jeudi 22 avril 2010

Une tempête de non

Il faut marcher en ces autres amitiez, la bride à la main, avec prudence et precaution : la liaison n'est pas nouée en maniere, qu'on n'ait aucunement à s'en deffier. Aymez le (disoit Chilon) comme ayant quelque jour à le haïr : haïssez le, comme ayant à l'aymer. Ce precepte qui est si abominable en cette souveraine et maistresse amitié, il est salubre en l'usage des amitiez ordinaires et coustumieres : A l'endroit desquelles il faut employer le mot qu'Aristote avoit tres familier, O mes amys, il n'y a nul amy.

- Montaigne, Essais, De l'Amitie

Il n'y a pas de dieu de l'amitié. La seule chose qui ressemble ce métaphore introuvable est l'amitié qu'on doit ressentir envers Jésus, mais entre les êtres humains, rien. En revanche l'amour jouit d'un grand renom. Il noue les âmes. Il enflamme la passion, le désir, l'obsession, la jalousie. Il ne demande jamais, il exige, cajole, force, manipule. Il essaie tout pour arriver au but, mais l'amitié ? Selon l'amour, c'est ce que l'on prétend vouloir si on ne se paye pas les délices de l'amour. Pauvre amitié, quelle pitié, vous êtes comme un orphelin ou comme la soeur oubliée de l'amour. Je vous aime quand même juste comme vous êtes, l'idéal plus élusif et intangible que celui de l'amour.

Hier, je décrivais les associations de la Toile comme la manifestation divine informatique de l'amour. Aujourd'hui, je décrit les correspondances par l'écrit (courriels, lettres, voire les blogues) ou par la conversation comme la manifestation mal de l'amitié. Mais finie toute ce tas de généralités. Je vous écris aujourd'hui d'un événement.

Il y a douze jours, j'ai reçu un courriel d'une jeune femme qui m'a annoncé son désir d'établir une correspondance par Skype. Elle était directe et ardente ce qui suggérait qu'elle fût une bonne et fidèle correspondante. C'était ma première erreur. Elle n'a dit qu'elle aimerait améliorer son anglais et qu'il lui était très important. Elle n'a dit ni qu'elle trouvait mon profil intéressant ni qu'elle voulait se lier d'amitié. Elle a dit qu'elle voulait parler couramment l'anglais, parce qu'elle en avait besoin.

D'habitude, je déguise le nom de mes personnages, mais dans l'occurrence, il faut souligner que son nom de compte courriel contenait son prénom et le pronom personnel de la première personne du singulier, moi. Je la baptise donc, moi, au diable la confusion qui pourrait arriver. Vous pouvez la confondre avec moi, je veux dire Go, ou peut-être vous-même, parce qu'on a tendance de s'identifier juste un peu avec le texte qu'on lis. En tout cas, je m'en remets à vos habilités de lecteur et de lectrice pour en démêler tout cet enchevêtrement de pronoms et noms. Vous êtes vous, moi, c'est moi, et je suis moi. Claire, non ?

Moi et moi nous somme échangé nos coordonnées informatiques dans l'attente de nous voir un jour par skype. J'ai même donné à moi le nom de mon blogue, parce qu'elle me l'a demandé. Une lectrice ! je me suis pensé. Formidable. Nous avons aussi échangé nos horaires, mais à ce point, nous ne sommes pas arrivés à nous faire comprendre. Le décalage horaire, les heures de travail, les besoins personnels, tous nous faisaient bloc. Il était évident qu'il serait impossible de nous rencontrer la semaine dernière, mais en revanche elle a dit qu'elle ne travaillerait pas cette semaine. J'ai présumé que nous parlions le matin environs 8 heures sauf lundi matin, parce que je parle alors avec M. Leau-d'eden.

