suis pas habitué à être à l'autre côté du lit, puis je souris et demande, « Tu vois le danger d'échanger les rôles et les positions ? »

samedi 3 avril 2010

Le musicologue à l'épicerie du coin

La vie est toujours une aventure.

A la pensée d'avoir perdu toute la journée en faisant les choses banales, j'ai renoncé à accomplir ma lecture de Don Quichotte et à écrire un billet intéressant ou au moins sur une aventure qui s'est produite à l'improviste. J'ai déjà nagé le matin, fait cuisiné le petit déjeuner l'après-midi, et pris un petit somme en fin d'après-midi. Le sort en était jeté, il fallait m'occuper du dîner, et si j'ai commencé à 5 heures, peut-être nous pouvions manger à sept heures ce qui me donnerait quelques heures ce soir pour écrire et lire.

J'ai dressé une liste des courses. J'ai dit au revoir en me plaignant de la télévision qui était toujours allumé aujourd'hui et dont la bruit commençait à me taper sur les nerfs. La télévision, c'est avoir en visite un hâbleur qui vous ennuie par vous inculquer les mêmes histoires, blagues et conneries tout en vous donnant un coup de coude dans l'oreille. Même quand je quittais la maison, ce visiteur importun m'assenait toujours, « Oh nos émissions sont les meilleures ! Nous vous donnons à voir des spectacles pleins de passion, parce que la passion, c'est l'épice de la vie ! »

Je suis allé à l'épicerie du coin bondée de foules de gens et ai acheté. Ma tête dans les brumes de la passion et de la lecture de Don Quichotte, j'ai oublié d'acheter du maïs éclaté pour ma femme et de la crème pour la sauce du steak poivré. Je ne me suis guère souvenu d'acheter des pommes de terre, un concombre, des betteraves, et des champignons. En chemin à l'épicerie, je me pensais des sujets de conversation pour la prochaine réunion de groupe de lecture où on discuterait de Don Quichotte. Il serait inévitable que quelqu'un se prononcerait contre la beauté du livre ou insisterait tout de go qu'il était le premier livre postmoderne. En d'autre termes on entrerait le livre dans une hiérarchie littéraire selon une logique parfaitement comprise par le sérail des snobinards. Je m'imaginais à trouver les propos qui balayeraient toutes les idées reçues comme Don Quichotte a plaqué au sol le pauvre M. Carasco.

J'avoue, je suis trop bête quelquefois, mais il faut comprendre que les gens de Washington sont trempés de la manie d'hiérarchiser. Si vous lisiez un livre, il faudrait savoir si vous le considéreriez comme le meilleur. Il faut préciser et saisir l'essence de chaque expérience avec des chiffres. Si on a de la passion pour quelque chose, il faut le crier sur tous les toits et sur les émissions télévisées que le chiffre de cette passion est absolument hors de mesure. Quand on parle de Shakespeare, il n'est pas important de comprendre les nuances, mais il faut au moins dire que sa popularité est due à son rythme de mots. Tout cela, c'est du pentamètre iambe. Les washingtoniens ne sont pas pris au dépourvu. Il faut toujours avoir le détaille qui donne l'impression que vous aviez tout lu.

Moi, je pensais que Shakespeare et Cervantes sont arrivés à écrire et décrire des choses qui étaient et restaient tout à fait insaisissables et qui doivent lentement se révéler au lecteur. Comme je disais auparavant, je suis bête et parfois naïf.

Je suis rentré à la maison et ai commencé à faire la cuisine. Je me suis vite rendu compte que j'ai oublié des ingrédients importantes et après avoir commencé le travail, j'ai mis les brûleurs en veilleuse et hop ! je suis retourné à l'épicerie.