En attendant je réjouissais de mon nouveau contact avec moi, une parisienne. Je mentionne sa ville parce que j'ai trouvé que les Parisiens sont aussi impossibles que leur ville est absolument belle. Ils arrivent les plus nombreux aux sites de correspondance. Ils déclarent qu'il faut parler anglais et établir des échanges avec quelqu'un qui partage leurs intérêts. Ils disent qu'ils sont ouverts à toutes les opinions, tous les loisirs. Ils adorent les rencontres, les voyages, les cultures, la tolérance. Chaque profil semble avenant, accueillant, merveilleux, mais quelquefois on voit bien que la crise économique les ont poussés à s'ouvrir à la langue anglaise. L'ombre qui obscurcit ce désir n'est rien d'autre que le besoin de gagner sa vie. Et une obligation reste une obligation pénible et ressentie, juste comme vous reste vous, moi, reste moi, et je suis encore moi. Claire ?

Pendant la semaine, je n'ai entrevu que ces nuages. Dans mon optimisme aveugle, j'ai vu la lumière sublime d'un nouveau contact avec moi en me pensant « enfin, je vais avoir un contact à Paris. Ce serait génial. D'ailleurs, elle veut visiter Washington et elle est partante de nous rencontrer. Quel honneur ! Ce serait bien chouette d'accueillir des visiteurs. Ce faisant nous, moi, moi et Chouchou deviendrions citoyens cosmiques cosmopolites. Formidable ! Hou là ! Wow ! ... »

Désolé, cher lecteur, je m'emballais. J'ai dû enlever une portion du texte qui répétait sans cesse mon enchantement et émerveillement. Je suis retourné dans la normale.

Où en étais-je ? Alors, pendant la semaine, j'ai aussi reçu un lien à un article sur les attitudes parisiennes. Selon un enquête ils sont aussi élégants, et cultivés, raffinés qu'ils sont stressés, égocentriques, et impolis. Comme l'article portait sur les attitudes générales et que ces attitudes correspondaient selon mon vécu, je n'y voyais rien de gênant malgré mon amour disproportionné pour cette ville. J'en était indifférent à peu près, mais j'appréciais très bien que M. Leau-d'eden me l'a envoyé parce que nous pouvions en parler lundi matin à huit heures pile.

Lundi matin venu, j'allume Skype et lui, il est là et cela me surprend un peu, parce que je reçois plus de rejet et d'abandon que de fidélité. Toute bonne chose a sa fin Go, vous me diriez. Oui, je le sais, mais je persiste un peu trop longtemps à savourer l'exquis délice de l'amitié. J'y persiste jusqu'à l'absurdité.

On a parlé du volcan, des vacances, de la possibilité de passer ses vacances sans soleil en français, et des parisiens. Après trente minutes en français, on a échangé de la langue. En anglais, on a parlé d'un drôle de question, « Quels sont la source des malentendus transatlantiques ? Est-ce que nous avons plus d'intérêts en communs que différends ? » Ces questions sont le sujet pour la réunion de dimanche au sein de mon association et elles nous ont servis bien comme sujet lundi matin. On a parlé aisément de tout et de rien jusqu'à neuf heures où je lui a dit avec un brin de regret au revoir, et pour la première fois, il m'a dit quelque chose d'extraordinaire. Il m'a dit « merci Go pour avoir posé la question. Il me plaît de parler comme ça. » J'en ai eu un coup de fierté et d'embarras. Cela m'a paralysé un peu, puis j'ai balbutié que ce n'est rien. Je le fais parce que c'est quelque chose qu'on peut partager. » J'ai éteint l'ordinateur, et je suis devenu songeur. Pourrait-il être vrai ? Est-ce que je vais devenir citoyen cosmique cosmopolite ? Ce serait merveilleux, formidable, incroyable ! hou là ! Wow ...

La chute est toujours très dure, particulièrement après une grande réussite.