Cette fois-ci elle était moins bondée. Je faisais une autre liste des courses dans ma tête. Trois 'p', un presse-purée, du pop-corn et des grains de poivre (potato masher, pop corn et peppercorns en anglais) et du crème. Tout d'abord, du pop-corn dans le rayon d'amuse-gueule, qu'est-ce qu'il y a ? Mais, est-ce le rayon d'amuse-gueule ? qui est cette jolie mère japonaise avec sa fille ? Ce mec qui a l'air d'être ébahi regardant les bretzels, est-il son mari ? Non, c'est impossible. La fille semble japonaise de souche. Ah, quelle chance, le pop-corn est juste à côté du objet de ma passion. Quelles marques est-ce qu'il y a ? Il faut absolument étudier tous les choix. Mais regarde, ça y est. C'est le seul qui n'est pas micro-ondable. Contre mon gré, je quitte le rayon. Elle n'est pas une émission télévision que l'on peut regarder bêtement toute la journée. En avant, les grains de poivre, la crème, du lait m'attendent ! Et maintenant, il faut descendre au sous-sol pour chercher un presse-purée.

A l'entrée de l'escalier mécanique, je la vois encore. Elle me sourit, je suis au paradis, et je descende. Messieurs et mesdames, au sous-sol, passion, désir, idées immorales, et bien sûr il y a des presse-purée.

L'épicerie du coin est un lieu extraordinaire. Dans cette ville construite dans l'hiérarchie gouvernementale, totale et coloniale, où l'argent des campagnes de pression parlent plus forte que la voix du peuple, notre épicerie réussit à se débrouiller autant mieux que les entreprises de l'industrie agro-alimentaire. Dans ces hypermarchés, tout est fait selon un planning industriel. L'élément humain y est une arrière-pensée lointaine. En revanche, à Rodmans, on joue de la musique classique, et on ne choisit pas les pièces bon gré mal gré. On joue -- Mon Dieu, je fais une hiérarchie -- de la musique que j'adore. En tout cas, si vous pouvez vous fier à mon avis, c'est de la musique très raffinée, très belle. Figurez-vous, musique à la guitare de Bach, des arabesques de Debussy, Mozart, et en descendant l'escalier un nocturne de Chopin. Même la version de cette pièce était extraordinaire. J'attendais les notes exquises du bout des phrases, mais le joueur a patienté et patienté, et puis, il les a joués si subtilement, que j'en ai été ému. Passion, désir, tentation, idées immorales, presse-purée, et Chopin. Paradis Exquis.

Presse-purée à la main, j'ai remonté l'escalier et cherché la caisse. J'ai vu la petite fille, mais sa maman était d'ailleurs. Dommage.

La caissière éthiopienne m'a aperçu, mais bien qu'elle ait dû chercher des cartons, elle m'a dit qu'elle serait à ma disposition tout de suite. Il faut dire que les caissières éthiopiennes sont d'une grande gentillesse et modestie avec moi ce qui me plaît et flatte immodérément. J'essaie de leur adresser une parole aimable pour leur faire plaisir, mais souvent leur modestie me contraint de ne dire que merci et au revoir gentiment. Cette fois-ci, M. Chopin m'a ouvert la porte. Je lui ai demandé « Est-ce que tu connais ce qui se joue maintenant ? C'est du Chopin. » Le mec au ventre énorme dernier moi qui était en train de mettre une caisse de vin de table (pour une soirée) qui était le même mec qui regardait bêtement les bretzels, a dit, « Nocturnes, Opus 27, numéro 2. »

J'étais impressionne. J'ai haussé les sourcils en le regardant pour témoigner mon admiration de son précision. Moi, j'adore toutes les pièces de Chopin, mais je ne peux pas les citer comme si j'ai tout mémoriser pour gagner aux jeux télévisés. Je n'ai pas cette passion-là. Je ne suis pas musicologue.

Contente que je lui aie parlé ou qu'elle ait su le nom de cette musique belle, elle s'est affiché son contentement sur son sourire qui dépassait les limites de sa timidité. Elle m'a même regardé droit dans les yeux.

J'ai souri à la jolie caissière éthiopienne et dit au revoir.