Je me suis levé tôt mardi matin, à 4h30 précisément, parce que je ne pouvais plus dormir. Depuis quelques semaines, j'ai de plus en plus un air d'abruti. J'ai allumé l'ordinateur, et la voilà. J'ai pensé écrire commencer mon billet et puis à 8h, j'imaginais que nous allions parler. Environs 6h30 elle est partie ou elle a éteint Skype. Je n'ai pensé rien jusqu'à 8h, puis je me suis dit que quelque chose n'allait pas. À 8h30, rien encore, donc je lui ai écrit un courriel dans lequel je mêlais mon mécontentement avec un brin d'humour. Dans le dernier échange de courriels j'ai essayé d'expliquer tout, décalage horaire, les heures convenables pour un rendez-vous, tous les jours possibles, et elle n'a écrit qu'un seul mot, « ok. » J'ai saisi sur ce mot et lui ai répondu à 8h40, « est-ce vraiment ok ? » puis j'ai mentionné l'article sur les Parisiens et y ai ajouté qu'à Washington je mène une vie moins stressée. A ma grande surprise, elle m'a appelé à 9h, exactement quand je dois partir pour travail. Sa voix était firme, et assurée. Elle reflétait un soupçon de l'embarras qu'elle a dû ressentir, mais on n'a pas dit un seul mot là-dessus. Elle maintenait qu'elle désirait encore me parler, mais il lui fallait parler à 7h. Parfait à 7h demain.

Mercredi matin, je me suis levé encore une fois très tôt. Elle était en ligne, et encore une fois elle a vite disparue. Je lui ai envoyé un message par Skype à 6h20, un courriel à 6h50. Rien. A 9h, elle s'est pointé sur Skype, je lui ai écrit que ce n'était pas grave. On parlera demain. Mais, elle a vite disparu encore une fois.

Impossible, je me suis dit. C'est impossible. C'était une tempête de non, un orage de rejet, un tremblement de terre anéantissant, un ouragan de refus. Ma seule explication de ce phénomène est qu'elle, ce moi qui n'est pas moi, mais qui partage mon identité au moins par notre bref rencontre, réjouit de dire non autant que j'adore me lier d'amitié. Elle en réjouit tellement qu'elle m'a appelé pour me faire croire qu'on allait se parler encore une fois ce qui mènera à une autre occasion de dire non. Elle pense que les anglophones qu'elle rencontre ne sont que des boîtes mécaniques qu'on peut introduire une pièce de monnaie pour recevoir une dose d'anglais, tandis que je considère que chaque français représente une occasion de rencontrer un individu intéressant et charmant. Elle doit ressentir une joie perverse en limitant le contact qui ne se produit jamais, tandis que je ressentis un plaisir énorme de m'entendre bien avec les autres. Quelle différence entre moi et moi.

Mais il ne faut pas se fier à ma plume cher lecteur. Tout cet énigme se résume sous la plume de Montaigne. J'ai déjà cité une passage du chapitre De l'Amitié dans ses essais dans lequel il explique comment on a transformé la règle d'or en principe de précaution sage mais banal. Il y a décrit une amitié pure. Un homme a été condamné à mort. Il était tellement détesté que les autorités voulaient punir ces amis aussi. Quand ils ont demandé à l'un de ces plus fidèles amis la raison qu'il lui était absolument loyal, il a répondu, « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. » Autrement dit, les deux étaient tellement lié également qu'il serait impossible de les démêler.

Pour conclure, dans cette histoire étrange, c'était bien moi, et c'était bien moi, mais nous ne serons jamais plus que deux atomes dans cette tempête de non parmi toutes les amitiés ordinaires et coutumières.

5 commentaires:

Cath'rine a dit…

Tiens un message posé là sur mon blog et je découvre des mots qui jouent et s'amusent sur des thèmes graves et importants.
L'amitié, ah l'amitié...Je ne peux en parler, les mots savez vous, ne peuvent dire.

Anonyme a dit…

Vous m'avez fait sourire. Je me pose aussi parfois des questions sur l'amitié "cosmique cosmopolite".

Je repasserai vous lire.

Et voilà donc un petit message de Suisse.

Ren a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Ren a dit…

Merci Cath'rine et Val et bienvenues à ma maison virtuelle et bien cosmique cosmopolite. Et maintenant au clavier pour écrire !

Rosette ou Rosie, c'est pareil a dit…

Quelle plume ravissante, Ren du Braque! Vous lire, c'est du bonbon pour les yeux... Et si on vous lisait tout haut, ce serait du vrai bonbon pour les oreilles!